Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)
Par un arrêt du 21 décembre 2023 (Pourvoi n° 23-14.343) et déjà relevé par FIL-DP comme devant être publié au Lebon (dépêche du 16/01/2024), la troisième chambre civile de la Cour de cassation vient de rendre une décision essentielle sur la séparation des autorités administratives et judiciaires et d’une grande portée pratique en droit de l’environnement industriel (téléchargeable ci-dessous).
Selon la Cour de cassation « les autorisations environnementales délivrées au titre de la police de l’eau et de celle des ICPE constituent, quelle que soit leur date de délivrance, des autorisations globales uniques excluant la compétence du juge des référés judiciaire pour se prononcer sur une demande de suspension d’activité au motif du trouble manifestement illicite résultant de l’absence de dérogation à l’interdiction de destruction de l’une de ces espèces protégées. » (Cass 3ème civ., 21 décembre 2023, 23-14.343, point 17).
En l’espèce, le préfet du Var avait autorisé la société Provence Granulats à défricher une superficie de 241000 m² sur des parcelles au lieudit « Le Caïre de Sarrasin », à exploiter une carrière à ciel ouvert de calcaire dolomitique, sur une superficie de 44 ha et 84 ca et à implanter une installation de broyage, concassage, criblage et lavage de matériaux sur la parcelle. La commune concernée avait demandé l’annulation de cette autorisation, mais sa requête avait été définitivement rejetée par le Conseil d’État. Puis, cette commune a refusé un permis de construire six bâtiments et un silo de stockage, nécessaires à l’exploitation de la carrière. Mais, ce refus a également été annulé par le juge administratif. Parallèlement, ce permis a fait l’objet d’un recours par trois associations de protection de l’environnement, recours qui sont toujours pendant devant la juridiction administrative.
Toutefois, estimant que les travaux portaient atteinte à des espèces protégées présentes sur le site, notamment des espèces mentionnées dans les arrêtés des 23 avril 2007 et 29 octobre 2009, ces associations ont, sur le fondement de l’article L.521-2 du code de justice administrative, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon d’une demande d’injonction, au préfet et à la société, de suspendre les travaux relatifs à l’exploitation de la carrière, qui a été rejetée par ordonnance.
Quand un ordre de juridiction semble sourd, les conseils savent bien qu’il est temps pour eux de se tourner vers l’autre…
Les associations ont alors saisi le juge des référés judiciaire pour obtenir, sous astreinte, que lui soit délivrée une injonction de stopper tous travaux jusqu’à l’obtention d’une dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l’article L .411-2 du code de l’environnement.
Or le juge de l’autre ordre a fait plus que tendre l’oreille : après avoir constaté que l’autorisation environnementale ne comportait pas de dérogation à la destruction d’espèces protégées, le juge des référés a fait droit à leur requête (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Chambre 1 2, 23 février 2023, n° 22/12634, téléchargeable sur doctrine).
De façon assez intéressante, pour ordonner la suspension provisoire de tous travaux sur le site de la carrière jusqu’à l’obtention par la société d’une dérogation à l’interdiction de la destruction d’espèces protégées prévue par l’article L.411-2 du code de l’environnement, l’arrêt de la Cour d’Aix-en-Provence avait retenu que l’action engagée par les associations ne vise ni à contester la légalité des arrêtés préfectoraux des 15 décembre 2010 et 29 juin 2012, ni à solliciter l’interdiction définitive de l’exploitation de la carrière, ce qui contrarierait ces arrêtés, mais à faire cesser des infractions aux dispositions de l’article L.411-1 du code de l’environnement, de sorte que, le préfet du Var ayant fondé ces arrêtés sur les seules dispositions du code forestier et celles du titre I du livre V du code de l’environnement relatif aux ICPE, le juge judiciaire, en se déclarant compétent pour connaître du débat engagé sur le fondement des articles L.411-1 et L.411-2 du code de l’environnement, relatifs à la protection du patrimoine naturel, ne contrarie aucune décision de l’administration et ne substitue en rien sa propre appréciation à celle de l’autorité administrative laquelle n’a pris aucune position sur ce sujet.
Saisie à son tour, la Cour de cassation rappelle :
« que le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires s’oppose à ce que le juge judiciaire substitue sa propre appréciation à celle que l’autorité administrative a portée en application de ses pouvoirs de police spéciale, et que les tribunaux judiciaires ne sont compétents que pour se prononcer sur les dommages-intérêts à allouer aux tiers lésés par le voisinage d’une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE), ainsi que sur les mesures propres à faire cesser le préjudice que cette installation pourrait causer dans l’avenir, à condition que ces mesures ne contrarient pas les prescriptions édictées par l’administration en vertu des pouvoirs de police spéciale qu’elle détient (TC, 23 mai 1927, n° 755 ; 1re Civ., 25 janvier 2017, pourvoi n° 15-25.526, Bull. 2017, I, n° 28 ; 1re Civ., 8 novembre 2017, pourvoi n° 16-22.213) » (C. Cass. 3ème civ., 21 décembre 2023, 23-14.343, point 9).
La Cour de cassation rappelle que conformément à l’ordonnance du 27 janvier 2017 (JORF n°0023 du 27 janvier 2017), et depuis le 1er mars 2017, une autorisation environnementale unique regroupe en une seule procédure les autorisations, enregistrements, déclarations, absence d’opposition, approbations et agréments énumérés au I de l’article L. 181-2 du code de l’environnement, incluant ainsi l’autorisation délivrée au titre de la législation spéciale applicable aux installations classées pour la protection de l’environnement et la dérogation espèces protégées (Cass 3ème civ., 21 décembre 2023, 23-14.343, point 15).
Saisie à son tour, la Cour de cassation rappelle :
« que le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires s’oppose à ce que le juge judiciaire substitue sa propre appréciation à celle que l’autorité administrative a portée en application de ses pouvoirs de police spéciale, et que les tribunaux judiciaires ne sont compétents que pour se prononcer sur les dommages-intérêts à allouer aux tiers lésés par le voisinage d’une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE), ainsi que sur les mesures propres à faire cesser le préjudice que cette installation pourrait causer dans l’avenir, à condition que ces mesures ne contrarient pas les prescriptions édictées par l’administration en vertu des pouvoirs de police spéciale qu’elle détient (TC, 23 mai 1927, n° 755 ; 1re Civ., 25 janvier 2017, pourvoi n° 15-25.526, Bull. 2017, I, n° 28 ; 1re Civ., 8 novembre 2017, pourvoi n° 16-22.213) » (C. Cass. 3ème civ., 21 décembre 2023, 23-14.343, point 9).
La Cour de cassation rappelle que conformément à l’ordonnance du 27 janvier 2017 (JORF n°0023 du 27 janvier 2017), et depuis le 1er mars 2017, une autorisation environnementale unique regroupe en une seule procédure les autorisations, enregistrements, déclarations, absence d’opposition, approbations et agréments énumérés au I de l’article L. 181-2 du code de l’environnement, incluant ainsi l’autorisation délivrée au titre de la législation spéciale applicable aux installations classées pour la protection de l’environnement et la dérogation espèces protégées (Cass 3ème civ., 21 décembre 2023, 23-14.343, point 15).
La Cour souligne en particulier que l’autorisation environnementale issue de l’autorisation délivrée au titre de la police de l’eau sous l’empire du droit antérieur peut être utilement contestée au motif qu’elle n’incorpore pas, à la date à laquelle le juge statue, la dérogation dont il est soutenu qu’elle serait requise pour le projet de travaux en cause (C. Cass., 3ème civ., 21 décembre 2023, 23-14.343, point 15 ; CE, 22 juillet 2020, n° 429610).
La Cour relève encore que s’agissant des autorisations environnementales délivrées postérieurement au 1er mars 2017, selon un avis rendu le 9 décembre 2022 par le Conseil d’État (n° 463563), le système de protection des espèces résultant des dispositions des articles L.411-1 et suivants précités et des arrêtés des 23 avril 2007 et 29 octobre 2009, impose d’examiner si l’obtention de la dérogation prévue à l’article L.411-2 est nécessaire dès lors que des spécimens d’une de ces espèces sont présents dans la zone du projet et, que le pétitionnaire doit solliciter cette dérogation si le risque que son projet comporte pour ces espèces est suffisamment caractérisé, les mesures d’évitement et de réduction de ces atteintes qu’il propose, dont l’administration contrôle les garanties d’effectivité, étant prises en compte pour cette appréciation.
Bref, la Cour estime que la délivrance de la dérogation espèce naturelle est une possibilité soumise à l’appréciation de l’autorité administrative dans le cadre procédurale de l’autorisation environnementale et qu’il incombe à l’administration d’en apprécier la nécessité, sous le contrôle du juge administratif.
Dès lors pour la Haute juridiction judiciaire, « les autorisations environnementales délivrées au titre de la police de l’eau et de celle des ICPE constituent, quelle que soit leur date de délivrance, des autorisations globales uniques excluant la compétence du juge des référés judiciaire pour se prononcer sur une demande de suspension d’activité au motif du trouble manifestement illicite résultant de l’absence de dérogation à l’interdiction de destruction de l’une de ces espèces protégées ».
Cette mise au point de la Cour de cassation est d’autant plus la bienvenue que les immixtions de juges des référés des tribunaux judiciaires commençaient à se multiplier (par ex. TJ de Privas, 6 nov. 2023, n° RG003007, Association pour la Vallée de la Bourges c./ SAS les Etablissements Gontier – Congrégation religieuse La Famille Missionnaire de Notre Dame, signalé dans Droit de l’Environnement, n° 327, décembre 2023 p. 412).