Impartialité et permis de construire : quand il est préférable pour l’autorité administrative de rester silencieuse

silence

Par Maître David DEHARBE, Avocat gérant et Mathilde ELLEBOUDT, juriste (Green Law Avocats)

Dans une récente ordonnance en date du 8 décembre 2022, le Tribunal administratif d’Amiens rappelle que le maire est tenu de respecter le principe d’impartialité lorsqu’il doit statuer sur une autorisation d’urbanisme (TA Amiens, 8 décembre 2022, n°s 2102509, 2102803, téléchargeable ci-dessous).

En l’espèce, une société souhaite édifier un site de production de laine de roche au sein d’une Z.A.C. (zone d’aménagement concerté) et dépose ainsi une demande de permis de construire auprès de l’autorité administrative compétente : le maire de la commune.

Le projet relevant de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement, une demande d’autorisation environnementale a été déposée en parallèle auprès du Préfet de l’Aisne.

Le maire de la commune où est projetée l’installation émet le 1er mars 2020 un arrêté de refus de permis de construire. Cette décision fait l’objet d’un recours et d’une déféré (présente instance).

Pour rappel, la charte de l’élu local mentionnée à l’article L.1111-1-1 du code des collectivités territoriales impose aux élus locaux de respecter le principe d’impartialité. Et pour sa part le Conseil d’État considère que « le principe d’impartialité, qui garantit aux administrés que toute autorité administrative, individuelle ou collégiale, est tenue de traiter leurs affaires sans préjugés ni partis pris, doit être respecté durant l’intégralité de la procédure d’instruction et de délivrance d’un permis de construire, y compris, dès lors, dans la phase de consultation précédant la prise de décision » (CE, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 22/02/2008, 291372, Inédit au recueil Lebon, téléchargeable sur doctrine).

Dans sa décision rendue le 8 décembre 2022, le tribunal administratif amiénois estime que le maire de la commune où est projeté le projet litigieux a failli au respect de ce principe.

Tout d’abord, le Tribunal a relevé que le maire de la commune avait pris publiquement position sur le projet, et ce, à plusieurs reprises.

Le TA d’Amiens rappelle au sein de son ordonnance que le principe d’impartialité « garantit aux administrés que toute autorité administrative, individuelle ou collégiale, traite leurs affaires sans préjugés ni partis pris » et que celui-ci doit « être respecté durant l’intégralité de la procédure d’instruction et de délivrance d’un permis ».

Il mentionne également que le principe s’impose à « toute autorité administrative, notamment aux membres de ces autorités, qui doivent s’abstenir de toute prise de position publique de nature à compromettre le respect de ce principe » (considérant 7).

Et en l’espèce le Tribunal s’est convaincu que le principe a été violé, pour les raisons suivantes : « Il ressort des pièces du dossier que le maire de Courmelles a pris publiquement position sur le projet litigieux à plusieurs reprises antérieurement à l’édiction de l’arrêté attaqué.  Si certaines de ces prises de positions demeurent mesurées, il ressort des pièces du dossier que le maire de Courmelles a déclaré en février 2021, soit pendant l’instruction du dossier de demande, lors d’un entretien avec un journaliste, avoir d’ores-et-déjà refusé la demande de permis de construire et précisé que « Je suis prêt à aller jusqu’au bout car la cause est juste. D’autant que je suis l’avis du commissaire enquêteur qui va dans le même sens que moi. Et puis, quand vous voyez arriver à l’enquête publique un monsieur de 90 ans qui vient déposer son avis en disant qu’il a perdu tous ses amis à cause de cancers liés à l’amiante cela ne vous laisse pas indifférent ». Il ressort de ce même entretien qu’à cette date, le maire de Courmelles avait pris contact avec un avocat pour évaluer les frais qu’engendrerait pour la commune une instance juridictionnelle l’opposant à la société pétitionnaire. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que le maire de Courmelles avait déjà exprimé des inquiétudes sur le projet en réponse à des messages sur les réseaux sociaux en mars 2020 avant son élection. Dans ces conditions, la société Rockwool France SAS est fondée à soutenir que l’arrêté attaqué a été pris en méconnaissance du principe d’impartialité qui s’imposait au maire de Courmelles comme à toute autorité administrative ».

On doit encore relever que pour échapper à la censure de son refus, la commune avait invoqué le fait que son maire était en situation de compétence liée, à la seule lecture de l’évaluation environnementale qui n’aurait pas permis de respecter la séquence ERC et en particulier le principe de « l’absence de perte nette, voire de gain de biodiversité » posé par l’article L.161-1 du code de l’environnement . Ce à quoi le Tribunal rétorque : « la commune de Courmelles n’est pas fondée à soutenir que la seule lecture de l’évaluation environnementale produite dans le cadre du dossier de demande de permis de construire plaçait le maire de Courmelles en situation de compétence liée pour refuser la demande déposée au regard des impacts environnementaux du projet et que l’ensemble des moyens développés par les requérants seraient dès lors inopérants ».

Ensuite, le Tribunal amiénois va examiner les différents motifs de refus avancés par le maire de la commune.

Aucun ne résiste à l’analyse, et à l’exception de deux, tous les autres motifs de refus sont jugés illégaux par le TA.

En particulier, les juges administratifs rappellent que le non-respect de certaines règles d’urbanisme n’entraîne pas automatiquement un refus de permis. En effet, l’autorité administrative peut délivrer le permis de construire en l’assortissant de prescriptions spéciales, notamment pour pallier le risque d’atteinte à la sécurité et salubrité publique (Conseil d’État, 26 juin 2019, n°412429).

L’arrêté de refus de permis de construire est annulé et il est enjoint au maire de la commune de réexaminer la demande de permis de construire dans un délai de trois mois