Eoliennes et troubles anormaux de voisinage: les actions « préventives » contre les propriétaires fonciers peuvent se retourner contre les requérants!

Grass and seeds blowing in the late sky.Par Stéphanie GANDET et Aurélien BOUDEWEEL- GREEN LAW AVOCATS

Voici un arrêt intéressant au sujet des troubles anormaux de voisinage invoqués contre les parcs éoliens… non encore autorisés!

Dans une décision du 8 novembre 2016 (CA ANGERS, Chambre civile A, 8 novembre 2016, RG n°15/00804), la Cour d’appel d’ANGERS estime qu’il n’y  a pas de trouble anormal de voisinage lorsque l’édification d’éoliennes est seulement hypothétique. Ainsi, la Cour rappelle que le préjudice doit revêtir un caractère certain pour être réparable.

En l’espèce, des particuliers (propriétaires d’un bien immobilier ancien) avaient assigné les voisins de leur propriété qui avaient conclu une promesse de bail avec une société en charge de la construction d’un parc éolien, sur la base de la théorie du trouble anormal de voisinage.

Leur action est rejetée et ils sont condamnés à 6000€ pour les frais de procédure adverses.

Ils s’avèrent qu’ils avaient été déboutés en première instance aux motifs qu’ils n’établissaient pas l’existence certaine, même future, d’un trouble anormal de voisinage.

La théorie des troubles anormaux de voisinage est purement prétorienne, c’est-à-dire issue de la jurisprudence. Il s’agit pour un voisin subissant un trouble de voisinage d’engager la responsabilité de l’auteur du trouble. Mais, cette responsabilité est particulière en ce qu’elle est autonome, c’est-à-dire détachée de toute faute de la part du voisin trublion et donc du fondement des articles 1382 et suivants du Code civil (Cass. 1re civ., 18 sept. 2002 ; Cass. 3e civ., 24 sept. 2003).

Il suffit à la victime d’un trouble de voisinage de démontrer que celui-ci est « anormal » afin d’obtenir une réparation en nature ou par équivalent.

Il revient aux juges du fond d’apprécier souverainement (Cass. 3e civ., 3 nov. 1977 ; Cass. 2e civ., 19 mars 1997 ) si tel ou tel agissement constitue ou non, en fonction des circonstances de temps et de lieu, un trouble anormal de voisinage.

Pour ouvrir droit à réparation, le demandeur à la reconnaissance d’un trouble de voisinage doit :

  • démontrer l’existence du trouble qui doit être « anormal » : le requérant d’une action en trouble anormal de voisinage ne peut pas se contenter de démontrer que l’installation litigieuse méconnaît les dispositions législatives.

Il lui faut bien sur rapporter la preuve de l’existence des troubles invoqués.

La juridiction saisie d’une action en trouble anormal de voisinage appréciera l’existence de ce dernier en fonction :

  • De la caractérisation du trouble dans le temps : Sont considérés comme constitutifs de troubles anormaux de voisinage, des troubles présentant une certaine intensité : les « odeurs insoutenables » causées par un élevage industriel de canards (CA Agen, 1re ch., 15 mars 2006, n° 05/00609).
  • Les circonstances de lieu servent également à l’appréciation du caractère anormal du trouble invoqué.
  • La réceptivité personnelle de la victime des troubles est un élément parfois prise en compte pour apprécier l’anormalité.

 

  • Apporter la preuve de l’existence d’un dommage : Parce que l’action en réparation des troubles de voisinage est une action en responsabilité, la victime du trouble doit, pour obtenir réparation, invoquer l’existence d’un préjudice établi et donc certain.

Cela signifie qu’il ne saurait y avoir d’engagement de responsabilité pour trouble du voisinage s’il n’existe pas un trouble et un préjudice certains.

Dans l’espèce qui lui est soumise, la Cour d’appel d’ANGERS confirme l’appréciation de la juridiction de première instance et refuse de reconnaître l’existence d’un trouble anormal de voisinage en l’absence de trouble avéré et de préjudice certain :

«Le trouble résultant de l’atteinte visuelle et de l’existence d’un risque sur la santé et l’environnement est, à ce jour, purement hypothétique, puisque tant que l’autorisation d’exploiter n’a pas été accordée de manière définitive, rien ne permet d’affirmer que le projet pourra être conduit jusqu’à son terme.

En ce qui concerne la prétendue perte de valeur du bien des époux D.., il en est de même dès lors que les appelants n’ont pas mis leur immeuble en vente, ni manifesté de manière sérieuse leur intention de le vendre et que s’ils venaient à le faire dans l’avenir, il n’est pas certain que le projet éolien sera toujours en cours et Mme D. se prévalent également de l’incertitude dans laquelle ils se trouvent. Si celle-ci est réelle, elle ne peut être en elle-même qualifiée de « trouble anormal ». En effet, elle est liée aux procédures engagées d’une part par l’administration sur le fondement des textes susvisées et d’autre part, aux recours formés par les riverains du projet, dont les époux D.., et non à la promesse de bail consentie par les intimés

Par suite, il convient de débouter les époux D. de leur demande de dommages et intérêts (…) ».

L’arrêt rendu est intéressant en ce qu’il rappelle que la reconnaissance d’un trouble anormal de voisinage obéit à des conditions préalables, en l’occurrence à l’existence d’un trouble et à la démonstration d’un préjudice certain.

Les actions « préventives » n’ont donc d’autres effets que de provoquer des procès longs et coûteux de nature à tenter de décourager les propriétaires fonciers accueillant des éoliennes. Mais l’arrêt du 8 novembre 2016 peut les rassurer: tant que le parc n’est pas construit, le trouble n’existe pas encore et ne peut donc, en tout état de cause, pas être analysé comme anormal et donc ouvrir droit à indemnisation.

L’arrêt vient rappeler à ces requérants « préventifs » que non seulement leur action est infondée mais qu’en plus, il peut leur en coûter cher, puisqu’ici la Cour d’appel sanctionne très lourdement les particuliers qui avaient initié la procédure en les condamnant à payer plus de 6.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile (frais de procédure).

Il est même probable la défense aurait pu obtenir des dommages et intérêts distincts et complémentaires pour « procédure abusive » si la demande avait été formulée.