Urbanisme/ICPE : l’obligation de vérifier les règles de distances d’éloignement ICPE pour l’autorité d’urbanisme est elle une nouvelle atteinte au principe d’indépendance des législations? (CE, 24 février 2016, n°380556)

Haus im GrnenPar Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)

Le Conseil d’Etat pourrait, une nouvelle fois, avoir porté atteinte au principe d’indépendance des législations entre l’urbanisme et le droit des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), en jugeant qu’il appartient à l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire un bâtiment à usage d’habitation de vérifier le respect des dispositions législatives ou réglementaires fixant de telles règles de distance, quelle qu’en soit la nature.

En effet, dans une décision mentionnée dans les tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a précisé que les règles de distance imposées lors de l’implantation d’un bâtiment agricole en vertu, en particulier, de la législation relative aux ICPE étaient applicables, par effet de réciprocité, à la délivrance du permis de construire une habitation située à proximité de ce bâtiment. L’autorité devant délivrer le permis de construire un bâtiment à usage d’habitation doit donc désormais vérifier si les règles d’implantation sont bien respectées lors de l’instruction de la demande de permis de construire (Conseil d’État, 1ère / 6ème SSR, 24 février 2016, n°380556, Mentionné dans les tables du recueil Lebon).

Dans cette affaire, une autorisation d’urbanisme fut délivrée par le Préfet pour la construction d’une maison individuelle, située à moins de cent mètres d’une exploitation agricole soumise au régime des ICPE. Un jugement du tribunal administratif de Strasbourg a annulé le permis de construire mais il a été infirmé par la Cour administrative d’appel de Nancy dans un arrêt du 24 mars 2014 (Cour Administrative d’Appel de Nancy, 24 mars 2014, n°13NC01531). L’exploitant agricole a, en conséquence, formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Etait en cause l’interprétation des dispositions de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime aux termes desquelles : ” Lorsque des dispositions législatives ou réglementaires soumettent à des conditions de distance l’implantation ou l’extension de bâtiments agricoles vis-à-vis des habitations et immeubles habituellement occupés par des tiers, la même exigence d’éloignement doit être imposée à ces derniers à toute nouvelle construction et à tout changement de destination précités à usage non agricole nécessitant un permis de construire, à l’exception des extensions de constructions existantes (…) “.

Etait également invoqué l’article 2.1.1 de l’annexe I de l’arrêté du ministre de l’écologie et du développement durable du 7 février 2005 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire, notamment, les élevages de bovins soumis à déclaration au titre du livre V du code de l’environnement : ” Les bâtiments d’élevage et leurs annexes sont implantés à au moins 100 mètres des habitations des tiers (…) “.

La Cour administrative d’appel de Nancy, dans son arrêt, avait jugé que l’arrêté du ministre de l’écologie et du développement durable du 7 février 2005 avait «  été pris en application de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, en particulier des articles L. 511-1 et L. 512-10 du code de l’environnement ; que, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, la vérification du respect des prescriptions contenues dans cet arrêté ne s’impose pas à l’autorité délivrant des autorisations d’urbanisme » (Cour Administrative d’Appel de Nancy, 24 mars 2014, n°13NC01531). En vertu du principe d’indépendance des législations, elle avait donc refusé de tenir compte des règles de distance applicables au regard de la législation ICPE lors de l’instruction du permis de construire.

A l’inverse, le Conseil d’Etat a considéré dans sa décision du 24 février 2016 qu’ « il résulte de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime que les règles de distance imposées, par rapport notamment aux habitations existantes, à l’implantation d’un bâtiment agricole en vertu, en particulier, de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement sont également applicables, par effet de réciprocité, à la délivrance du permis de construire une habitation située à proximité d’un tel bâtiment agricole ; qu’il appartient ainsi à l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire un bâtiment à usage d’habitation de vérifier le respect des dispositions législatives ou réglementaires fixant de telles règles de distance, quelle qu’en soit la nature ». Il en déduit alors que la Cour administrative d’appel de Nancy avait commis une erreur de droit en jugeant la vérification du respect des dispositions de l’arrêté du 7 février 2005 citées au point 2, dès lors qu’elles relevaient de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, ne s’imposait pas au préfet du Haut-Rhin pour la délivrance du permis de construire en litige.

Cette décision constitue un revirement dans la jurisprudence du Conseil d’Etat.

En effet, jusqu’à présent, la Haute Juridiction estimait que «  la vérification du respect des prescriptions contenues dans les arrêtés préfectoraux pris en application de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement ne s’impose pas à l’autorité délivrant des permis de construire, même lorsque ces prescriptions comportent des règles relatives à l’implantation de certaines constructions ; qu’ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de règles de distance fixées par un arrêté du préfet de la Haute-Saône du 3 août 1995, pris pour l’application des dispositions de l’article 10 de la loi du 19 juillet 1976 et fixant les prescriptions générales applicables aux élevages soumis à déclaration et relevant de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement, soulevé en première instance par M. F et autres, était inopérant ; » (Conseil d’État, 1ère sous-section jugeant seule, 02 février 2009, n°312131)

 

Plus encore, le Conseil d’Etat a expressément considéré que « l’arrêté du ministre de l’écologie et du développement durable du 7 février 2005 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire les élevages de bovins, de volailles et/ou de gibiers à plumes et de porcs soumis à autorisation au titre du livre V du code de l’environnement a été pris en application de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement, en particulier des articles L. 511-1 et L. 512-10 du code de l’environnement ; que la vérification du respect des prescriptions contenues dans cet arrêté ne s’impose pas à l’autorité délivrant des autorisations d’urbanisme ; qu’ainsi, c’est sans erreur de droit que le tribunal administratif a jugé que le moyen tiré de la méconnaissance des règles techniques fixées par ces prescriptions, notamment de distance et d’insertion dans le paysage, ne pouvait être utilement invoqué à l’encontre de l’arrêté en litige » (Conseil d’État, 6ème sous-section jugeant seule, 16 octobre 2013, n°357444)

Dans sa décision du 24 février 2016, le Conseil d’Etat conclut donc à l’inverse de la position qu’il avait adoptée le 16 octobre 2013. Ce revirement était prévisible dès lors que le Conseil d’Etat avait déjà commencé à remettre en cause sa position sur ce sujet, un mois seulement après l’édiction de la décision du 16 octobre 2013 (sol.impl. Conseil d’État, 10ème sous-section jugeant seule, 04/11/2013, 351538, Inédit au recueil Lebon).

 

Il convient néanmoins de mettre en exergue l’ambiguïté de la décision du Conseil d’Etat du 24 février 2016.

D’une part, le principe posé par le Conseil d’Etat est très général. Il semble pouvoir être transposé à chaque fois qu’un permis de construire est demandé à proximité d’une ICPE soumise à des règles d’implantation particulières. Néanmoins, une telle interprétation remettrait inévitablement en cause le principe d’indépendance des législations. Nous doutons que telle ait été la volonté du Conseil d’Etat.

D’autre part, cette solution pourrait, au contraire, avoir uniquement été dictée par la disposition du code rural et de la pêche maritime liant expressément l’urbanisme et la législation sur les ICPE. Sans le code rural et de la pêche maritime pour lier ces deux législations distinctes, le Conseil d’Etat n’aurait sans doute pas adopté une telle position. Soulignons en outre que le principe de réciprocité de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime aurait été privé d’effet si les distances d’implantation ne s’appliquaient pas à l’instruction des permis de construire s’implantant à proximité d’une ICPE. Une autre solution aurait à notre sens peut-être été plus pertinente pour sauvegarder l’étanchéité du principe d’indépendance des législations, sans recourir à cet article du code rural et de la pêche maritime : reconnaître l’erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme comme le suggérait en appel l’exploitant agricole…

En conséquence, il nous semble que la décision du Conseil d’Etat ne doit pas s’interpréter comme mettant un terme au principe d’indépendance des législations entre l’urbanisme et le droit des ICPE. Elle doit seulement s’analyser comme résultant d’une disposition spécifique du code rural et de la pêche maritime prévoyant des dispositions spéciales dérogeant au principe d’indépendance des législations en matière d’implantation à proximité de bâtiments agricoles. Nous invitons cependant, par précaution, l’ensemble des exploitants et les demandeurs d’autorisations d’urbanisme à s’assurer du respect des éventuelles distances d’implantation requises au titre de législations autres que celle sur l’urbanisme lorsqu’ils déposent une demande de permis de construire.