Sanction administrative et dérogation espèces protégées

Par Maître David DEHARBE, Green Law Avocats Voilà un arrêt du Conseil d’Etat (CE, 6ème – 5ème chambres réunies, 28 avril 2021, n° 440734) qui doit tout particulièrement retenir l’attention s’agissant des risques auxquels s’expose l’exploitant d’une installation classée titulaire d’une autorisation de dérogation de destruction d’espèce protégée, finalement annulée par le juge. En l’espèce, par un arrêté du 29 octobre 2015, complété par un arrêté du 9 mars 2018, le préfet du Doubs a autorisé la société Maillard à exploiter une carrière de roches massives calcaires au lieu-dit ” La Craie “, sur le territoire de la commune de Semondans (Doubs), après lui avoir délivré, pour ce même projet, une autorisation de dérogation au régime de protection des espèces en application de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, par un arrêté du 14 novembre 2014. Le tribunal administratif de Besançon ayant annulé ce dernier arrêté par un jugement du 21 septembre 2017 au motif qu’il était insuffisamment motivé, le préfet a délivré à la société Maillard, le 26 décembre 2017, une nouvelle autorisation de dérogation au régime de protection des espèces, laquelle a, à son tour, été annulée par un jugement, devenu définitif, du même tribunal administratif en date du 4 juillet 2019, au motif que la dérogation accordée n’était pas justifiée par une raison impérative d’intérêt public majeur au sens de l’article L. 411-2 du code de l’environnement. Par un arrêté du 4 octobre 2019, le préfet du Doubs a, en application de l’article L. 171-7 du code de l’environnement, d’une part, mis la société Maillard en demeure de régulariser sa situation administrative, soit en cessant son activité, soit en déposant une nouvelle demande d’autorisation environnementale pour tenir compte de l’annulation de la dérogation au régime de protection des espèces et, d’autre part, suspendu le fonctionnement de la carrière exploitée par cette société jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la régularisation demandée. La ministre de la transition écologique et solidaire se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 31 octobre 2019 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a, à la demande de la société Maillard, suspendu l’exécution de cet arrêté en tant qu’il porte sur la partie sud du site de la Craie correspondant à la ” phase 1 ” du projet d’exploitation de la carrière. Le Conseil d’Etat distingue deux situations juridiques différentes pour fixer le cadre des pouvoirs de sanction du préfet dans le cas où son arrêté de dérogation est définitivement annulé. La première hypothèse se singularise par le fait que la dérogation n’a pas encore été mise en œuvre. Dans ce cas pour le Conseil d’Etat : « lorsque la dérogation au régime de protection des espèces protégées prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement et délivrée en vue de permettre l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement, ou la partie de l’autorisation environnementale en tenant lieu, a fait l’objet d’une annulation contentieuse, il appartient au préfet de mettre en oeuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 171-7 du code de l’environnement précité en mettant l’exploitant en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu’il détermine et, le cas échéant, en édictant des mesures conservatoires pouvant aller jusqu’à la suspension de l’exploitation de l’installation en cause jusqu’à ce qu’il ait statué sur une demande de régularisation. Saisi d’une telle demande, il lui appartient d’y statuer en tenant compte de la situation de droit et de fait applicable à la date à laquelle il se prononce, notamment en tirant les conséquences de la décision juridictionnelle d’annulation et de l’autorité de chose jugée qui s’y attache, le cas échéant en abrogeant l’autorisation d’exploiter ou l’autorisation environnementale en tenant lieu ». Le deuxième scénario tient au fait que la destruction dérogatoire a déjà été exécutée. Selon l’arrêt, « Dans l’hypothèse où, en raison des travaux réalisés notamment sur le fondement de la dérogation au régime de protection des espèces protégées prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement avant qu’elle ne soit annulée pour un motif de fond, la situation de fait, telle qu’elle existe au moment où l’autorité administrative statue à nouveau, ne justifie plus la délivrance d’une telle dérogation, il incombe cependant au préfet de rechercher si l’exploitation peut légalement être poursuivie en imposant à l’exploitant, par la voie d’une décision modificative de l’autorisation environnementale si elle existe ou par une nouvelle autorisation environnementale, des prescriptions complémentaires. Ces prescriptions complémentaires comportent nécessairement les mesures de compensation qui étaient prévues par la dérogation annulée, ou des mesures équivalentes, mais également, le cas échéant, des conditions de remise en état supplémentaires tenant compte du caractère illégal des atteintes portées aux espèces protégées, voire l’adaptation des conditions de l’exploitation et notamment sa durée ». En l’espèce, le Conseil d’Etat considère qu’il n’y avait pas de doute sérieux quant à la légalité de la mise en demeure préfectorale même si selon le carrier l’exploitation de la zone en cause ne nécessitait pas une nouvelle dérogation dès lors qu’elle ne comportait plus d’espèces protégées puisqu’elle avait été défrichée et décapée jusqu’au toit du gisement sur le fondement d’une autorisation de défrichement devenue définitive et de la dérogation alors en vigueur. Pour la Haute juridiction  nous sommes bien dans la deuxième hypothèse, du moins à en croire l’exploitant, ce qui « ne fait pas obstacle à ce que le préfet, dans l’attente que l’autorisation environnementale soit, le cas échéant, complétée, mette en œuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 171-7 du code de l’environnement en édictant des mesures conservatoires, afin de tenir compte notamment des atteintes portées aux espèces protégées sur le fondement de la dérogation illégale, et en suspendant le fonctionnement de l’installation en cause ». Et en l’espèce le préfet « s’est borné à mettre en demeure la société Maillard de régulariser la situation de l’exploitation compte tenu de l’intervention de la décision juridictionnelle annulant la dérogation au régime des espèces protégées et à suspendre, dans l’attente du dépôt d’une demande de régularisation ». Cet arrêt ouvre la voie à une acception écologique…

Du droit dans la Stratégie régionale du trait de côte

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Le droit ne se loge pas toujours là où on pourrait le penser … Pour preuve, l’Etat, pourtant en charge du contrôle de légalité, se voit opposer par le Tribunal administratif de Montpellier (TA Montpellier 11 mars 2021 n°1905928) sa propre « Stratégie régionale de gestion intégrée du trait de côte » (SRGITC),  document contre lequel le représentant de le sous-préfet de Béziers invoquait « l’absence de caractère décisoire et de portée normative ». On sait que le juge administratif ne s’arrête pas à la forme d’un acte pour lui reconnaître, le cas échéant, un effet décisoire et qu’il peut aller très loin en la matière (instructions, circulaires impératives, contrat verbal, fax …). Dans notre cas commune de Vias (dans l’Hérault) avait décidé de contester les qualifications juridiques retenues par  la Stratégie régionale de gestion intégrée du trait de côte Occitanie (SRGITC), pour la période 2018-2050. A cette occasion le Tribunal montpelliérain écarte en ces termes la fin de non-recevoir opposée par le préfet à la commune : « 3. En l’espèce, alors que la Stratégie régionale de gestion intégrée du trait de côte Occitanie se présente comme une aide à la réflexion et à la décision pour définir les modes de gestion du trait de côte, elle comporte toutefois, dans le document qui la matérialise, des formulations impératives telles que « Les projets de protection seront conformes au tableau prévu au chapitre 5 de la présente stratégie » ou encore « La construction de nouveaux ouvrages de protection dure sur ces espaces est proscrite ». Il ressort toutefois des pièces du dossier que ces prescriptions qui, contrairement à ce que le préfet fait valoir, s’apparentent bien à des lignes directrices pour l’instruction par les services de l’Etat des demandes d’autorisation de travaux sur le domaine public maritime, et de subvention de ceux-ci, présentées par les communes littorales dont la côte, comme en l’espèce celle de la commune de Vias, est soumise à des phénomènes d’érosion constants que de telles lignes directrices sont ainsi susceptibles d’avoir des effets notables sur les territoires de ces communes. Il suit de là que la fin de non-recevoir opposée par le préfet doit être écartée ». Le droit mou qui devient dure lorsqu’il est qualifié de « lignes directrices » et illustre une fois de plus son importance en droit de l’environnement… Ce jugement peut être téléchargé depuis ce lien :

Fraude aux CEE : pas de retrait du nouveau compte détenteur

Par Maître David DEHARBE, Green Law Avocats Par un jugement avant dire droit n° 1802640 du 3 décembre 2020, le tribunal administratif de Dijon, avant de statuer sur la demande de la Société ayant acquis des certificats d’économie d’énergie (CEE) tendant à l’annulation de la décision du ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire en date du 28 juin 2018 prononçant leur retrait, a décidé, par application des dispositions de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d’Etat, en sollicitant un avis contentieux. Le Tribunal a soumis à l’examen de la la Haute juridiction la question de savoir si, dans l’hypothèse où des certificats ont été obtenus par fraude de leur premier détenteur, l’administration peut se fonder sur cette fraude pour prononcer le retrait du volume correspondant inscrit sur le compte de la société détentrice de ces certificats, alors même qu’aucun élément ne permet de considérer que cette dernière était en mesure d’en connaître le caractère frauduleux lors de leur inscription sur son compte. Le juge du fond, en cas de réponse positive à la question précédente, demandait encore au Conseil d’Etat s’il y a lieu d’élargir les conditions d’application de la solution dégagée par la décision du Conseil d’Etat n° 407149, 407198 du 5 février 2018 et de considérer que, lorsque l’administration constate que les certificats d’économie d’énergie inscrits au compte d’une société ont été obtenus par fraude de leur détenteur initial, elle doit apprécier, sous le contrôle restreint du juge, l’opportunité de procéder ou non au “retrait” de ces certificats du compte de cette société, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien de ces certificats soit de leur retrait. Le Conseil d’Etat répond dans un avis rendu le 24 février 2021 n°447326 (téléchargeable ici) que le second détenteur de certificat d’énergie ne peut pas se les voir annuler en raison de la fraude commise par leur premier détenteur. Etait en cause l’articulation des dispositions du Code de l’énergie et du CRPA (code des relations entre le public et l’administration) relative au cadre général du retrait des actes administratifs. On sait que l’article L. 241-2 du CRPA dispose que “Par dérogation aux dispositions du présent titre, un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré.” Aux visas des articles L. 221-1, L. 221-7, L. 221-8, R. 221-26 et L. 222-8 du code de l’énergie, le Conseil d’Etat considère « qu’en définissant aux articles L. 22262 et L. 22-8 du code de l’énergie que les sanctions administratives et pénales auxquelles s’expose l’auteur d’un manquement aux dispositions législatives et réglementaires relatives aux certificats d’économie d’énergie, le législateur a déterminé l’ensemble des conséquences légales susceptibles d’être tirées d’un tel manquement ». « Par suite, lorsque le ministre chargé de l’énergie établit que les certificats d’économie d’énergie ont été obtenus de manière frauduleuse par leur premier détenteur, il peut prononcer à l’encontre de celui-ci, dans les conditions et selon la procédure prévue au code l’énergie, les sanctions mentionnées à l’article L. 222-2 de ce code et notamment, en application du 3° de cet article, l’annulation des certificats d’économie d’énergie qu’il déteint, pour un volume égal à celui concerné par la fraude. Mais ces dispositions particulières font obstacle à ce que le ministre puisse, indépendamment de leur mise en œuvre, prononcer le retrait de la décision d’octroi des certificats sur le fondement des dispositions générales de l’article L. 241-2 du code des relations entre le public et l’administration […] et à ce qu’il procède à l’annulation de ces certificats en conséquence de ce retrait ». « Il s’ensuit qu’en l’absence de toute disposition du code de l’énergie l’y habilitant, le ministre chargé de l’énergie ne peut, dans l’hypothèse où les certificats d’économie d’énergie acquis de manière frauduleuse par leur premier détenteur ont été cédé à un tiers, faire procéder à l’annulation des certificats litigieux dans le compte du nouveau détenteur ».

Manèges et troubles anormaux sur le domaine public

Par maître Isabeau LESTIENNE (Green Law Avocats) Par un jugement du 23 décembre 2020 (TA Lyon 23 décembre 2020 1606996 et 1608567), le tribunal administratif de Lyon a admis la demande indemnitaire d’une riveraine de Lyon pour obtenir réparation des préjudices qu’elle subissait du fait de l’installation de la « Grande Roue » sur la place Bellecour. Depuis 2006, le maire de Lyon autorise les exploitants de l’attraction foraine la « Grande roue » à installer celle-ci sur la place Bellecour. L’installation est autorisée chaque année  pour une durée de 100 jours et fonctionne sur de larges amplitudes d’horaires. La requérante soutenait que la responsabilité de la commune devait être engagée, même en l’absence de faute, en raison de la dégradation de son état de santé du fait du fonctionnement de la « Grande roue ». Elle réclamait 562 464 euros en réparation du préjudice professionnel et 40 000 euros en réparation des préjudices de toute nature que lui ont causés les autorisations du maire de Lyon d’installer une attraction foraine sur le domaine public.  Le tribunal, prenant appui sur le rapport judiciaire d’expertise médicale du 10 novembre 2011, a constaté que la requérante présentait différents symptômes affectant tant « son équilibre physique que psychologique et qui sont liés au mouvement circulaire de l’attraction foraine de type « Grande roue » située à proximité des fenêtres de son habitation principale, qui, dans leur majorité, ouvrent sur cette place ». Ces préjudices relatifs aux troubles physiques et psychiques provoqués par les effets lumineux pendant les phases d’exploitation de la « Grande Roue » avaient déjà été reconnus par la Cour administrative d’appel de Lyon (2 avril 2015 n°14LY00178). Effectivement dans cette affaire le juge avait admis le caractère anormal et spécial du préjudice concernant les troubles de toute nature dans ses conditions d’existence. Ce préjudice est anormal en raison du caractère invalidant des vertiges dont est affecté la requérante et spécial puisqu’il est susceptible d’affecter les seuls riverains de la place victimes de vertiges dus à la stimulation optocinétique que peut générer ce type d’installation. Le tribunal constate alors que les troubles subis par la requérante outrepassent ceux qu’un riverain du domaine public doit normalement supporter et ne sont pas équivalents à ceux auxquels sont communément exposés les riverains des axes de circulation. Le juge considère donc que la requérante est fondée à demander réparation de ce préjudice anormal. Cependant le tribunal recadre le montant du préjudice réclamé par la requérante et fixe celui-ci à 12 000 euros. En effet le tribunal a estimé que la requérante n’avait pas démontré que ses arrêts de travail prolongés après l’enlèvement de la « Grande roue » étaient bien imputables au manège ni même son placement en invalidité.

Feuille de route 2021 de l’Inspection

Par Maître David DEHARBE (GREEN LAW AVOCATS) Comme chaque année, le ministère de la transition écologique a présenté dans le cadre de l’instruction ministérielle du 15 décembre 2020, les actions prioritaires de l’inspection des installations classées pour l’année 2021.  Sans doute, la prise en compte de l’accidentologie, en particulier l’incendie de l’usine de Lubrizol et l’explosion du port de Beyrouth, a-t-elle influencé les choix du ministère. Le texte identifie des actions thématiques prioritaires qui constituent des axes d’efforts à mener au niveau national auxquelles s’ajoutent des « actions au choix » limitativement énumérées, que le Préfet met en œuvre en fonction des spécificités et besoins de chaque région.  Ainsi, pour l’année 2021 seront considérées comme actions prioritaires : De la même manière, les actions régionales pourront concerner : Pour les besoins de la mise en œuvre de ces actions, outre la présence renforcée d’agents de terrain et l’augmentation des effectifs, Barbara Pompili évoque la mise en place d’un dispositif de vigilance renforcée s’agissant des sites faisant ou ayant fait  l’objet « d’incidents, d’accidents réguliers ou de non-conformités », précisant qu’« un plan d’actions spécifique sera demandé aux exploitants et fera l’objet de contrôles supplémentaires de la part de l’inspection des installations classées afin d’en vérifier la bonne mise en œuvre ».  Pour ces raisons, il conviendra pour les exploitants, d’anticiper le renforcement des contrôles éventuellement inopinés de la part des services de l’inspection des installation classées en s’assurant dans les meilleurs délais de la conformité de leur installation au regard des prescriptions de l’arrêté préfectoral permettant leur exploitation.