Urbanisme : le Conseil d’État élargit le champ d’application du permis modificatif

Par Maître Lou DELDIQUE (Avocate associée) et Claire MATHIEU (Élève-avocate chez Green Law Avocats)

Dans une très récente décision (CE, 26 juillet 2022, n° 437765), le Conseil d’État assouplit le régime du permis de construire modificatif en élargissant son champ d’application.

Rappelons que la notion de permis modificatif est purement jurisprudentielle : aucune disposition du code de l’urbanisme ne la définit. Les juridictions administratives ont quant à elles précisé les conditions d’obtention suivantes :

– Le permis initial doit être en cours de validité (CE, 9 mars 1984, n° 41314 ; CE, 29 déc. 1997, n° 104903) ;

– La construction ne doit pas être achevée (CE, 23 sept. 1988, n° 72387 ; CE, 25 nov. 2020, n° 429623 ; CAA Marseille, 21 oct. 2010, n° 08MA03350) ;

– Les modifications autorisées (dont la légalité est appréciée au regard des règles en vigueur à la date de la décision et non de celles en vigueur au moment de la signature du permis initial : CE, 16 juin 1993, n° 129162 ; CE, 28 juill. 1989, n° 76082) ne doivent pas, « par leur nature ou leur ampleur, remettre en cause la conception générale du projet initial » (CE, 26 juill. 1982, n° 23604 ; CE, 3 avr. 1987, n° 53869 ; CE, 8 juin 1990, n° 76190 ; CE, 27 avril 1994, Bouchy, n°128478 ; CE, 1er oct. 2015, n° 374338 ; CE, 30 décembre 2015, n°375276).

A défaut, le permis modificatif doit être regardé comme un nouveau permis se substituant au premier (CE, 8 nov. 1985, n° 45417).

La notion de « conception générale du projet initial » avait l’avantage d’être souple (voir sur ce point les conclusions de X. DE LESQUEN sous CE, 1er oct. 2015, n° 374338, citées par M. Nicolas AGNOUX dans ses conclusions sous la décision commentée), mais elle pouvait s’avérer relativement difficile à appréhender, et restait relativement restrictive.

En effet, si en 2013 le Conseil d’Etat avait évoqué « le caractère limité des modifications apportées au projet initial » (CE, 4 oct. 2013, n°358401) et en 2015 indiqué que « la seule circonstance que ces modifications portent sur des éléments tels que son implantation, ses dimensions ou son apparence ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce qu’elles fassent l’objet d’un permis modificatif » (CE, 1er oct. 2015, n° 374338), la notion n’avait pas fait l’objet de davantage de précisions, ce qui contraignait le pétitionnaire (ou le juriste) à raisonner par analogie avec les exemples jurisprudentiels.

L’arrêt commenté rompt avec la jurisprudence en vigueur depuis 1982 et vient élargir le champ d’application du permis modificatif en remplaçant la notion « d’atteinte à la conception générale du projet » parce celle de « bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ».

En l’espèce, un premier permis avait autorisé en 2015 la construction de deux maisons et d’un appartement sur une même parcelle à Montreuil. En juin 2019, un permis modificatif avait été délivré pour un certain nombre de modifications (réunion des deux bâtiments initiaux en une seule construction avec un escalier couvert commun, surélévation d’une partie de la construction en rez-de-chaussée, par l’ajout d’une terrasse de 4 m², remplacement d’un mur et de deux pare-vues en bois par deux murs en briques).

Les deux autorisations avaient été contestées par une voisine devant le tribunal administratif de Montreuil qui avait rejeté ses demandes. La requérante s’était alors pourvue en cassation contre le second jugement, relatif au permis modificatif (TA Montreuil, 20 novembre 2019, n° 1900007). En effet, la commune de Montreuil se trouve en zone tendue, et les décisions rendues en matière de permis de construire un bâtiment à usage principal d’habitation sur son territoire ne peuvent faire l’objet d’appel (CJA, art. R. 811-1-1).

La question qui se posait en cassation était celle de savoir si les modifications autorisées en 2019 entraient dans le champ d’application du permis modificatif, ou si un nouveau permis était en réalité nécessaire.

Faisant application de la notion de « bouleversement de la nature même du projet », le Conseil d’État estime que les changements autorisés ne nécessitaient pas l’obtention d’un nouveau permis et confirme la position du Tribunal :

« En premier lieu, l’autorité compétente, saisie d’une demande en ce sens, peut délivrer au titulaire d’un permis de construire en cours de validité un permis modificatif, tant que la construction que ce permis autorise n’est pas achevée, dès lors que les modifications envisagées n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même.

En relevant que les modifications apportées au projet objet du permis initial en cours de validité se bornaient à prévoir la jonction des deux bâtiments initiaux en une seule construction G… un escalier couvert commun, la surélévation d’une partie de la construction en rez-de-chaussée G… l’adjonction d’une terrasse d’une surface de plancher de 4 m², ainsi que le remplacement d’un mur et de deux pare-vues en bois G… deux murs en briques et en estimant que ces modifications avaient pu faire l’objet d’un permis modificatif, le tribunal a porté sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation. ».

Notons que cette solution s’aligne sur celle consacrée dans un avis du Conseil d’État pour les permis de régularisation accordés en cours d’instance en application des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

En effet, il avait déjà été précisé que :

« lorsque le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation d’urbanisme dont l’annulation est demandée, sont susceptibles d’être régularisés, le juge doit surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation. Il invite au préalable les parties à présenter leurs observations sur la possibilité de régulariser le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation d’urbanisme. Le juge n’est toutefois pas tenu de surseoir à statuer, d’une part, si les conditions de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme sont réunies et qu’il fait le choix d’y recourir, d’autre part, si le bénéficiaire de l’autorisation lui a indiqué qu’il ne souhaitait pas bénéficier d’une mesure de régularisation. Un vice entachant le bien-fondé de l’autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même. » (CE sect., avis, 2 octobre 2020, n° 438318 ; voir notre analyse ici ; voir aussi : CE, 28 avril 2021, n°441402).

Dans ses conclusions rendues sous l’arrêt du 26 juillet 2022, le Rapporteur public explique d’ailleurs bien son objectif de « réunification du champ du permis modificatif et du permis de régularisation ».

Et on peut donc analyser les décisions rendues dans la continuité de l’avis du 2 octobre 2020 pour mieux apprécier la portée de la notion de « bouleversement tel qu’il changerait la nature du projet ».

Ont ainsi été considéré comme tels :

– « Une modification de la vocation du hangar autorisé destiné à abriter du matériel agricole en une vaste habitation d’une surface de plancher totale de 443 m² » (CAA Marseille, 3 mai 2022, n°20MA03438) ;

– Une régularisation qui, pour que le projet soit conforme au PLU, nécessiterait de « modifier totalement l’implantation, la hauteur, la densité et la conception des bâtiments envisagés et de leur environnement, et de transformer en logements intermédiaires comprenant des logements sociaux un projet consistant initialement en la construction d’un ensemble de logements collectifs » (CAA Lyon, 22 février 2022 ; n°21LY01006) ;

– Une régularisation d’illégalités « qui concernent la desserte même du projet par les réseaux publics d’électricité et d’assainissement et le risque pour la salubrité publique que présenterait tout nouveau rejet d’effluents dans le réseau d’assainissement du secteur d’implantation du projet » (TA Amiens, 4ème ch., 12 juillet 2022, n°2102983 disponible sur Doctrine).