Betreten verbotenPar une question parlementaire en date du 30 mai 2013 (consultable ici), M. Philippe Bas attirait l’attention du Ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, sur les  difficultés d’application de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986, dite « loi littoral », reprise aux articles L. 146-1 et suivants du code de l’urbanisme. Ainsi, le Sénateur faisait observer qu’en raison du caractère vague de certaines notions, telles que celles « d’espaces proches du rivage », « de coupures d’urbanisation », ou « de hameaux nouveaux intégrés à l’environnement », les communes littorales sont aujourd’hui confrontées à des difficultés d’interprétation, et à une multiplication des contentieux.

La question précisait également que l’interprétation extensive donnée par le juge administratif a pour effet de favoriser l’objectif de protection du littoral au détriment de celui de son aménagement :

« Dans ce contexte jurisprudentiel, lesdites communes rencontrent souvent des difficultés qui ne sont pas justifiées par les nécessités de la protection du littoral pour mener à bien leurs projets de développement économique et démographique. »

En effet, la loi littoral doit être prise en compte dans les documents d’urbanisme tels que les POS ou les PLU, ce qui contribue à restreindre  les possibilités d’aménagement : une circulaire du 20 juillet 2006 (Circ. intermin. 20 juill. 2006, NOR : DEVD0650371C : BO min. Équip., n° 2006/16) précise ainsi la nécessité de respecter les conditions posées par les articles L. 146-4 et L. 146-6 du code de l’urbanisme pour l’extension de l’urbanisation des espaces proches du rivage, et de justifier la compatibilité du document d’urbanisme avec ces dispositions.

De même, ses dispositions, directement opposables aux autorisations d’urbanisme en application de l’article  L. 146-1, alinéa 5, conduisent souvent le juge à annuler les autorisations d’urbanisme délivrées (pour un exemple en matière de permis de construire, voir : CE, 29 juill. 1994, n° 85532 : Rec. p. 409 ; CAA Lyon, 3e ch., 19 avr. 1994, n° 93LY01262) Très récemment à propos du littoral touquettois et dans le cadre de la véritable guérilla contentieuse menée par le G.D.E.A.M (Groupement de Défense de l’Environnement de l’Arrondissement de Montreuil), la Cour administrative d’appel de Douai a-t-elle jugé  : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le terrain d’assiette du projet contesté est entouré principalement des espaces naturels constitués par la forêt du Touquet ; que les constructions à usage d’habitation situées à proximité de ce projet sont implantées sur de vastes parcelles de 2 000 à 3 000 m² ; que le terrain d’assiette, au demeurant classé en zone urbaine au plan d’occupation des sols mais au titre d’une  » zone résidentielle à très faible densité « , se situe ainsi dans une zone d’urbanisation diffuse ; que la construction projetée ne peut être regardée comme étant en continuité avec l’agglomération du Touquet, compte tenu de la distance les séparant et de l’absence de continuité du fait de la présence, en particulier, d’espaces boisés, le lotissement étant situé à environ 500 mètres de l’agglomération selon la commune elle-même et, en outre, distant d’environ 600 mètres de l’avenue du Général de Gaulle assurant sa desserte ; que, de même, elle ne peut être regardée, en tout état de cause, comme étant en continuité avec l’agglomération de Cucq, compte tenu de la distance et de la séparation résultant notamment de la présence d’espaces boisés ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n’est pas allégué, que le projet serait en continuité d’un village au sens du I de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme ; que le projet contesté portant sur une seule maison d’habitation ne constitue pas davantage une extension de l’urbanisation sous la forme d’un hameau nouveau intégré à l’environnement au sens de ces dispositions quand bien même il constituerait l’une des constructions du lotissement dans le cadre duquel ont été réalisées la plupart des constructions situées à proximité ; qu’enfin, la commune du Touquet-Paris-Plage ne saurait exciper de l’autorité relative de chose jugée attachée au jugement nos 0402455-0402456 du 20 octobre 2005 du tribunal administratif de Lille, lequel rejette les demandes d’annulation de l’arrêté du 19 décembre 2003 accordant l’autorisation de créer le lotissement situé allée des Pâquerettes et ne présente d’identité ni d’objet, ni de cause, ni de partie avec la demande dirigée contre l’arrêté de permis de construire en litige » (CAA Douai, 1ère chambre – formation à 3, 13/11/2013, 13DA00416, Inédit au recueil Lebon).

Dans sa réponse du 12 décembre 2013, la Ministre de l’égalité des territoires et du logement rappelle que la loi littoral a avant tout vocation à assurer un équilibre entre « les usages souvent conflictuels du littoral », souvent  « soumis à une forte pression sociale et économique ».

Pour la Ministre, cet équilibre doit être défini à l’échelle locale, ce qui explique l’impossibilité pour le législateur de préciser davantage les termes clés de la loi : si une circulaire du 14 mars 2006 éclaire les collectivités locales sur  les critères à mettre en œuvre (Cir. UHC/DU1 n°2006-31 du 14 mars 2006 relative à l’application de la loi littoral, NOR : EQUU0610941C), « il ne peut être envisagé de définir précisément au niveau national les notions « d’espaces proches du rivage », de « coupures d’urbanisation » et de « hameaux nouveaux intégrés à l’environnement » sans tenir compte des spécificités locales. »

C’est donc aux élus du littoral qu’incombe la délimitation et la caractérisation des espaces protégés par le biais des documents d’urbanisme, ce qui, selon la Ministre, constitue « la garantie majeure pour la sécurité juridique des documents d’urbanisme et des autorisations de construire. »

On ne peut qu’observer que, s’il est essentiel de tenir compte desdites spécificités locales, cette solution ne doit cependant pas aboutir à laisser une marge d’appréciation trop importante aux élus, ne serait-ce que pour éviter une mise en œuvre trop disparate des dispositions susmentionnées…

La réponse commentée annonce toutefois qu’une nouvelle circulaire relative à l’application de la loi littoral, et notamment aux difficultés d’interprétation ou aux risques contentieux qu’engendrent les évolutions jurisprudentielles, est en cours d’élaboration : un affinement des notions se profile donc à l’horizon.

Lou Deldique

Green Law Avocat