Installations photovoltaïques/ contrat de crédit affecté : une interdépendance assurant la protection et la réparation des consommateurs

Par Aurélien BOUDEWEEL – GREEN LAW AVOCATS   Par un jugement en date du 1er avril 2016 (TGI DRAGUIGNAN, 1er avril 2016, n°10/05680), le Tribunal de grande instance de DRAGUIGNAN a prononcé l’annulation des contrats de fourniture et de pose d’installation photovoltaïque au regard du non-respect des dispositions du Code de la consommation. De manière incidente, la juridiction civile prononce la nullité du contrat de crédit signé par les particuliers pour financer leur installation photovoltaïque dès lors que l’annulation du contrat principal est constatée. C’est une décision qui illustre l’état jurisprudentiel des litiges faisant intervenir deux contrats, l’un de vente d’une installation solaire, l’autre de crédit affecté. Rappelons que le crédit affecté est celui qui est consenti par un organisme de crédit à un consommateur lors de la conclusion d’un contrat de vente ou prestation de services afin de financer cette opération commerciale. Dans ce contrat, une double relation contractuelle se noue entre le professionnel, l’établissement de crédit et le consommateur : Un premier contrat, dit contrat principal, est conclu entre le professionnel et le consommateur, Une autre relation contractuelle se noue entre le consommateur et l’établissement de crédit. Ces deux relations contractuelles sont interdépendantes. En l’espèce, des particuliers avaient contracté auprès d’une société la livraison et la pose d’un système solaire photovoltaïque. L’acquisition s’était opérée au moyen d’un contrat de crédit affecté. Après avoir constaté que la société installatrice avait mal posé les panneaux et que la production d’électricité n’était pas celle annoncée contractuellement, les particuliers avaient assigné la société, installatrice de panneaux photovoltaïques et la banque en vue d’obtenir l’annulation ou la résolution du contrat de crédit. Saisi du litige, le Tribunal de grande instance de DRAGUIGNAN prononce l’annulation des deux contrats aux motifs que: « Les demandeurs sollicitent la nullité des contrats pour non-respect des dispositions du code de la consommation, motif pris de nombreuses mentions manquantes sur les contrats, en application des articles L 121 – 21 et suivants du code de la consommation. En l’occurrence, il est fait grief aux bons de commande de ne comporter qu’un prix unitaire des matériels commandés et non de chaque matériel, de ne pas comporter un formulaire de renonciation aisément détachable, de ne pas prévoir une clause indiquant que si la commande est annulée le consommateur peut utiliser le formulaire détachable, de ne pas présenter un formulaire détachable permettant lorsqu’il est détaché d’avoir accès à une partie essentielle du contrat, de ne pas comporter les modalités le délai de livraison des biens, de ne pas comporter la référence aux dispositions des articles du code de la consommation sur le formulaire annulation de commande, de ne pas faire figurer dans le formulaire détachable la mention de l’envoi par lettre recommandée avec avis de réception, de ne pas faire figurer sur des lignes différentes la mention du nom du client et son adresse. C’est à tort que la société X soutient que les dispositions de l’article L 121 – 21 ne sont pas applicables au cas d’espèce au regard de l’activité économique et professionnelle des emprunteurs. C’est également à tort que la société Z se prévaut de ce que le délai de livraison a bien été mentionné, étant observé qu’elle ne conclut pas sur le surplus des manquements allégué. Il apparaît au final que les manquements ne sont pas contestés (…)   S’agissant des crédits à la consommation, les effets de la nullité du contrat principal ressortent de l’article L311 – 21 du code de la consommation, selon lequel le contrat de crédit est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé.   S’agissant des crédits immobiliers, l’annulation du contrat principal emporte également celle du contrat de crédit par application de l’article L312 – 12 du code de la consommation. En effet, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation du contrat de construction, ce contrat est censé n’avoir pas été conclu dans le délai fixé par l’article L312 – 12 (délai de quatre mois édicté), de sorte que le prêt souscrit pour assurer le financement de l’ensemble de l’opération se trouve annulé de plein droit. Par conséquent, les demandeurs sont bien fondés à solliciter la nullité des contrats de crédit, souscrits auprès de Y aux droits de laquelle se trouve X et auprès de Z, en conséquence de l’anéantissement du contrat principal de construction, compte-tenu de l’interdépendance de ces contrats». Ce jugement du Tribunal de grande instance de DRAGUIGNAN est intéressant puisqu’il rappelle : le formalisme que doit respecter les contrats de vente de panneaux photovoltaïques (formalisme prévu par le code de la consommation) ; l’interdépendance du contrat principal et du contrat de crédit affecté. Sur le formalisme des contrats de vente : Notons que l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016 est venue réformer plusieurs dispositions du code de la consommation intéressant les opérations de démarchage. On retiendra que le nouvel article L221-5 du code de la consommation (ancien article L121-21) impose même des obligations plus étendues à la charge du professionnel puisque ce dernier doit informer le consommateur les informations suivantes : Préalablement à la conclusion d’un contrat de vente ou de fourniture de services, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations suivantes : Les informations prévues aux articles L. 111-1 et L. 111-2 ; 2° Lorsque le droit de rétractation existe, les conditions, le délai et les modalités d’exercice de ce droit ainsi que le formulaire type de rétractation, dont les conditions de présentation et les mentions qu’il contient sont fixées par décret en Conseil d’Etat ; Le cas échéant, le fait que le consommateur supporte les frais de renvoi du bien en cas de rétractation et, pour les contrats à distance, le coût de renvoi du bien lorsque celui-ci, en raison de sa nature, ne peut normalement être renvoyé par la poste ; L’information sur l’obligation du consommateur de payer des frais lorsque celui-ci exerce son droit de rétractation d’un contrat de prestation de services, de distribution d’eau, de fourniture de gaz ou…

ICPE – distances d’implantation entre un bâtiment agricole et une maison d’habitation : le Conseil d’État précise sa position (CE 8 juin 2016)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocats) L’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime dispose que  “Lorsque des dispositions législatives ou réglementaires soumettent à des conditions de distance l’implantation ou l’extension de bâtiments agricoles vis-à-vis des habitations et immeubles habituellement occupés par des tiers, la même exigence d’éloignement doit être imposée à ces derniers à toute nouvelle construction et à tout changement de destination précités à usage non agricole nécessitant un permis de construire, à l’exception des extensions de constructions existantes […].” Parmi les distances d’implantation devant être respectées entre les bâtiments agricoles et les habitations et immeubles occupés par des tiers, les élevages de bovins soumis à déclaration au titre du livre V du code de l’environnement doivent, notamment, être « implantés à au moins 100 mètres des habitations des tiers […] » (arrêté du ministre de l’écologie et du développement durable du 7 février 2005 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire, notamment les élevages de bovins soumis à déclaration au titre du livre V du code de l’environnement, annexe I, article 2.1.1). Jusqu’à très récemment, le Conseil d’Etat estimait que la vérification du respect des prescriptions contenues dans les arrêtés préfectoraux pris en application de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement ne s’imposait pas à l’autorité délivrant des permis de construire  (Conseil d’état, 1ère sous-section jugeant seule, 2 février 2009, n°312131 ; Conseil d’Etat, 6ème sous-section jugeant seule, 16 octobre 2013, n°357444) Cependant, dans une décision mentionnée dans les tables du recueil Lebon en février 2016, le Conseil d’Etat a opéré un revirement de jurisprudence en considérant que les règles de distance imposées lors de l’implantation d’un bâtiment agricole en vertu, en particulier, de la législation relative aux ICPE étaient applicables, par effet de réciprocité, à la délivrance du permis de construire une habitation située à proximité de ce bâtiment. L’autorité devant délivrer le permis de construire un bâtiment à usage d’habitation doit donc désormais vérifier si les règles d’implantation sont bien respectées lors de l’instruction de la demande de permis de construire (Conseil d’Etat, 1ère / 6ème ssr, 24 février 2016, n°380556, mentionné dans les tables du recueil Lebon : voir notre analyse ici). Il a, en effet, considéré qu’ « il résulte de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime que les règles de distance imposées, par rapport notamment aux habitations existantes, à l’implantation d’un bâtiment agricole en vertu, en particulier, de la législation relative aux installations classées pour la protection de l’environnement sont également applicables, par effet de réciprocité, à la délivrance du permis de construire une habitation située à proximité d’un tel bâtiment agricole ; qu’il appartient ainsi à l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire un bâtiment à usage d’habitation de vérifier le respect des dispositions législatives ou réglementaires fixant de telles règles de distance, quelle qu’en soit la nature » (Conseil d’Etat, 1ère / 6ème ssr, 24 février 2016, n°380556, mentionné dans les tables du recueil Lebon ). S’inscrivant dans le prolongement de cette décision, le Conseil d’Etat a, récemment, précisé les conditions d’application dans le temps de cette règle. Il s’agit de la décision présentement commentée (Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, 8 juin 2016, n°383638, Mentionné dans les tables du recueil Lebon). Dans cette affaire, deux permis de construire pour la réalisation de maisons à usage d’habitation ont été délivrés en 2008 à 50 mètres des bâtiments d’élevage de bovins d’une exploitation agricole, déclarée au titre des dispositions du livre V du code de l’environnement. Un véritable feuilleton judiciaire s’en est suivi. L’exploitant agricole a demandé au tribunal administratif de Pau d’annuler les deux permis de construire. Par un jugement n° 0802254, 0802255 du 4 mai 2010, le tribunal administratif a fait droit à sa demande. La cour administrative d’appel de Bordeaux, faisant droit à l’appel formé par le ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, a annulé ce jugement, par un arrêt n° 10BX02035 du 7 juin 2011. Un pourvoi a alors été formé par l’exploitant agricole devant le Conseil d’Etat. Par une décision n° 351538 du 4 novembre 2013, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt la cour administrative d’appel de Bordeaux et a renvoyé l’affaire devant cette cour. Par un arrêt n° 13BX03110 du 17 juin 2014, la cour administrative d’appel de Bordeaux, statuant sur renvoi après cassation par le Conseil d’Etat, a cette fois rejeté l’appel formé par le ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement contre le jugement du tribunal administratif de Pau du 4 mai 2010 (CAA Bordeaux, 17 juin 2014, n°13BX03110) La ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité a formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat tendant à l’annulation de cet arrêt. Dans son pourvoi, elle soutenait que la cour administrative d’appel de Bordeaux avait commis une erreur de droit en faisant application, à la date à laquelle les permis de construire ont été accordés, de l’exigence d’éloignement de 100 mètres posée par l’arrêté du 7 février 2005 et en jugeant que les constructions litigieuses ne respectaient pas les dispositions combinées de l’article L. 111-3 du code rural et de la pêche maritime et de cet arrêté. Une application différée (en raison de l’application différée pour les installations d’élevage existantes) aurait été, selon Mme le Ministre, préférable. Le Conseil d’Etat rejette ce pourvoi. Dans un premier temps, le Conseil d’Etat rappelle les textes applicables. Ainsi, aux termes de l’article 2 de l’arrêté du ministre de l’écologie et du développement durable du 7 février 2005 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire, notamment les élevages de bovins soumis à déclaration au titre du livre V du code de l’environnement, « Les dispositions de l’annexe I sont applicables dans un délai de quatre mois à compter de la publication du présent arrêté au Journal officiel. / Pour les installations existantes, déclarées au plus tard quatre mois après la publication du présent arrêté au Journal officiel, les dispositions mentionnées à l’annexe II sont applicables dans les délais suivants : (…) au plus…

Dommages de travaux publics et aménagement des berges : la démonstration du préjudice anormal et spécial est nécessaire ! (Conseil d’État, 25 mai 2016, n°393692)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocats)   Aux termes d’une décision du 25 mai 2016, le Conseil d’Etat a rappelé que lorsqu’un tiers avait subi un dommage de travaux publics, la responsabilité sans faute de l’administration ne pouvait être engagée qu’en présence d’un préjudice anormal et spécial, dûment établi. (Conseil d’État, 25 mai 2016, n°393692)   Les faits de l’espèce étaient les suivants. Durant un hiver, une partie des eaux de l’Oise s’est déversée accidentellement dans un étang à la suite d’une rupture de la digue le séparant de la rivière. En application d’une convention du 30 août 1986, conclue entre les anciens propriétaires du plan d’eau et le syndicat intercommunal pour l’aménagement de l’Oise moyenne et de ses affluents, chargé de l’entretien du cours d’eau, des travaux de rétablissement du cours initial du lit de l’Oise ont été entrepris. En 2009, l’étang a changé de propriétaire. En 2010, le syndicat a supprimé un barrage sur la rivière qui devait réguler le niveau de l’étang. Le nouveau propriétaire de l’étang a demandé au syndicat de remédier aux désordres résultant de cette intervention car elle aurait eu pour effet d’abaisser le niveau de l’eau de l’étang et d’aggraver en conséquence le phénomène de sédimentation. Le nouveau propriétaire a également demandé à être indemnisé des préjudices subis du fait des travaux publics ainsi réalisés. Le 13 mai 2014, le tribunal administratif d’Amiens, saisi par le nouveau propriétaire, a retenu la responsabilité du syndicat à hauteur de la moitié des préjudices subis par le nouveau propriétaire et ordonné une expertise afin de les évaluer. Le 21 juillet 2015, la cour administrative d’appel de Douai a confirmé ce jugement (CAA Douai, 21 juillet 2015, n°14DA01182). Elle a retenu, contrairement au tribunal administratif d’Amiens, que le nouveau propriétaire avait la qualité de tiers par rapport aux ouvrages publics constitués par les aménagements des berges de l’Oise et aux travaux publics entrepris sur ces ouvrages, et non celle d’usager de ces mêmes ouvrages. Elle en a déduit que la responsabilité du syndicat ne pouvait être engagée qu’à raison, non d’une faute de sa part, mais du caractère anormal et spécial du préjudice subi. Saisi d’un pourvoi principal par le syndicat et d’un pourvoi incident par le nouveau propriétaire, le Conseil d’Etat a censuré cet arrêt. En effet, il a considéré que « si la cour a retenu l’existence d’un lien de causalité entre les travaux entrepris par le syndicat et les préjudices subis par [le nouveau propriétaire], elle s’est abstenue de préciser les éléments sur lesquels elle se fondait pour estimer que le préjudice subi par [lui] revêtait un caractère anormal et spécial de nature à engager la responsabilité sans faute du syndicat ; qu’en statuant ainsi, la cour a entaché son arrêt d’une insuffisance de motivation et commis une erreur de droit ». (Conseil d’État, 25 mai 2016, n°393692) Cette décision du Conseil d’Etat est intéressante, à la fois sur ce qu’elle dit expressément et sur ce qu’elle sous-entend implicitement.   En premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle que la responsabilité sans faute de l’administration du fait d’ouvrages publics ou de travaux publics ne peut être engagée que : d’une part, s’il existe un lien de causalité entre l’action de l’administration et le préjudice et que, d’autre part, si le préjudice présente un caractère anormal et spécial. L’abandon du caractère anormal et spécial du préjudice avait été envisagé (CAA Douai, 22 décembre 2008, n° 07DA01467) mais semblait avoir rapidement été abandonné (CAA Marseille, 15 décembre 2008, n°07MA01949) même si une décision récente a pu semer le doute (CAA Marseille, 13 février 2015, n°13MA02037). Le Conseil d’Etat revient donc sur une conception traditionnelle de la responsabilité sans faute de l’administration.     En deuxième lieu, le Conseil d’Etat souligne qu’il est impératif de démontrer en quoi le préjudice est anormal et spécial. Les juridictions du fond ne peuvent se borner à l’affirmer sans apporter aucun élément en ce sens. Il s’agit du motif pour lequel il censure la Cour administrative d’appel. Le caractère anormal et spécial du préjudice ne peut se déduire simplement des faits. Le Conseil d’Etat avait récemment sanctionné une Cour qui n’avait pas recherché si des pluies exceptionnelles constituaient un évènement de force majeure de nature à exonérer l’administration de sa responsabilité (Conseil d’État, 6ème SSJS, 22 octobre 2015, n°371894).   Le Conseil d’Etat exige donc une véritable vérification part les juridictions du fond des conditions d’engagement de la responsabilité sans faute.   En troisième et dernier lieu, le Conseil d’Etat semble valider le fait que les nouveaux propriétaires de l’étang soient des tiers par rapport aux travaux publics entrepris sur les aménagements des berges. La question aurait pu se poser de savoir s’ils n’avaient pas, en réalité, la qualité d’usagers ce d’autant plus qu’une controverse existait entre les juges de première instance et d’appel. En première instance, les premiers juges ont retenu la responsabilité pour faute du syndicat en raison d’un défaut d’entretien normal des aménagements affectant les berges et abords de l’Oise, lequel ne concerne que les usagers de ces ouvrages publics, et non la responsabilité sans faute dont seuls peuvent se prévaloir les tiers aux ouvrages ou travaux publics. En revanche, en appel, la Cour a retenu que « la modification de la configuration des lieux, déjà intervenue lors de l’acquisition de l’étang par la SCI du…. en 2009, résultant de l’écoulement de l’Oise à travers l’étang depuis la rupture de la digue, a eu pour conséquence d’établir une interdépendance entre ce cours d’eau et l’étang, de telle sorte que la SCI du … pourrait être regardée comme ayant la qualité d’usager par rapport aux ouvrages publics constitués par les aménagements des berges de la rivière, il résulte toutefois des écritures de première instance de la SCI du Bien Tombé que celle-ci n’invoquait que les préjudices résultant de la réalisation des opérations d’enlèvement du barrage de bastaings effectuées en 2010, qui constituent des travaux publics à l’égard desquels elle a la qualité de tiers » (CAA Douai, 21 juillet 2015, n°14DA01182). Elle a donc retenu…

L’absence de recours direct contre les dispenses d’évaluation environnementale (CE, 6 avril 2016, n°395916)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Le Conseil d’Etat vient de dire pour droit que si la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale est un acte faisant grief susceptible d’être déféré au juge après exercice d’un recours administratif préalable, tel n’est pas le cas de l’acte par lequel l’autorité environnementale décide de dispenser d’évaluation environnementale un plan, schéma, programme ou autre document de planification mentionné à l’article L. 122-4 du code de l’environnement (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 06 avril 2016, n°395916, Mentionné dans les tables du recueil Lebon) Un tel acte a le caractère d’une mesure préparatoire à l’élaboration de ce plan, schéma, programme ou document, insusceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir. La décision de dispense d’évaluation environnementale pourra, en revanche, être contestée à l’occasion de l’exercice d’un recours contre la décision approuvant le plan, schéma, programme ou document.  Rappel du contexte L’article L. 113-1 du code de justice administrative autorise les juridictions du fond à sursoir à statuer en attendant l’avis du Conseil d’Etat sur « une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges ». Le tribunal administratif de Melun a, par un jugement n° 1307386 du 17 décembre 2015, utilisé cette procédure car il rencontrait une difficulté sérieuse en matière de dispense d’évaluation environnementale à la suite d’un examen au cas par cas. Les faits de l’espèce étaient les suivants : par une décision du 22 mai 2013, le préfet de Seine-et-Marne a dispensé d’évaluation environnementale l’élaboration du plan de prévention des risques technologiques autour de plusieurs établissements. Un individu a demandé, par la voie du recours en excès de pouvoir, l’annulation de cette décision. Avant de se prononcer sur le fond du litige, le tribunal administratif devait, au préalable, déterminer si ce recours était recevable au regard de la nature de l’acte contesté. Il s’est toutefois retrouvé confronté à une difficulté juridique. Rappelons qu’aux termes du I de l’article L. 122-4 du code de l’environnement, font l’objet d’une évaluation environnementale « les plans, schémas, programmes et autres documents de planification susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation de travaux ou prescrire des projets d’aménagement, sont applicables à la réalisation de tels travaux ou projet ». Le IV du même article prévoit qu’un décret en Conseil d’Etat définit les plans, schémas, programmes et documents qui font l’objet d’une évaluation environnementale « après un examen au cas par cas effectué par l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement ». Ca décret a bien été édicté. Désormais, le 2° du tableau du II de l’article R. 122-17 du même code prévoit qu’est susceptible de  « faire l’objet d’une évaluation environnementale après un examen au cas par cas » un « Plan de prévention des risques technologiques prévu par l’article L. 515-15 du code de l’environnement ». Il est donc indéniable qu’un plan de prévention des risques technologiques est susceptible de faire l’objet d’une évaluation environnementale s’il en est décidé ainsi après un examen au cas par cas. En ce qui concerne les voies de recours contre les décisions imposant la réalisation d’une évaluation environnementale, il convient de constater que cette décision est susceptible de recours contentieux lorsque celui-ci est précédé d’un recours administratif préalable devant l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement qui a pris la décision (article R. 122-18, IV du code de l’environnement), c’est-à-dire, en principe, devant le Préfet de département (article R. 122-17 II, 2° du code de l’environnement). Le code de l’environnement reste, en revanche, muet concernant les éventuels recours contre les décisions de dispense d’évaluation environnementale. C’est la raison pour laquelle le tribunal administratif de Melun a transmis Conseil d’Etat la question suivante : « La décision par laquelle l’autorité administrative compétente en matière d’environnement décide, à l’issue de la procédure d’examen au cas par cas prévue par les dispositions de l’article R. 122-18 du code de l’environnement, de dispenser la personne publique responsable de l’élaboration du plan, schéma ou programme de réaliser une évaluation environnementale présente-t-elle un caractère décisoire permettant aux tiers de former à son encontre un recours contentieux direct. » Cette question implique, en réalité, de répondre à deux sous-questions : Quelle est la nature juridique d’une dispense d’évaluation environnementale ? La dispense environnementale peut-elle être contestée directement par les tiers par la voie du recours en excès de pouvoir ? Au regard de ces différents textes et du silence du code de l’environnement concernant les dispenses d’évaluation environnementale après un examen au cas par cas, le Conseil d’Etat a considéré que : «  Si la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale est, en vertu du IV de l’article R. 122-18 du code de l’environnement précité, un acte faisant grief susceptible d’être déféré au juge de l’excès de pouvoir après exercice d’un recours administratif préalable, tel n’est pas le cas de l’acte par lequel l’autorité de l’Etat compétente en matière d’environnement décide de dispenser d’évaluation environnementale un plan, schéma, programme ou autre document de planification mentionné à l’article L. 122-4 du code de l’environnement. Un tel acte a le caractère d’une mesure préparatoire à l’élaboration de ce plan, schéma, programme ou document, insusceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir, eu égard tant à son objet qu’aux règles particulières prévues au IV de l’article R. 122-18 du code de l’environnement pour contester la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale. La décision de dispense d’évaluation environnementale pourra, en revanche, être contestée à l’occasion de l’exercice d’un recours contre la décision approuvant le plan, schéma, programme ou document. » Le Conseil d’Etat raisonne donc en plusieurs temps. En premier lieu, il rappelle que la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale peut faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir si elle est précédée d’un recours administratif préalable. En deuxième lieu, le Conseil d’Etat constate qu’il n’en est rien concernant les dispenses d’évaluation environnementale, celles-ci n’étant pas visées à l’article R. 122-18 du code de l’environnement. En troisième lieu, il se prononce sur la nature juridique de la dispense d’évaluation environnementale. La dispense d’évaluation environnementale constitue, pour le…

Nucléaire : une installation nucléaire de base (INB) peut fonctionner jusqu’à l’intervention d’un décret de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 22 février 2016, n°373516, mentionné aux tables du recueil Lebon)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Dans une décision du 22 février 2016, le Conseil d’Etat s’est prononcé, à la demande de nos voisins helvètes, sur plusieurs actes administratifs concernant la centrale électronucléaire de Bugey exploitée par Electricité de France (EDF). Les requêtes, jointes par le Conseil d’Etat, tendaient à demander l’annulation de plusieurs décisions de l’autorité administratives et, plus précisément, à demander : l’annulation de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) rendu lors d’un réexamen de la sûreté du site électronucléaire de Bugey ; l’annulation des prescriptions techniques nouvelles prises à l’issue du troisième réexamen de sûreté de la centrale ; l’annulation des décisions implicites ou révélées d’autoriser la poursuite de l’exploitation de la centrale nucléaire pour dix ans résultant de l’éduction de ces prescriptions techniques nouvelles. Après avoir déclaré irrecevables les conclusions portant sur les décisions implicites ou révélées d’autoriser la poursuite de l’exploitation de la centrale pour dix ans (I), à l’instar de celles sur l’avis de l’ASN (II), le Conseil d’Etat a refusé d’annuler les prescriptions techniques nouvelles imposées à la centrale (III). L’absence de décision de poursuite de l’exploitation pour dix ans La République et Canton de Genève soutenait que l’édiction de nouvelles prescriptions techniques par l’ASN, à la suite de la transmission, par l’exploitant de l’installation, du rapport de réexamen de sûreté, constituait une décision implicite d’autoriser l’exploitation de cette dernière pour dix années supplémentaires. Dans sa décision, le Conseil d’Etat a commencé par exposer les dispositions applicables aux INB. Il a notamment a rappelé que la création d’une INB était soumise à autorisation (article L. 593-7 du code de l’environnement). Il a également précisé qu’un réexamen par l’exploitant de la sûreté de son installation était prévu tous les dix ans (article L. 593-18 du code de l’environnement). Le Conseil d’Etat a ensuite présenté la procédure suivie à l’issue de ce réexamen de sûreté : l’exploitant adresse à l’ASN et au ministre chargé de la sûreté nucléaire un rapport rendant compte de cet examen de sûreté ainsi que les dispositions envisagées pour remédier aux anomalies constatées ou améliorer la sûreté de l’installation. L’ASN, au vu de ce rapport, peut imposer de nouvelles prescriptions techniques et communique au ministre chargé de la sûreté son analyse du rapport (article L. 593-19 du code de l’environnement). La Haute juridiction était donc invitée à se prononcer sur la durée de vie des autorisations d’exploiter une INB et sur l’éventuel renouvellement de cette durée de vie à chaque contrôle périodique de sûreté. Au regard des textes précités, le Conseil d’Etat a estimé « qu’aussi longtemps qu’aucun décret de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement n’est intervenu, après la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article L. 593-25 du code de l’environnement, une installation nucléaire de base est autorisée à fonctionner, dans des conditions de sûreté auxquelles il appartient à l’Autorité de sûreté nucléaire de veiller en vertu de l’article L. 592-1 du même code ». Il en a déduit que « par suite, la République et Canton de Genève n’est pas fondée à soutenir que l’édiction de nouvelles prescriptions techniques par l’Autorité de sûreté nucléaire, à la suite de la transmission, par l’exploitant de l’installation, du rapport de réexamen de sûreté, constituerait une décision implicite d’autoriser l’exploitation de cette dernière pour dix années supplémentaires ; qu’ainsi, les conclusions de la requête tendant à l’annulation des décisions ” implicites ou révélées ” de l’Autorité de sûreté nucléaire et du ministre chargé de la sûreté nucléaire autorisant de nouveau, pour dix ans, l’exploitation de la centrale nucléaire du Bugey sont irrecevables ; ». Le Conseil d’Etat considère donc qu’il n’existe pas de durée de vie des INB et que celles-ci peuvent fonctionner tant qu’aucun décret de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement n’est intervenu, dans des conditions de sûreté auxquelles l’ASN doit veiller. Plus encore, il précise que l’édiction de nouvelles prescriptions techniques à la suite d’un réexamen de sûreté de l’installation ne constitue pas une décision autorisant l’exploitation de la centrale pour dix nouvelles années. Il écarte donc comme irrecevable les conclusions tendant à l’annulation de décisions autorisant l’exploitation de la centrale pour dix ans.   L’avis de l’ASN, un acte non susceptible de recours   La République et Canton demandait également l’annulation de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire rendu après le troisième réexamen de sûreté du réacteur n° 2 de la centrale nucléaire du Bugey. Rappelons qu’aux termes de l’article L. 593-19 du code de l’environnement dans sa version alors en vigueur : « L’exploitant adresse à l’Autorité de sûreté nucléaire et au ministre chargé de la sûreté nucléaire un rapport comportant les conclusions de l’examen prévu à l’article L. 593-18 et, le cas échéant, les dispositions qu’il envisage de prendre pour remédier aux anomalies constatées ou pour améliorer la sûreté de son installation. / Après analyse du rapport, l’Autorité de sûreté nucléaire peut imposer de nouvelles prescriptions techniques. Elle communique au ministre chargé de la sûreté nucléaire son analyse du rapport. (…) »   Le Conseil d’Etat devait se prononcer sur le statut des analyses de l’ASN.   Le Conseil d’Etat a considéré que « l’analyse par l’Autorité de sûreté nucléaire du rapport de réexamen de sûreté adressée au ministre chargé de la sûreté nucléaire constitue un simple avis qui ne présente pas le caractère d’une décision faisant grief ; qu’ainsi, les conclusions tendant à l’annulation de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire du 10 juillet 2012 sur la poursuite de l’exploitation du réacteur n° 2 de la centrale nucléaire du Bugey après son troisième réexamen de sûreté ne peuvent qu’être rejetées comme irrecevables ; ».   Le Conseil d’Etat estime donc que l’avis de l’ASN ne constitue qu’un simple avis ne faisant pas grief et qu’il est, dès lors, insusceptible de recours.   On peut toutefois se demander si cette position du Conseil d’Etat sera maintenue eu égard à la nouvelle rédaction de l’article L. 593-19 du code de l’environnement. La nouvelle rédaction de cet article précise que « Après analyse du rapport, l’Autorité de sûreté nucléaire peut imposer de nouvelles prescriptions techniques. Elle communique au ministre…