Contrats publics et énergie : Opposition à Linky et rappel des règles dérogatoires des concessions de distribution d’électricité (CAA Lyon, 5 juillet 2018, n° 16LY00912; CAA Nantes, 5 octobre 2018, n°18NT00454))

Silvana ComugneroPar Me Thomas RICHET – Green Law Avocats et Me Stéphanie GANDET- avocat associé

Deux décisions intéressantes ont été rendues récemment en matière de droit des réseaux de distribution d’électricité.

Rappel des règles spécifiques de transparence des concessions de distribution d’électricité et leurs avenants

Les concessions de distribution publique d’électricité, conclues sur le fondement des dispositions de l’article L. 2224-31 du Code Général des Collectivités territoriales (CGCT), répondent à un régime particulier. Ce dernier est la résultante du monopole attribué, principalement mais pas uniquement, à la société ENEDIS, anciennement dénommée ERDF, qui est la « la société gestionnaire des réseaux publics de distribution issue de la séparation entre les activités de gestion de réseau public de distribution et les activités de production ou de fourniture exercées par Electricité de France en application de l’article L. 111-57 » (voir 1° de l’article L. 111-52 du Code de l’énergie).

Ce régime implique notamment l’absence de soumission de ces concessions aux obligations de publicité et de mise en concurrence des contrats de la commande publique (voir CE, 11 mai 2016, Commune de Douai, n°375533, considérant n° 3).

Dans l’affaire jugée par la Cour administrative d’appel de Lyon (CAA Lyon, 5 juillet 2018, n°16LY00912), où une conseillère municipale, madame D, contestait la signature d’un avenant à la concession de distribution d’électricité de la ville de Lyon, dont l’objet était d’allonger la durée du contrat à 25 ans, contre 20 ans initialement, la Cour administrative d’appel de Lyon démontre, une fois encore, le particularisme de ce type de contrat public.

Nous nous intéresserons plus particulièrement à trois des nombreuses questions juridiques auxquelles la Cour a dû répondre.

Sur les obligations de publicité et de mise en concurrence des contrats de concession de distribution d’électricité et de leurs avenants

La Cour rappelle sur ce point que même en l’absence de l’application des obligations de publicité et de mise en concurrence prévues au sein de la directive 2004/17/CE du 31 mars 2004 portant coordination des procédures de passation des marchés publics dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux, alors en vigueur, l’avenant litigieux restait néanmoins soumis au principe fondamental, issu des traités européens, de non-discrimination en raison de la nationalité en particulier qui implique notamment le respect d’une obligation de transparence « pour garantir, à tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture du marché et des services à la concurrence, ainsi que le contrôle de l’impartialité des procédures d’adjudication » (voir CJCE, 7 décembre 2000, Telaustria, affaire C-324/98).

Cependant, le juge administratif rappelle également les dispositions de l’article 106 du Traité sur le fonctionnement sur l’Union européenne (TFUE) qui prévoient que : « ce principe de transparence ne trouve pas à s’appliquer, s’agissant des entreprises chargées d’un service d’intérêt économique général, que sous réserve qu’il ne fasse pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été imparti ».

A ce titre, la Cour relève que la société ENEDIS est tenue « d’assurer la continuité de la distribution d’électricité, « produit de première nécessité », en application de l’article L. 121-1 du code de l’énergie, ainsi que la construction et l’entretien d’un réseau de distribution fiable (…) que ces missions relèvent d’un service d’intérêt économique général au sens de l’article 106 du traité sur le fonctionnement de l’union européenne et que l’application des règles fondamentales du traité telles qu’elles sont issues des articles 18, 49 et 56 , ainsi que l’obligation de transparence, serait de nature à faire échec à l’accomplissement des missions ainsi conférées à ERDF, devenue ENEDIS (…) en permettant à des entreprises insusceptibles d’offrir les garanties techniques ou financières nécessaires d’obtenir la concession ». (nous soulignons)

Le moyen tiré de l’inconventionnalité des dispositions législatives accordant un droit exclusif à la société ENEDIS et, par voie de conséquence, de l’absence de publicité et de mise en concurrence de l’avenant litigieux est donc rejeté.

Sur la durée de la concession

La Cour a également rejeté le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation de la ville de Lyon en ce qui concerne la prolongation, par l’avenant litigieux, d’une durée de 5 ans du contrat de concession.

A ce titre, il convient de rappeler que la durée des concessions de distribution d’électricité doit être fonction des considérations d’efficacité et d’équilibre économique (voir article 24 de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité).

Ainsi, même si elles font l’objet d’un droit exclusif, les concessions de distribution publique d’électricité ne doivent pas avoir une durée illimitée.

En l’espèce, le juge considère « qu’eu égard à la nature et à l’importance des investissements prévus pour les 5 années que couvre l’avenant, il ne ressort pas des pièces du dossier que la ville de Lyon aurait commis une erreur manifeste d’appréciation dans la prise en compte des considérations d’efficacité et d’équilibre économique propres à l’avenant conclu » (voir considérant 14 de l’arrêt).

Sur la mission de contrôle de l’autorité concédante

La requérante soutenait également que l’avenant ne permettait pas à la ville de Lyon, autorité concédante, d’exercer sa mission de contrôle de manière suffisamment poussée, et plus particulièrement, s’agissant des données que le concessionnaire doit délivrer à l’autorité concédante concernant les différents biens de la concession.

Là encore la Cour rejette le moyen en rappelant que les dispositions de l’article L. 2224-31 du CGCT permettent à l’autorité concédante, même en l’absence de dispositions prévues à cet effet dans le contrat de concession, de solliciter « toutes informations utiles » (voir Conseil d’Etat, 21 décembre 2012, Commune de Douai, n°342788, Publié au recueil Lebon).

Rappelons que l’accès à ces données est particulièrement important pour la renégociation du contrat de concession une fois ce dernier arrivé à son terme et qu’il est source de nombreux contentieux (voir par exemple : Conseil d’Etat, 11 mai 2016, Commune de Douai, n° 375533, concernant le contenu de l’inventaire précis des ouvrage de la concession ; CAA Paris, 25 mars 2013, SIPPEREC, n° 10PA04594, concernant le contenu du compte-rendu d’activité annuel au regard des éléments comptables et financiers de la concession).

Cette dernière question n’est pas sans rappeler les difficultés actuelles des autorités concédantes à renégocier leur contrat de concession arrivé à terme face à un concessionnaire assuré, par avance, d’être attributaire du contrat.

 

Confirmation par la jurisprudence de l’impossibilité pour les communes de s’opposer aux compteurs Linky

Un autre arrêt récent s’est prononcé à nouveau sur le pouvoir pour une commune de s’opposer au déploiement du compteur LINKY et lui dénie ce droit.

La Cour administrative d’appel de Nantes (CAA Nantes, 5 octobre 2018, n°18NT00454) a rappelé, dans le fil d’autres jurisprudences dans ce sens, qu’il résulte des dispositions combinées de l’article L. 322-4 du code de l’énergie et de L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales que les communes ne pouvaient s’opposer aux compteurs Linky.

L’argument cette fois ci retenu est relatif à la propriété des ouvrages publics de distribution d’électricité qui est attachée à la qualité d’autorité organisatrice du réseau public de distribution d’électricité. Or, un syndicat départemental d’énergie et d’équipement, auquel une commune a transféré sa compétence en matière d’électricité, a la qualité d’autorité organisatrice du service public de distribution d’électricité au sens des dispositions du IV de l’article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales,. Dans ces conditions, et en application des dispositions combinées de l’article L. 322-4 du code de l’énergie, il est propriétaire des ouvrages affectés à ces réseaux et notamment des compteurs électriques. En conséquence, ni le conseil municipal d’une commune membre ni son maire ne disposent, sur le fondement de ces textes, de la compétence pour s’opposer ou conditionner le déploiement des compteurs « Linky » sur le territoire de la commune.