EOLIEN: Pourquoi l’amendement sur l’avis conforme de l’ABF à 10km est infondé et dangereux (amendement au projet de Loi liberté de création, architecture et patrimoine)

Silhouette WindrderPar Stéphanie GANDET et Sébastien BECUE – Green Law Avocats

Amateurisme complet ? Mauvaise appréciation des conséquences pratiques ? Tentative délibérée de porter un coup fatal au développement de l’éolien en France ?

Ce sont les questions qui viennent à l’esprit lorsque l’on découvre le texte surréaliste de l’amendement au projet de loi Liberté de création, architecture et patrimoine, qui vient d’être adopté en première lecture par le Sénat le 10 février 2016. Alors que des projets de loi dédis à l’environnement et à l’énergie sont en discussion, il a été fait ici le choix d’un texte qui confine à un cavalier législatif.

Concoctée initialement par une sénatrice UDI, proposée ensuite par deux sénateurs frontistes, la version adoptée a été portée par cinq sénateurs du groupe Rassemblement Démocratique et Social Européen, c’est dire que cet amendement désastreux pour la filière transcende les clivages politiques…

Cet amendement vise à soumettre la délivrance du permis de construire à un avis conforme de l’ABF si l’éolienne est visible ou est visible en même temps dans un périmètre de dix kilomètres d’un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques.

  • Cette règle, laissée en l’état, est tout d’abord inutile au regard des mécanismes de protection déjà existants.

Rappelons que l’Architecte des Bâtiments de France joue déjà un rôle dans la procédure d’instruction d’un permis de construire éolien lorsque l’installation projetée est covisible avec un immeuble classé ou un monument historique. Il émet alors un avis simple, en pratique très majoritairement suivi par l’autorité qui décide de la délivrance du permis de construire, de l’autorisation d’exploiter ICPE ou maintenant de l’autorisation unique.

L’amendement fait sur ce point une proposition doublement exorbitante.

D’une part l’avis deviendrait conforme, c’est-à-dire qu’il s’imposerait à l’autorité compétente qui serait liée par l’avis rendu. Cela revient à faire prévaloir l’objectif de conservation du patrimoine sur tous les autres objectifs légaux et constitutionnels, et notamment sur celui de la lutte contre le changement climatique et la production d’énergie renouvelable, qui sont au cœur des politiques publiques.

Cela donnerait surtout un pouvoir extraordinaire à l’ABF, qui se retrouverait avec un véritable droit de véto sur le projet. Cela est doublement dangereux : donner la possibilité de bloquer un parc à une seule personne comporte des risques de dérives intrinsèques à la concentration des pouvoirs. Surtout, en l’absence de méthode d’appréciation définie, l’existence d’une atteinte au patrimoine est pleinement subjective. L’ABF serait libre de juger seul de la qualité intrinsèque de l’architecture d’un bâtiment, et ici de l’impact d’un parc sur un monument (lire sur ce point « L’architecte des bâtiments de France » Christelle Devos-Nicq – AJDI 1999).

Or, on le sait, l’éolien suscite des réactions épidermiques chez certaines personnes. Et l’ABF, dans la position conservatrice où il se trouve – c’est même là l’essence de son métier – a forcément une tendance qui se démontre en pratique, à s’opposer systématiquement à l’implantation d’une éolienne.

Notons que ces avis subjectifs, et aux conséquences fondamentales puisqu’elles lient l’autorité qui délivre le permis, sont qualifiés d’actes préparatoires et ne sont en conséquence pas directement contestables devant le juge ! (CE, 19 février 2014 )

Cela voudrait dire que pour contester l’avis de l’ABF, il faudra attendre que la décision finale soit prise (un refus, automatiquement) pour la contester devant le juge administratif (avec dans certains cas un recours gracieux obligatoire) : c’est mettre en parenthèse le projet de parc durant au moins 12 à 24 mois avant d’être fixé.

  • D’autre part, les SDAP se prononcent déjà à l’occasion des demandes d’autorisations et leur avis circonstancié, motivé par des particularités locales peuvent (et le sont souvent) être pris en compte par le Préfet dans sa décision. Cela motive d’ailleurs souvent des prescriptions d’aménagement paysager, voire de déplacement de l’éolienne.
  • De tierce part, et surtout, on passe de l’exigence d’une covisibilité – estimée par la loi à 500 mètres – de l’éolienne avec le bâtiment protégé à un périmètre arbitraire de visibilité de 10 kilomètres autour. Ainsi, dans le cas où une colline ferait obstruction entre les deux objets, ne laissant entrevoir qu’un morceau de pâle, il serait tout de même nécessaire de recueillir l’avis conforme de l’ABF.

Cette généralisation est absurde. Elle procède d’une caricature de l’éolien en France, et élude totalement l’appréciation au cas par cas qui doit présider l’instruction administrative des dossiers.

 

 

  • De quatrième part, l’amendement manque pour le moins de rigueur juridique puisqu’il prévoit l’avis conforme pour les parcs visibles non seulement
  • depuis un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques
  • mais aussi « d’un site patrimonial protégé »

Cette dernière formulation est plus vague car elle ne renvoie à aucune notion prévue par le code de l’urbanisme, le code du patrimoine ou le code de l’environnement.

Il va sans dire que les différences d’appréciation seront nombreuses, donneront lieu à un nouveau contentieux dont la filière n’a aucun besoin.

Cette idée vient de surcroît s’ajouter à deux mesures injustifiées et destinées, déjà, à ralentir le développement éolien :

  • La soumission des éoliennes au régime des installations classées, qui a eu pour conséquence d’ajouter à la procédure d’urbanisme une seconde procédure administrative, longue et couteuse ;
  • L’obligation d’implanter les éoliennes à plus de 500 mètres de toute habitation ou zone destinée à l’habitation (rappelons sur ce point que l’amendement initial proposait une distance de 1 kilomètre ; un élu de la région Centre avait alors pointé que cette règle aurait eu pour conséquence de réduire de 33% à 3% la surface pouvant accueillir des éoliennes sur son territoire).

Sous couvert de protection du patrimoine, cet amendement serait en réalité le meilleur moyen de stopper l’éolien.

Une analyse des conséquences en Nord Pas de Calais / Picardie donne ainsi lieu à cette carte particulièrement éloquente, ne laissant que quelques kilomètres carrés à l’abri du droit de veto que certains politiques veulent donner à l’ABF, soit à une seule personne (la partie grisée correspond aux zones qui seraient, avec cet amendement,soumises à l’avis conforme de l’ABF)carte_MH-10km