Sport-Santé versus espèces protégées devant le Tribunal administratif de Nice

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Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)

Par une décision du 1er février 2024 (Tribunal administratif de Nice, 1er février 2024, Association Ensemble Vivre Mougins et autres, n° 2003377, 2102473, téléchargeable sur Fildp), le Tribunal administratif de Nice a maintenu un arrêté préfectoral valant dérogation dite «espèces protégées» dans le cadre d’un projet de sport-santé répondant à une raison d’intérêt public majeur.

Cette dérogation, régie par l’article L. 411-2 du code de l’environnement, est relative à la protection des espèces animales et végétales et de leurs habitats. Elle permet de se soustraire à l’interdiction de principe de destruction, d’altération d’habitats d’espèces protégées et de destruction, de perturbation d’individus d’espèces protégées, posée à l’article L. 411-1 du code de l’environnement.

La SCI du Pigeonnier, bénéficiaire d’un permis de construire pour un projet d’aménagement consistant en la construction d’un complexe sportif, d’une résidence de tourisme et de trois immeubles, a présenté une demande de dérogation dite «espèces protégées».

Après consultation publique et deux avis défavorables du conseil scientifique régional du patrimoine naturel, la société pétitionnaire a apporté de nouveaux éléments en réponse. Suite à ces précisions, le préfet des Alpes-Maritimes lui a accordé une dérogation «espèces protégées» pour la réalisation de son projet d’aménagement.

A la suite du dépôt d’une demande complémentaire de la SCI du Pigeonnier, relative à la destruction de spécimens d’Agrion de Mercure (une espèce de libellules), le préfet des Alpes-Maritimes a pris un arrêté modificatif, accordant à nouveau la dérogation nécessaire à la réalisation du projet.

Deux associations de défense de l’environnement et des particuliers ont formé un recours en annulation contre chacun des arrêtés préfectoraux précités.

A l’appui de ces requêtes, les requérants soutenaient notamment que la demande de dérogation était entachée de plusieurs irrégularités procédurales et que le projet concerné par la dérogation ne répondait pas à une raison impérative d’intérêt public majeur. En outre, ils avançaient que les atteintes portées par le projet aux espèces étaient sous-estimées, que les mesures d’évitement, de réduction et de compensation de celles-ci étaient insuffisantes et qu’aucune solution alternative sérieuse n’avait été examinée par le préfet des Alpes-Maritimes.

Après avoir écarté les moyens relatifs aux irrégularités de procédure, le Tribunal procède à une lecture croisée des dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement et rappelle les principes posés par le Conseil d’État (CE, 25 mai 2018, 413267, point 7) pour apprécier la légalité des dérogations :

«un projet d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet urbain dans lequel il s’inscrit, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. l’intérêt de nature à justifier, au sens du c) du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, la réalisation d’un projet doit être d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage poursuivi par la législation, justifiant ainsi qu’il y soit dérogé. Ce n’est qu’en présence d’un tel intérêt que les atteintes portées par le projet en cause aux espèces protégées sont prises en considération, en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, afin de vérifier s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et si la dérogation demandée ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle».

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Dans un premier temps, le Tribunal se penche en l’espèce sur l’existence d’une raison impérative d’intérêt majeurs sachant qu’aux termes de l’article L411-2 du code de l’environnement, la dérogation doit être délivrée «Dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement».

Le préfet des Alpes-Maritimes a autorisé la SCI du Pigeonnier à procéder à la destruction, l’altération ou la dégradation d’habitats et à la perturbation intentionnelle de 17 espèces de mammifères, 26 espèces d’oiseaux, 9 espèces de reptiles et 5 espèces d’amphibiens. Il autorise également l’enlèvement et le déplacement de 5 espèces végétales. Cette dérogation serait donc justifiée par les raisons impératives d’intérêt public majeur auxquelles le projet litigieux répondrait.

Le Tribunal relève que, d’une part, le projet a été reconnu d’intérêt général par la commune de Mougins et que, d’autre part, le développement du sport-santé répond à un enjeu de santé publique. En ce qu’il permettra la mise en place d’activités physiques adaptées aux patients souffrant de pathologies chroniques non transmissibles et qu’il a reçu, à ce titre, le soutien de nombreux acteurs du secteur de la santé, le projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur.

Cet intérêt ne saurait être remis en cause notamment par la mise en place d’une stratégie de financement par l’ARS de programmes d’action similaires à celui du projet litigieux ou par l’existence d’offres de sport-santé sur le site internet de la région.

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Dans un premier temps, le Tribunal se penche en l’espèce sur l’existence d’une raison impérative d’intérêt majeurs sachant qu’aux termes de l’article L411-2 du code de l’environnement, la dérogation doit être délivrée « Dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement »

Le préfet des Alpes-Maritimes a autorisé la SCI du Pigeonnier à procéder à la destruction, l’altération ou la dégradation d’habitats et à la perturbation intentionnelle de 17 espèces de mammifères, 26 espèces d’oiseaux, 9 espèces de reptiles et 5 espèces d’amphibiens. Il autorise également l’enlèvement et le déplacement de 5 espèces végétales. Cette dérogation serait donc justifiée par les raisons impératives d’intérêt public majeur auxquelles le projet litigieux répondrait.

Le Tribunal relève que, d’une part, le projet a été reconnu d’intérêt général par la commune de Mougins et que, d’autre part, le développement du sport-santé répond à un enjeu de santé publique. En ce qu’il permettra la mise en place d’activités physiques adaptées aux patients souffrant de pathologies chroniques non transmissibles et qu’il a reçu, à ce titre, le soutien de nombreux acteurs du secteur de la santé, le projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur.

Cet intérêt ne saurait être remis en cause notamment par la mise en place d’une stratégie de financement par l’ARS de programmes d’action similaires à celui du projet litigieux ou par l’existence d’offres de sport-santé sur le site internet de la région.

Cette motivation qui mérite d’être reproduite sera certainement âprement discutée en appel :

«le préfet des Alpes-Maritimes a estimé que le projet «Campus Sport Santé» répondait à des raisons impératives d’intérêt public majeur. Ces raisons tiennent, aux termes de la décision en litige, à «la création d’un pôle sport-santé ouvert au public générant au moins 60 emplois à temps plein» et à «la construction d’environ 40 logements sociaux dans un secteur en déficit». En défense, le préfet des Alpes-Maritimes invoque un nouveau motif dans ses écritures en défense en estimant que le projet «Campus Sport Santé» présente un intérêt pour la santé publique. Il ressort à cet égard des pièces du dossier que le projet en cause, qui a été reconnu d’intérêt général par la commune de Mougins, a vocation à favoriser l’association du sport à la santé et à développer la recherche en lien avec cette thématique. Le développement du sport-santé répond à un enjeu de santé publique, révélé notamment par l’introduction dans le code de la santé publique, par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, de l’article L. 1172-1 qui prévoit la possibilité pour le médecin traitant de prescrire une activité physique adaptée aux personnes souffrant d’une affection de longue durée, ou encore par la «Stratégie Nationale Sport Santé 2019-2024» lancée conjointement par le ministère des sports et le ministères des solidarités et de la santé qui a en particulier pour objectif de développer le recours à l’activité physique à visée thérapeutique. S’agissant plus particulièrement du projet en litige, il ressort des conclusions et du rapport du commissaire-enquêteur que celui-ci permettra la mise en place d’activité physiques adaptées aux personnes souffrant de pathologies chroniques non transmissibles telles que les maladies cardiovasculaires, métaboliques, ou bronchopulmonaires obstructives, limitant ainsi la prise en charge médicamenteuse de ces pathologies. Plusieurs acteurs du secteur de la santé ont à ce titre apporté leur soutien en faveur de la construction du «Campus Sport Santé», notamment le directeur des cliniques Arnault Tzanck de Mougins, qui se trouvent à proximité du domaine du Pigeonnier. Les circonstances que l’Agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte d’Azur a mis en place une stratégie «activité physique pour la santé 2018-2022» qui vise à financer des programmes d’activités physiques adaptées au traitement et à la prévention de certaines pathologies, à l’instar du programme « As du Cœur » porté par l’association Nice Côte d’Azur Athlétisme et destiné aux personnes atteintes de maladies cardiovasculaires, et qu’il existe 502 offres de sport-santé sur le site internet «paca.sport.sante.fr» ne permettent pas de remettre en cause l’intérêt pour la santé publique auquel répond le projet litigieux. Dans ces conditions, et alors même qu’il est d’initiative privée, le projet «Campus Sport Santé» doit, eu égard à l’intérêt pour la santé publique qu’il présente, être regardé comme répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur au sens du c) du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement.».

Dans un deuxième temps, le Tribunal s’intéresse à l’absence d’autre solution satisfaisante et constate que plusieurs sites d’implantation potentiels ont été écartés, ceux-ci ne constituant pas une solution satisfaisante malgré dix ans de prospection d’un terrain adéquat. Le choix du lieu d’implantation finalement retenu se justifie par sa localisation dans une «dent creuse urbaine» et par sa proximité de nombreux acteurs de la santé.

Dans un troisième temps, le Tribunal examine le maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. Cette appréciation, effectuée par l’autorité administrative, se scinde en deux moments.

Tout d’abord, l’autorité administrative détermine l’état de conservation des populations des espèces concernées. En l’espèce, la présence de deux espèces végétales protégées – la Consoude bulbeuse et la Jacinthe de Rome – non recensées dans l’étude environnementale présente au dossier n’a pas empêché le préfet de les intégrer à son arrêté de dérogation. De surcroît, bien que dans son avis, le conseil scientifique régional du patrimoine naturel a relevé l’insuffisance des inventaires floristiques mis en œuvre, la présence de la plante hôte d’une espèce animale protégée – la Diane – ne démontre pas la présence de l’espèce en question sur site. Au regard de ces éléments, le Tribunal déduit que l’état de conservation des espèces concernées n’a pas été sous-évalué par le préfet des Alpes-Maritimes.

L’autorité administrative analyse ensuite les impacts géographiques et démographiques des dérogations sur l’état de conservation des espèces concernées. La société pétitionnaire a pris des mesures d’évitement, de réduction et de compensation de ces impacts pour chaque espèce concernée par la dérogation dans le but de maintenir l’état de conservation de celles-ci. Au regard des éléments explicatifs apportés par la société pétitionnaire au dossier pour justifier ces mesures, le Tribunal réaffirme le caractère utile et suffisant des mesures d’évitement, de réduction et de compensation proposées par la société pétitionnaire et rejette successivement tous les griefs soulevés contre elles.

Les deux requêtes étant fondées sur des moyens de même nature, le Tribunal conclut au rejet de chacune d’elles et condamne les requérants aux dépends de l’instance.

In fine on aura compris que la lutte contre les maladies cardiovasculaires fonde les atteintes à l’environnement avec ce paradoxe : pour soigner ou prévenir (ce n’est d’ailleurs pas bien clair) les effets de la malbouffe, du tabac et de l’alcool l’homme s’autorise à détruire les espèces pourtant protégées à Mougins, « ce bijou azuréen niché en pleine nature » (comme on peut le lire sur le site de l’office du tourisme). Voilà de quoi choquer les écologistes militants et rassurer les tenants d’une approche anthropocentriques de l’environnement : à chacun de choisir son camp car plus que jamais ces deux conceptions du droit de l’environnement semblent exclusives.