
Par Lou DELDIQUE, avocate associée (Green Law Avocats)
Par un arrêt n°463914 du 10 juillet 2023 (téléchargeable ci-dessous), le Conseil d’État a précisé les conditions dans lesquelles l’auteur et le bénéficiaire d’un permis de construire peuvent contester le jugement qui constate l’insuffisance d’une mesure de régularisation et annule le permis initial et le permis modificatif obtenu.
En l’espèce, le maire de Neauphle-le-Château avait délivré un permis de construire à Mme B. pour la construction d’une maison individuelle sur un terrain situé sur le lot B d’un lotissement de deux lots. Mais des riverains ont demandé au tribunal administratif de Versailles d’annuler ce permis.
Après avoir sursis à statuer pour permettre la régularisation du projet en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, le tribunal a annulé le permis initial en estimant que le permis modificatif délivré n’avait régularisé que l’une des deux irrégularités.
Des pourvois avaient été introduits par la commune et le pétitionnaire contre ces deux jugements.
Dans sa décision, la Haute Juridiction précise le complexe office du juge d’appel ou de cassation qui se prononce sur la mise en œuvre de l’article L. 600-5-1, avant d’examiner la régularisation opérée.
I. Précisions sur la possibilité pour les défendeurs de première instance de contester le jugement avant dire droit
Conformément à sa jurisprudence antérieure, le Conseil d’État rappelle tout d’abord que « lorsque le juge administratif décide de recourir à l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, le bénéficiaire de l’autorisation initiale d’urbanisme et l’autorité qui l’a délivrée peuvent contester le jugement avant dire droit en tant qu’il a jugé que cette autorisation était affectée d’un vice entachant sa légalité », mais que ces conclusions sont privées d’objet à compter de la délivrance du permis destiné à régulariser le vice (CE, 19 juin 2017, Syndicat des copropriétaires de la résidence Butte Stendhal et autres, n° 394677, 397149, point 6 ; CE, 23 novembre 2022, Sté les Jardins de Flore et autres, n° 449443 ea, point 5).
Notons sur ce point que lorsque c’est le requérant de première instance qui fait appel du jugement avant dire droit, il peut également contester le fait que les autres moyens dirigés contre l’autorisation initiale aient été écartés (CE, 19 juin 2017, Syndicat des copropriétaires de la résidence Butte Stendhal et autres, n° 394677, 397149, point 6).
En l’espèce, faisant application de cette solution, le Conseil d’État juge que les conclusions de la pétitionnaire contre le jugement avant dire droit du 29 mars 2021 étaient privées d’objet dès l’origine, puisqu’elle ne l’avait contesté qu’après l’intervention du jugement du 11 mars 2022 mettant fin au litige et alors qu’elle s’était vu délivrer un permis modificatif le 18 octobre 2021.
Et la Haute juridiction rappelle également que si les conclusions tendant à l’annulation du jugement avant dire droit sont privées d’objet, « l’annulation du jugement en tant qu’il a fait application des dispositions de l’article L. 600-5-1 peut cependant toujours être prononcée par voie de conséquence de son annulation en tant qu’il a jugé que l’autorisation initiale d’urbanisme était affectée d’un vice » (CE, 23 novembre 2022, Sté les Jardins de Flore et autres, n° 449443 ea, point 5 ; CE, 10 juillet 2023, n°463914, point 12).
Rappelons à cet égard qu’il a déjà été précisé que le seul fait que le juge ait, par son second jugement, mis fin à l’instance, ne prive pas d’objet la demande d’annulation du jugement avant dire droit présentée par le pétitionnaire ou l’autorité d’urbanisme (CAA Marseille, 6 juill. 2023, n° 22MA00529).
II. Sur le fond : le constat d'une régularisation parfaite du permis de construire
Dans un jugement avant-dire droit du 21 mars 2021, le Tribunal administratif de Versailles avait jugé que le permis de construire délivré à Mme B… le 9 juin 2018 était affecté d’illégalités tenant au non-respect des articles U1/6 et U1/7 du PLU. Il avait ainsi considéré que le projet méconnaissait :
- • La règle d’implantation dans la bande de 20 mètres de profondeur à partir de l’alignement des voies publiques prévue par l’article U1/6 du PLU ;
- • Et l’interdiction des constructions sur les deux limites latérales prévue à l’article U1/7.
Dans un jugement avant-dire droit du 21 mars 2021, le Tribunal administratif de Versailles avait jugé que le permis de construire délivré à Mme B… le 9 juin 2018 était affecté d’illégalités tenant au non-respect des articles U1/6 et U1/7 du PLU. Il avait ainsi considéré que le projet méconnaissait :
- « Il ressort des énonciations du jugement attaqué, qui a annulé les arrêtés des 9 juin et 18 octobre 2021 accordant à Mme B... un permis de construire et un permis de construire modificatif, que le plan de masse du dossier de demande du permis de régularisation délivré le 18 octobre 2021 concernant le projet de Mme B... prévu sur le lot B du lotissement faisait apparaître une implantation de la maison prévue pour le lot A à une distance de 3,50 mètres de la limite séparative nord du lotissement. En jugeant que le vice tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article U1/7 du règlement du PLU ne pouvait être regardé comme régularisé au seul motif qu'aucun permis modificatif concernant le lot A ni aucune information relative à une demande en ce sens ne lui avaient été communiqués avant la clôture de l'instruction, alors que l'autorité administrative saisie d'une demande de permis de construire, et après elle le juge, n'a à vérifier l'exactitude des déclarations figurant dans un dossier de demande de permis que si elles sont contredites par d'autres éléments du dossier ou s'il y a matière à soupçonner une fraude et qu'aucun élément de cette nature n'a été relevé par le jugement attaqué, le tribunal a commis une erreur de droit.».
Réglant ensuite l’affaire au fond, il constate que les modifications apportées par le second permis suffisaient en réalité à régulariser le permis initial, et rejette la requête de première instance :
- « D'autre part, il ressort des pièces des dossiers que, le 18 octobre 2021, la commune de Neauphle-le-Château a délivré à Mme B... un permis de construire modificatif faisant apparaître une implantation de la maison prévue pour le lot A à une distance de 3,50 mètres de la limite séparative nord du lotissement et une implantation de la maison projetée sur le lot B à l'intérieur d'une bande de 20 mètres de profondeur à partir de l'alignement de l'avenue de la République. Dès lors qu'il prévoit, d'une part, qu'eu égard à la modification de l'implantation de la construction du lot A, les constructions du lotissement, prises dans leur ensemble, seront implantées, pour l'une des deux limites latérales, avec un retrait d'au moins 3,50 mètres et, d'autre part, que la construction sur le terrain d'assiette de Mme B... est désormais située dans la bande constructible d'une profondeur de 20 mètres à partir de la voie publique, ce permis modificatif permet, contrairement à ce que soutiennent M. A... et Mme C..., de régulariser les vices tirés de la méconnaissance des articles U1/6 et U1/7 par le permis de construire initial.».