Antenne relais : un régime dérogatoire pendant la crise sanitaire

Par Maître Thomas Richet (Green Law Avocats) En adoptant la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 relative à l’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID-19 le Parlement a habilité le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances notamment pour prendre, dans un délai de trois mois, toute mesure adaptant les délais et procédures applicables au dépôt et traitement des déclarations et demandes présentées aux autorités administratives (cf. a du 2° de l’article 11 de cette loi). Sur le fondement de cette habilitation, et considérant qu’il existait « un contexte de mise sous tension des réseaux de communications électroniques résultant d’un accroissement massif des usages numériques du fait de la mise en œuvre des mesures de confinement de la population » (cf. Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-320 du 25 mars 2020), le Président de la République a adopté l’ordonnance n° 2020-320 du 25 mars 2020 relative à l’adaptation des délais et des procédures applicables à l’implantation ou la modification d’une installation de communications électroniques afin d’assurer le fonctionnement des services et des réseaux de communications électroniques. Alors que prévoit cette nouvelle ordonnance « COVID-19 » ? Et comment s’assurer que les opérateurs de radiotéléphonie n’en abusent pas ? Décryptage… D’emblée, relevons que l’ordonnance aménage quatre procédures administratives préalables en vue de l’implantation ou de la modification d’une installation de communications électroniques. Chacune de ces adaptations suit par ailleurs un schéma similaire, qu’il s’agisse des conditions d’applicabilité comme des conditions d’application : Suspension partielle de l’obligation de transmission du dossier d’information aux Maires et Président d’EPCI (Art. 1er de l’ordonnance commentée).: L’obligation de transmission du dossier d’information au Maire ou au Président de l’intercommunalité en vue de l’exploitation ou de la modification d’une installation radioélectrique prévue à L. 34-9-1 du Code des Postes et Communications Electroniques (CPCE) est suspendue pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire. Précision importante, la suspension de cette obligation ne vaut, d’une part, que durant l’état d’urgence sanitaire, et d’autre part, qu’à l’égard d’une exploitation ou modification « strictement nécessaire pour assurer la continuité du fonctionnement des services et des réseaux de communications électroniques ». L’adaptation consentie aux opérateurs est donc nettement circonscrite temporellement et matériellement. Si la première condition est facilement appréciable, la seconde fera certainement l’objet de beaucoup plus de débat et il reviendra en principe à l’opérateur d’en apporter la preuve dans une hypothétique configuration contentieuse. En outre, même dans l’hypothèse d’une telle suspension, l’opérateur reste tenu d’informer préalablement et par tous moyens le Maire ou le Président de l’intercommunalité du territoire concerné de l’exploitation ou de la modification projetée et de lui transmettre le dossier d’information à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire. Suspension partielle de l’accord préalable de l’Agence Nationale des Fréquences (ANFR) (Art. 2 de l’ordonnance) : Pendant la période de l’état d’urgence sanitaire, la décision d’implantation d’une station radioélectrique sur le territoire national peut être prise sans accord préalable de l’Agence nationale des fréquences (ANFR). Dérogation consentie au cinquième alinéa du I de l’article L. 43 du CPCE, cette dernière est également conditionnée par le caractère « strictement nécessaire pour assurer la continuité du fonctionnement des services et des réseaux de communications électroniques ». De la même manière, subsiste une obligation d’information de l’ANFR par l’exploitant préalablement et par tous moyens de l’implantation projetée. Surtout, l’accord de cette autorité devra tout de même être sollicité dans un délai de trois mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire. Simplification de l’utilisation du domaine public routier (Art. 3 de l’ordonnance) : Toujours durant l’état d’urgence sanitaire, et par dérogation à l’article L. 47 du CPCE, les délais d’instruction des demandes de permission de voiries relatives aux installations de communications électroniques implantées à titre temporaire ou dans le cadre d’interventions urgentes sont réduits, et passent de deux mois à un délai de quarante-huit heures. Outre l’exigence d’un caractère temporaire ou relatif à une intervention urgente, à nouveau, ne pourront bénéficier d’une telle réduction du délai d’instruction que les demandes de permission de voiries relatives aux installations de communications électroniques « strictement nécessaire pour assurer la continuité du fonctionnement des services et des réseaux de communications électroniques ». L’ordonnance précise encore qu’en cas de silence gardé par l’autorité compétente, ce dernier vaut acceptation. Dérogation à la soumission du régime de la déclaration préalable au titre du Code de l’urbanisme : Les constructions, installations et aménagements ayant un caractère temporaire et « strictement nécessaire pour assurer la continuité du fonctionnement des services et des réseaux de communications électroniques » sont considérées comme relevant des réalisations énoncées au b de l’article L. 421-5 du Code de l’urbanisme, et par conséquent dispensées de toute formalité, de toute demande d’autorisation d’urbanisme. Ces dernières sont en fait exemptées du respect de toutes règles de procédure comme de fond d’occupation des sols. En effet aux termes de l’article L421-8 du code de l’urbanisme « A l’exception des constructions mentionnées aux b et e de l’article L. 421-5, les constructions, aménagements, installations et travaux dispensés de toute formalité au titre du présent code doivent être conformes aux dispositions mentionnées à l’article L. 421-6., puisque soumises au régime juridique applicable à de telles constructions, installations et aménagements ». Or justement l’ordonnance qualifie les travaux d’implantation des antennes comme relevant du b). Pour le dire très simplement : ce sont tant les règles de procédures que les règles  de fond du droit de l’urbanisme mais qui sont ainsi mises entre parenthèses pendant la période d’urgence. De plus, l’accent est porté sur leur seule nécessité temporaire durant cette période exceptionnelle, puisque ces dernières ne pourront perdurer au-delà de deux mois à compter de l’expiration de l’état d’urgence sanitaire, et ce, « afin de permettre leur démantèlement » (cf. Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-320 du 25 mars 2020). Il conviendra donc de s’assurer en pratique que la dérogation exceptionnelle et temporaire accordée aux opérations de téléphonie ne devienne pas permanente. Les « adaptations » consenties aux opérateurs constituent donc des dérogations exceptionnelles destinées uniquement à répondre à un contexte lui-même exceptionnel et afin d’assurer la continuité…

Application des pouvoirs du juge de l’autorisation environnementale à des permis de construire éoliens (CAA Bordeaux, 7 mars 2019, n°17BX00719/17BX00721)

Par Me Sébastien BECUE- Green Law Avocats Par un arrêt en date du 7 mars 2019 (n°17BX00719/17BX00721), la Cour administrative d’appel de Bordeaux a décidé d’appliquer les pouvoirs de plein contentieux du juge de l’autorisation environnementale à des permis de construire éoliens délivrés avant le 1er mars 2017. Suite à la décision (codifiée à l’article R. 425-29-2 du code de l’urbanisme) de dispenser, à compter du 1er mars 2017 les projets éoliens de la nécessité d’obtenir un permis de construire, les praticiens de ce contentieux se sont demandés si cette dispense pouvait avoir pour conséquence de rendre irrecevables les conclusions introduites à l’encontre des permis de construire délivrés avant cette date, ou contre les autorisations uniques expérimentales en tant qu’elles valaient permis de construire. Assez logiquement, le Conseil d’Etat (CE, 26 juil. 2018, n°416831) avait conclu que le juge reste tenu de statuer sur la légalité des permis de construire éoliens : en effet, dès lors que la nouvelle autorisation environnementale ne tient pas lieu de permis de construire, les permis délivrés continuent donc à produire leurs effets. S’il est saisi de la question de leur légalité, le juge doit donc statuer en excès de pouvoir, comme c’est la règle en contentieux de l’urbanisme, c’est-à-dire en tenant compte des circonstances de droit et de fait applicables à la date de la décision. Les données de la problématique ont évolué avec l’intervention de la loi n°2018-727 du 10 août 2018, qui a modifié l’article 15 de l’ordonnance « autorisation environnementale ». Celui-ci prévoit désormais que « les permis de construire en cours de validité à cette même date autorisant les projets d’installation d’éoliennes terrestres sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code ». Comme l’exposait le rapport de présentation du projet de loi, cette modification a pour objet « d’éviter que les parcs éoliens qui ont été autorisés avant 2010 par le biais d’un simple permis de construire, et qui feraient l’objet de modifications, ne soient obligés de déposer une demande d’autorisation environnementale complète, au même titre que les installations nouvelles ». Ainsi, grâce à cette disposition, les projets éoliens qui avaient fait l’objet d’un permis de construire peuvent évoluer sans qu’il soit nécessaire d’effectuer de démarches au titre de l’urbanisme (et donc sans nécessité d’obtenir un permis de construire modificatif). La Cour administrative d’appel de Bordeaux tire dans l’arrêt commenté deux autres conséquences possibles (et juridiquement courageuses, il faudra attendre leur validation par le Conseil d’Etat) de cette modification de l’article 15 de l’ordonnance. Conséquence sur la jonction des instances : En l’espèce, les permis de construire et l’autorisation d’exploiter faisaient l’objet d’instances séparées. La Cour relève qu’il y a lieu de joindre les instances et de rendre un arrêt unique dès lors que ces actes « forment ensemble l’autorisation environnementale instituée par l’ordonnance du 26 janvier 2017 dont [le porter de projet] est ainsi titulaire pour la construction et l’exploitation du parc d’éoliennes projeté ». Cette précision aura le mérite de simplifier un peu le traitement du contentieux des actes relatifs à un même projet, qui font encore trop souvent l’objet d’audiences et de de jugements séparés. Conséquence sur les pouvoirs du juge : Au lieu de différencier les pouvoirs du juge selon qu’il statue en excès de pouvoir – pour les permis de construire – ou en plein contentieux – pour l’autorisation d’exploiter devenue autorisation environnementale, la Cour rappelle uniquement les pouvoirs de plein de contentieux de l’autorisation environnementale. Les pouvoirs de plein contentieux du juge s’appliquent donc aux permis et à l’arrêté d’autorisation d’exploiter. Conceptuellement audacieuse, cette unification des pouvoirs de plein contentieux n’a en réalité qu’une faible portée pratique. Comme le rappelle la Cour, « la légalité de l’autorisation au regard des règles d’urbanisme s’apprécie au regard de celles de ces règles applicables à la date de la délivrance de ladite autorisation ». Or c’est déjà le cas en matière de légalité des permis de construire.

Urbanisme: faute d’enregistrement sous un moins d’une transaction prévoyant le désistement d’un recours contre un permis de construire, les sommes doivent être rendues !

    Par Me Valentine SQUILLACI- Green Law Avocats La Cour de cassation vient de rappeler une règle souvent méconnue des opposants à des projets de construction ayant obtenu le versement d’une somme d’argent en échange du désistement de leur action (arrêt de la 3ème Chambre de la Cour de Cassation, 20 décembre 2018 n°17-27.814) laquelle applique pour la première fois à notre connaissance la sanction posée par l’article L600-8 du Code de l’Urbanisme en cas d’inobservation de cette obligation. La portée de cette décision montre qu’il ne faut pas négliger l’enregistrement auprès de l’administration fiscale, dans le délai d’un mois de leur conclusion, des transactions prévoyant le désistement du recours pour excès de pouvoir formé contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou de l’octroi d’un avantage en nature. A défaut, la transaction ne peut faire l’objet d’une exécution forcée ou, s’il elle l’a déjà été, les sommes versées doivent être remboursées. Les faits ayant donné lieu à l’arrêt sont relativement simples. Un permis de construire obtenu par un promoteur immobilier pour la construction de deux bâtiments a fait l’objet d’un recours par le propriétaire de la parcelle voisine. En cours de procédure devant la juridiction administrative, les deux parties ont conclu une transaction prévoyant, en contrepartie du désistement du recours, la réalisation de mesures compensatoires en nature et le versement d’une somme d’argent par le promoteur. En exécution de la transaction conclue, l’auteur du recours s’est désisté de sa requête en annulation du permis de construire et a sollicité du promoteur le versement de sa somme d’argent. Ce dernier a alors opposé la caducité du protocole en faisant valoir qu’il avait été enregistré tardivement. Celui-ci avait en effet été enregistré plus d’un an après sa conclusion. Or, l’article 635 1. 9° du Code Général des Impôts impose l’enregistrement « dans le délai d’un mois à compter de leur date » de toute « transaction prévoyant, en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou de l’octroi d’un avantage en nature, le désistement du recours pour excès de pouvoir formé contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager. » Cette exigence est également contenue dans le Code de l’Urbanisme, dont l’article L600-8 disposait, dans sa version antérieure à la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique : « Toute transaction par laquelle une personne ayant demandé au juge administratif l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager s’engage à se désister de ce recours en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou de l’octroi d’un avantage en nature doit être enregistrée conformément à l’article 635 du code général des impôts. La contrepartie prévue par une transaction non enregistrée est réputée sans cause et les sommes versées ou celles qui correspondent au coût des avantages consentis sont sujettes à répétition. L’action en répétition se prescrit par cinq ans à compter du dernier versement ou de l’obtention de l’avantage en nature. Les acquéreurs successifs de biens ayant fait l’objet du permis mentionné au premier alinéa peuvent également exercer l’action en répétition prévue à l’alinéa précédent à raison du préjudice qu’ils ont subi. » Comme le permet l’article 1567 du Code de Procédure Civile, le créancier de l’indemnité transactionnelle a saisi le Président du Tribunal de grande instance, lequel a rendu une ordonnance conférant force exécutoire à la transaction. Le promoteur a alors sollicité devant le Président du tribunal statuant en la forme des référés la rétractation de l’ordonnance, ce qu’il a obtenu. La rétractation a été confirmée par la Cour d’Appel de Grenoble (CA Grenoble, 1re ch., 3 oct. 2017, n° 17/00596). Aux termes de l’arrêt commenté, la Cour de Cassation confirme l’arrêt de la Cour d’Appel, en conséquence, la lourde sanction attachée au défaut d’enregistrement, dans le délai d’un mois de leur conclusion, des transactions prévoyant, en contrepartie du versement d’une somme d’argent ou de l’octroi d’un avantage en nature, le désistement du recours pour excès de pouvoir formé contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager. Selon la Cour de Cassation, cette sanction est l’impossibilité de donner force exécutoire à la transaction, laquelle est illégale en raison du défaut d’enregistrement. L’arrêt de la Cour de Cassation, dont la rédaction est extrêmement pédagogique, permet de tirer les enseignements suivants. D’une part, la sanction prévue par l’article L600-8 alinéa 1er du Code de l’Urbanisme s’applique dès lors que le délai d’un mois prévu par l’article 635 du Code Général des Impôts, « délai de rigueur qui ne peut être prorogé », n’a pas été respecté et ce, « quel que soit le motif du retard ». L’auteur du pourvoi avait fait valoir que la rédaction de l’article L600-8 antérieure à la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ne mentionnait pas ledit délai, l’alinéa 2 précisant uniquement que la sanction devait s’appliquer à une « transaction non enregistrée ». Ladite loi a en effet modifié l’alinéa 2 de la disposition qui prévoit désormais (depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 2019) que la sanction s’applique à « une transaction non enregistrée dans le délai d’un mois prévu au même article 635 ». L’auteur du pourvoi en déduisait qu’antérieurement à la réforme, la sanction ne devait pas s’appliquer à une transaction dont l’enregistrement avait réalisé, bien que tardivement. Cette position n’était pas dénuée de pertinence. L’application littérale de l’ancien alinéa 2 de l’article L600-8 devait en effet conduire à ne pas appliquer la sanction si la transaction avait été enregistrée, même tardivement. La Cour de Cassation a cependant censuré cette interprétation et sa motivation mérite d’être reproduite : « Mais attendu qu’il ressort de la combinaison des articles L. 600-8 du code de l’urbanisme et 635, 1, 9° du code général des impôts que la formalité de l’enregistrement doit être accomplie dans le mois de la date de la transaction et que, à défaut d’enregistrement dans ce délai, la contrepartie prévue par la transaction non enregistrée est réputée sans cause ; Que considérer que le délai d’un mois est dépourvu de sanction et admettre ainsi qu’une transaction ne pourrait être révélée que tardivement serait…

Eolien : l’autorité de la chose jugée ne doit pas être ignorée

Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats)   Par un arrêt rendu le 12 octobre dernier mentionné aux Tables du Recueil Lebon (CE, 12 octobre 2018, n°412104), le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur la portée de l’autorité de la chose jugée et sur les circonstances dans lesquelles celle-ci est susceptible d’être remise en cause. Cette décision doit également être remarquée en ce qu’elle contribue à la sécurisation des projets éoliens, lesquels font souvent l’objet de recours contentieux « à rallonge ». A cet égard, elle constitue un complément à l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme qui prévoit que dans l’hypothèse où un refus de permis de construire est annulé, sous réserve que la demande soit confirmée dans les six mois suivant l’annulation définitive, le service instructeur devra ré-instruire la demande, et ne pourra la refuser qu’au regard de l’état du droit au jour de la demande initiale. Les faits sont relativement simples : le 8 juin 2007, une société avait déposé une demande de permis de construire un parc éolien sur le territoire de la commune de Vesly (Eure). Estimant que le projet portait une atteinte au paysage environnant au sens l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme dans sa version alors en vigueur, le préfet de département avait refusé de délivrer le permis. Son refus avait cependant été annulé par le Tribunal administratif de Rouen par jugement du 4 novembre 2010, qui a estimé que le projet n’était pas de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants. Ce jugement est devenu définitif. A la suite de ce jugement, le préfet de l’Eure était donc contraint de ré-instruire la demande de permis de construire et a cette fois-ci décidé de le délivrer à la société pétitionnaire. Mais l’autorisation d’urbanisme a alors fait l’objet d’un recours par la commune de Vesly, devant accueillir le projet. Le Tribunal administratif de Rouen a cette fois prononcé l’annulation du permis de construire au motif qu’il avait été pris à l’issue d’une procédure irrégulière. En appel, la Cour administrative d’appel de Douai a infirmé ce motif unique d’annulation retenu par les premiers juges. La Cour a décidé néanmoins de rejeter l’appel en considérant que le projet portait atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants au sens de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme, sur la base de nouveaux documents qui n’avaient pas été produits lors de l’instance antérieure (en l’occurrence de nouveaux photomontages). Saisi du pourvoi en cassation de la société pétitionnaire, le Conseil d’Etat va considérer que l’autorité de la chose jugée, qui s’attache tant au dispositif du jugement d’annulation du Tribunal administratif de Rouen qu’à ses motifs, faisait obstacle à ce que, en l’absence de modification de la situation de droit ou de fait, le permis de construire sollicité soit à nouveau refusé par l’autorité administrative ou qu’il soit annulé par le juge administratif pour un motif identique à celui qui avait été censuré par le Tribunal administratif de Rouen le 4 novembre 2010, en l’occurrence l’atteinte paysagère. « Considérant que l’autorité de chose jugée s’attachant au dispositif de ce jugement d’annulation devenu définitif ainsi qu’aux motifs qui en sont le support nécessaire faisait obstacle à ce que, en l’absence de modification de la situation de droit ou de fait, le permis de construire sollicité soit à nouveau refusé par l’autorité administrative ou que le permis accordé soit annulé par le juge administratif, pour un motif identique à celui qui avait été censuré par le tribunal administratif » Puisque le Tribunal avait jugé que le projet n’était pas de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, seul un changement du projet ou des caractéristiques des lieux avoisinants aurait permis à l’administration ou au juge de porter une appréciation s’écartant de l’autorité de chose jugée. Or, le Conseil d’Etat constate qu’il n’en est rien. La seule circonstance que de nouveaux photomontages produits faisaient notamment apparaître une forte covisibilité entre les éoliennes et un monument historique ne constitue pas une modification de la situation de fait susceptible de remettre en cause l’autorité de chose jugée. Comme l’indique M. le Rapporteur public Guillaume Odinet dans ses conclusions rendues sous cette affaire, « s’il suffisait de produire des pièces complémentaires pour faire obstacle à l’autorité de chose jugée, il ne servirait plus à rien de juger ».

Le « rescrit juridictionnel » une révolution du contentieux de l’urbanisme ?

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) david.deharbe@green-law-avocat.fr L’Assemblée nationale a adopté définitivement, le 31 juillet 2018, le projet de loi pour un Etat au service d’une société de confiance. Les députés sont revenus pour l’essentiel à leur texte de nouvelle lecture. Le souci de sécurité juridique a accouché d’un nouveau dispositif prévu à l’article 54 de la loi adoptée qui dès lors qu’il est applicable à urbanisme mérite que l’on prête toute notre attention : le « rescrit juridictionnel ». Cette procédure juridictionnelle préventive permettra à l’auteur d’une décision d’urbanisme non réglementaire (PC, Permis d’aménager, non opposition à DP…) ou à son bénéficiaire d’en obtenir une déclaration de régularité opposable aux tiers. Ce « rescrit juridictionnel » va être expérimenté pendant trois ans dans le ressort de quatre tribunaux administratifs au plus. Plus largement le dispositif est ouvert au bénéficiaire ou à l’auteur de décisions précisées par un décret en Conseil d’État, prises sur le fondement du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, du code de l’urbanisme ou des articles L. 1331-25 à L. 1331-29 du code de la santé publique et dont l’éventuelle illégalité pourrait être invoquée, alors même que ces décisions seraient devenues définitives, à l’appui de conclusions dirigées contre un acte ultérieur. En revanche remarquons que le rescrit juridictionnel n’est pas applicable aux décisions prises par décret. La demande en appréciation de régularité est formée auprès du Tribunal administratif dans un délai de trois mois à compter de la notification ou de la publication de la décision en cause. Elle est rendue publique dans des conditions permettant à toute personne ayant intérêt à agir contre cette décision d’intervenir à la procédure. La demande est présentée, instruite et jugée dans les formes prévues par le code de justice administrative, sous réserve des adaptations réglementaires nécessaires. Elle suspend l’examen des recours dirigés contre la décision en cause et dans lesquels sont soulevés des moyens de légalité externe, à l’exclusion des référés ( prévus au livre V du code de justice administrative). Le tribunal statue dans un délai fixé par voie réglementaire ; il devra être court et de l’ordre de quelques mois si l’on veut que le dispositif soit efficace, sinon il n’aura aucun intérêt. Le Tribunal se prononce sur tous les moyens de légalité externe qui lui sont soumis ainsi que sur tout motif d’illégalité externe qu’il estime devoir relever d’office, y compris s’il n’est pas d’ordre public. La décision du tribunal n’est pas susceptible d’appel mais peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation. Si le tribunal constate la légalité externe de la décision en cause, aucun moyen tiré de cette cause juridique ne peut plus être invoqué par voie d’action ou par voie d’exception à l’encontre de cette décision. Par dérogation à l’article L. 242-1 du code des relations entre le public et l’administration, l’autorité administrative peut retirer ou abroger la décision en cause, si elle estime qu’elle est illégale, à tout moment de la procédure et jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois après que la décision du juge lui a été notifiée. Ce dispositif pourrait bien révolutionner le contentieux de l’urbanisme :  il permettrait une fois la déclaration de régularité obtenu de décourage les recours dilatoires sur le fonds en exposant leurs auteurs à des amendes pour recours abusifs et même à des dommages et intérêts substantiels. Pour autant ce rescrit juridictionnel deviendrait un passage obligé comme l’est un peu le référé préventif en droit de la construction. Finalement c’est un beau paradoxe manié par ceux qui considèrent que le contentieux de l’urbanisme ralentit inutilement le développement des constructions : on soigne le prétendu mal par le mal en systématisant le passage devant le juge. On attend avec impatience le décret d’application et le lancement de l’expérimentation. Il appartient en particulier à un décret en Conseil d’État : d’abord, de préciser les décisions pouvant faire l’objet d’une demande en appréciation de  régularité,  en  tenant  compte  notamment  de  la  multiplicité des contestations auxquelles elles sont susceptibles de donner lieu. ensuite, de fixer les modalités d’application du présent article, notamment les conditions dans lesquelles   les   personnes   intéressées   sont  informées,  d’une  part,  des  demandes  tendant  à  apprécier  la  régularité  d’une  décision  et  de  leurs  conséquences  éventuelles  sur  les  recours  ultérieurs  et,  d’autre  part,  des réponses qui sont apportées à ces demandes par le tribunal.