Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)
Le Conseil d’Etat vient de dire pour droit que si la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale est un acte faisant grief susceptible d’être déféré au juge après exercice d’un recours administratif préalable, tel n’est pas le cas de l’acte par lequel l’autorité environnementale décide de dispenser d’évaluation environnementale un plan, schéma, programme ou autre document de planification mentionné à l’article L. 122-4 du code de l’environnement (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 06 avril 2016, n°395916, Mentionné dans les tables du recueil Lebon)
Un tel acte a le caractère d’une mesure préparatoire à l’élaboration de ce plan, schéma, programme ou document, insusceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir. La décision de dispense d’évaluation environnementale pourra, en revanche, être contestée à l’occasion de l’exercice d’un recours contre la décision approuvant le plan, schéma, programme ou document.
- Rappel du contexte
L’article L. 113-1 du code de justice administrative autorise les juridictions du fond à sursoir à statuer en attendant l’avis du Conseil d’Etat sur « une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges ».
Le tribunal administratif de Melun a, par un jugement n° 1307386 du 17 décembre 2015, utilisé cette procédure car il rencontrait une difficulté sérieuse en matière de dispense d’évaluation environnementale à la suite d’un examen au cas par cas. Les faits de l’espèce étaient les suivants : par une décision du 22 mai 2013, le préfet de Seine-et-Marne a dispensé d’évaluation environnementale l’élaboration du plan de prévention des risques technologiques autour de plusieurs établissements. Un individu a demandé, par la voie du recours en excès de pouvoir, l’annulation de cette décision.
Avant de se prononcer sur le fond du litige, le tribunal administratif devait, au préalable, déterminer si ce recours était recevable au regard de la nature de l’acte contesté. Il s’est toutefois retrouvé confronté à une difficulté juridique.
Rappelons qu’aux termes du I de l’article L. 122-4 du code de l’environnement, font l’objet d’une évaluation environnementale « les plans, schémas, programmes et autres documents de planification susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation de travaux ou prescrire des projets d’aménagement, sont applicables à la réalisation de tels travaux ou projet ».
Le IV du même article prévoit qu’un décret en Conseil d’Etat définit les plans, schémas, programmes et documents qui font l’objet d’une évaluation environnementale « après un examen au cas par cas effectué par l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement ».
Ca décret a bien été édicté. Désormais, le 2° du tableau du II de l’article R. 122-17 du même code prévoit qu’est susceptible de « faire l’objet d’une évaluation environnementale après un examen au cas par cas » un « Plan de prévention des risques technologiques prévu par l’article L. 515-15 du code de l’environnement ».
Il est donc indéniable qu’un plan de prévention des risques technologiques est susceptible de faire l’objet d’une évaluation environnementale s’il en est décidé ainsi après un examen au cas par cas.
En ce qui concerne les voies de recours contre les décisions imposant la réalisation d’une évaluation environnementale, il convient de constater que cette décision est susceptible de recours contentieux lorsque celui-ci est précédé d’un recours administratif préalable devant l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement qui a pris la décision (article R. 122-18, IV du code de l’environnement), c’est-à-dire, en principe, devant le Préfet de département (article R. 122-17 II, 2° du code de l’environnement).
Le code de l’environnement reste, en revanche, muet concernant les éventuels recours contre les décisions de dispense d’évaluation environnementale.
C’est la raison pour laquelle le tribunal administratif de Melun a transmis Conseil d’Etat la question suivante :
« La décision par laquelle l’autorité administrative compétente en matière d’environnement décide, à l’issue de la procédure d’examen au cas par cas prévue par les dispositions de l’article R. 122-18 du code de l’environnement, de dispenser la personne publique responsable de l’élaboration du plan, schéma ou programme de réaliser une évaluation environnementale présente-t-elle un caractère décisoire permettant aux tiers de former à son encontre un recours contentieux direct. »
Cette question implique, en réalité, de répondre à deux sous-questions :
- Quelle est la nature juridique d’une dispense d’évaluation environnementale ?
- La dispense environnementale peut-elle être contestée directement par les tiers par la voie du recours en excès de pouvoir ?
Au regard de ces différents textes et du silence du code de l’environnement concernant les dispenses d’évaluation environnementale après un examen au cas par cas, le Conseil d’Etat a considéré que :
« Si la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale est, en vertu du IV de l’article R. 122-18 du code de l’environnement précité, un acte faisant grief susceptible d’être déféré au juge de l’excès de pouvoir après exercice d’un recours administratif préalable, tel n’est pas le cas de l’acte par lequel l’autorité de l’Etat compétente en matière d’environnement décide de dispenser d’évaluation environnementale un plan, schéma, programme ou autre document de planification mentionné à l’article L. 122-4 du code de l’environnement. Un tel acte a le caractère d’une mesure préparatoire à l’élaboration de ce plan, schéma, programme ou document, insusceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir, eu égard tant à son objet qu’aux règles particulières prévues au IV de l’article R. 122-18 du code de l’environnement pour contester la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale. La décision de dispense d’évaluation environnementale pourra, en revanche, être contestée à l’occasion de l’exercice d’un recours contre la décision approuvant le plan, schéma, programme ou document. »
Le Conseil d’Etat raisonne donc en plusieurs temps.
- En premier lieu, il rappelle que la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale peut faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir si elle est précédée d’un recours administratif préalable.
- En deuxième lieu, le Conseil d’Etat constate qu’il n’en est rien concernant les dispenses d’évaluation environnementale, celles-ci n’étant pas visées à l’article R. 122-18 du code de l’environnement.
- En troisième lieu, il se prononce sur la nature juridique de la dispense d’évaluation environnementale. La dispense d’évaluation environnementale constitue, pour le Conseil d’Etat, d’une mesure préparatoire. Dès lors, elle ne peut être déférée au juge de l’excès de pouvoir.
La Cour administrative d’appel de Douai avait adopté une solution très différente en matière d’études d’impact. Elle avait considéré que « la décision par laquelle l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement dispense d’étude d’impact un projet qui relève d’un examen au cas par cas ne constitue pas une simple mesure préparatoire à la décision susceptible d’être prise à l’issue de la procédure mais peut, avant le terme de celle-ci, faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir directement porté devant la juridiction administrative » (CAA Douai, 15 octobre 2015, n° 14DA01578 , Association le ROSO).
Il n’est pas certain que le Conseil d’Etat étende son avis sur les évaluations environnementales aux études d’impact dès lors que le caractère d’acte faisant grief peut plus facilement être prêté aux études d’impact (vocation informative, condition nécessaire à la réalisation d’une enquête publique, importance pour la prévention des dommages à l’environnement…).
- En quatrième et dernier lieu, le Conseil d’Etat déduit logiquement des constatations précédentes qu’il sera en revanche d’exercer un recours en excès de pouvoir contre la décision approuvant le plan, schéma, programme ou document. Il n’était pas tenu d’apporter cette précision qui excède le champ de la question posée par le tribunal administratif. Cette précision est toutefois très utile.
En conséquence, il est possible de déduire de cet avis qu’aucun recours direct n’est jamais possible contre une décision prise à la suite d’un examen au cas par cas :
- Si le Préfet de département décide qu’une évaluation environnementale est nécessaire, un recours administratif préalable est obligatoire avant tout recours contentieux ;
- Si le Préfet de département décide qu’une évaluation environnementale n’est pas nécessaire, il sera nécessaire d’attendre la décision finale d’approbation du plan, schéma, programme ou document pour pouvoir contester la dispense.
Il n’est toutefois pas certain que cette solution, rendue en matière d’évaluation environnementale, puisse être étendue par le Conseil d’Etat aux études d’impact. Si tel devait être le cas, sa motivation, éclairée par les conclusions du rapporteur public, sera sans doute très intéressante à commenter.