Devoir de vigilance : conditions de recevabilité des actions en injonction précisées

Devoir de vigilance : conditions de recevabilité des actions en injonction précisées

Par Mathieu DEHARBE, juriste et chargé de communication Web (Green Law Avocats)

Depuis le 27 mars 2017, le législateur a introduit un devoir de vigilance en droit des sociétés à l’article L. 225-102-4 du code de commerce pour lutter contre les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement.

Ces mêmes dispositions énoncent que le juge judiciaire peut être saisi par toute personne ayant un intérêt à agir afin d’enjoindre les sociétés à exécuter leurs obligations conformément à leur devoir de vigilance.

Pour autant, les conditions de recevabilité de cette action en injonction, en particulier l’appréciation de l’intérêt à agir des demandeurs, n’ont été précisées par la jurisprudence judiciaire que très récemment.

C’est pourquoi nous traiterons dans ce nouveau podcast des trois décisions de la cour d’appel de Paris en du 18 juin 2024 (RG n° 21/22319, RG n° 23/10583, RG n° 23/14348) délimitant l’office du juge de la mise en état dans le contentieux du devoir de vigilance.

L’intérêt pour agir, les circonstances particulières et le Code de l’urbanisme

L’intérêt pour agir, les circonstances particulières et le Code de l’urbanisme

Par Frank ZERDOUMI, Juriste et docteur en droit public (Green Law Avocats)

Au sens de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme, le Tribunal administratif de Marseille a considéré, fort logiquement, que les requérants, voisins immédiats du projet, justifiaient d’un intérêt pour agir. Restait à traiter le problème des renseignements erronés donnés par la commune.

L’article L. 600-1-3 du Code de l’urbanisme prévoit que : «Sauf pour le requérant à justifier de circonstances particulières, l’intérêt pour agir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager s’apprécie à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.»

Fort de cet article, le Tribunal administratif qualifie alors ces renseignements de circonstances particulières, ce qui lui permet d’échapper à la cristallisation de l’intérêt pour agir à la date de l’affichage de la demande.

Parcs éoliens et autorisation environnementale : des précisions sur l’intérêt agir des collectivités territoriales

Parcs éoliens et autorisation environnementale : des précisions sur l’intérêt agir des collectivités territoriales

Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats) Dans le cadre d’un contentieux d’autorisations environnementales de parcs éoliens, le Conseil d’État a précisé les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales ont intérêt à agir en tant que « tiers intéressés » (CE, 1er décembre 2023, req. n° 467009 et n° 470723, téléchargeables ci-dessous). Dans la première affaire, par un arrêté du 24 juin 2021, le préfet de l’Allier a délivré à la société Parc éolien du Moulin du bocage une autorisation environnementale pour l’exploitation de cinq aérogénérateurs avec deux postes de livraison sur le territoire de la commune de Gipcy. La région Auvergne-Rhône-Alpes et les communes de Saint-Hilaire et de Meillers, limitrophes de la commune d’implantation du projet, ont demandé à la cour administrative d’appel de Lyon d’annuler cet arrêté. Dans la deuxième affaire, le département de la Charente Maritime conteste l’arrêté du 22 octobre 2020 par lequel le préfet a délivré à la société Ferme éolienne de Chambon-Puyravault une autorisation unique pour l’installation et l’exploitation d’un parc éolien sur le territoire des communes de Chambon et de Puyravault, comportant douze éoliennes et quatre postes de livraison. Dans deux arrêts en date du 5 juillet et du 4 novembre 2022, les cours administratives d’appel de Lyon et de Bordeaux ont rejeté les requêtes comme irrecevables. Statuant les pourvois du département, de la région et des communes d’implantation, le Conseil d’État a précisé les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales ont intérêt à agir contre les autorisations environnementales en considérant que : Les personnes morales de droit public peuvent contester des autorisations environnementales que si ces dernières sont des «tiers intéressés» au sens de l’article R.181-50 du code de l’environnement (I) ; Ni le département de la Charente Maritime, ni la région Auvergne Rhône Alpes n’ont la qualité de «tiers intéressés» (II) ; Les communes de Saint-Hilaire et de Meillers des projet éolien ont un intérêt à agir contre l’autorisation environnementale (III). I. Reconnaissance aux personnes morales de droit public de la qualité de «tiers intéressés» En matière d’intérêt à agir dans le contentieux des autorisations environnementales, la Haute juridiction rappelle que ces dernières peuvent être déférées à la juridiction administrative par les tiers intéressés conformément aux dispositions de l’article R. 181-50 du code de l’environnement en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l’article L. 181-3 du même code (CE, 1er décembre 2023, req. n° 467009 et n° 470723, points 2). Parmi ces intérêts, les articles L.511-1 et L.181-3 du  code de l’environnement listent les dangers et inconvénients (CE, 1er décembre 2023, req. n° 467009 et n° 470723, points 2) : Soit pour la commodité du voisinage ; Soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques ; Soit pour l’agriculture ; Soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages ; Soit pour l’utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers ; Soit pour l’utilisation rationnelle de l’énergie ; soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. Dans les conclusions rendues dans cette affaire, le rapporteur public refuse de reconnaître une présomption d’intérêt pour agir des collectivités territoriales contre des autorisations environnementales concernant des éoliennes : «Nous ne voyons ici aucune raison qui rendrait opportun ou nécessaire de consacrer de façon prétorienne pour les départements ou les régions une présomption d’intérêt pour agir contre des autorisations environnementales concernant des éoliennes.» (page 3 des conclusions du rapporteur public, page 3). «En dehors du régime particulier des associations agrées, la règle est la même pour tous les tiers, y compris personnes morales de droit public, car ni le département ni la région n’ont de compétence légale pour défendre de façon générale les intérêts protégés par l’article L. 511-1 du CENV auxquels renvoie l’article R. 181-50» (conclusions du rapporteur public, page 3). En effet, le conseil d’État a déjà jugé que les  personnes morales ne peuvent demander en leur qualité de tiers l’annulation d’une décision prise sur le fondement de la police des installations classées que dans les cas où les inconvénients ou les dangers que le fonctionnement de l’installation classée présente pour les intérêts visés à l’article L. 511-1 sont de nature à affecter par eux-mêmes les conditions d’exploitation (CE 30 janvier 2013, req n°347347, considérant n°2). De même, la Haute juridiction a rendu une décision dans le même sens concernant des collectivités étrangères dans un contentieux de décisions prise en matière de police des installations nucléaires (Conseil d’État, 24 mars 2014, req. n° 358882, considérant 2). En reprenant le raisonnement des conclusions de son rapporteur public, la Haute juridiction conditionne la recevabilité des recours des personnes morales de droit public contre les autorisations environnementales que si les inconvénients ou dangers sont de natures à affecter leur situation, intérêts ou compétences : «Au sens de ces dispositions, une personne morale de droit public ne peut se voir reconnaître la qualité de tiers recevable à contester devant le juge administratif une autorisation environnementale que dans les cas où les inconvénients ou les dangers pour les intérêts visés à l’article L. 181-3 sont de nature à affecter par eux-mêmes sa situation, les intérêts dont elle a la charge et les compétences que la loi lui attribue.» (CE, 1er décembre 2023, req. n° 467009 point 4 et n° 470723, points 3) II. Absence d’intérêt à agir du département et de la région contre l’autorisation environnementale Sur l’appréciation de l’intérêt à agir de la région Auvergnes-Rhône-Alpes, la Haute juridiction estime que la cour administrative d’appel de Lyon a suffisamment motivé sa décision sans commettre ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique et fait une exacte application des règles gouvernant la recevabilité des recours de plein contentieux, en déclarant irrecevable les requêtes de la région et du département. En ce sens, la cour a pu juger que la région Auvergne-Rhône-Alpes ne justifiait pas d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation de l’autorisation environnementale litigieuse (CE, 1er décembre 2023, req. n° 470723 point 5): Premièrement, la région n’est…

Le juge, le climat et l’exécutif…

Par Maître Lucas DERMENGHEM, Avocat Of Counsel, GREEN LAW AVOCATS et Maître David DEHARBE, Avocat associé gérant, GREEN LAW AVOCATS Le 19 novembre 2020, le Conseil d’Etat a rendu une décision inédite à propos du respect, par l’Etat français, de ses engagements en matière de lutte contre le dérèglement climatique (CE 19 nov. 2020, n° 427301, COMMUNE DE GRANDE-SYNTHE et a). Les conclusions du rapporteur public sont publiées avec la présente note au Bulletin Juridique des Collectivités Locales cf. : Saisie par la commune de Grande-Synthe (Nord) et par son maire agissant à titre personnel, la Haute Assemblée s’est prononcée sur la légalité des décisions implicites de refus opposées par le Président de la République, le Premier ministre et le Ministre de la Transition Ecologique à la demande tendant notamment à ce que soient prises « toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national de manière à respecter a minima les engagements consentis par la France au niveau international et national ». Pour statuer sur la légalité de ces refus implicites, le Conseil d’Etat était tout d’abord tenu d’examiner les différents engagements souscrits par la France en matière climatique sur le plan international, européen et national. Il s’agissait, ensuite, de vérifier si ces engagements étaient respectés par l’Etat, justifiant que celui-ci puisse se permettre de refuser l’édiction de mesures supplémentaires permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre. L’arrêt commenté présente tout d’abord l’intérêt de recenser d’une manière didactique les différentes normes auxquelles la France est liée en matière de lutte contre le dérèglement climatique. Le Conseil d’Etat dresse ainsi la liste des règles juridiques applicables en la matière, en débutant par le droit international pour terminer par les textes de droit national. Sur le plan international, le Conseil d’Etat rappelle les termes des articles 2 et 3 de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) du 9 mai 1992, à laquelle la France est partie, avant de mentionner le fameux article 2 de l’accord de Paris du 12 décembre 2015 conclu dans le cadre de la CCNUCC, lequel contient l’objectif – âprement débattu – consistant à contenir l’élévation de la température moyenne « nettement en dessous de 2° C par rapport aux niveaux préindustriels » et à « poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5° C par rapport aux niveaux préindustriels ». Au niveau communautaire, le Conseil d’Etat mentionne : – la décision 94/69/CE du 15 décembre 1993 par laquelle le Conseil a approuvé la CCNUCC au nom de la Communauté européenne, devenue l’Union européenne ; – le premier « Paquet Energie Climat 2020 », composé en particulier de la décision n° 406/2009/CE du 23 avril 2009 relative à l’effort à fournir par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de respecter les engagements de la Communauté en matière de réduction de ces émissions jusqu’en 2020, ayant notamment pour objectif une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. Aux termes de l’annexe II de cette décision, la France s’est vue définir un objectif de réduction de 14% de ses émissions de CO2 par rapport aux niveaux d’émissions de 2005. – le second « Paquet Energie Climat » reposant notamment sur le règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018, édicté afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris. Aux termes de l’annexe I de ce règlement, la France est tenue de réduire ses émissions de CO2 de – 37% en 2030 par rapport à leur niveau de 2005. Enfin, à l’échelle nationale, il est rappelé que le législateur français a institué l’article L. 100-4 du code de l’énergie fixant un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40% entre 1990 et 2030 et l’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050. L’objectif de – 40% en 2030 que s’est fixé la France est ainsi plus ambitieux que ce qui lui a été attribué au niveau communautaire. Le Conseil d’Etat rappelle qu’en vue d’atteindre cet objectif, l’article L. 222-1 A du code de l’énergie prévoit un dispositif de « budget carbone » fixé par décret, pour la période 2015-2018 puis pour chaque période consécutive de cinq ans. Le budget carbone correspond ainsi à un total d’émission de gaz à effet de serre pour une période déterminée, qui ne doit pas être dépassé. Le Conseil d’Etat indique qu’en vertu de l’article 2 du décret du 18 novembre 2015 : « Les budgets carbone des périodes 2015-2018, 2019-2023 et 2024-2028 sont fixés respectivement à 442, 399 et 358 Mt de CO2eq par an, à comparer à des émissions annuelles en 1990, 2005 et 2013 de, respectivement, 551, 556 et 492 Mt de CO2eq. ». Après avoir listé les engagements que s’est fixés la France en matière de lutte contre le dérèglement climatique, la Haute Assemblée rappelle que les stipulations de la CCNUCC et de l’accord de Paris sont dépourvues d’effet direct mais doivent néanmoins être prises en considération pour l’interprétation des dispositions de droit national, qui ont pour objet de les mettre en œuvre. Ensuite, pour apprécier la légalité des décisions de refus des autorités sollicitées d’édicter des mesures supplémentaires permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre, le Conseil d’Etat constate tout d’abord que la France a « substantiellement dépassé » le premier budget carbone qu’elle s’était allouée pour la période 2015-2018, d’environ 62 Mt de CO2eq par an. Cependant, pour le Conseil d’Etat, cette circonstance n’est à elle seule pas de nature à caractériser une insuffisance des efforts pour atteindre les objectifs de réduction fixés. En effet, pour effectuer cette analyse, la Haute Assemblée a entendu prendre en considération les différentes périodes pour lesquelles un budget carbone a été fixé, soit 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033. En d’autres termes, pour le…

Biogaz: aperçu de jurisprudences intéressantes (recevabilité opposants, étude d’impact, avis de l’AE)

L’année 2018 et le début d’année 2019 ont donné lieu à plusieurs jurisprudences relatives aux unités de méthanisation. Une sélection des décisions obtenues par le cabinet ces derniers mois permet de constater l’importance de la qualité des dossiers initiaux, des réponses techniques apportées par le demandeur et illustrent un pragmatisme de la juridiction administrative. La connaissance des moyens de régularisation d’éventuelles vices participe à favoriser les chances de succès pour les projets de plus en plus souvent contestés. Le Tribunal administratif de Rennes a ainsi porté plusieurs appréciations intéressantes: Selon ses caractéristiques, une installation de méthanisation peut constituer une « installation agricole » et un « équipement collectif compatible avec l’exercice d’une activité agricole » (TA Rennes, 8 juin 2018, n°1602011, 1700566 – jurisprudence cabinet) La seule référence aux critères du code rural (intrants majoritairement d’origine agricole et détention majoritaire de la structure par un exploitant agricole) ne peut suffire à fonder le caractère agricole d’une installation de méthanisation (CE, 14 fév. 2007, n°282398 ; CAA Douai, 30 nov. 2017, n°15DA01317), mais constitue certes un sérieux indice, quoique non déterminant. Une analyse au cas par cas des caractéristiques de l’installation s’impose, dans le respect de l’indépendance des législations. Pour en savoir plus, le cabinet en détaille la portée ici. Comme les éoliennes ou les centrales solaires (CE, 13 juillet 2012, n°343306), les installations de méthanisation, dès lors que l’électricité ou le gaz qu’elles produisent est renouvelable et destiné à alimenter le réseau public de distribution, sont susceptibles d’être qualifiées d’équipements collectifs. Là encore, selon la rédaction des documents d’urbanisme, il reste à procéder à une analyse au cas par cas des caractéristiques de l’installation pour justifier de la compatibilité de l’installation avec l’exercice de l’activité agricole. ****************************** D’autres décisions rendues par les juges du fond et le Conseil en matière de méthanisation, se sont prononcées sur : l’indépendance de l’autorité environnementale, après une analyse pragmatique du juge administratif. l’appréciation du risque hydraulique, en particulier des eaux pluviales chargées. la recevabilité de tiers riverains à 400 mètres, qui a été refusée au regard de la configuration des lieux et des dispositions prises en process; la recevabilité d’une entreprise exerçant une activité sur la parcelle voisine et alléguant de risques. Sa recevabilité a été rejetée par le Tribunal, les risques allégués n’étant pas constitués au regard de la nature des activités exercées et la configuration des lieux; L’absence de nécessité automatique de mener une analyse de la pollution atmosphérique sur les particules de taille 2.5PM pour les installations de cogénération. Le Conseil d’Etat a ainsi  rappelé la règle importante de proportionnalité de l’étude d’impact.