Par Yann BORREL, avocat associé, GREEN LAW AVOCAT (yann.borrel@green-law-avocat.fr)

Pour rappel, pas moins de huit projets de textes avaient été soumis à la consultation du public par le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire au cours de l’été 2020 et ce, dans le but de « tirer les leçons de l’accident de Lubrizol ».

Ces projets de textes, qui se rattachent soit au volet « Entrepôts de matières combustibles », soit au volet « Liquides inflammables et combustibles » du plan d’actions gouvernemental « post-Lubrizol », sont les suivants :

–      projet de décret modifiant la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement et la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du code de l’environnement ;

–      projet d’arrêté modifiant l’arrêté ministériel du 11 avril 2017 relatif aux prescriptions générales applicables aux entrepôts couverts soumis à la rubrique 1510, y compris lorsqu’ils relèvent également de l’une ou plusieurs des rubriques 1530, 1532, 2662 ou 2663 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement ainsi que les arrêtés de prescriptions générales applicables aux installations classées soumises à enregistrement sous les rubriques nos 1511, 1530, 1532, 2662 et 2663 complété par le projet d’arrêté modifiant l’arrêté ministériel du 11 avril 2017 relatif aux prescriptions générales applicables aux entrepôts couverts soumis à la rubrique 1510 ;

–      projet d’arrêté relatif au stockage en récipients mobiles de liquides inflammables, exploités au sein d’une installation classée pour la protection de l’environnement soumise à autorisation ;

–      projet d’arrêté modifiant l’arrêté ministériel du 3 octobre 2010 relatif au stockage en réservoirs aériens manufacturés exploités au sein d’une installation classée soumise à autorisation au titre de l’une ou plusieurs des rubriques nos 1436, 4330, 4331, 4722, 4734, 4742, 4743, 4744, 4746, 4747 ou 4748, ou pour le pétrole brut au titre de l’une ou plusieurs des rubriques nos 4510 ou 4511 de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement ;

–      projet de décret modifiant le code de l’environnement, principalement en ce qui concerne les installations dans lesquelles des substances dangereuses sont présentes dans des quantités telles qu’elles peuvent être à l’origine d’accidents majeurs ;

–      projet d’arrêté modifiant l’arrêté du 26 mai 2014 relatif à la prévention des accidents majeurs dans les installations classées mentionnées à la section 9, chapitre V, titre Ier du livre V du code de l’environnement ;

–      projet d’arrêté modifiant  l’arrêté ministériel du 4 octobre 2010 relatif à la prévention des risques accidentels au sein des installations classées pour la protection de l’environnement soumises à autorisation.

Ces textes ont été publiés au Journal Officiel le 26 janvier 2020, soit un an jour pour jour après la survenance de l’accident de Lubrizol :

  1. Décret n° 2020-1169 du 24 septembre 2020 modifiant la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement et la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du code de l’environnement
  1. Arrêté du 24 septembre 2020 modifiant l’arrêté ministériel du 11 avril 2017 relatif aux prescriptions générales applicables aux entrepôts couverts soumis à la rubrique 1510, y compris lorsqu’ils relèvent également de l’une ou plusieurs des rubriques 1530, 1532, 2662 ou 2663 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement, ainsi que les arrêtés de prescriptions générales applicables aux installations classées soumises à enregistrement sous les rubriques nos 1511, 1530, 1532, 2662 et 2663
  1. Arrêté du 24 septembre 2020 relatif au stockage en récipients mobiles de liquides inflammables, exploités au sein d’une installation classée pour la protection de l’environnement soumise à autorisation
  1. Arrêté du 24 septembre 2020 modifiant l’arrêté ministériel du 3 octobre 2010 relatif au stockage en réservoirs aériens manufacturés exploités au sein d’une installation classée soumise à autorisation au titre de l’une ou plusieurs des rubriques nos 1436, 4330, 4331, 4722, 4734, 4742, 4743, 4744, 4746, 4747 ou 4748, ou pour le pétrole brut au titre de l’une ou plusieurs des rubriques nos 4510 ou 4511 de la législation des installations classées pour la protection de l’environnement.
  1. Décret n° 2020-1168 du 24 septembre 2020 relatif aux règles applicables aux installations dans lesquelles des substances dangereuses sont présentes dans des quantités telles qu’elles peuvent être à l’origine d’accidents majeurs
  1. Arrêté du 24 septembre 2020 modifiant l’arrêté du 26 mai 2014 relatif à la prévention des accidents majeurs dans les installations classées mentionnées à la section 9, chapitre V, titre Ier, du livre V du code de l’environnement
  1. Arrêté du 24 septembre 2020 modifiant l’arrêté ministériel du 4 octobre 2010 relatif à la prévention des risques accidentels au sein des installations classées pour la protection de l’environnement soumises à autorisation

A ces différents textes, s’ajoute l’arrêté du 22 septembre 2020 modifiant l’arrêté du 22 mai 2015 modifié portant agrément des organismes pour effectuer le contrôle périodique de certaines catégories d’installations classées soumises à déclaration.

Les entrepôts de stockage de matières combustibles sont les premiers visés par ces textes, qui prennent toutefois en compte les recommandations du Rapport Daher-Hémar sur la filière logistique.

Nous verrons que le décret du 24 septembre 2020 modifiant la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement et la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du code de l’environnement  a refondu et clarifié le champ d’application des installations concernées par la rubrique n° 1510 (.).

Quant aux arrêtés ministériels qui ont été adoptés le même jour, ils sont venus renforcer la réglementation applicable à ces mêmes installations (II°.)

I°.   refonte et clarification du CHAMP D’APPLICATION DE la rubrique n° 1510

D’une part, le décret du 24 septembre 2020 a étendu le régime d’enregistrement aux dépens du régime de l’autorisation pour les rubriques suivantes :

–    n° 1510 (entrepôts couverts dédiés au stockage de matières et de produits combustibles) ;

–    n° 1511 (entrepôts frigorifiques) ;

–    n° 1530 (dépôts de papiers, cartons ou matériaux combustibles analogues y compris les produits finis conditionnés) ;

–    n° 1532 (stockage de bois ou matériaux combustibles analogues) ;

–    n° 2662 (stockages de polymères) ;

–    n° 2663 (stockages de pneumatiques).

En particulier, le décret a relevé le seuil de déclenchement du régime de l’autorisation pour la rubrique n°1510 : alors que ce régime s’appliquait aux entrepôts d’un volume supérieur à 300 000 m3, ce régime s’applique désormais aux seuls entrepôts d’un volume supérieur à 900 000 m:

D’autre part, le décret a clarifié le champ d’application des rubriques.

Cet effort de clarification s’est notamment traduit par la définition de la notion d’« entrepôt » au sens et pour l’application des rubriques n°1510 et n°1511 :

Au sens de la rubrique n°1510, « un entrepôt est considéré comme utilisé pour le stockage de produits classés dans une unique rubrique de la nomenclature dès lors que la quantité totale d’autres matières ou produits combustibles présente dans cet entrepôt est inférieure ou égale à 500 tonnes ».

Par ailleurs, au sens de la rubrique n°1511, « Un entrepôt frigorifique est un entrepôt dans lequel les conditions de température et/ou d’hygrométrie sont régulées et maintenues à une température inférieure ou égale à 18° C en fonction des critères de conservation propres aux produits.

Un entrepôt est considéré comme exclusivement frigorifique dès lors que la quantité de matières ou produits combustibles autres que les matières ou produits conservés dans l’entrepôt frigorifique est inférieure ou égale à 500 tonnes ».

Plus largement, le décret a modifié les libellés des rubriques dans le but de considérer le classement au niveau de l’entrepôt dans son ensemble et limiter les doubles classements, notamment avec les rubriques n° 1511, n° 1530, n° 1532 (hors produits susceptibles de dégager des poussières inflammables qui restent soumis spécifiquement à autorisation), n° 2662 et n° 2663. La rubrique n°1510 est considérée comme étant une rubrique généraliste contrairement aux autres rubriques, qui sont spécifiques à certaines matières entreposées.

Selon le Rapporteur du projet de décret au C.S.P.R.T, ces modifications visent à « éviter le « saucissonnage » des entrepôts et appréhender les risques à l’échelle d’une installation de stockage, pour qu’elle relève d’une seule classification (par défaut, la 1510 dès lors qu’il s’agit d’un bâtiment de stockage), tout en conservant la distinction des classements propres aux matières dangereuses entreposées (par exemple 4510 et 4511) » (cf. compte-rendu de la séance du C.S.P.R.T du 30 juin 2020).

Les conséquences de ces modifications ne sont pas anodines. A titre d’exemple, étant donné que la détermination du régime (i.e. déclaration, enregistrement ou autorisation) s’applique désormais sur l’ensemble du volume, tous les bâtiments dans lesquels au moins 500 tonnes de matières combustibles (y compris les palettes, etc.) sont entreposées sont désormais classés au titre de la rubrique n°1510, sauf s’ils sont utilisés pour le stockage de matières, produits ou substances classés, par ailleurs, dans une rubrique spécifique de la nomenclature.

Plusieurs centaines d’entrepôts sont donc concernés. Si la plupart d’entre eux devraient pouvoir continuer à fonctionner au bénéfice des droits acquis, leur fonctionnement devra néanmoins être mis en conformité avec les prescriptions de l’arrêté ministériel du 24 septembre 2020 applicables aux installations relevant de la rubrique n°1510 selon le calendrier prévu à l’annexe VII qui a été ajoutée dans l’arrêté ministériel du 11 avril 2017 (cf. 3° de l’art. 1er de l’arrêté).

Enfin, le décret a modifié les règles de soumission à évaluation environnementale systématique des projets à évaluation environnementale en raison des surfaces construites.

Précisément, il a recentré l’exigence de cette évaluation sur la lutte contre l’artificialisation des sols, à savoir sur les projets de plus de 40000 m² d’emprise au sol dans un espace non artificialisé au lieu de 40000 m² de surface de plancher quelle que soit la nature du lieu d’implantation. La soumission des projets sortant de l’évaluation systématique à la procédure de cas par cas a néanmoins été maintenue a priori pour tenir compte du « principe de non-régression ».

II°.  renforcement des règles applicables aux entrepôts couverts

Les exigences relatives à la sécurité des entrepôts classés au titre de la rubrique n°1510 ont été principalement renforcées par l’arrêté du 24 septembre 2020 modifiant l’arrêté ministériel du 11 avril 2017 (NOR : TREP2009123A).

Selon la notice de cet arrêté ministériel, son édiction vise à satisfaire aux objectifs suivants :

–    tirer le retour d’expérience de l’incendie de Lubrizol en renforçant les prescriptions relatives aux entrepôts couverts, et notamment en imposant des prescriptions nouvelles aux entrepôts existants compte tenu des enjeux de sécurité ;

–    mettre en cohérence les arrêtés des rubriques 1510, 1511, 1530, 1532, 2662 et 2663 et définir les mesures transitoires applicables suite à la modification de la nomenclature ICPE visant notamment à étendre le régime d’enregistrement pour ces rubriques.

Cet arrêté a notamment prescrit l’application des mesures suivantes :

  • la mise à disposition de l’inspection des installations classées des rapports de visites de risques qui portent sur les constats et sur les recommandations issues de l’analyse des risques menée par les assureurs ;
  • l’inclusion d’informations minimales dans les études de dangers pour les installations soumises à autorisation : précisément, les études de dangers (ou leur mise à jour) devront mentionner les types de produits de décomposition susceptibles d’être émis en cas d’incendie important, incluant le cas échéant les contributions imputables aux conditions et aux lieux de stockage (contenants et bâtiments, etc.). Ces produits de décomposition devront être hiérarchisés en fonction des quantités susceptibles d’être libérées et de leur toxicité y compris environnementale.
  • Il est intéressant de noter que la filière logistique s’est vue reconnaître la possibilité de définir les conditions de mise en œuvre de cette exigence moyennant l’élaboration de « guides méthodologiques professionnels reconnus par le ministre chargé des installations classées ».
  • la tenue d’un état des matières stockées à compter du 1er janvier 2022, y compris les matières combustibles non dangereuses ou ne relevant pas d’un classement au titre de la nomenclature des installations classées.

Cet état des matières stockées devra être mis à jour a minima de manière hebdomadaire et accessible à tout moment, y compris en cas d’incident, accident, pertes d’utilité ou tout autre événement susceptible d’affecter l’installation. Il devra être  accompagné d’un plan général des zones d’activités ou de stockage utilisées pour réaliser l’état qui est accessible dans les mêmes conditions.

Pour les matières dangereuses et les cellules liquides et solides liquéfiables combustibles, cet état devra mis à jour, a minima, de manière quotidienne. Un recalage périodique devra être effectué par un inventaire physique, au moins annuellement, le cas échéant, de manière tournante.

L’état des matières stockées devra être référencé dans le plan d’opération interne (P.O.I) lorsqu’il existera. L’exploitant devra disposer, avant réception des matières, des fiches de données de sécurité (F.D.S) pour les matières dangereuses, prévues dans le code du travail lorsqu’elles existent, ou tout autre document équivalent.

  • l’obligation, en cas de sinistre, de prendre les dispositions nécessaires pour assurer la sécurité des personnes et réaliser les premières mesures de sécurité. En cas de sinistre, il appartiendra à l’exploitant de réaliser un diagnostic de l’impact environnemental et sanitaire de celui-ci en application des guides établis par le ministère chargé de l’environnement dans le domaine de la gestion post-accidentelle. Il aura notamment l’obligation de réaliser des prélèvements dans l’air, dans les sols et le cas échéant les points d’eau environnants et les eaux destinées à la consommation humaine, afin d’estimer les conséquences de l’incendie en termes de pollution. Le préfet pourra prescrire, d’urgence, tout complément utile aux prélèvements réalisés par l’exploitant.
  • le renforcement de l’éloignement des stockages extérieurs des parois externes des cellules des entrepôts : en principe, la distance entre les parois externes des cellules de l’entrepôt et les stockages extérieurs susceptibles de favoriser la naissance d’un incendie ne pourra pas être inférieure à dix mètres.

Cette distance pourra néanmoins être réduite à un mètre dans des cas limitativement énumérés dans l’arrêté.

Par ailleurs, celui-ci prévoit des conditions d’entrée en vigueur différé au 1er janvier 2025 pour les installations existantes et les installations nouvelles dont la preuve de dépôt de déclaration, ou le dépôt du dossier complet d’enregistrement ou d’autorisation est antérieur au 1er janvier 2021.

  • des dispositions portant sur les accès en cas de sinistre avant l’arrivée des services d’incendie et de secours et des dispositions constructives pour que la cinétique d’incendie soit compatible avec l’intervention des services de secours et la protection de l’environnement ;
  • des dispositions portant sur le désenfumage des locaux techniques présentant un risque incendie et l’extension de l’obligation d’un plan de défense incendie à tous les régimes administratifs ;
  • des dispositions spécifiquement applicables aux cellules et chambres frigorifiques ;
  • des dispositions spécifiquement applicables aux cellules de liquides et solides liquéfiables combustibles ;
  • pour les bâtiments plus anciens, la réalisation d’une étude visant à vérifier l’absence d’effet domino thermique vers des bâtiments voisins en cas d’incendie ; si l’étude précitée met en évidence des effets thermiques supérieurs à 8 kW/m2 en limite de site, l’exploitant se verra prescrire des mesures visant à diminuer ces effets :
  • pour les cellules d’une surface supérieure à 3 000 m², l’exploitant devra :

–      soit installer un système d’extinction automatique ;

–      soit mettre en place un compartimentage de l’entrepôt (afin de réduire la surface maximale des cellules à 3 000 m²) et des dispositifs de désenfumage (cf. nouvelle annexe VIII introduite par l’article 1er de l’arrêté). D’autres mesures devront être déployées par l’exploitant lorsque, après mise en place le cas échéant des mesures, subsistent, en cas d’incendie, des effets thermiques de plus de 8 kW/m2 en dehors des limites de propriété du site et atteignant une zone faisant l’objet d’une occupation permanente.

Il est à noter que des périodes transitoires et des délais de mise en œuvre ont été fixés pour les différentes mesures ci-dessus énumérées afin de tenir compte des contraintes techniques de réalisation.

En particulier, et comme cela a été indiqué précédemment, l’arrêté du 24 septembre 2020 a ajouté une annexe VII à l’arrêté ministériel du 11 avril 2017 définissant les dispositions applicables aux installations régulièrement mises en service au 1er janvier 2021 et nouvellement soumises à déclaration, enregistrement ou autorisation en vertu du décret n° 2020-1169 du 24 septembre 2020 modifiant la nomenclature. Les prescriptions auxquelles ces installations sont déjà soumises resteront également applicables, le cas échéant jusqu’à l’application de dispositions plus contraignantes