Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)
Le Gouvernement a déposé au Sénat un projet de loi n°573 (2023-2024) relatif au développement de l’offre de logements abordables le 6 mai 2024 dont le deuxième chapitre «simplifie et accélère les procédures d’urbanisme pour produire plus, plus vite et mieux» (exposé des motifs, téléchargeable ici).
Le paradoxe est le suivant : frappé depuis une dizaine d’années de frénésie simplificatrice d’inspiration toute libérale, l’exécutif veut absolument limiter les recours contentieux pour «accélérer» les procédures administratives.
Pour se faire il imagine des obstacles en tous genres : délai de recours raccourcis, présomption d’urgence en référé, cristallisation des moyens, obligation de notifier les recours, recours gracieux sans effets sur les délais de recours ou qui se contente de le prolonger sans le proroger, décision implicite de rejet à délai particulier, procédure toboggan, compétence en dernier et premier ressort des Cours administratives d’appel ou du Conseil d’État, sans oublier un intérêt à agir conditionné pour les associations et les riverains.
Mais ces innovations contentieuses sont combinées sans réelle systématisation par la loi et des décrets qui ainsi créent des régimes contentieux multiples aux singularités pour le moins contre-intuitives.
Ainsi au sein du contentieux des installations classées, si l’on attaque un arrêté d’enregistrement d’une unité de méthanisation on adressera sa requête introductive d’instance au tribunal administratif qui devra se prononcer dans les 10 mois de sa saisine. Mais si l’on conteste un arrêté d’autorisation d’un parc éolien terrestre il faudra le faire devant la Cour administrative d’appel territorialement compétente. Et si l’on entend faire examiner la légalité de l’autorisation environnementale d’un parc éolien en mer on saisit en premier et dernier ressort le Conseil d’État… Il est vrai que la centralité aide assurément à prendre de la hauteur pour envisager les effets depuis nos côtes de l’éolien en mer…
Ces régimes particuliers qui confinent à la justice expéditive qu’appellent de leur vœux les opérateurs les plus puissants n’en sont pas moins illisibles. Ainsi les points de départ des délais contentieux (affichage ou publication) varient selon que nous sommes en urbanisme ou en environnement industriel et les durée varient même au sein du même régime ICPE de l’enregistrement (4 mois en droit commun, 2 pour les ENR…)
Et le gouvernement souhaite encore en urbanisme, toujours au nom de la simplification, poser des règles encore plus particulières au sein de dispositions contenues dans un projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables.
Selon ce projet de loi le délai imparti pour former un recours gracieux ou hiérarchique contre une décision de non-opposition à une déclaration préalable, ou un permis de construire, d’aménager ou de démolir est ramené de deux à un mois. Il dispose, part ailleurs, que le silence gardé sur un tel recours vaut rejet au bout d’un mois et non plus de deux mois, que le délai de recours contentieux contre une telle mesure n’est pas prorogé par l’exercice d’un recours gracieux ou hiérarchique.
Ainsi succède à l’inflation normative (que l’on pense par exemple à l’usine à gaz que constitue désormais l’évaluation environnementale !), une véritable fragmentation des règles de procédure en contentieux administratif qui ne maquent même l’objectif de ce choix : faire échouer les requêtes sur les récifs d’une recevabilité qui doit désengorger les prétoires et purger au plus vite les autorisations pour les rendre bancables.
Mais cette rationalité libérale, non seulement ignore la vocation du juge à réguler les conflits mais surtout ignore que trop les pratiques professionnelles.
C’est ce que vient de rappeler le Conseil d’État au gouvernement dans son avis rendu le sur le projet de loi précité et rendu public :
«Quant aux dispositions du projet de loi tendant à resserrer les conditions d’exercice et les délais d’instruction du recours administratif contre des décisions positives de non- opposition à travaux ou autorisations d’urbanisme, le Conseil d’État relève que l’étude d’impact ne précise pas l’effet attendu de ces mesures sur le contentieux contre les mêmes décisions. Il estime que ces restrictions affectant l’exercice des recours administratifs, si elles ne portent pas atteinte au droit au recours ni à aucun principe d’ordre constitutionnel ou conventionnel, sont de nature à priver d’intérêt l’exercice du recours gracieux ou hiérarchique et à engager les requérants à porter directement le litige devant le juge administratif, au rebours des efforts engagés dans de très nombreuses matières pour réguler, grâce au recours administratif, le flux de recours contentieux. Il constate, enfin, que les mesures envisagées, présentées comme un moyen de simplifier et accélérer les procédures en vue de faciliter la construction et favoriser ainsi l’offre de logements abordables, auront pour effet de définir un régime dérogatoire pour le champ d’application beaucoup plus vaste de l’ensemble des décisions d’urbanisme, excédant le sujet du logement, et sans cohérence avec les dispositions par ailleurs applicables en particulier aux installations classées pour la protection de l’environnement.» (Avis consultatif du Conseil d’État, 6 Mai 2024, point 19).
Le Conseil dit donc stop au gouvernement et à sa volonté de multiplier les régimes contentieux dérogatoires en urbanisme et en droit de l’environnement industriel.
Mais la Haute juridiction à l’occasion de sa fonction consultative, défend encore le vieux et si précieux privilège du «préalable du préalable» de l’administration, qui veut qu’un acte administratif continue à s’appliquer tant qu’il n’est pas annulé par le juge du fond, en principe en formation collégiale et ceci plusieurs mois et parfois plusieurs années après qu’il ait été saisi.
Le référé suspension est évidemment le moyen procédural pour obtenir en urgence du juge (unique en principe) des référés qu’il suspende la décision attaquée dans l’attente de son éventuelle annulation par la juridiction saisie au fond.
Or le projet de loi prévoit que la condition d’urgence prévue à l’article L. 521-1 du code de justice administrative est réputée satisfaite lorsqu’un recours en référé-suspension est formé contre une décision d’opposition à déclaration préalable ou de refus de permis de construire, d’aménager ou de démolir.
Ainsi pour le Conseil ce n’est pas là une bonne idée, même si son explication peine à convaincre :
«Le Conseil d’État constate que si l’instauration d’une présomption d’urgence peut être de nature à faciliter l’ouverture de requêtes en référé-suspension de décision d’opposition à travaux ou de refus d’autorisation d’urbanisme, cela ne pourra avoir pour effet d’accélérer ou simplifier l’obtention de la décision positive recherchée par le porteur de projet, et ne sert pas davantage l’objectif énoncé dans l’étude d’impact tenant à faire échec aux recours dilatoires en matière d’urbanisme. Il relève que cette mesure n’est pas le pendant logique du dispositif inscrit à l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme, lequel dispose que la condition d’urgence est présumée satisfaite pour la requête en référé-suspension contre une décision d’urbanisme positive tout en prévoyant qu’un recours dirigé contre une telle décision ne peut être assorti d’une requête en référé–suspension que jusqu’à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort. Il estime que le dispositif dérogatoire envisagé par le projet de loi aura pour effet de complexifier le traitement des requêtes de référé sans lien avec l’objectif recherché énoncé par l’étude d’impact» (Avis consultatif du Conseil d’État, 6 Mai 2024, point 18 ).
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