
Par Stéphanie GANDET, avocate associée, spécialiste en droit de l’environnement
L’actualité du biométhane reste riche : la parution des deux décrets du 21 août 2023 vient en témoigner, après de précédents textes datant déjà du mois de juin (Décrets n°2023-809 et 2023-810, téléchargeables ci-dessous).
Mais on ne peut s’empêcher de se dire qu’au-delà des effets d’annonce, il manque des réelles avancées et un dispositif efficace. Avant d’analyser en détail le dispositif actuel, il convient de faire remarquer que le développement des unités de méthanisation, et en particulier de biométhane injecté dans un contexte de crise énergétique aurait surtout mérité :
- Une vraie stabilisation des règles tarifaires ;
- Un alignement juste des règles de mise en service applicable à la filière biométhane par rapport aux ENR électriques : il n’est pas compréhensible que la suspension du délai de mise en service donne lieu à autant de textes (au moins 3 ans en deux ans…) par petites touches, et sans parvenir à un traitement identique à la cogénération, ou aux autres ENR électriques ;
- Des contentieux jugés sous des délais raisonnables : les contentieux sont de plus en plus nombreux, et ils sont en moyenne jugés en 18 mois en première instance. Les juridictions administratives ne disposent pas des moyens toujours suffisants pour y faire face. Certes, des délais raccourcis sont maintenant prévus (décret du 29 octobre 2022). Mais ils entrainent des délais précipités pour les projets les plus récemment autorisés, tandis que des projets autorisés depuis 2019 ou 2020 ne sont toujours pas purgés, ce qui peut mettre à mal leur pérennité (c'est d'ailleurs souvent l'objectif premier des recours...). Les décrets de septembre 2021 et d’août 2023 précités sont certes bénéfiques mais ils arrivent bien tard et restent imparfaits. ;
Le développement du biométhane, ressource locale et renouvelable ne suppose t-il pas un vrai corpus de règles cohérentes et efficaces ?
I. Présentation des deux décrets du 21 août 2023
En attendant, les règles issues des deux décrets du 21 août 2023 vont concerner :
- Le délai de mise en service des unités en injection avec un contrat d’achat signé avant le 24 novembre 2020 ;
- Les sanctions prévues en cas de fraude, témoignant d’un renforcement des exigences à l’égard des producteurs.
En attendant, les règles issues des deux décrets du 21 août 2023 vont concerner :
- Pour les projets sous appels d’offres : Il aligne le délai entre la date de publication de l'avis d'appel d'offres au Journal officiel de l'Union européenne et la limite de dépôt des dossiers de candidature à l'appel d'offre avec le délai applicable pour les appels d'offres relatifs aux installations de production d'électricité renouvelable, soit 35 jours au lieu de 6 mois;
- Il élargit également le dispositif d'obligation d'achat suite à appel d'offres à l'ensemble des installations de production du biométhane, quelle que soit la technologie (Une analyse dédiée de cette modification sera proposée par le cabinet prochainement) ;
- Mais plus important encore pour les sites sous obligation d’achat : il permet également d'allonger jusqu'à 3 ans le délai de mise en service en cas de recours pour les contrats d'achat signés avant le 24 novembre 2020.
II. Analyse des règles de délais de mise en service des contrats d'achat de biométhane
La « notice » du décret du 21 août 2023 semble être affectée d’une erreur car elle indique que le décret prévoit un allongement de la durée de mise en service pour les installations ayant conclu un contrat de vente de biométhane « postérieurement » au 24 novembre 2020.
Or, il est bien prévu au sein du décret que ce sont les contrats d’achat de biométhane signés antérieurement au 24 novembre 2020 qui sont concernés.
Et c’est d’ailleurs logique, puisque ce nouveau décret s’inscrit dans le prolongement de deux précédents décrets du 21 septembre 2021 et du 10 juin 2023 et qui avaient déjà prévu l’allongement de la durée du délai de mise en service d’une installation en cas de recours contentieux pour les contrats dont la signature est postérieure au 24 novembre 2020.
La situation en synthèse est donc la suivante au sujet du délai de mise en service des unités de production de biométhane en injection sous contrat d’achat :
A. Contrat d’achat de biométhane conclu avant le 24 novembre 2020
1) S'agissant du délai de mise en service, plusieurs règles s'appliquent
- Le délai de mise en service est également de 3 ans à compter de la signature et en cas de dépassement de ce délai, la durée du contrat d'achat est réduite de la durée de ce dépassement (article D. 446-10 du code de l’énergie) ;
- Là aussi, dans certains cas bien précis: il ressort du décret du 20 septembre 2022 que par dérogation à l'article D. 446-10 du code de l’énergie et à l'article 11 du décret n° 2021-1273 du 30 septembre 2021 susvisé, pour les contrats d'achat (i) dont la date de signature est antérieure au 23 mars 2021 (ii) ET portant sur un projet ayant fait l'objet à la date de publication du présent décret de l'autorisation, de l'enregistrement ou de la déclaration ICPE (iii) ET n'ayant pas encore produit de biométhane y compris dans le cadre d'essais d'injection préalables à la mise en service, la prise d'effet du contrat d'achat doit intervenir dans un délai de 18 mois à compter du 23 septembre 2022 (soit avant le 24 mars 2024) ;
- La date de prise d’effet peut aussi être suspendue en cas de recours contentieux dirigés contre des « actes nécessaires à la réalisation ou au fonctionnement de l'installation de production » (permis de construire, titres ICPE notamment) qui ont pour effet de retarder son achèvement. Cela avait déjà été permis depuis 2021 (décret du 30 septembre 2021).
- En cas de dépassement de ce délai, la durée du contrat d'achat est réduite de la durée de ce dépassement (article D. 446-10 du code de l’énergie).
2) Des cas de suspension sont maintenant prévus :
- La date de prise d’effet peut être suspendue pour les unités ayant un contrat d'achat signé avant le 24 novembre 2020 en cas de recours contentieux dirigés contre des « actes nécessaires à la réalisation ou au fonctionnement de l'installation de production » (permis de construire, titres ICPE notamment) qui ont pour effet de retarder son achèvement. C’est la nouveauté permise par le décret du 21 août 2023.
- Contrairement à la règle applicable aux contrats signés avant le 24 novembre 2020, il n’y a plus de plafond à la période de suspension du délai de mise en service pour les contrats signés après cette date (auparavant, la suspension du délai de mise en service était plafonnée à deux ans, mais cette limitation a été supprimée par le décret n°2023-456 du 10 juin 2023.
Cela suppose une demande et une justification du producteur qu’il convient de soigner et qui devra donner lieu à un avenant.
Chaque période de suspension débute à la date d’enregistrement de la requête de première instance et s’achève à la date à laquelle la dernière décision juridictionnelle relative à cette requête est devenue définitive.
- En revanche, le décret du 21 août 2023 vient fixer un plafond à la période de suspension, qui ne peut pas durer plus de 3 ans pour les unités ayant un tel contrat antérieur au 24 novembre 2020.
B. Contrat d’achat de biométhane conclu avant le 24 novembre 2020
- Le délai de mise en service est également de 3 ans à compter de la signature et en cas de dépassement de ce délai, la durée du contrat d'achat est réduite de la durée de ce dépassement (article D. 446-10 du code de l’énergie) ;
- Là aussi, dans certains cas bien précis: il ressort du décret du 20 septembre 2022 que par dérogation à l'article D. 446-10 du code de l’énergie et à l'article 11 du décret n° 2021-1273 du 30 septembre 2021 susvisé, pour les contrats d'achat (i) dont la date de signature est antérieure au 23 mars 2021 (ii) ET portant sur un projet ayant fait l'objet à la date de publication du présent décret de l'autorisation, de l'enregistrement ou de la déclaration ICPE (iii) ET n'ayant pas encore produit de biométhane y compris dans le cadre d'essais d'injection préalables à la mise en service, la prise d'effet du contrat d'achat doit intervenir dans un délai de 18 mois à compter du 23 septembre 2022 (soit avant le 24 mars 2024) ;
- La date de prise d’effet peut aussi être suspendue en cas de recours contentieux dirigés contre des « actes nécessaires à la réalisation ou au fonctionnement de l'installation de production » (permis de construire, titres ICPE notamment) qui ont pour effet de retarder son achèvement. Cela avait déjà été permis depuis 2021 (décret du 30 septembre 2021).
Chaque période de suspension débute à la date d’enregistrement de la requête de première instance et s’achève à la date à laquelle la dernière décision juridictionnelle relative à cette requête est devenue définitive.
- Contrairement à la règle applicable aux contrats signés avant le 24 novembre 2020, il n’y a plus de plafond à la période de suspension du délai de mise en service pour les contrats signés après cette date (auparavant, la suspension du délai de mise en service était plafonnée à deux ans, mais cette limitation a été supprimée par le décret n°2023-456 du 10 juin 2023.
III. Analyse du nouveau dispositif de sanction des producteurs de biométhane en cas de fraude
Le second décret n°2023-810 du 21 août 2023 vient renforcer le dispositif de sanction.
La notion de fraude, et une procédure de contrôle et de sanction des producteurs de biométhane est ainsi ajoutée au sein du code de l’énergie.
Cela témoigne d’un renforcement notable des exigences à l’égard des producteurs.
La loi avait déjà introduit un dispositif de sanction prévoyant, notamment, qu’en cas de fraude, l’autorité administrative peut résilier le contrat et exiger le remboursement de sommes par le producteur, sans mise en demeure et après l’avoir invité à présenter ses observations dans un délai déterminé.
Cela date de la loi n°2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (JORF n°0044 du 22 février 2022) qui a créé l’article L 446-56 du code de l’énergie.
Le remboursement concerne tout ou partie des sommes perçues en application de ce contrat pendant la période au cours de laquelle le producteur n’a pas respecté les dispositions mentionnées aux articles L. 446-4, L. 446-5, L. 446-14, L. 446-15 ou L. 446-24, et dans certaines limites.
Lorsqu’une fraude est constatée en application de l’article L. 446-56, le préfet de région peut engager à l’encontre du producteur une procédure de sanction.
A. Une procédure contradictoire est prévue
Le Préfet invite le producteur concerné à présenter ses observations dans un délai qu’il fixe, qui ne peut être inférieur à un mois.
Il lui demande l’identité de son cocontractant et l’informe que la fraude qui lui est reprochée est susceptible d’entraîner la résiliation du contrat conclu, selon le cas, en application des articles D. 446-8, R. 446-12-19, R. 446-12-52, R. 446-12-57 ou R. 446-61 et le remboursement des sommes perçues au titre de ce contrat.
B. Puis les suites suivantes sont possibles, impliquant le Préfet, le producteur et l’acheteur de biométhane
Une fois expiré le délai imparti au producteur pour présenter ses observations et au regard des éléments transmis, le préfet peut :
- 1° Soit abandonner la procédure ;
- 2° Soit poursuivre la procédure : il enjoint au cocontractant (l’acheteur de biométhane), par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, de résilier le contrat concerné, et en transmet une copie à la Commission de régulation de l’énergie.
Il en informe le producteur par la même voie.
A la réception de la demande du préfet de région, le cocontractant résilie le contrat à compter de cette date.
C. En cas de demande de résiliation par le Préfet à l’acheteur, une demande de remboursement est aussi possible
S’il a demandé la résiliation du contrat en application de l’article L. 446-56, le préfet de région peut également enjoindre au producteur de rembourser à son cocontractant ou, le cas échéant, à l’acheteur de dernier recours mentionné à l’article D. 446-14 tout ou partie des sommes qu’il a perçues au titre de son contrat, depuis la date du début du manquement, de la fraude ou de la non-conformité ou, à défaut, depuis la date de son constat jusqu’à la résiliation du contrat.
La période à prendre en compte pour le calcul du montant de ce remboursement ne peut toutefois remonter au-delà de la date d’entrée en vigueur du décret n° 2023-810 du 21 août 2023.
Le montant du remboursement ainsi mis à la charge du producteur est apprécié par le préfet de région en fonction de la gravité de la fraude, du manquement ou de la non-conformité et de la situation du producteur.
Ce remboursement porte :
- 1° Pour un contrat d'achat conclu en application des articles L. 446-4 ,L. 446-5 et L. 446-26 sur les sommes actualisées perçues au titre de l'obligation d'achat, dans la limite des surcoûts mentionnés aux 3° ou 4° de l'article L. 121-36 en résultant ;
- 2° Pour un contrat de complément de rémunération conclu en application des articles L. 446-14 et L. 446-15 sur les sommes actualisées perçues au titre du complément de rémunération.