Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)
Par une décision en date du 24 novembre 2023 (req. n°428409), le Conseil d’État condamne l’État au paiement de deux astreintes de 5 millions d’euros pour les deux semestres allant de juillet 2022 à juillet 2023, au vu de la persistance de la pollution dans ces deux zones mais également des améliorations constatées (téléchargeable ci-dessous).
Pour mémoire, dans une décision du 12 juillet 2017 (req. n° 394254), le Conseil d’État , a annulé les décisions implicites du Président de la République, du Premier ministre et des ministres chargés de l’environnement et de la santé refusant de prendre toutes mesures utiles et d’élaborer des plans permettant de ramener, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 en-deçà des valeurs limites fixées par le droit de l’Union européenne (article 23 et annexe XI de la directive n°2008/50/CE du 21 mai 2008, JO L 152 du 11.6.2008, p. 1–44).
Dans cette même décision, la Haute juridiction a enjoint au Premier ministre et au ministre chargé de l’environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour chacune des zones administratives de surveillance (ZAS) :
- S’agissant des taux de concentration en dioxyde d’azote, les zones urbaines régionales (ZUR) Rhône-Alpes, Paris Ile-de-France, Marseille Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Toulon Provence- Alpes-Côte-d’Azur, Nice Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Saint-Etienne Rhône-Alpes, Grenoble Rhône-Alpes, Lyon Rhône-Alpes, Strasbourg Alsace, Montpellier Languedoc-Roussillon, Champagne-Ardenne et Toulouse Midi-Pyrénées ;
- Et, s’agissant des taux de concentration en particules fines PM10, les ZUR Rhône-Alpes, Paris Ile-de-France et ZUR Martinique, un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement dans le délai le plus court possible et de le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.
Constatant que l’État ne pouvait être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes propres à assurer l’exécution complète de cette décision, le Conseil d’État, a, par une nouvelle décision du 10 juillet 2020 (req n°428409), prononcé une astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard, à compter de l’expiration d’un délai de six mois suivant la notification de sa décision (pour en savoir plus consultez notre commentaire).
Enfin, après avoir relevé que l’État n’avait pas entièrement exécuté les décisions des 12 juillet 2017, 10 juillet 2020 et 4 août 2021 précitées pour les zones à risque – agglomération (ZAG) Paris, Marseille-Aix, Lyon et Toulouse s’agissant des taux de concentration en dioxyde d’azote, la Haute juridiction a jugé qu’il y avait lieu de procéder à la liquidation provisoire de l’astreinte pour la période de deux semestres courant du 11 juillet 2021 au 11 juillet 2022 inclus et a condamné l’État à verser la somme de 20 millions d’euros, répartie entre les bénéficiaires désignés par la décision du 4 août 2021 (CE, 17 octobre 2022, n° 428409, pour en savoir plus, consultez notre commentaire).
I. La fin du dépassement des seuils de particules fines, une amélioration relevée par le juge de l'exécution
Dans sa décision du 17 octobre 2022, le Conseil d’État a retenu que la ZAG Paris était la seule zone où des dépassements des taux de concentration en particules fines PM10 demeuraient et où les décisions du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020 ne pouvaient être regardées comme exécutées, mais a relevé qu’aucun dépassement n’y avait été constaté en 2021 (req n° 428409, point 6).
En examinant la concentration des polluants, le Conseil d’État note que Paris, qui était la dernière zone avec dépassement des seuils de pollution en matière de particules fines PM10, n’a pas connu de dépassement en 2022, confirmant ainsi les mesures réalisées en 2020 et 2021 (CE, 24 novembre 2023, req. n° 428409, point 7).
En conséquence, le juge ordonnateur estime que la décision du 12 juillet 2017 sur le volet de la concentration en particules fines est considérée comme exécutée (CE, 24 novembre 2023, req. n° 428409, point 7).
II. La persistance des dépassements de dioxyde d'azote dans certaines zones
Dans sa dernière décision d’octobre 2022, le Conseil d’État avait identifié quatre zones urbaines connaissant encore des dépassements de seuils de dioxyde d’azote : Paris, Lyon, Toulouse et Marseille-Aix (req n° 428409, point 6).
Après examen des seuils de dioxyde d’azote, le juge ordonnateur considère que la décision de 2017 est exécuté concernant la ZAG de Toulouse sachant qu’en 2022, cette zone ne présente plus de dépassement de la valeur limite de dioxyde d’azote (CE, 24 novembre 2023, n°428409, points 8 et 9).
Concernant la ZAG de Marseille-Aix, la Haute juridiction estime que la décision de 2017 est aussi exécuté au vu des éléments suivants :
- Le plan de protection de l’atmosphère (PPA) rénové de mai 2022 comporte notamment des mesures relatives au transport maritime et automobile en milieu urbain, et qu’une zone à faibles émissions mobilité (ZFE-m), couvrant le centre-ville élargi de Marseille a été instaurée le 1er septembre 2022 (CE, 24 novembre 2023, n°428409, point 11) ;
- Aucun dépassement n’a été observé dans la zone Marseille-Aix en 2022 même si la situation demeure fragile dans cette zone, une station de mesure enregistrant un seuil de pollution juste en dessous de la limite de 40 μg/m3 (39 μg/m3 en moyenne sur l’année civile) (CE, 24 novembre 2023, n°428409, point 11) ;
- Les différentes mesures semblent suffisamment précises et détaillées pour que le respect des valeurs limites de concentration en dioxyde d’azote, constaté en 2022, se poursuive dans cette zone (CE, 24 novembre 2023, n°428409, point 11).
Toutefois pour les ZAG de Lyon et Paris, le Conseil d’État estime que la décision de 2017 n’est pas exécutée malgré les mesures prises par l’État (CE, 24 novembre 2023, n°428409, point 15) :
- A Lyon, le Conseil d’État relève qu’il reste une station de mesure présentant encore un dépassement significatif (47 μg/m3) (CE, 24 novembre 2023, n°428409, point 12) ;
- Les mesures déjà mises en œuvre et à venir (PPA rénové et ZFE-m étendue aux voies rapides) ne garantissent pas que la concentration en dioxyde d’azote descende en dessous du seuil réglementaire de 40 μg/m3 dans les délais les plus courts possibles (CE, 24 novembre 2023, n°428409, point 12) ;
- L’interdiction de circulation des véhicules avec une vignette Crit’Air 3, a également été repoussée par la Métropole du Grand Paris au 1er janvier 2025 (CE, 24 novembre 2023, n°428409, point 13) ;
- Aucune mesure nouvelle permettant de réduire de façon significative et rapide les taux de concentration en dioxyde d’azote sur la zone de Paris n’a ainsi été mise en œuvre depuis la décision du Conseil d’État en 2022 (CE, 24 novembre 2023, n°428409, point 13) ;
- Des mesures générales relatives au secteur des transports sont prises pour l'ensemble du territoire national mais sans être déterminées pour les ZAG Lyon et Paris (CE, 24 novembre 2023, n°428409, point 14).
III. Diminution du montant des astreintes pour l'exécution partielle de la décision du 12 juillet 2017
Sachant que la décision du 12 juillet 2017 ne peut être considérée comme totalement exécutée au regard de la situation à Lyon et à Paris, la Haute juridiction, condamne l’État au paiement de deux astreintes minorées de 5 millions d’euros pour le second semestre 2022 et le premier de 2023, divisant par deux le montant de l’astreinte par semestre de retard.
Plus précisément, ce montant a été fixée en raison à la fois de la persistance du dépassement, en région parisienne notamment, et des améliorations constatées (6 des 8 zones identifiées comme problématiques dans la décision de juillet 2020 ne présentent plus de dépassement) (CE, 24 novembre 2023, n°428409, point 16).
L’astreinte sera de nouveau répartie entre l’association Les Amis de la Terre qui a saisi initialement le Conseil d’État en 2017 et plusieurs organismes et associations engagés dans la lutte contre la pollution de l’air, sur la base de la répartition retenue dans la décision du 4 août 2021 (CE, 24 novembre 2023, n°428409, point 18).