Hydroélectricité : Indépendance de la qualité d’installation concourant au service public de production d’énergie et de la notion de projet répondant à une raison d’intérêt public majeur

microcentrale electricite

Par Maîtres Stéphanie GANDET, avocate associée spécialiste en droit de l’environnement et Alix-Anne SAURET, avocate collaboratrice (Green Law Avocats)

Un arrêt récent de la CAA de Lyon (23 novembre 2023, n°21LY03665) en matière d’hydroélectricité aborde de manière intéressante de la nécessité pour le service public d’électricité des petites centrales hydroélectriques (téléchargeable ci-dessous).

Mais cette décision en urbanisme s’inscrit dans un contexte où la petite hydro se heurte à des critères qui restent stricts pour espérer obtenir, quand cela est nécessaire, une dérogation  «espèces protégées».

Ainsi, la mise en perspective des récents développements jurisprudentiels et législatifs en matière d’hydroélectricité questionne la nécessité d’assouplir les critères que devront respecter les projets hydroélectriques soumis à dérogation espèces protégées pour être regardés comme répondant à une raison d’intérêt public majeur.

En effet, si les juridictions administratives semblent reconnaître que ces projets concourent au service public de production d’électricité indépendamment de la puissance installée dans le cadre de contentieux relatifs au permis de construire (I), l’accélération du développement des projets hydroélectriques de taille réduite pourrait néanmoins être affectée par la sévérité des critères posés par les textes régissant l’octroi de la dérogation espèces protégées lorsque celle-ci requise (II).

I. Les centrales hydroélectriques constituent une installation nécessaire au service public d’électricité indépendamment de leur puissance installée


Dans une affaire récente, la Cour Administrative d’Appel de Lyon a expressément reconnu qu’une centrale hydroélectrique d’une puissance inférieure à 4,5 MW (seuil de puissance soumettant l’installation au régime de la concession au titre du code de l’énergie) participe, lorsque l’énergie produite est injectée sur le réseau, au service public de la fourniture d’énergie est qu’elle est donc admissible en zone naturelle du Plan Local d’Urbanisme (PLU) (CAA de Lyon, 23 novembre 2023, 21LY03665).

En l’espèce, et pour rappel, plusieurs requérants personnes physiques sollicitaient l’annulation du jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 15 septembre 2021 (n°1701906) ainsi que l’annulation de l’arrêté du 18 avril 2017 par lequel le Préfet de la Haute Loire avait délivré un permis de construire à la SAS GEFA pour la construction d’une microcentrale hydroélectrique sur le territoire de la commune d’Yssingeaux et l’annulation de la décision implicite de rejet de leur recours gracieux.

Les requérants soutenaient notamment que le projet de centrale hydroélectrique méconnaissait les dispositions du PLU applicables en zone naturelle dès lors que seules étaient admises dans cette zone, les « installations nécessaires au service public de l’électricité » et que la centrale n’en faisait pas partie.

Sur ce point la Cour admet expressément qu’une centrale hydroélectrique, indifféremment de sa puissance installée concourt au service public de production d’électricité dès lors qu’elle injecte l’électricité produite sur le réseau :

«En troisième lieu, aux termes de l’article N 1 du règlement du plan local d’urbanisme « occupations et utilisations du sol interdites » dans sa rédaction applicable à la date du 18 avril 2017, date de délivrance du permis de construire initial : « Sont interdites : / toutes constructions nouvelles, occupations et utilisations du sol autres que celles énoncées à l’article N 2 à l’exception des installations, aménagements ou ouvrages techniques nécessaires aux services publics. » L’article N 2 du même règlement « occupations et utilisations du sol soumises à des conditions particulières » énonce : « Les aménagements et constructions strictement liés à l’activité forestière. / Le changement de destination et la réhabilitation des bâtiments existants sont autorisés, sous réserve qu’ils n’aient pas pour objet un changement de destination incompatible avec le statut de la zone» .

«Les requérants se prévalent de la méconnaissance des dispositions des articles N 1 et N 2 dans leur rédaction postérieure à celle applicable à la date de l’arrêté délivré le 18 avril 2017 lequel était soumis pour l’examen du dossier de demande aux règles contenues dans le plan local d’urbanisme de la commune, approuvé le 17 mai 2013 et révisé en dernier lieu le 26 juin 2015. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions dans leur rédaction applicable postérieurement à la date d’édiction de l’arrêté en litige doit être écarté comme inopérant. En outre, la circonstance que le tribunal n’ait pas répondu à l’argument soulevé à l’appui de ce moyen inopérant tiré de ce que le projet ne pouvait être qualifié d’ouvrage d’intérêt collectif au regard de sa capacité et des seuils visés par le code de l’énergie n’entache pas d’irrégularité le jugement attaqué» .

«En outre, aux termes de l’article L. 121-1 du code de l’énergie : « Le service public de l’électricité a pour objet de garantir, dans le respect de l’intérêt général, l’approvisionnement en électricité sur l’ensemble du territoire national. / Dans le cadre de la politique énergétique, il contribue à l’indépendance et à la sécurité d’approvisionnement, à la qualité de l’air et à la lutte contre l’effet de serre, à la gestion optimale et au développement des ressources nationales, à la maîtrise de la demande d’énergie, à la compétitivité de l’activité économique et à la maîtrise des choix technologiques d’avenir, comme à l’utilisation rationnelle de l’énergie. / Il concourt à la cohésion sociale, à la lutte contre les exclusions, au développement équilibré du territoire, dans le respect de l’environnement, à la recherche et au progrès technologique, ainsi qu’à la défense et à la sécurité publique. / Matérialisant le droit de tous à l’électricité, produit de première nécessité, le service public de l’électricité est géré dans le respect des principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité et dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité, de coûts, de prix et d’efficacité économique, sociale et énergétique. » .

«Il ressort des pièces du dossier que le projet en cause tend à permettre de livrer l’énergie produite par l’installation autorisée sur le réseau Enedis et que la production en énergie de l’installation correspond à la consommation moyenne de 185 habitants. La qualification d’installation nécessaire au service public de l’électricité s’apprécie, dans le cadre de la délivrance d’une autorisation d’urbanisme et au sens de l’article N 1 du règlement du PLU précité, indépendamment de la puissance de l’installation. Ainsi, le projet, dont la destination principale est la production d’électricité et qui contribue à l’équilibre du système d’approvisionnement par la fourniture d’électricité produite à partir d’énergies renouvelables, constitue une installation nécessaire au service public d’électricité au sens de l’article N 1 du règlement précité. Les requérants ne peuvent donc utilement soutenir qu’un ouvrage hydroélectrique inférieur à « 4 500 kilowatts », placé sous le régime de l’autorisation et non pas de la concession, ne participe pas au service public tel que défini par l’article L. 121-1 du code de l’énergie. » (CAA de LYON, 23 novembre 2023, 21LY03665).

La Cour reconnait donc dans le cadre de ce contentieux d’urbanisme qu’une centrale hydroélectrique peut être assimilée à une installation concourant au fonctionnement du service public de production d’électricité.

Mais on peut s’interroger, dans le contexte jurisprudentiel et législatif actuel, sur les conditions dans lesquelles un tel projet pourrait être regardé comme répondant à une raison d’intérêt public majeur (RIPM) dans l’hypothèse où une dérogation «espèces protégées» serait sollicitée en raison des impacts de la centrale hydroélectrique sur la biodiversité.

II. Une situation encore difficile des petites centrales hydroélectriques en matière de dérogation espèces protégées

Indépendamment des hypothèses dans lesquelles le projet nécessite le dépôt d’un permis de construire, le porteur de projet d’une centrale hydroélectrique peut être conduit (spontanément ou à la demande du Préfet) dans le cadre du dépôt de sa demande d’autorisation d’exploiter à solliciter également une demande de dérogation espèces protégées en raison des impacts de celui-ci sur les espèces protégées ou leurs habitats.

Une telle soumission à dérogation peut parfois constituer un obstacle dirimant pour les projets de taille modeste.

En effet, dans un arrêt du 15 avril 2021 (CE, 15 avr. 2021, n° 432158) annulant l’arrêté portant Dérogation Espèces Protégées (DEP) délivré à un projet de centrale hydroélectrique, le Conseil d’État semblait réserver la délivrance de la DEP aux projets hydroélectriques les plus conséquents et intégrés à un plan plus général de développement de l’énergie hydroélectrique.

Or, depuis, la position du Conseil d’État s’est affinée sur la question de savoir quand une dérogation devait être sollicitée.

Pour rappel, il ressort de son avis du 9 décembre 2022 (n°463563), que le porteur de projet « doit obtenir une dérogation espèces protégées si le risque que celui-ci comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé  » après application des mesures de réduction et d’évitement proposées par le pétitionnaire.

Cette dérogation ne peut toutefois être que accordée lorsque sont remplies trois conditions cumulatives que sont :

Or c’est précisément sur le fondement de ce troisième critère que le Conseil d’Etat dans son arrêt du 15 avril 2021 a confirmé le raisonnement de la CAA de Bordeaux prononçant l’annulation de l’arrêté portant dérogation espèces protégées délivrée à la pétitionnaire au motif qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que le projet hydroélectrique querellé ayant vocation à produire 12 millions de kilowattheures (soit la consommation électrique d’environ 5 000 habitants), « s’inscrivait dans un plan plus large de développement de l’énergie renouvelable auquel il apporterait une contribution utile bien que modeste » (CE, 15 avr. 2021, n° 432158) :

«Il résulte de ces dispositions qu’un projet d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économique et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.» .

«Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la production annuelle de la centrale hydro-électrique projetée était évaluée à 12 millions de kilowattheures, soit la consommation électrique d’environ 5 000 habitants, permettant d’éviter le rejet annuel dans l’atmosphère de l’ordre de 8 300 tonnes de gaz carbonique, 38 tonnes de dioxyde de souffre, 19 tonnes de dioxyde d’azote et de 1,2 tonnes de poussières. Après avoir souverainement procédé à ce constat, la cour administrative d’appel a retenu qu’il n’était pas établi que ce projet de centrale hydroélectrique serait de nature à modifier sensiblement en faveur des énergies renouvelables l’équilibre entre les différentes sources d’énergie pour la région Occitanie et pour le territoire national et que le projet ne pouvait être regardé comme contribuant à la réalisation des engagements de l’Etat dans le développement des énergies renouvelables.» .

«En statuant ainsi, alors qu’il n’était pas établi devant elle que le projet, quoique de petite taille, s’inscrivait dans un plan plus large de développement de l’énergie renouvelable et notamment de l’hydroélectricité à laquelle il apporterait une contribution utile bien que modeste, la cour administrative d’appel n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce en refusant de reconnaître, en l’état de l’instruction devant elle, que le projet répondait à une raison impérative d’intérêt public majeur au sens de l’article L. 411-2 du code de l’environnement.» .

Cette restriction des projets hydroélectriques susceptible d’être regardés comme répondant à une raison d’intérêt public majeur semble pourtant confirmée par les récents développements législatifs.

Ainsi, l’article 19 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’Accélération de la Production d’Energies Renouvelables (dite loi « APER » ; JORF n°0060 du 11 mars 2023) a créé les articles L. 211-2-1 du code de l’énergie et L. 411-2-1 du code de l’environnement, posant ainsi une présomption de raison impérative d’intérêt public majeur au profit des projets de production d’énergie renouvelable.

Toutefois, il ressort du projet de décret relatif aux conditions requises à l’article L.211-2-1 du code de l’énergie et à l’article 12 de la loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 (JORF n°0144 du 23 juin 2023), que pour qu’un projet d’installation de production hydroélectrique soit réputé répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens de l’article L. 411‑2 du code les projets devront respecter les seuils de puissances suivants :

Étant précisé que :

Concrètement, les évolutions jurisprudentielles et législatives précitées font apparaître une certaine incohérence dans la prise en compte de la contribution des centrales hydroélectriques en matière de production d’énergie renouvelable.

Ces différences d’interprétation sur les différents volets que sont le droit de l’urbanisme, le droit de l’environnement et le droit l’énergie peuvent valablement faire craindre aux porteurs de projets de petites centrales hydroélectriques un positionnement difficilement tenable

Les projets seraient admissibles en zone naturelle en raison de la contribution à la production d’énergie renouvelable mais ils peuvent être soumis à l’obligation de déposer une demande de dérogation espèce qui ne pourra en pratique être difficilement obtenue en l’absence d’atteinte du seuil de puissance pour bénéficier de la «présomption de RIIPM» précédemment évoqués.