URBANISME : premières précisions sur la Loi littoral depuis sa modification par la Loi ELAN (CAA Marseille, Juge des référés, 16 septembre 2019, n° 19MA02501)

Sand Castle on BeachPar Maître Lou DELDIQUE, Avocat Associé

GREEN LAW AVOCATS (06 83 05 11 06 ; lou.deldique@green-law-avocat.fr)

 

Adoptée en 1986, et aujourd’hui codifiée aux articles L. 121-1 et suivants du Code de l’urbanisme, la Loi Littoral est un corps de règles qui s’appliquent dans les communes littorales pour les protéger de l’urbanisation.

Plusieurs restrictions aux possibilités de construire résultent de ce texte, qui est opposable aux documents d’urbanisme et aux autorisations individuelles d’occupation du sol, même en cas d’incompatibilité du document d’urbanisme avec la loi Littoral. Ces restrictions varient selon un zonage spécifique à la loi Littoral. Il existe en effet trois zones dotées d’un régime distinct :

  • La bande des 100 mètres le long du rivage, dans laquelle toutes les constructions ou installations sont interdites (CU, art. L. 121-16) ;
  • Les espaces proches du rivage, dans lesquels l’extension de l’urbanisation doit être justifiée et motivée dans le PLU (CU, art. L. 121-13) ;
  • Et l’ensemble du territoire communal, qui est soumis à la règle l’extension de l’urbanisation en continuité des zones urbanisées (CU, art. L. 121-8 ; sur l’application à l’ensemble de la commune, voir : CAA Marseille, 13 nov. 2003, n° 00MA02349 et 00MA02511).

C’est sur cette dernière règle que porte la décision commentée (CAA Marseille, Juge des référés, 16 septembre 2019, n° 19MA02501, consultable ici).

Rappelons en effet que la Loi ELAN a récemment modifié l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme et que l’extension de l’urbanisation, qui devait jusque-là se faire soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement ; voir par exemple : CE, 31 mars 2017, n°392186 ; CE, 28 juillet 2017, n°397783 ; CE, 11 juillet 2018, n°410084) se fait dorénavant en continuité avec les agglomérations et villages existants, mais aussi dans des secteurs déjà urbanisés identifiés par le SCOT et délimités par le PLU (voir notre article ici ).

Première illustration jurisprudentielle de la nouvelle version de la règle de l’extension de l’urbanisation en continuité des zones urbanisées

En l’espèce, le 3 décembre 2018, le maire d’une commune littorale de Corse avait autorisé la construction de 12 bâtiments comprenant 120 logements sur un terrain classé en zone urbaine du PLU.

Cette décision avait été déférée au Tribunal administratif de Bastia par le Préfet de la Haute-Corse dans le cadre du contrôle de légalité (CGCT, art. L. 2131-6). Une demande de suspension avait également été formulée en application de l’article L.554-1 du code de justice administrative, et le juge des référés y avait fait droit.

En appel (sur l’exercice, inhabituel, de cette voie de recours, voir : CE, 8 février 2017 n° 402417), la Cour devait déterminer si le projet pouvait être considéré comme situé en continuité avec les agglomérations et villages existants, ou dans un secteur déjà urbanisé au sens de l’article L. 121-8.

Les juges d’appel ont d’abord rappelé la portée de cet article et précisé que dans les communes corses n’appartenant pas à un SCOT, le Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC), qui définit des indices permettant l’identification des agglomérations, villages et des secteurs déjà urbanisés (sur la compatibilité avec la Loi Littoral : voir TA Bastia, 1er mars 2018, n°1600452), peut s’y substituer :

« Il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c’est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions. En outre, dans les secteurs déjà urbanisés ne constituant pas des agglomérations ou des villages, des constructions peuvent être autorisées en dehors de la bande littorale des cent mètres et des espaces proches du rivage dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 121-8, sous réserve que ces secteurs sont identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d’urbanisme. Pour l’application de ces dernières dispositions, l’article 42 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement de l’aménagement et du numérique prévoit dans son paragraphe IV que dans les communes de la collectivité de Corse n’appartenant pas au périmètre d’un schéma de cohérence territoriale en vigueur, le plan d’aménagement et de développement durable de la Corse peut se substituer à ce schéma. Enfin, dans ces secteurs urbanisés non identifiés par le schéma de cohérence territoriale ou non délimités par le plan local d’urbanisme en l’absence de modification ou de révision de ces documents initiée postérieurement à la publication de la loi du 23 novembre 2018, l’article 42 de cette loi prévoit en son paragraphe III que dans une période transitoire allant jusqu’au 31 décembre 2021, des constructions et installations qui n’ont pas pour effet d’étendre le périmètre du bâti existant, ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti, peuvent être autorisées avec l’accord de l’autorité administrative compétente de l’Etat, après avis de la commission départementale de la nature des paysages et des sites. 

En troisième lieu, le PADDUC rappelle le régime de l’extension de l’urbanisation prévu par l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme et définit les critères et indicateurs constituant un faisceau d’indices de nature à permettre d’identifier et de délimiter les agglomérations et villages en Corse. A cet effet, le PADDUC prévoit que, dans le contexte géographique, urbain et socioéconomique de la Corse, une agglomération est identifiée selon des critères tenant au caractère permanent du lieu de vie qu’il constitue, à l’importance et à la densité significative de l’espace considéré et à la fonction structurante qu’il joue à l’échelle de la micro-région ou de l’armature urbaine insulaire. Pour le village, celui-ci est identifié selon des critères tenant à la trame et la morphologie urbaine, aux indices de vie sociale dans l’espace considéré et au caractère stratégique de celui-ci pour l’organisation et le développement de la commune. Le PADDUC prévoit en outre la possibilité de permettre le renforcement et la structuration, sans extension de l’urbanisation, des espaces urbanisés qui ne constituent ni une agglomération ni un village ainsi caractérisés, sous réserve qu’ils soient identifiés et délimités dans les documents d’urbanisme locaux. L’ensemble de ces prescriptions qui apportent des précisions au sens des dispositions du I de l’article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales et qui ne sont pas incompatibles avec les dispositions du code de l’urbanisme particulières au littoral sont applicables. »

Ils ont ensuite examiné chacune des deux hypothèses :

  • S’agissant de la continuité avec un village ou une agglomération, ils considèrent que : « le terrain d’assiette du projet qui se trouve au nord longé par l’ancienne RD 507 dite route de l’aéroport et à l’est bordé par un ensemble assez important de parcelles naturelles, ne peut être regardé, en dépit de la présence à proximité d’une vingtaine de constructions sur les autres côtés, ni comme étant une agglomération ou un village existant ni comme se situant en continuité d’une agglomération ou d’un village existant. » Notons que cette appréciation est en adéquation avec les standards jurisprudentiels (voir notamment : CE, 11 juill. 2018, n° 410084 ; CE, 28 juill. 2017, n° 397783 ; CAA Marseille, 25 avril 2016, n°15MA00970 ; CAA Nantes, 24 novembre 2015, n°14NT01858CAA Nantes, 26 oct. 2012, n° 12NT00846 ; CAA Lyon, 21 déc. 2004, n° 03LY01801 ; CAA Lyon, 12 juin 2001, n° 00LY01431) ;

  • S’agissant de la qualification d’espace déjà urbanisé, la Cour estime que : « La circonstance que ce terrain soit classé en zone UBb du PLU de la commune, défini comme le secteur marquant les extensions de Crucetta le long de l’aéroport et le long du boulevard urbain de l’ancienne RN193 ne peut suffire à lui conférer la qualité d’espace urbanisé. Par ailleurs et en tout état de cause, les caractéristiques de ce secteur ne permettent pas davantage au sens des dispositions du code de l’urbanisme particulières au littoral telles que précisées par le PADDUC de les regarder comme un espace urbanisé. Là également, la circonstance, à la supposer même vraie, que le secteur soit identifié par le PADDUC comme une tâche urbaine demeure sans incidence sur la qualification, le livret III du PADDUC précisant que cette modélisation  » n’a aucune portée juridique et ne saurait être confondue avec l’espace urbanisé « . »

Sur ce point, l’arrêt reste relativement elliptique, mais il y a lieu de considérer qu’outre le PADDUC, il fait aussi implicitement référence aux indices donnés par l’article L.121-8 qui précise que « Ces secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d’urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l’urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d’accès aux services publics de distribution d’eau potable, d’électricité, d’assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d’équipements ou de lieux collectifs. ».

 

En tout état de cause, il était peu probable que le projet querellé puisse bénéficier de cette seconde exception, car, au vu de son ampleur, il ne pouvait être considéré comme « n’ayant pas pour effet d’étendre le périmètre bâti existant ».

En définitive, la Cour confirme l’ordonnance du TA de Bastia et donc la suspension du permis.