Biogaz : une série de décisions rejetant les recours contre des autorisations ICPE et permis de construire

Par Maître Stéphanie GANDET, avocate associée spécialiste en droit de l’environnement et Lucas CIRIGILIANO, juriste (Green Law Avocats)

Membre de l’ATEE Club Biogaz, le cabinet conseille et défend au quotidien les exploitants d’unités de méthanisation agricole et industrielle, notamment quand les autorisations sont contestées.

La fin d’année a été riche en décisions touchant les unités émanant de différentes juridictions administratives de fond. Des éclairages utiles ont en effet été rendus sur des sujets topiques : basculement d’enregistrement vers l’autorisation, capacités techniques et financières de l’exploitant, sécurité des accès, suffisance de l’étude d’impact…

Nous nous proposons d’analyser successivement les 4 décisions suivantes (téléchargeables ci-dessous) :

I. Jugement rendu après régularisation de l’arrêté d’enregistrement ICPE sur les capacités financières (TA Nantes, 5 décembre 2023, n°2112053)

En l’espèce, une société pétitionnaire que nous défendons avait obtenu un arrêté d’enregistrement. Toutefois, après avoir écarté tous les autres arguments, le tribunal a considéré que le dossier initial présentait des insuffisances et a sursis à statuer en vue d’une régularisation.

Pour rappel, l’article R. 512-46-4 du code de l’environnement, dans sa version applicable à la date de la décision attaquée, dispose que :

«A chaque exemplaire de la demande d’enregistrement doivent être jointes les pièces suivantes:

[…] 7° Les capacités techniques et financières de l’exploitant ; » .

A la lecture de cette formule, le juge a retenu que la société pétitionnaire était tenue de fournir, à l’appui de sa demande d’enregistrement, des indications précises et étayées sur ses capacités financières.

Toutefois, le tribunal a apporté des précisions :

«Une installation classée pour la protection de l’environnement ne peut légalement faire l’objet d’un arrêté préfectoral d’enregistrement si les conditions prévues par les dispositions citées au point 4 ne sont pas remplies. Lorsque le juge se prononce sur la légalité de la décision d’enregistrement avant la mise en service de l’installation, il lui appartient, si la méconnaissance de ces règles de fond est soulevée, de vérifier la pertinence des modalités selon lesquelles le pétitionnaire prévoit de disposer des capacités financières et techniques suffisantes pour assumer l’ensemble des exigences susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l’exploitation et de la remise en état du site, au regard des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement.» .

Au-delà de la question des capacités financières, ce jugement illustre l’intérêt du jugement rendu après régularisation.

En effet, pour rejeter l’ensemble de la requête, le juge a analysé la suffisance des informations fournies dans le dossier complémentaire et a notamment pris en compte le fait que les éléments relatifs aux capacités financières du pétitionnaire ont été complétés en cours d’instance, et qu’une consultation complémentaire du public a été dûment organisée (§4).

II. Légalité d’un arrêté d’enregistrement d’une unité de méthanisation (TA Rennes, 7 décembre 2023, n° 2101752)

A l’occasion d’un recours visant l’arrêté d’enregistrement ICPE d’une unité de méthanisation portée par un collectif agricole que nous représentions, le juge administratif a apporté des enseignements dans le cadre de moyens fondés sur :

2.1 Le basculement en procédure d’autorisation, qui est un argument quasi systématique contre les unités en enregistrement)

Il convient de rappeler que l’article L. 512-7-2 du code de l’environnement dispose que :

«Le préfet peut décider que la demande d’enregistrement sera instruite selon les règles de procédure prévues par le chapitre unique du titre VIII du livre Ier pour les autorisations environnementales :

1° Si, au regard de la localisation du projet, en prenant en compte les critères mentionnés à l’annexe III de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, la sensibilité environnementale du milieu le justifie ;

2° Ou si le cumul des incidences du projet avec celles d’autres projets d’installations, ouvrages ou travaux situés dans cette zone le justifie ;

3° Ou si l’aménagement des prescriptions générales applicables à l’installation, sollicité par l’exploitant, le justifie ;

Dans les cas mentionnés au 1° et au 2°, le projet est soumis à évaluation environnementale.

Dans les cas mentionnés au 3° et ne relevant pas du 1° ou du 2°, le projet n’est pas soumis à évaluation environnementale.» .

Ainsi, une procédure d’autorisation environnementale peut s’avérer nécessaire au regard de la localisation du projet et de la sensibilité environnementale de la zone d’implantation mais les critères à prendre en compte sont limitatifs.

Pour rejeter le moyen des requérants, le juge a rappelé, dans un premier temps, que : « La seule proximité d’un hameau, susceptible d’être impacté par le trafic généré par le fonctionnement de l’unité de méthanisation, ne saurait, en l’espèce, constituer un critère de sensibilité environnementale. ».

Dans un second temps, le tribunal, s’il constate que le projet se situe à proximité d’un élevage porcin, rejette l’argumentaire des requérants qui se bornent à dénoncer, « de manière générale, les risques d’accidents que génèrent le procédé de méthanisation ».

En effet, le juge affirme que le projet litigieux n’a pas pour effet d’augmenter la pression sur l’environnement dans la mesure où, compte de la nature des intrants utilisés par les différentes exploitations, aucun cumul des activités ne résulte de son exploitation.

En outre, les juges du fond considèrent que la seule circonstance que le projet borde des bois et prairies humides n’est pas de nature à caractériser une violation des principes fixés par le SDAGE et le SAGE applicables territorialement. Il écarte donc l’argument tiré d’un basculement en procédure d’autorisation.

2.2. La suffisance des capacités techniques et financières dans un dossier d’enregistrement

En l’espèce, le tribunal administratif de Rennes déduit des dispositions du 7° de l’article R. 512-46-4 du code de l’environnement :
«qu’un dossier de demande d’enregistrement n’a pas à comporter des indications précises et étayées sur les capacités techniques et financières exigées par l’article L. 512-7-2 de ce code, mais doit seulement faire une présentation des capacités que le demandeur entend mettre en œuvre, si elles ne sont pas encore constituées à la date de sa demande.» .
Pour évaluer la suffisance de la description des capacités financières de la société pétitionnaire, le juge considère la possibilité de se fonder sur la « solidité économique » des exploitations agricoles adossées au projet.

2.3. Sur l’évaluation suffisante des incidences Natura 2000 du projet

Les requérants soutiennent enfin que le dossier déposé par la société pétitionnaire ne comporte pas une évaluation suffisante des incidences Natura 2000 du projet.

Pour rejeter cet argument, le juge rappelle qu’en vertu des dispositions du 26° de l’article R. 414-19 du code de l’environnement, une telle évaluation n’est pas obligatoire lorsque le projet relève de la procédure de l’enregistrement et qu’il n’est pas localisé dans le périmètre d’un site Natura 2000, ce qui est le cas en l’espèce puisque le site le plus proche est éloignée de 4 kilomètres du projet litigieux.

Ainsi, le tribunal considère que, compte tenu de la distance qui les sépare, il ne résulte pas de l’instruction que la construction et/ou l’exploitation du projet serait susceptible d’avoir un impact le site Natura 2000 le plus proche, de sorte qu’aucune évaluation des incidences n’était nécessaire.

III. Légalité d’un permis de construire une unité de méthanisation agricole (TA Dijon, 8 décembre 2023, n° 2103022)

Le litige ayant conduit au jugement du 8 décembre 2023 porte cette fois-ci sur un premier arrêté de permis de construire une unité de méthanisation agricole que nous accompagnions, ayant fait l’objet d’un arrêté de permis modificatif également contesté par les requérants dans la même instance.

En l’espèce, plusieurs moyens ont été invoqués, parmi lesquels :

3.1. Le caractère d’«exploitation agricole» du projet

Précisément, les requérants arguent d’une inexactitude du dossier de demande de permis de construire en ce que les surfaces des constructions du projet auraient dû être mentionnées dans la rubrique « industrie » du formulaire normalisé.

Pour rejeter ce moyen, le juge considère que le projet doit être regardé comme une « exploitation agricole » au sens de l’article R. 151-27 du code de l’urbanisme en raison du faisceau d’indices suivant :

3.2. L’absence de nécessité de faire précéder la délivrance du permis de construire modificatif d’une étude d’impact

Les requérants soutenaient que le projet étant susceptible d’avoir des effets notables sur l’environnement, la délivrance des permis de construire aurait dû être précédée d’une étude d’impact.

En effet, l’article L. 122-1 du code de l’environnement, dans sa version applicable au litige, dispose que :

«II.-Les projets qui, par leur nature, leur dimension ou leur localisation, sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine font l’objet d’une évaluation environnementale en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d’entre eux, après un examen au cas par cas.» .

Toutefois, le juge rappelle le principe de cristallisation des moyens applicable dans le cadre des contentieux de l’urbanisme (article R. 600-5 du code de l’urbanisme) en vertu duquel :
«Par dérogation à l’article R. 611-7-1 du code de justice administrative, et sans préjudice de l’application de l’article R. 613-1 du même code, lorsque la juridiction est saisie d’une requête relative à une décision d’occupation ou d’utilisation du sol régie par le présent code, ou d’une demande tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision juridictionnelle concernant une telle décision, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Cette communication s’effectue dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article R. 611-3 du code de justice administrative. » .

Or, le moyen susmentionné étant irrecevable, pour cette raison, à l’encontre de l’arrêté de permis de construire initial, les juge du fond en déduisent que « le caractère notable des effets sur l’environnement doit être apprécié au regard des seules modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction initialement autorisé ».

En l’espèce, le tribunal rejette donc le moyen au motif que les requérants ne démontrent pas avec suffisance dans quelle mesure lesdites modifications sont susceptibles, « par elles-mêmes », d’avoir des incidences notables sur l’environnement.

3.3. Les conditions d’octroi d’un permis de construire modificatif

Enfin, les requérants soutenaient que la société pétitionnaire aurait dû solliciter un nouveau permis de construire.

En droit, le juge rappelle que l’octroi d’un permis de construire modificatif est subordonné à la double condition que la construction visée ne soit pas achevée et que les modifications envisagées n’apportent pas au projet « un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ».

En l’espèce, la tribunal a considéré que les modifications projetées, qui ont pour effet de réduire la création de surface destinée à l’exploitation agricole de 1729 mètres carrés à 1266 mètres carrés, n’est pas de nature à induire un bouleversement du projet tel qu’il en changerait la nature même.

Cela est assez classique mais méritait d’être rappelé vu que l’argument est fréquent contre les évolutions (habituelles elles aussi) apportées au projet notamment pour l’améliorer

3.4. Le respect des bandes d’inconstructibilité de part et d’autre de l’axe des voies de circulation

Précisément, les requérants affirmaient que la circonstance que silos couloir de stockage soient implantés à moins de 75 mètres de la route départementale était constitutif d’une violation du plan local d’urbanisme de la commune d’implantation du projet.

Pour rappel, l’article L. 111-6 du code de l’urbanisme, dans sa version applicable au litige, dispose que :

«En dehors des espaces urbanisés des communes, les constructions ou installations sont interdites dans une bande de cent mètres de part et d’autre de l’axe des autoroutes, des routes express et des déviations au sens du code de la voirie routière et de soixante-quinze mètres de part et d’autre de l’axe des autres routes classées à grande circulation.» .

Or, en l’espèce, le PLU retenait à tort que la RD qui longeait le site faisait l’objet d’un tel classement, ce qui n’était pas le cas à la lecture du décret du 3 juin 2009 fixant la liste des routes à grande circulation.
Le PLU imposait, sur le fondement de cette erreur, un éloignement de 75 mètres, sauf pour certains ouvrages.

Le projet querellé prévoyait des silos implantés à moins de soixante-quinze mètres de l’axe de la route départementale n°81.

Suivant la défense que nous avions développée, le juge considère que l’article A6 du PLU indique à tort que la RD 81 est une « route à grande circulation » dans la mesure où elle ne figure pas sur la liste des routes à grande circulation prévue par le décret du 3 juin 2009.

Constatant une «simple erreur matérielle», le tribunal administratif de Dijon écarte donc l’application du 1er alinéa de l’article A6 du PLU, tout en retenant que les silos projetés ont vocation à s’implanter à plus de cinq mètres de l’axe de la RD 81, conformément aux prescriptions de l’article A6 du PLU subsistantes.

3.5. Le respect des règles de hauteur maximale des bâtiments pour les unités de méthanisation, nécessaire à un équipement collectif

En l’espèce, les cuves de méthanisation du projet atteignaient les 11,90 mètres de hauteur, ce qui ne respectait pas les règles fixées par l’article A10 du PLU applicable.

Toutefois, le juge a considéré :

« qu’il ressort des pièces du dossier que l’unité de méthanisation projetée, qui a pour objectif de produire de l’énergie à partir de la valorisation de déchets d’origine biologique et d’injecter intégralement cette énergie sur le réseau public de distribution, constitue une installation nécessaire à un équipement collectif au sens des dispositions précitées» .
Par conséquent, les cuves de méthanisation entrent dans le champ d’application de la dérogation aux prescriptions de hauteur des bâtiments fixées par l’article A10, prévue pour les «équipements collectifs».

IV. Légalité d’un arrêté d’autorisation ICPE et d’un arrêté d’enregistrement pour les plateformes de CIVES (TA Dijon, 9 novembre 2023, n°23000291)

En l’espèce, une société a déposé une demande d’autorisation d’exploiter une unité de méthanisation et ainsi qu’une demande d’enregistrement relative à la création de plateformes de stockage délocalisées de cultures intermédiaires à valorisation énergétique (CIVEs).

Le préfet de la Côte-d’Or a fait droit à ces demandes et deux associations ont contesté les arrêtés y relatifs.

Le Tribunal a toutefois rejeté le recours après avoir écarté tous les arguments.

Certains des moyens invoqués par les requérants donnent lieu à un jugement intéressant :

4.1. La régularité de l’enquête publique

Tout d’abord, les juges ont pu considérer qu’en application de l’article L. 123-14 du code de l’environnement, «la réduction du nombre de sites de stockage n’est […] pas de nature à remettre en cause l’économie générale du projet» dans la mesure où l’abandon d’une plateforme de stockage ne s’est pas traduit par l’augmentation du volume de stockage des autres plateformes.

De plus, la durée de l’enquête publique, bien que de 32 jours en l’espèce, a été jugée suffisante au regard d’un faisceau d’indices, et notamment en considération du fait qu’un grand nombre d’observations aient été recueillies lors de l’enquête, ce qui témoigne d’un «taux de participation important de la population des communes directement concernées par le projet».

Enfin, le tribunal a retenu que la circonstance que l’ensemble des observations émises par le public à l’occasion de l’enquête publique n’aient pas été énumérées et résumées dans le rapport de la commission d’enquête n’est pas de nature à entacher la procédure d’irrégularité dès lors que les observations manquantes ne présentent qu’un caractère marginal et ne portent pas sur des aspects déterminants du projet.

Cette position est assez classique au regard de la jurisprudence existante.

4.2. Le fait que le projet n’ait pas fait l’objet d’une autorisation unique comprenant l‘autorisation environnementale et les activités soumises à enregistrement

Précisément, les requérants soutenaient que les plateformes présentent les caractéristiques d’installations «connexes» à l’unité de méthanisation devant être incluses dans l’autorisation environnementale.

Le juge a considéré en l’espèce que cela n’était pas le cas dans la mesure où l’installation est en mesure de fonctionner de manière autonome, sans le recours aux plateformes externes, d’autant plus que celles-ci sont distantes de plus de 10km du site, ce qui ne conduit à aucune modification des dangers ou inconvénients y relatifs.

En outre, le jugement rappelle qu’ «en ce qui concerne les cultures de CIVEs, une telle activité ne relève pas en elle-même de l’autorisation environnementale ni du régime des ICPE» (§81).

Par suite, les zones des cultures destinées à alimenter l’unité, n’étant pas en l’espèce délimitées par les décisions litigieuses, n’avaient pas à faire l’objet d’une délivrance de dérogation espèces protégées.

4.3. Sur la description des capacités financières du pétitionnaire

D’une part, le juge a rappelé le principe selon lequel :
«lorsque le juge se prononce sur la légalité de l’autorisation avant la mise en service de l’installation, il lui appartient, si la méconnaissance des règles de fond, relatives aux capacités techniques et financières, fixées à l’article L. 181-27 du code de l’environnement, est soulevée, de vérifier la pertinence des modalités selon lesquelles le pétitionnaire prévoit de disposer de capacités financières et techniques suffisantes pour assumer l’ensemble des exigences susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l’exploitation et de la remise en état du site au regard des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, ainsi que les garanties de toute nature qu’il peut être appelé à constituer à cette fin en application des articles L. 516-1 et L. 516-2 du même code. » .

Et le juge de préciser que pour tout dossier de demande d’autorisation déposé à partir du 1er mars 2017, le pétitionnaire ne doit plus indiquer de manière «précise et étayée» ses capacités financières, mais simplement présenter les modalités prévues pour les établir.

En l’espèce, le dossier de demande d’autorisation ICPE ayant été déposé le 2 avril 2021, le pétitionnaire devait seulement faire une présentation des modalités qu’elle entendait mettre en œuvre pour établir ces capacités.

D’autre part, en réponse à un argument tiré de l’illégalité de l’attestation de prix d’achat du gaz sur lequel repose le plan de financement du projet, le juge a rappelé qu’une telle attestation relevait de la «faisabilité technique du projet […] et à la rentabilité du projet, point qu’il n’appartient pas au tribunal de contrôler» (§111).