Droit minier : précisions sur l’application de la loi anti-fracturation hydraulique (TA Cergy Pontoise, 28 janvier 2016, n°1200718)

message vert - marketing écologique dans la naturePar Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)

Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise vient de se prononcer dans un jugement du 28 janvier 2016 (TA Cergy Pontoise, 28 janvier 2016, n°1200718) sur la légalité d’arrêtés d’abrogation de permis exclusif de recherches.

C’est l’occasion d’aborder les grandes lignes juridiques du débat entourant la fracturation hydraulique.

La fracturation hydraulique consiste à injecter sous très haute pression un fluide destiné à fissurer et micro-fissurer la roche. Cette technique est notamment utilisée en matière d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures, conventionnels ou non conventionnels. Elle permet en effet de récupérer des hydrocarbures, liquides ou gazeux, dans des substrats denses où un puits classique ne suffirait pas.

Le fluide utilisé lors de la fracturation hydraulique est en général de l’eau à laquelle sont ajoutés, d’une part, des matériaux solides poreux (sable…) afin que les fissures et micro-fissures ne se referment pas à l’issue du processus et, d’autre part, des additifs chimiques afin de gérer la viscosité du mélange.

La technique de la fracturation hydraulique a soulevé une opposition importante de la population en 2011 lors de débats sur l’opportunité de rechercher et d’exploiter des hydrocarbures non conventionnels tels que les gaz de schiste sur le territoire français. En effet, à l’époque, cette technique, associée à un forage horizontale, était la seule permettant de rechercher et d’exploiter le gaz de schiste

Cette opposition de la population a conduit à l’adoption de la loi n°2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique.

Cette loi repose sur l’application du principe de prévention. Elle a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (Conseil constitutionnel, 11 octobre 2013, décision n° 2013-346 QPC, analysée sur le blog du cabinet ici).

L’article 1er de cette loi dispose : « En application de la Charte de l’environnement de 2004 et du principe d’action préventive et de correction prévu à l’article L. 110-1 du code de l’environnement, l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche sont interdites sur le territoire national. » [souligné par nos soins]

Son article 3 précise en outre que : « I. ― Dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la présente loi, les titulaires de permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux remettent à l’autorité administrative qui a délivré les permis un rapport précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherches. L’autorité administrative rend ce rapport public.

  1. ― Si les titulaires des permis n’ont pas remis le rapport prescrit au I ou si le rapport mentionne le recours, effectif ou éventuel, à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche, les permis exclusifs de recherches concernés sont abrogés.

III. ― Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, l’autorité administrative publie au Journal officiel la liste des permis exclusifs de recherches abrogés.

  1. ― Le fait de procéder à un forage suivi de fracturation hydraulique de la roche sans l’avoir déclaré à l’autorité administrative dans le rapport prévu au I est puni d’un an d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. » [souligné par nos soins]

Les titulaires de permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux devaient donc rendre un rapport à l’administration précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherche. Si les titulaires des permis ne remettaient pas le rapport ou si celui-ci mentionnait le recours effectif ou éventuel à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche, les permis exclusif de recherches concernés étaient abrogés.

Les sociétés Total Gas Shale Europe et Total Exploration et Production France détenaient un permis exclusif de recherches dit « Permis de Montélimar »

Elles ont déposé un rapport le 12 septembre 2011 dans lequel, d’une part, elles s’engageaient à ne pas mettre en œuvre la technique de la fracturation hydraulique et où, d’autre part, elles précisaient désirer poursuivre les explorations soit au moyen de techniques existantes et autorisées, soit au moyen d’autres techniques encore en cours de développement.

Toutefois, un arrêté interministériel du 12 octobre 2011 portant publication de la liste des permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux abrogés en application de la loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 a constaté l’abrogation du permis de Montélimar. Le directeur de l’énergie a ensuite adressé le 12 octobre 2011 des lettres informant les sociétés Total Gas Shale Europe et Total Exploration et Production France de cette abrogation.

Les deux sociétés ont donc introduit un recours en excès de pouvoir contre l’arrêté du 12 octobre 2011 en tant qu’il constate l’abrogation du « Permis de Montélimar » et contre les lettres du directeur de l’énergie du 12 octobre 2011 les informant de l’abrogation de ce permis.

La question posée au tribunal administratif de Cergy Pontoise était donc de savoir si le fait qu’un rapport affirme l’absence d’utilisation de la fracturation hydraulique dans le cadre d’un permis exclusif de recherches sans préciser expressément quelles techniques seront mises en œuvre permettait de prononcer l’abrogation dudit permis.

Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise s’est prononcé dans la décision du 28 janvier 2016 présentement commentée (TA Cergy Pontoise, 28 janvier 2016, n°1200718). Il s’est, dans un premier temps, prononcé sur la recevabilité du recours des requérantes (I). Puis, il s’est prononcé sur l’abrogation du permis de Montélimar (II).

  • Sur la recevabilité du recours en excès de pouvoir

Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise devait, en premier lieu, se prononcer sur la recevabilité du recours des sociétés requérantes et sur le caractère décisoire des actes contestés.

Il convient de rappeler que l’article R. 421-1 du code de justice administrative dispose que « sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision (…) ».

À cet égard, ne constituent pas des décisions au sens de la disposition précitée, les actes lesquels l’autorité administrative se borne à constater une situation déjà constituée, sans disposer d’un quelconque pouvoir d’appréciation (CE, 25 mars 1988, n°82678, mentionné aux tables du recueil Lebon ou encore CAA Lyon, 7 décembre 1994, n°93LY00425, mentionné aux mentionné aux tables du recueil Lebon).

Or, aux termes de l’article 3 de la loi du 13 juillet 2011, « […] II. ― Si les titulaires des permis n’ont pas remis le rapport prescrit au I ou si le rapport mentionne le recours, effectif ou éventuel, à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche, les permis exclusifs de recherches concernés sont abrogés.

III. ― Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, l’autorité administrative publie au Journal officiel la liste des permis exclusifs de recherches abrogés. […] ».

Il convenait dès lors de déterminer si le recours des sociétés requérantes était dirigé contre de véritables décisions ou si elles résultaient des termes mêmes de la loi.

 

A cet égard, il convenait d’examiner si l’administration avait un pouvoir d’appréciation réel sur l’abrogation des permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures.

Le tribunal administratif a estimé que :

« 8. Considérant qu’aux termes de l’article 3 de la loi du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique : « Dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la présente loi, les titulaires de permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux remettent à l’autorité administrative qui a délivré les permis un rapport précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherches. L’autorité administrative rend ce rapport public. II. ― Si les titulaires des permis n’ont pas remis le rapport prescrit au I ou si le rapport mentionne le recours, effectif ou éventuel, à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche, les permis exclusifs de recherches concernés sont abrogés (…) » ;

 Considérant qu’il résulte de ces dispositions, au demeurant suffisamment claires, que lorsqu’un rapport est déposé, comme en l’espèce, l’administration doit vérifier si ce rapport mentionne l’abandon du recours à la technique de la fracturation hydraulique ; que dans le cas où un tel abandon ne serait pas indiqué, elle abroge le permis de recherches ; que, dès lors, la fin de non-recevoir tirée de ce que l’abrogation d’un permis de recherches est un acte confirmatif de la loi ne saurait être accueillie ; ». [souligné par nos soins]

 

Dès lors que l’administration a un pouvoir de « vérification », le tribunal administratif de Cergy-Pontoise semble déduire qu’elle a nécessairement un pouvoir d’ « appréciation » des faits et que l’abrogation d’un permis de recherches n’est pas un acte purement confirmatif résultant des termes mêmes de la loi.

Il admet, en conséquence, la recevabilité du recours en excès de pouvoir des sociétés requérantes et écarte la fin de non-recevoir qui avait été soulevée.

  • Sur l’illégalité de l’abrogation du permis de Montélimar

Il appartenait ensuite au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de déterminer si l’abrogation du permis de Montélimar était légale.

 

Aux termes de l’article 3 de la loi du 13 juillet 2011 : « I. ― Dans un délai de deux mois à compter de la promulgation de la présente loi, les titulaires de permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux remettent à l’autorité administrative qui a délivré les permis un rapport précisant les techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs activités de recherches. L’autorité administrative rend ce rapport public.

  1. ― Si les titulaires des permis n’ont pas remis le rapport prescrit au I ou si le rapport mentionne le recours, effectif ou éventuel, à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche, les permis exclusifs de recherches concernés sont abrogés.

III. ― Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, l’autorité administrative publie au Journal officiel la liste des permis exclusifs de recherches abrogés.

  1. ― Le fait de procéder à un forage suivi de fracturation hydraulique de la roche sans l’avoir déclaré à l’autorité administrative dans le rapport prévu au I est puni d’un an d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. » [souligné par nos soins]

Stricto sensu, bien que le rapport doive préciser les techniques employées ou envisagées dans le cadre des activités de recherches des titulaires de permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux, l’abrogation de ces permis n’était prévue que dans le cas où les titulaires des permis ne remettaient pas le rapport ou qu’ils mentionnaient le recours effectif ou éventuel à la fracturation hydraulique.

Largo sensu, il serait possible de considérer que l’esprit de la loi implique que les techniques de recherches soient clairement définies dès le rapport et qu’à défaut les permis exclusifs de recherches doivent être abrogés.

Toute la difficulté dans ce dossier résultait dans le fait que le rapport remis par les sociétés requérantes ne mentionnait pas précisément les techniques précises envisagées pour les recherches mais qu’en revanche, elles s’engageaient expressément à ne pas utiliser la fracturation hydraulique, conformément aux dispositions de la loi.

Aux termes de son jugement, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a considéré que :

« 10. Considérant que l’administration a invité, par lettres du 26 juillet 2011, les sociétés

Total Gas Shale Europe et Total Exploration et Production France à lui faire parvenir un rapport avant le 13 septembre 2011 sur les approches techniques employées ou envisagées dans le cadre de leurs recherches et leur a indiqué que ce rapport devait démontrer « la pertinence de [leur] démarche exploratoire compte tenu des nouvelles conditions de l’exercice de l’activité d’exploration et d’exploitation » ; qu’il ressort du rapport remis le 12 septembre 2011 par les deux sociétés que celles-ci ont mentionné, à plusieurs reprises et d’une manière explicite, leur volonté de ne pas recourir à la fracturation hydraulique ; qu’elles ont ensuite précisé que, prenant acte de l’interdiction de cette fracturation, édictée par la loi du 13 juillet 2011, elles entendent poursuivre les explorations soit au moyen de techniques existantes et autorisées, soit au moyen d’autres techniques encore en cours de développement ; qu’elle ont, enfin, indiqué que leur recherche de gaz et d’hydrocarbures non conventionnels ne constituait qu’un « élément innovant mais non exclusif » du permis de recherches dit « Permis de Montélimar » ; que le 12 octobre 2011, l’administration, pour abroger le permis, s’est fondée sur l’absence d’explications suffisantes sur les techniques de substitution envisagées et sur l’incapacité dans laquelle elle s’est trouvée pour apprécier la réalité de l’engagement de ne pas recourir à la technique de la fracturation hydraulique ; que ce faisant, l’administration est allée au-delà de ce que les dispositions de la loi du 13 juillet 2011 ont prévu ; qu’elle a ainsi commis une erreur de droit au regard de ces dispositions ;

 

  1. Considérant qu’il résulte de ce qui précède et sans qu’il soit besoin d’examiner les

autres moyens de la requête que les sociétés Total Gas Shale Europe et Total Exploration et N°1200718 7 Production France sont fondées à demander l’annulation de l’arrêté interministériel attaqué du 12 octobre 2011 en tant qu’il abroge le permis dit « Permis de Montélimar » ; » [souligné par nos soins]

Il ressort de ce jugement que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a eu une lecture stricte de la loi : dès lors que les sociétés requérantes se sont expressément engagées à ne pas avoir recours à la technique de la fracturation hydraulique et à respecter la loi du 13 juillet 2011, il considère que l’administration ne pouvait pas abroger le permis de Montélimar. Il considère qu’en abrogeant ce permis, l’administration est allée au-delà des dispositions de la loi. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a donc décidé de suivre la lettre du texte.

Cette décision est, d’un point de vue strictement juridique, compréhensible.

En premier lieu, les sociétés requérantes se sont expressément engagées à ne pas méconnaître la loi en tant qu’elle interdit l’usage de la fracturation hydraulique.

En deuxième lieu, cette loi, qui certes, a été prise dans un contexte général d’opposition au gaz de schiste, n’a pas pour objectif d’interdire le gaz de schiste. Elle a pour objectif de prévenir les dommages à l’environnement.

Or, bien que le gaz de schiste constitue une énergie fossile qui, dans le contexte actuel, pourrait être jugée néfaste pour l’environnement, ce n’est pas ce fondement qui a motivé l’édiction de cette loi. En effet, c’est la technique utilisée pour le rechercher et pour l’extraire qui a été jugée dangereuse pour l’environnement. En ce sens, le Conseil constitutionnel a relevé dans sa décision que « le législateur a entendu prévenir les risques que ce procédé de recherche et d’exploitation des hydrocarbures est susceptible de faire courir à l’environnement ; » (Conseil constitutionnel, 11 octobre 2013, décision n° 2013-346 QPC, analysée sur le blog du cabinet ici).

La loi n’a donc pas pour objectif d’interdire la recherche et l’exploitation de gaz de schiste.

En ce sens, il convient de noter que l’article 2 de la loi prévoit que :

« Il est créé une Commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux.

Elle a notamment pour objet d’évaluer les risques environnementaux liés aux techniques de fracturation hydraulique ou aux techniques alternatives.

Elle émet un avis public sur les conditions de mise en œuvre des expérimentations, réalisées à seules fins de recherche scientifique sous contrôle public, prévues à l’article 4.

Cette commission réunit un député et un sénateur, désignés par les présidents de leurs assemblées respectives, des représentants de l’Etat, des collectivités territoriales, des associations, des salariés et des employeurs des entreprises concernées. Sa composition, ses missions et ses modalités de fonctionnement sont précisées par décret en Conseil d’Etat. »

La loi n’a donc pas pour objectif de mettre un terme à l’exploration ou l’exploitation d’hydrocarbures liquides et gazeux mais bien de contrôler les techniques mises en place pour permettre cette exploration ou cette exploitation.

En troisième lieu, un permis exclusif de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux est délivré sans préciser quels hydrocarbures sont recherchés (Décret n°2006-648 du 2 juin 2006 relatif aux titres miniers et aux titres de stockage souterrain).  Il se peut que cet état du droit évolue à très court terme (réforme du code minier en cours). Toutefois, à ce jour, à supposer même que la loi du 13 juillet 2011 ait eu pour objectif d’interdire l’exploration ou l’exploitation du gaz de schiste, il est impossible, d’être certain qu’un permis exclusif de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux vise la recherche de gaz de schiste. D’ailleurs, les sociétés requérantes avaient expressément indiqué dans le rapport déposé le 12 septembre 2011 que « leur recherche de gaz et d’hydrocarbures non conventionnels ne constituait qu’un « élément innovant mais non exclusif » du permis de recherches dit « Permis de Montélimar » ».

 

Le jugement rendu par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui annule l’abrogation du permis de Montélimar du 12 octobre 2011, s’il s’appuie sur une lecture stricte de la loi du 13 juillet 2011, n’en demeure pas moins juridiquement cohérent. Notons que ce jugement ne se prononce pas sur la lettre d’information ayant prévu les sociétés requérantes de cette abrogation

 

Madame le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a d’ores et déjà annoncé sa décision de faire appel de cette décision (communiqué de presse consultable ici). Il se peut tout à fait que la Cour administrative d’appel de Versailles, compétente en appel, ait une toute autre analyse de ce dossier.