Le cumul des sanctions pénale et administrative en I.C.P.E. objet d’une Q.P.C.

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) La chambre criminelle de la Cour de cassation par un arrêt du 28 septembre 2021 (N° X 21-90.034 F-D) a transmis au Conseil constitutionnel cette question prioritaire de constitutionnalité (QPC) : « 1.  La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :  « Les dispositions des articles L.173-1, II et L. 171-8  du code de l’environnement, en ce qu’elles permettent expressément  qu’une  société  soit  sanctionnée  deux  fois  pour  les  mêmes  faits  en  se   voyant  imposer  une  sanction  administrative,  d’une  part,  et  une  sanction  pénale,  d’autre  part,  pour  le  non-respect  des  dispositions  d’un  arrêté   préfectoral  de  mise  en  demeure,  sont-elles  conformes  au  principe  de   légalité des délits et des peines protégé par l’article  8  de  la    Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? ». Le principe non bis in idem au fondement de la légalité et des peines que consacre l’article 8 de la DDHC souffre-t-il le cumul des sanctions administratives et pénales ? C’est le débat engagé devant le Tribunal judiciaire de Boulogne par la société Spécitubes, entreprise spécialisée dans la fabrication de tubes en acier inoxydable, qui a été renvoyée devant le Tribunal correctionnel  pour exploitation d’une installation classée en violation d’une mise en demeure. Si cette QPC aboutit c’est le droit répressif des ICPE qui sera remis en cause. En tout état de cause, la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne semble pas d’emblée très favorable à un tel séisme dès lors que les garanties exigées par les sages semblent en l’espèce remplies (n° 89-260DC, 28 juillet 1989, considérants 6 à 18 – 92-307DC : RJC, Litec, p. 493 note D. Loschack). Mais il est vrai que comme nous l’avions relevé avant l’entrée en vigueur de la QPC, la loi ICPE n’a jamais été examinée par le juge constitutionnel sous cet angle et qu’en tout état de cause le principe non bis in idem devrait trouver à s’appliquer (D. Deharbe, Le droit de l’environnement industriel, LITEC, 2002, p. 31ç-320, n° 352 et 353) Affaire à suivre avec le plus grand intérêt devant le Conseil constitutionnel sous le n° 2021-953 QPC…

Le projet de confinement de Stocamine objet d’un référé suspension

Par Maître David Deharbe (Green Law Avocats) Le 10 septembre dernier la collectivité européenne d’Alsace a déposé une requête en référé-suspension contre l’enfouissement total des 42 000 tonnes de déchets dangereux déjà stockés dans la mine de Wittelsheim (communiqué de presse de la CEA) qui a été exploitée par Stocamine, la filiale des MDPA (Mines de potasse d’Alsace) La collectivité veut empêcher un confinement qu’elle considère comme étant irréversible et pour ce motif illégal. Rappelons que ce stockage de déchets ultimes industriels qui a réceptionné 44 000 tonnes entre 1999 et 2002 de déchets dangereux, après avoir été autorisé comme installation de stockage de déchet de classe 1 en février 1997 a connu un incendie en septembre 2002 stoppant l’exploitation de Stocamine. Un arrêté préfectoral du 23 mars 2017 a autorisé le confinement illimité des déchets et imposé le retrait des déchets de mercure, qui sont les plus polluants pour les eaux souterraines ; l’arrêté impose en plus la mise en place de mesures supplémentaires (galerie de contournement des eaux d’infiltration, sondage de décompression…) pour éviter toute remontée de saumure polluée  et une surveillance de la nappe et de la remontée des eaux. Sous le Ministère de Ségolène Royal environ 2200 tonnes de déchets mercuriels avaient été remontés pour être stockés en mine de sel allemande. Depuis le Ministère de l’Ecologie est confronté à l’alternative suivante : l’enfouissement des 42000 tonnes des déchets restants ou leur extraction… la décision a tardé et finalement l’enfouissement sans déstockage supplémentaire a été confirmé en janvier 2021par Barbara Pompili. Les travaux d’enfouissement dans la mine de Wittelsheim sont censé démarrer à la mi-octobre 2021, le juge des référés du Tribunal administratif de Nancy devra se prononcer sur leur éventuelle suspension. Affaire à suivre …

Le juge accélérateur des procédures environnementales

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) C’est sans doute dans l’air du temps : le droit de l’environnement moderne semble donner plus de moyens à l’administré, porteur de projet p pour obtenir du corps préfectoral et des DREALs qu’ils instruisent avec plus de célérité les dossiers ICPE d’enregistrement ou d’autorisation. On en prendra deux exemples récents en jurisprudence qui démontrent que même face au silence de l’administration, le juge peut être utilement mobilisé. I/ Les faits de la première espèce  (CAA Douai, 15 juin 2021, n° 20DA00218 ; téléchargeable  sur doctrine) concernent une procédure d’autorisation unique expérimentale d’un parc éolien. Sur le fondement de l’ordonnance du 20 mars 2014 relative à l’expérimentation d’une autorisation unique en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, la société Ferme Eolienne de la région de Guise a présenté au préfet de l’Aisne, le 28 décembre 2016, une demande d’autorisation unique de construire et d’exploiter, sur le territoire des communes de Noyales et d’Aisonville-et-Bernoville, un parc éolien, composé de neuf aérogénérateurs et d’un poste de livraison. La société Ferme éolienne de la région de Guise a complété cette demande le 15 février 2018 et, alors que l’autorité environnementale, saisie le 23 avril 2018 du dossier de la demande, n’a émis aucune observation dans le délai du deux mois imparti par l’article R. 122-7 du code de l’environnement, une enquête publique, ouverte par arrêté préfectoral du 10 décembre 2018, s’est déroulée du 7 janvier au 7 février 2019 et s’est conclue par un avis favorable du commissaire-enquêteur émis dans un rapport établi le 5 mars 2019. Par un arrêté du 15 mai 2019, le préfet de l’Aisne, après avoir recueilli l’accord de la société pétitionnaire et afin de soumettre pour avis la demande à la formation sites et paysages de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, a prorogé le délai d’instruction de la demande de six mois, jusqu’au 5 décembre 2019. En vertu de l’article 20 du décret du 2 mai 2014 relatif à l’expérimentation d’une autorisation unique en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, le silence gardé sur la demande par le représentant de l’Etat jusqu’à l’issue de la prorogation du délai d’instruction a fait naître, le 6 décembre 2019, un rejet implicite de la demande d’autorisation unique présentée par la société Ferme éolienne de la région de Guise, dont cette société a demandé les motifs par un courrier parvenu à la préfecture de l’Aisne le 5 février 2020. Si le préfet de l’Aisne a répondu à la société requérante dans le mois suivant sa demande de communication des motifs, par un courrier du 18 février 2020, cette lettre s’est bornée à indiquer que le dossier était toujours en cours d’instruction et qu’une décision serait rendue au plus tard le 5 mai 2020. Selon la Cour administrative d’appel de Douai, « Si le préfet de l’Aisne a répondu à la société requérante dans le mois suivant sa demande de communication des motifs, par un courrier du 18 février 2020, cette lettre s’est bornée à indiquer que le dossier était toujours en cours d’instruction et qu’une décision serait rendue au plus tard le 5 mai 2020.  Par suite, et alors qu’il ne résulte d’aucune pièce versée au dossier que le délai d’instruction de la demande d’autorisation ait été prorogé au-delà du 5 décembre 2019, la société pétitionnaire est fondée à soutenir que la décision rejetant sa demande d’autorisation unique, intervenue le 6 décembre 2019, est entachée d’un défaut de motivation. Il y a lieu dès lors de l’annuler pour ce motif ». En effet aux termes de l’article L. 232-4 du code des relations entre le public et l’administration : « Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ». Finalement au visa des articles L. 911-2 et L911-3 du code de justice administrative et égard au motif d’annulation retenu, la Cour enjoint au  préfet de l’Aisne, ceci dans le délai de deux mois et sous astreinte de 200 euros par jour de retard,  qu’il prenne une nouvelle décision sur la demande présentée par la société Ferme éolienne de la région de Guise. Cette solution vaut assurément sous l’empire du nouveau régime de l’autorisation environnementale. En  effet le silence gardé par le préfet à l’issue des délais prévus par l’article R. 181-41 pour statuer sur la demande d’autorisation environnementale (en principe dans les deux mois à compter du jour de l’envoi par le préfet du rapport et des conclusions du commissaire enquêteur au pétitionnaire) vaut décision implicite de rejet (cf. art. R. 181-42 C. envir.). Ainsi tout comme son régime expérimental avant elle, la réforme de l’autorisation environnementale entrée en vigueur le 1er  mars 2017 met un terme à la jurisprudence Tchijakoff : le Conseil d’État jugeait que l’absence de prorogation du délai d’instruction à l’issue des 3 mois suivant la transmission du rapport du commissaire enquêteur (ancien délai imparti au préfet pour statuer) ne faisait pas naître de décision implicite de rejet et ne dessaisissait plus le préfet (CE, 9 juin 1995, Tchijakoff : JurisData n° 1995-046179 ; Rev. jur. env. 1996, p. 164 ; LPA 28 nov. 1997). Et totalement décomplexés, à l’instar de la CAA de Douai, les juges du fond se trouvent ainsi en mesure de contraindre l’administration à statuer au moyen  injonction assortie d’une astreinte. II/ La deuxième espèce (TA Amiens, référé, ord. 29 avril 2021, n°2101013 et 2101200 ; décision obtenue par le cabinet) est elle-aussi riche d’enseignements sur l’efficacité du recours cette fois au juge des référés. Il est question dans ce cas d’une installation de méthanisation…

Sanction administrative et dérogation espèces protégées

Par Maître David DEHARBE, Green Law Avocats Voilà un arrêt du Conseil d’Etat (CE, 6ème – 5ème chambres réunies, 28 avril 2021, n° 440734) qui doit tout particulièrement retenir l’attention s’agissant des risques auxquels s’expose l’exploitant d’une installation classée titulaire d’une autorisation de dérogation de destruction d’espèce protégée, finalement annulée par le juge. En l’espèce, par un arrêté du 29 octobre 2015, complété par un arrêté du 9 mars 2018, le préfet du Doubs a autorisé la société Maillard à exploiter une carrière de roches massives calcaires au lieu-dit ” La Craie “, sur le territoire de la commune de Semondans (Doubs), après lui avoir délivré, pour ce même projet, une autorisation de dérogation au régime de protection des espèces en application de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, par un arrêté du 14 novembre 2014. Le tribunal administratif de Besançon ayant annulé ce dernier arrêté par un jugement du 21 septembre 2017 au motif qu’il était insuffisamment motivé, le préfet a délivré à la société Maillard, le 26 décembre 2017, une nouvelle autorisation de dérogation au régime de protection des espèces, laquelle a, à son tour, été annulée par un jugement, devenu définitif, du même tribunal administratif en date du 4 juillet 2019, au motif que la dérogation accordée n’était pas justifiée par une raison impérative d’intérêt public majeur au sens de l’article L. 411-2 du code de l’environnement. Par un arrêté du 4 octobre 2019, le préfet du Doubs a, en application de l’article L. 171-7 du code de l’environnement, d’une part, mis la société Maillard en demeure de régulariser sa situation administrative, soit en cessant son activité, soit en déposant une nouvelle demande d’autorisation environnementale pour tenir compte de l’annulation de la dérogation au régime de protection des espèces et, d’autre part, suspendu le fonctionnement de la carrière exploitée par cette société jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la régularisation demandée. La ministre de la transition écologique et solidaire se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 31 octobre 2019 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a, à la demande de la société Maillard, suspendu l’exécution de cet arrêté en tant qu’il porte sur la partie sud du site de la Craie correspondant à la ” phase 1 ” du projet d’exploitation de la carrière. Le Conseil d’Etat distingue deux situations juridiques différentes pour fixer le cadre des pouvoirs de sanction du préfet dans le cas où son arrêté de dérogation est définitivement annulé. La première hypothèse se singularise par le fait que la dérogation n’a pas encore été mise en œuvre. Dans ce cas pour le Conseil d’Etat : « lorsque la dérogation au régime de protection des espèces protégées prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement et délivrée en vue de permettre l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement, ou la partie de l’autorisation environnementale en tenant lieu, a fait l’objet d’une annulation contentieuse, il appartient au préfet de mettre en oeuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 171-7 du code de l’environnement précité en mettant l’exploitant en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu’il détermine et, le cas échéant, en édictant des mesures conservatoires pouvant aller jusqu’à la suspension de l’exploitation de l’installation en cause jusqu’à ce qu’il ait statué sur une demande de régularisation. Saisi d’une telle demande, il lui appartient d’y statuer en tenant compte de la situation de droit et de fait applicable à la date à laquelle il se prononce, notamment en tirant les conséquences de la décision juridictionnelle d’annulation et de l’autorité de chose jugée qui s’y attache, le cas échéant en abrogeant l’autorisation d’exploiter ou l’autorisation environnementale en tenant lieu ». Le deuxième scénario tient au fait que la destruction dérogatoire a déjà été exécutée. Selon l’arrêt, « Dans l’hypothèse où, en raison des travaux réalisés notamment sur le fondement de la dérogation au régime de protection des espèces protégées prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement avant qu’elle ne soit annulée pour un motif de fond, la situation de fait, telle qu’elle existe au moment où l’autorité administrative statue à nouveau, ne justifie plus la délivrance d’une telle dérogation, il incombe cependant au préfet de rechercher si l’exploitation peut légalement être poursuivie en imposant à l’exploitant, par la voie d’une décision modificative de l’autorisation environnementale si elle existe ou par une nouvelle autorisation environnementale, des prescriptions complémentaires. Ces prescriptions complémentaires comportent nécessairement les mesures de compensation qui étaient prévues par la dérogation annulée, ou des mesures équivalentes, mais également, le cas échéant, des conditions de remise en état supplémentaires tenant compte du caractère illégal des atteintes portées aux espèces protégées, voire l’adaptation des conditions de l’exploitation et notamment sa durée ». En l’espèce, le Conseil d’Etat considère qu’il n’y avait pas de doute sérieux quant à la légalité de la mise en demeure préfectorale même si selon le carrier l’exploitation de la zone en cause ne nécessitait pas une nouvelle dérogation dès lors qu’elle ne comportait plus d’espèces protégées puisqu’elle avait été défrichée et décapée jusqu’au toit du gisement sur le fondement d’une autorisation de défrichement devenue définitive et de la dérogation alors en vigueur. Pour la Haute juridiction  nous sommes bien dans la deuxième hypothèse, du moins à en croire l’exploitant, ce qui « ne fait pas obstacle à ce que le préfet, dans l’attente que l’autorisation environnementale soit, le cas échéant, complétée, mette en œuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 171-7 du code de l’environnement en édictant des mesures conservatoires, afin de tenir compte notamment des atteintes portées aux espèces protégées sur le fondement de la dérogation illégale, et en suspendant le fonctionnement de l’installation en cause ». Et en l’espèce le préfet « s’est borné à mettre en demeure la société Maillard de régulariser la situation de l’exploitation compte tenu de l’intervention de la décision juridictionnelle annulant la dérogation au régime des espèces protégées et à suspendre, dans l’attente du dépôt d’une demande de régularisation ». Cet arrêt ouvre la voie à une acception écologique…

Feuille de route 2021 de l’Inspection

Par Maître David DEHARBE (GREEN LAW AVOCATS) Comme chaque année, le ministère de la transition écologique a présenté dans le cadre de l’instruction ministérielle du 15 décembre 2020, les actions prioritaires de l’inspection des installations classées pour l’année 2021.  Sans doute, la prise en compte de l’accidentologie, en particulier l’incendie de l’usine de Lubrizol et l’explosion du port de Beyrouth, a-t-elle influencé les choix du ministère. Le texte identifie des actions thématiques prioritaires qui constituent des axes d’efforts à mener au niveau national auxquelles s’ajoutent des « actions au choix » limitativement énumérées, que le Préfet met en œuvre en fonction des spécificités et besoins de chaque région.  Ainsi, pour l’année 2021 seront considérées comme actions prioritaires : De la même manière, les actions régionales pourront concerner : Pour les besoins de la mise en œuvre de ces actions, outre la présence renforcée d’agents de terrain et l’augmentation des effectifs, Barbara Pompili évoque la mise en place d’un dispositif de vigilance renforcée s’agissant des sites faisant ou ayant fait  l’objet « d’incidents, d’accidents réguliers ou de non-conformités », précisant qu’« un plan d’actions spécifique sera demandé aux exploitants et fera l’objet de contrôles supplémentaires de la part de l’inspection des installations classées afin d’en vérifier la bonne mise en œuvre ».  Pour ces raisons, il conviendra pour les exploitants, d’anticiper le renforcement des contrôles éventuellement inopinés de la part des services de l’inspection des installation classées en s’assurant dans les meilleurs délais de la conformité de leur installation au regard des prescriptions de l’arrêté préfectoral permettant leur exploitation.