La régularisation contentieuse du vice urbanistique : un pistolet à un coup

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Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)

Compte tenu de l’impact économique, social et environnemental d’un projet ou d’un aménagement, et aussi afin d’anticiper la mise en œuvre de l’occupation d’un sol et d’un espace, les Autorités disposent d’un moyen préventif d’intervention : le sursis à statuer. Institué par un décret-loi du 25 juillet 1935, il constitue le moyen de différer une prise de décision, et son régime juridique a été modifié à plusieurs reprises. Dans la pratique, afin de ne pas permettre la réalisation d’un projet qui pourrait porter atteinte à des intérêts publics ou privés non encore précisément connus, l’Autorité administrative diffère sa réponse.

La même possibilité a été donnée au juge de différer sa décision dans certains contentieux afin de régulariser une autorisation et en particulier depuis 2013 en matière d’occupation des sols (cf. article L.600-5-1 du Code de l’urbanisme). Institué en droit de l’urbanisme ce pouvoir de surseoir à statuer en vue d’une régularisation de moyens d’annulation de l’acte attaqué a encore été, avec certaines particularités, adapté depuis 2017 en contentieux des installations classées pour la protection de l’environnement (cf. article L.181-18 du Code de l’environnement).

Ainsi le contentieux du « permitting », singulièrement exposé à la guérilla contentieuse, trouve dans le sursis à statuer, à fin de régularisation, sinon une réponse au moins partielle pour décourager les requérants, du moins pour permettre aux opérateurs et aménageurs de construire plus facilement sur recours.

Le conseil vient néanmoins d’encadrer une telle possibilité pour l’enfermer dans une nouvelle subtilité toute jurisprudentielle mais qui a assurément une portée pratique.

Le 11 mai 2017, le Préfet de Vaucluse a pris deux arrêtés d’autorisation accordant à la société Saint-Saturnin deux permis de construire en vue de l’édification d’un parc photovoltaïque sur une emprise située à cheval sur les territoires des communes de Roussillon et Saint-Saturnin-lès-Apt.

Afin d’obtenir l’annulation de ces deux arrêtés, la société Demeure Sainte-Croix et d’autres requérants ont saisi le Tribunal administratif de Nîmes.

Le 4 juin 2019, le Tribunal ayant rejeté leur demande, les requérants ont interjeté appel.

Le 28 décembre 2021, afin de permettre de régulariser les permis litigieux au regard de l’insuffisance de l’étude d’impact réalisée préalablement à la délivrance de ces deux permis, la Cour administrative d’appel de Marseille a sursis à statuer sur cet appel, conformément aux dispositions de l’article L.600-5-1 du Code de l’urbanisme, procédant ainsi à une nouvelle saisine de l’Autorité administrative de l’État compétente en matière d’environnement et organisant une enquête publique complémentaire.

Le 26 août 2022, le Préfet de Vaucluse a délivré à la société Saint-Saturnin Roussillon Ferme deux permis de construire modificatifs.

Le 5 janvier 2023, la Cour administrative d’appel de Marseille a annulé le jugement du Tribunal administratif de Nîmes, ainsi que les permis initiaux et modificatifs.

La société Saint-Saturnin Roussillon Ferme a donc saisi le Conseil d’État en cassation.

Deux sursis à statuer peuvent-ils se succéder pour un même vice ?

Pour le Conseil d’État, il ne peut y avoir succession de sursis à statuer si l’objectif est de régulariser le même vice qui affecte le permis de construire initial (CE, 14 octobre 2024, n°471936, téléchargeable ici).

La Section du contentieux du Conseil d’État a donc estimé que, s’il est possible d’utiliser de manière successive le sursis à statuer sur une autorisation d’urbanisme entachée d’un vice régularisable, il faut impérativement que ledit vice soit nouveau d’une fois sur l’autre.

pause travaux

« Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L.600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. »

Dans un premier temps, le Conseil d’État interprète l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme :

« En premier lieu, il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux parlementaires, que lorsque le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation d’urbanisme dont l’annulation est demandée, sont susceptibles d’être régularisés, le juge doit surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi contre cette autorisation. Il invite au préalable les parties à présenter leurs observations sur la possibilité de régulariser le ou les vices affectant la légalité de l’autorisation d’urbanisme. Le juge n’est toutefois pas tenu de surseoir à statuer, d’une part, si les conditions de l’article L.600-5 du code de l’urbanisme sont réunies et qu’il fait le choix d’y recourir, d’autre part, si le bénéficiaire de l’autorisation lui a indiqué qu’il ne souhaitait pas bénéficier d’une mesure de régularisation. Il en va de même lorsque le juge constate que la légalité de l’autorisation d’urbanisme prise pour assurer la régularisation de ce premier vice est elle-même affectée d’un autre vice, qui lui est propre. Il lui appartient alors de surseoir à statuer sur les conclusions dont il est saisi, en invitant au préalable les parties à présenter leurs observations sur la possibilité de régulariser le ou les vices affectant la légalité de cette nouvelle autorisation, sauf si les conditions de l’article L.600-5 du code de l’urbanisme sont réunies et qu’il fait le choix d’y recourir, ou si le bénéficiaire de l’autorisation lui a indiqué qu’il ne souhaitait pas bénéficier d’une mesure de régularisation. Lorsqu’une mesure de régularisation a été notifiée au juge après un premier sursis à statuer, et qu’il apparaît, au vu des pièces du dossier, que cette mesure n’est pas de nature à régulariser le vice qui affectait l’autorisation d’urbanisme initiale, il appartient au juge d’en prononcer l’annulation, sans qu’il y ait lieu de mettre à nouveau en œuvre la procédure prévue à l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme pour la régularisation du vice considéré » (CE, 14 octobre 2024, n°471936, point 7, téléchargeable ici).

Dans un second temps, la Haute Juridiction tire les conséquences de son analyse :

« Il résulte de ce qui précède que la société Saint-Saturnin Roussillon n’est pas fondée à soutenir que la Cour a entaché son arrêt du 5 janvier 2023 d’une erreur de droit en jugeant qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne permet d’appliquer de manière successive l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme pour la régularisation d’un même vice affectant le permis de construire initial » (CE, 14 octobre 2024, n°471936, point 8, téléchargeable ici).

On peut très sérieusement s’interroger sur la pertinence de cette solution aussi radicale dans sa formulation. Si le juge devient un administrateur, il doit au moins assumer exercer autant de pouvoir que l’administration lorsqu’il administre. Il ne doit pas revendiquer plus de pouvoir que l’administration mais ne devrait non plus en exercer moins que l’administration.

Or bien évidemment dans le cadre de la procédure du permis de construire ou de l’autorisation ICPE plusieurs sursis à statuer de la part des services instructeurs peuvent se succéder pour le même objet.

Pourquoi ne pourrait-il pas en être ainsi au contentieux, au moins pour des hypothèses le justifiant ?

Il n’est pas toujours possible de régulariser du premier coup ou dans les temps. Mais surtout le juge pourrait encore apprécier si le vice est régularisable avec une autre production. Car si c’est bien le cas, on peut s’autoriser à penser que le Conseil d’État ne veut pas alourdir le travail du juge et laisser le soin à l’administration active de connaître d’une nouvelle instruction, quitte à décourager le pétitionnaire…

Il est vrai que les moyens de la justice font cruellement défaut et que son temps est d’autant plus précieux.

Mais qui peut le plus peut le moins et se l’interdire peut être mal vécu par le justiciable après parfois 10 ans de procédure…

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