Par Mathieu DEHARBE, juriste webmaster (Green Law Avocats)
L’interdiction d’apposer sur les fruits et légumes des étiquettes non compostables et non constituées de matières bio-sourcées prévue à l’article 80 de la loi anti-gaspillage et économie circulaire (loi « AGEC ») (JORF n°0035 du 11 février 2020 ; pour en savoir plus consultez notre commentaire sur le blog ) a été déclarée conforme à la Constitution par les Sages de rue Montpensier (décision n°2023-1055 QPC du 16 juin 2023, téléchargeable ci-dessous).
En l’occurrence, l’Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais a intenté un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État à l’encontre de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande tendant à l’abrogation des dispositions du paragraphe III de l’article 1er du décret n°2020-1724 du 28 décembre 2020 relatif à l’interdiction d’élimination des invendus non alimentaires et à diverses dispositions de lutte contre le gaspillage (JORF n°0315 du 30 décembre 2020).
A cette occasion, la Haute juridiction a décidé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) de l’association requérante concernant les dispositions de l’article 80 de la loi « AGEC » sur lequel se fonde le décret querellé (CE, 26 avril 2023, n°466929, pour en savoir plus sur cette décision consultez notre commentaire sur le blog).
Dans le cadre de sa QPC, l’association soutient que l’article 80 de la loi « AGEC » serait contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution en invoquant les griefs suivant :
- Une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre ;
- Une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ;
- Une violation du principe de légalité des délits et des peines ;
- Une incompétence négative conduisant à une méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.
I. Une atteinte proportionnée à la liberté d'entreprendre des opérateurs
L’association requérante reproche aux dispositions législatives litigieuses de limiter la faculté pour tout opérateur économique d’apposer des étiquettes sur les fruits et légumes aux seules fins de faciliter le compostage domestique, alors qu’existeraient d’autres moyens moins contraignants pour y parvenir.
Conformément à une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel rappelle qu’il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi (Conseil constitutionnel, décision n° 2000-439 DC du 16 janvier 2001, point 14 ; décision n°2023-1055 QPC du 16 juin 2023, point 6).
Selon les Sages, le législateur a apporté aux conditions d’exercice de l’activité économique des entreprises commercialisant des fruits et légumes une restriction qui n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi, sachant que :
- Le législateur a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement en favorisant le compostage des biodéchets et la réduction des déchets plastiques dans le cadre de la mise en oeuvre des objectifs de réduction et de valorisation des déchets ménagers (Conseil constitutionnel, décision n° 2022-990 QPC du 22 avril 2022, point 12 ; décision n°2023-1055 QPC du 16 juin 2023, point 9) ;
- Le Conseil constitutionnel n'est pas tenu de rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé (Conseil constitutionnel, décision n° 2022-990 QPC du 22 avril 2022, point 12 ; décision n°2023-1055 QPC du 16 juin 2023, point 9) ;
- L’interdiction édictée par ces dispositions porte sur l’apposition des seules étiquettes qui ne sont pas compostables et constituées en tout ou partie de matières biosourcées (décision n°2023-1055 QPC du 16 juin 2023, point 10).
II. Une absence de différence de traitement entre les opérateurs par l'article 80 de la loi AGEC
L’association requérant reproche également aux dispositions législatives litigieuse d’instituer une double différence de traitement injustifiée,
- d’une part, entre opérateurs selon que les fruits et légumes sont produits en France ou importés ;
- et, d’autre part, entre les exportateurs français et leurs concurrents à l’étranger.
Toutefois, les membres du Conseil constitutionnel ont écarté ce grief dès lors que les dispositions contestées n’instituent aucune différence de traitement selon que les fruits ou légumes soient produits en France ou importés (décision n°2023-1055 QPC du 16 juin 2023, point 12).
III. L'inopérance du moyen tiré de la violation du principe de légalité et des peines
Dans sa QPC, l’association requérante estime que faute de définir en des termes suffisamment clairs et précis l’interdiction édictée, alors que sa méconnaissance serait punie d’une amende contraventionnelle, ces dispositions seraient contraires au principe de légalité des délits et des peines.
Selon le Conseil constitutionnel, le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines ne peut qu’être écarté comme inopérant, en ce que :
- Les dispositions contestées n’ont, par elles-mêmes, pour objet ni d’instituer une sanction ayant le caractère d’une punition ni de définir les éléments constitutifs d’une infraction (décision n°2023-1055 QPC du 16 juin 2023, point 13) ;
- La circonstance que le pouvoir réglementaire ait sanctionné d’une contravention le manquement à l’interdiction prévue par les dispositions contestées ne saurait leur conférer un tel objet (décision n°2023-1055 QPC du 16 juin 2023, point 13) ;
- Le pouvoir réglementaire définit les éléments constitutifs des contraventions en des termes suffisamment clairs et précis, dans l’exercice de la compétence qu’il tient de l’article 37 de la Constitution et sous le contrôle des juridictions compétentes (décision n°2023-1055 QPC du 16 juin 2023, point 14 ; CE, Section, 12 février 1960, Société Eky, req. n° 46922, disponible sur Doctrine ; article 111-2 du code pénal) ;
Par voie de conséquence, le juge constitutionnel en déduit que les dispositions de l’article 80 de la loi « AGEC » qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution (décision n°2023-1055 QPC du 16 juin 2023, point 16).