wind energy before dramatic skyUne récente décision de la Cour administrative d’appel de Douai (CAA Douai, 12 juin 2014, n°13DA00457 consultable ici), rendue en matière de zone de développement de l’éolien (ZDE), fournit un intéressant exemple de détournement de pouvoir censuré par le juge administratif.

En l’espèce, un riverain et une association de défense de l’environnement contestaient la légalité de l’arrêté par lequel le Préfet de l’Aisne avait créé une zone de développement de l’éolien en 2010.

Ils soutenaient notamment que cette décision était entachée d’illégalité interne, au motif que le Préfet avait créé la ZDE pour satisfaire des intérêts privés (ceux d’un opérateur éolien bénéficiaire de permis de construire dans la zone concernée), et non un intérêt général.

Après avoir rappelé qu’en vertu de l’article 10-1 de la loi n°2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, les arrêtés portant création d’une ZDE ont pour objet la définition d’un périmètre privilégié par les autorités publiques pour l’implantation des éoliennes, la cour précise que de telles décisions doivent « repose[r] sur une appréciation comparative et globale, à l’échelle d’un vaste territoire, des regroupements qu’il convient de favoriser dans le but notamment de respecter les paysages et les sites remarquables et protégés ».

La juridiction relève ensuite que la création de la ZDE par le Préfet de l’Aisne faisait suite à une demande en ce sens de l’opérateur éolien, qui souhaitait pouvoir bénéficier du mécanisme d’obligation rachat de l’électricité permis par les ZDE, que la zone retenue « épousait pour l’essentiel le dessin du parc [autorisé] », et qu’il avait été « explicitement envisagé » de ne pas y installer d’autres éoliennes.

Considérant dès lors que la décision contestée répondait à un intérêt privé, les juges d’appel font droit au moyen tiré du détournement de pouvoir :

«  Considérant que la société d’intérêt collectif agricole pour l’électricité (SICAE) de l’Aisne a obtenu, le 8 août 2006, trois permis de construire cinq éoliennes et un poste de livraison sur le territoire des communes de Brenelle, de Courcelles-sur-Vesles et de Cys-la-Commune ; qu’il ressort des pièces du dossier qu’en vue de régulariser une demande tendant à obtenir le bénéfice d’une obligation de rachat de l’électricité produite par le parc, la SICAE, postérieurement à l’obtention de ses permis de construire, a sollicité un projet de création d’une zone de développement de l’éolien sur une fraction du territoire des trois communes concernées ; que la communauté de communes à laquelle ces communes appartiennent n’ayant pas voulu le prendre en charge, un projet porté directement par ces communes a été autorisé par le préfet de l’Aisne pour une zone, aux dimensions très réduites, qui épousait pour l’essentiel le dessin du parc de cinq aérogénérateurs préalablement autorisé ; qu’il ressort des pièces du dossier et notamment de documents émanant de différents services instructeurs qu’il était explicitement envisagé de ne pas installer d’autres aérogénérateurs au sein de ce périmètre ; qu’un tel projet ne répondait donc pas à l’objet d’une zone de développement de l’éolien tel qu’il a été rappelé au point 6 ; que, dans ces conditions, le préfet de l’Aisne n’a pas pris sa décision en litige pour un motif conforme à celui défini par l’article 10-1 de la loi du 10 février 2000 ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de l’Aisne aurait pris son arrêté pour un autre motif d’intérêt général ; que, par suite, l’arrêté ayant été pris pour un motif répondant aux intérêts économiques de la seule SICAE de l’Aisne, les demandeurs sont fondés à soutenir que l’arrêté préfectoral du 30 juin 2010 est entaché de détournement de pouvoir ; »

Cette décision est extrêmement intéressante à double titre.

– D’une part, elle illustre la théorie du détournement de pouvoir, qui, on le sait, est très rarement mise en œuvre par le juge : les cas d’exercice d’un pouvoir dans un but étranger à tout intérêt public d’ailleurs les plus rares (CE, 26 novembre 1875, Pariset, rec. 934 ; CE, 5 mars 1954, Delle Soulier, rec. 139 ; CE, 1er février 1993, M.et Mme Guillec, rec. 22 ; CAA Bordeaux, 21 décembre 2010, Commune de Cilaos, n°09BX02340).

– D’autre part, l’arrêt met en lumière les pratiques peu glorieuses de certaines administrations en matière de permis éoliens : à cet égard, il ne fait nul doute que les opérateurs dont les projets avaient été refusés dans la zone apprécieront cette jurisprudence à sa juste valeur !

Lou DELDIQUE

Green Law Avocat