L’ordonnance n° 2020-305 adaptant les règles applicables devant le juge administratif

Par maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Il est un constat sans appel : l’épidémie sévissant actuellement dans le monde est une situation bardée d’inconnues économiques, politiques, sociales et produisant des effets juridiques inédits. Alors qu’à ce jour près de la moitié de la population du globe est confinée, les pouvoirs publics français ont multiplié les mesures sans précédents, mais bien destinées à organiser la poursuite des activités autant que faire se peut. Les juristes ne doivent pas pour autant se transformer en caisses enregistreuses des régimes dérogatoires qui se multiplient. Ils doivent exercer leur regard critique et surtout veiller à ce que les circonstances exceptionnelles ne sacrifient pas sur l’autel de la continuité de l’Etat quelques principes fondamentaux : Le droit au procès équitable déjà si déséquilibré dès que l’administration est en cause ; Les principes du service public ; Les principes de la police administrative. Gageons qu’il nous faudra commenter avec plus de recul les dispositifs dérogatoires adoptés et surtout regarder de très près si l’exécutif n’est pas tenté de pérenniser certaines de ces règles qui transpirent quand même le risque de la justice expéditive… Élevés sur les bancs de l’Université où l’on prend encore le temps de penser, on gardera à « l’esprit » ce mot fameux de Montesquieu : « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ». De longues dates nous sommes gouvernés par “ordonnance” pour codifier le droit mais celles dont il est question avec la loi d’habilitation sur l’état d’ urgence sanitaire (LOI n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19) sont bien d’une autre nature : elles modifient les règles du procès et avec les conditions dans lesquelles la Justice est rendue. Juristes de tous bords, soyez vigilants ! L’activité des juridictions administratives comptant nécessairement aux rangs des ajustements exigés par la crise sanitaire, c’est en tout cas officiellement cette fin qu’a été prise l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif. Texte intervenu sur le fondement d’une habilitation consentie au gouvernement aux termes de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, ce dernier s’organise en deux titres : – Un titre premier traitant de l’adaptation de l’organisation et du fonctionnement des juridictions administratives, – Un titre second, se focalisant sur les délais de procédure et de jugement. Notons immédiatement que l’article 1er du texte précise que cette ordonnance est applicable à l’ensemble des juridictions de l’ordre administratif, sauf lorsqu’elle en dispose autrement. Par conséquent, sont concernées : – Les juridictions administratives de Droit commun : Tribunaux administratifs, Cours administratives d’appel, Conseil d’État, – Les juridictions administratives spécialisées. I – Une adaptation des règles d’organisation et de fonctionnement des juridictions administratives A titre liminaire, le texte précise que la période concernée par ces dérogations aux règles d’organisation et de fonctionnement des juridictions administratives s’étendra du 12 mars 2020 à la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire (article 2). Durant cette période, les formations de jugement des TA et CAA pourront se compléter en cas de vacance ou d’empêchement de leurs membres par l’adjonction de magistrats en activité au sein de l’une de ces juridictions. Ces adaptations s’effectueront par désignation du Président de la juridiction complétée, et sur proposition du président de la juridiction d’origine. Autrement dit, des « navettes » entre les juridictions pourront être observées. Des magistrats honoraires peuvent également être désignés (article 3). En outre, le texte assouplit les conditions de désignation par un Président de juridiction d’un magistrat juge unique pour statuer par voie d’ordonnance : seul le grade de conseiller et une ancienneté minimale de deux ans seront nécessaires (article 4). Élément central appelant une vigilance toute particulière puisque touchant au respect du contradictoire : la communication des pièces, actes et avis aux parties pourra désormais être effectuée par tout moyen (article 5). La tenue des audiences fait également l’objet d’adaptations, matérialisées par une série de possibilités offertes au juge, et dont certaines interrogent lourdement la préservation d’une garantie pérenne du droit au procès équitable  : – Le Président de la formation de jugement peut limiter le nombre de personnes admises à l’audience voire exclure la présence du public (article 6), – Possibilité est donnée à ce même Président de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d’exposer publiquement ses conclusions à l’audience (article 8), Notons qu’il est regrettable que le texte n’anticipe pas les effets d’une telle dérogation, en ne traitant pas des moyens susceptibles d’être mis en œuvre afin de permettre tout de même un accès à ces conclusions lorsqu’elles ne seront pas exposées publiquement. – L’article 7 de l’ordonnance précise encore que les audiences pourront se tenir à distance en utilisant un moyen de télécommunication audiovisuelle. En cas d’impossibilité technique ou matérielle, le juge pourra décider d’entendre les parties par tout moyen de communication électronique y compris téléphonique, étant précisé que la décision du juge de recourir à un tel moyen est insusceptible de recours. En tout état de cause, l’usage de tels moyens doit garantir une vérification de l’identité des parties, une bonne transmission et une confidentialité des échanges. Ces dispositions réaffirment enfin le rôle du juge en dépit de la tenue d’une audience à distance : il lui appartient toujours d’organiser et de conduire la procédure, de s’assurer du bon déroulement des échanges et de veiller au respect des droits de la défense ainsi qu’au caractère contradictoire des débats. – La procédure de référé fait également l’objet d’adaptations à nouveau préoccupantes. Généralisant la possibilité donnée par l’article L. 522-3 du CJA, l’article 9 de l’ordonnance permet au juge des référés, durant cette période, de statuer sans audience et par une ordonnance motivée sur l’ensemble des requêtes présentées en référé. Ce dernier doit toutefois informer les parties de l’absence d’audience et doit par conséquent fixer une date de clôture de l’instruction. Il est fort à parier que les juridictions useront probablement beaucoup de cette possibilité offerte, en dépit de l’importance cruciale accordée à l’oralité dans ces procédures, et dont certaines ont un rôle fondamental de préservation des libertés…

AUTORISATION ENVIRONNEMENTALE : CONFIRMATION DE LA POSSIBILITÉ DE RÉGULARISER DEUX VICES

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Par une ordonnance du 15 novembre 2019, le tribunal administratif de Montreuil (TA Montreuil, 15 nov. 2019, n° 1902037) a considéré que l’article 6 de l’ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016 relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes (JORF, n°0181, 5 août 2016, texte n° 10) ne dispense en aucun cas de l’étude d’impact prévu par l’article R. 122-5 du code de l’environnement, les demandes d’autorisation unique qui concernent les infrastructures ayant auparavant fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique, avant le 16 mai 2017. La juridiction motive ainsi sa position : « l’article 6 de l’ordonnance n°2016-1058 relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes, dans sa version issue de l’article 65 de la loi n°2017-257 du 28 février 2017, dispose que cette ordonnance s’applique «aux projets faisant l’objet d’une évaluation environnementale systématique pour lesquels la première demande d’autorisation, notamment celle qui conduit à une déclaration d’utilité publique, est déposée à compter du 16 mai 2017». Il ne ressort toutefois ni de la lettre de la loi, qui utilise l’adverbe notamment, ni de l’intention du législateur, qui, ainsi qu’il résulte de l’exposé sommaire de l’amendement CL175 le 6 décembre 2016, a seulement entendu codifier la jurisprudence du Conseil d’Etat, que cette disposition aurait pour objet de faire obstacle à l’application des dispositions de l’article R. 122-5 du code de l’environnement, issues du décret n°2016-1110 du 11 août 2016 transposant la directive 2011/92/UE, aux demandes d’autorisation environnementale unique concernant des infrastructures ayant fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique avant le 16 mai 2017 ». Effectivement  dans l’hypothèse d’un projet nécessitant la délivrance de plusieurs autorisations, ce qui est le cas du Grand Paris express, la jurisprudence considère que la première demande d’autorisation de chacun de ces projets peut être celle qui conduit à la déclaration d’utilité publique : cf. (CE, 2 juin 2003, UFC «Que choisir – Côte d’or», n° 243215 et 15 avril 2016, Fédération nationale des associations d’usagers des transports, n° 387475). Pour garantir au Grand Paris express le bénéficie des assouplissements introduits par l’ordonnance, l’amendement précité proposait effectivement de transposer cette solution jurisprudentielle en matière d’évaluation environnementale (Rapport n° 4293 de première lecture de MM. Jean-Yves Le Bouillonnec et Patrick Mennucci, fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale, p. 266.) On relèvera encore que pour se déclarer compétente pour connaître de cette affaire le Tribunal administratif a du considérer qu’elle relevait pas de la compétence d’attribution à la CAA de Paris des contentieux afférents aux infrastructures « nécessaires » aux jeux olympique Olympiques et Paralympiques de 2024 et issue de l’article R. 311-2  du Code de Justice administrative. Pour le Tribunal ce qui est nécessaire doit être indispensable aux jeux, même si l’affectation de l’infrastructure n’y est pas exclusive. Mais cette décision avant dire droit doit surtout retenir l’attention pour l’usage que fait le juge de l’autorisation environnementale de ses pouvoirs d’administrateur. En l’espèce, plusieurs associations et un collectif (les  associations  France Nature Environnement  Ile-de-France,  le  Collectif  pour  le  Triangle  de Gonesse,  les  Amis  de  la  Confédération  paysanne,  les  Amis  de  la  terre  du  Val  d’Oise,  le Mouvement national de lutte pour l’environnement, Val d’Oise environnement, «des Terres pas d’hypers!»,  Environnement  93,  le  Réseau  associations  pour  le  maintien  d’une  agriculture paysanne en Ile-de-France et Vivre mieux ensemble à Aulnay-sous-Bois), demandaient au tribunal administratif de Montreuil d’annuler l’arrêté inter-préfectoral des préfets de la Seine-Saint-Denis, de la Seine-et-Marne et du Val d’Oise en date du 24 octobre 2018 autorisant la création et l’exploitation de la  ligne  17  Nord  du  réseau  de  transports  du  Grand  Paris Express  entre  le  Bourget  et  le Mesnil-Amelot. Le projet d’une grande envergure impliquait la perturbation ou la destruction de plusieurs espèces protégées, des modifications du mode d’écoulement des eaux, mais aussi le déchiffrement de zones boisées ce qui explique que l’autorisation environnementale était sollicitée à la fois au titre d’ICPE, de IOTA, d’un défrichement et d’une dérogation espèce protégée. Or le dossier  a suscité des avis critique de l’autorité environnementale  et défavorable du Conseil national de la nature. Les associations et le collectif requérants estimaient donc l’étude d’impact comme insuffisante au regard des impacts environnementaux et l’arrêté comme entaché d’une erreur manifeste d’appréciation quant aux prescriptions particulières relatives à la dérogation au titre des espèces et habitats protégés. Rappelant la jurisprudence OCREAL, le jugement précise d’emblée que « les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative » (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 14/10/2011, 323257). Or s’agissant de s’agissant des prélèvements et rejets des eaux d’exhaure, le Tribunal que les omissions pour être démontrées n’ont pas eu d’effet sur la décision prise. Certes « les requérantes font valoir que les précisions chiffrées relatives aux volumes rejetés en nappe, qui correspondent à moins de 3% du total des prélèvements, sont contradictoires avec la mention selon laquelle le principe de réinjection totale ou partielle vers la nappe est retenu en qualité de solution prioritaire, partout où cette solution s’avèrera réalisable » ; mais cette circonstance n’est pas, eu égard notamment au caractère prospectif de ces termes et à la précision des mentions chiffrées, « de nature à avoir nui à l’information complète de la population ou à avoir exercé une influence sur la décision de l’autorité administrative ». Au contraire, le moyen fait mouche s’agissant de l’analyse du cumul des incidences avec d’autres projets connus : « il résulte de l’instruction que le projet de la ZAC du Triangle de Gonesse relatif à l’urbanisation de la zone située à l’est du centre-ville de Gonesse où doit s’implanter la gare du Triangle de Gonesse, dont il est constant qu’elle a fait l’objet d’une évaluation environnementale et d’un avis de l’autorité…

ANTENNE RELAIS : LE PAYSAGE DERNIER REMPART CONTRE LES ONDES ?

Par Maître Thomas RICHET (GREEN LAW AVOCATS) A l’heure de l’ultra-connexion et de l’avènement de la 5G, le gouvernement français s’attache à mettre fin aux « zones blanches » d’ici 2020. Les opérateurs de téléphonie mobile sont les partenaires privilégiés de ce développement et bénéficie, à ce titre, d’un régime juridique favorable pour implanter les pylônes de radiotéléphonie ou « antenne relais » nécessaires à la transmission des ondes. La multiplication de ces « tours de métal » suscite une vive résistance des habitants qui vivent à proximité et qui sont particulièrement inquiets pour leur cadre de vie notamment d’un point de vue sanitaire et paysager. C’est dans ce contexte anxiogène que de nombreux riverains multiplient les actions : mobilisation de la presse locale, pétitions, formation de collectifs, manifestations et pour un nombre croissant d’entre eux, recours au juge administratif en vue de contester l’autorisation d’urbanisme. Il convient d’ailleurs de rappeler que cette autorisation prend désormais la forme d’une simple décision de non-opposition à déclaration préalable en lieu et place d’un permis de construire (sur ce point voir notre article Loi ELAN et décret du 10 décembre 2018 : un nouvel assouplissement des contraintes applicables aux antennes relais). Ces décisions peuvent, à l’occasion d’un recours en excès de pouvoir devant le juge administratif, faire l’objet de plusieurs griefs. En premier lieu, les risques sanitaires sont régulièrement invoqués devant le juge au travers d’une part, de la violation des dispositions de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme (sécurité publique) et, d’autre part, de la méconnaissance de l’article 5 de la Charte de l’environnement (principe de précaution). Actuellement, le juge administratif rejette de manière constante ces moyens considérant qu’il n’existe, en l’état des connaissances scientifiques, aucun risque lié à l’exposition aux champs électromagnétiques (voir par exemple Conseil d’Etat, 30 janvier 2012, req. n° 344992). Bien que les moyens tenant à la contestation du risque sanitaire aient été « neutralisés » devant le juge administratif, le débat ne semble pas totalement arrêté d’un point de vue scientifique. Ainsi le rapport international BioInitiative réalisé en 2007 met en évidence l’existence de risques pour la santé humaine (les conclusions sont consultables ici). Dès lors, et malgré la jurisprudence actuelle, il nous semble donc tout à fait pertinent de continuer à soulever les moyens tenant à dénoncer les risques sanitaires qu’impliquent les antennes relais. En deuxième lieu, les riverains des projets de pylônes de radiotéléphonie peuvent également contester la légalité de la décision de non-opposition à déclaration préalable au regard du document d’urbanisme en vigueur qui sera, le plus souvent, un Plan Local d’Urbanisme (PLU). Le projet d’antenne relais doit en effet respecter le règlement du PLU et sa méconnaissance est susceptible d’être sanctionnée par le juge administratif. Cependant, là encore, ce moyen jouit d’une efficacité relative dès lors que les antennes sont qualifiables de « constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs ou à des services publics » et peuvent ainsi déroger à certaines règles du règlement précité (exemples : hauteur des constructions, implantation au sein d’une zone « naturelle » ou encore « agricole », etc.). Le moyen s’il reste pertinent nécessitera en tout état de cause une instruction approfondie du PLU et du dossier de déclaration préalable de l’opérateur de téléphonie mobile. En troisième et dernier lieu, le moyen qui nous semble être le plus à même d’emporter l’annulation de la décision de non-opposition à déclaration préalable concerne la méconnaissance des dispositions de l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme, à savoir l’atteinte « au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ». Il apparaît en effet incontestable que ces installations, qui peuvent atteindre une quarantaine de mètres de hauteur et qui prennent la forme d’une structure métallique dite en « treillis » ou d’un monotube, sont particulièrement disgracieuses et peuvent donc porter atteinte à la beauté des paysages locaux. Saisi d’un tel moyen le juge procèdera en deux temps : il appréciera d’abord la qualité paysagère du site puis l’impact qui lui est porté par le projet de construction. Ce moyen a d’ores et déjà fait ses preuves, notamment, en vue d’obtenir la suspension de la construction dans le cadre d’un référé suspension formé sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative (voir par exemple, Tribunal administratif de Lille, ord. du 11 février 2019, req. n° 1900166, jurisprudence cabinet). Une récente décision a également attiré notre attention : par une ordonnance du 3 octobre 2019, le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de suspension formulée par un opérateur de téléphonie contre une décision d’opposition à déclaration préalable en considérant que : « La commune fait valoir que le terrain d’assiette du projet, bien que séparé par plusieurs parcelles du marais d’Olonne dont certaines sont bâties, se situe, d’une part, dans une zone de co-visibilité majeure, identifiée par le schéma de cohérence territoriale et qualifiée de « très sensible aux évolutions de plantations et construction, infrastructures et clôtures » et, d’autre part, au sein d’un corridor écologique où les équipements d’intérêt général ne peuvent être implantés que sous réserve de l’impossibilité de les implanter en d’autres lieux. (…) En conséquence les moyens tirés de ce que le projet litigieux ne méconnaîtraient pas l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme (…) ne sont pas de propres, en l’état de l’instruction à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté contesté ». (Tribunal administratif de Nantes, ord. du 3 octobre 2019, req. n° 1909388). Pour conclure, même si les moyens tirés du risque sanitaire et de la méconnaissance du PLU restent pertinents, le moyen tiré de l’atteinte portée au paysage semble être, en l’état de la jurisprudence, le plus efficace pour obtenir l’annulation de la décision de non-opposition à déclaration préalable. Précisons encore que certains PLU peuvent prévoir au sein de leur règlement des dispositions en vue de limiter l’impact paysager des antennes et qu’il conviendra alors d’invoquer ces dispositions en lieu et place de l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme.

PRINCIPE DE NON RÉGRESSION ET ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE : JE T’AIME MOI NON PLUS

Par David DEHARBE (Avocat  associé gérant de Green Law). Par un arrêt du 9 octobre 2019 (Conseil d’État, 6ème et 5ème chambres réunies, 9 octobre 2019, n°420804 : disponible ici), le Conseil d’État a jugé que le décret n° 2018-239 du 3 avril 2018 relatif à l’adaptation en Guyane des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement (disponible ici), exemptant d’évaluation environnementale certains projets de déboisement, situés dans des zones agricoles, précédemment soumises à un examen au cas par cas, ne méconnaît pas le principe de non-régression prévu à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement. Or pour la Haute juridiction, cette méconnaissance n’existe pas dès lors que l’évaluation environnementale a déjà été effectuée, auparavant, lors du classement des zones agricoles dans un document d’urbanisme. Rappelons que l’article R. 122-2 du C.Env prévoit que « les projets relevant d’une ou plusieurs rubriques énumérées dans le tableau annexé au présent article font l’objet d’une évaluation environnementale, de façon systématique ou après un examen au cas par cas, en application du II de l’article L. 122-1, en fonction des critères et des seuils précisés dans ce tableau » (disponible ici). Le décret n° 2018-239 modifie le tableau de l’article R. 122-2 du C.Env, pour prévoir que « le seuil à partir duquel un projet de déboisement en vue de la reconversion des sols est susceptible d’être soumis à une évaluation environnementale sur la base d’un examen au cas par cas est porté à 20 hectares dans les zones classées agricoles par un plan local d’urbanisme ayant lui-même fait l’objet d’une évaluation environnementale ou en l’absence d’un tel plan local d’urbanisme, dans le schéma d’aménagement régional et à 5 hectares dans les autres zones ». Le principe de non-régression correspond en vertu de l’article L. 110-1 du C.Env., à « la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». En l’espèce, l’association France Nature Environnement et l’association Guyane Nature Environnement ont demandé l’annulation du décret n° 2018-239 du 3 avril 2018, en ce qu’il exclut, pour la Guyane, des projets de défrichements auparavant soumis à une évaluation environnementale et qu’il ne soumet pas à évaluation environnementale les défrichements de l’État en forêt domaniale. Le Conseil d’État accepte de connaître du moyen en vérifiant si le décret ne méconnaît pas le principe de non-régression. Les juges du Palais Royal rappellent d’une part la portée du principe de non-régression en ce qu’ « une réglementation soumettant certains types de projets à l’obligation de réaliser une évaluation environnementale après un examen au cas par cas alors qu’ils étaient auparavant au nombre de ceux devant faire l’objet d’une évaluation environnementale de façon systématique ne méconnaît pas, par là même, le principe de non-régression de la protection de l’environnement » (§ 4). D’autre part, il apparaît dans les deux cas soulevés devant la Haute juridiction que les projets susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement doivent faire l’objet d’une évaluation environnementale au sens du II de l’article L. 122-1 du C.Env (disponible ici). Par ailleurs, la Haute juridiction estime qu’ « une réglementation exemptant de toute évaluation environnementale un type de projets antérieurement soumis à l’obligation d’évaluation environnementale après un examen au cas par cas n’est conforme au principe de non-régression de la protection de l’environnement que si ce type de projets, eu égard à sa nature, à ses dimensions et à sa localisation et compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, n’est pas susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine ». Au regard de ces éléments, le Conseil que le décret ne méconnaît pas le principe de non-régression pour les projets de déboisement sur une superficie de 20 hectares du fait qu’en l’état antérieur de la réglementation ces derniers faisaient déjà l’objet d’une évaluation environnementale. Toutefois, le Conseil relève que pour le projet de déboisement portant sur une superficie de moins de 5 hectares qui n’ont pas été classés en zones agricoles par un document d’urbanisme ayant lui-même fait d’une obligation environnementale ou dans le schéma d’aménagement régional porte atteinte au principe de non-régression, une telle exemption était jusqu’alors limitée aux projets de déboisement en vue de la reconversion des sols portant sur une superficie totale de moins de 0,5 hectare. Pour le Palais Royal, cette exemption auparavant plus limitée est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement. Un lecteur candide verrait dans cet arrêt une difficulté supplémentaire de faire valoir le principe de non-régression devant la plus haute juridiction administrative. Mais le Conseil d’État relève qu’ « Il ressort des pièces du dossier qu’une telle modification est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement, eu égard notamment à la biodiversité remarquable qu’abrite la forêt guyanaise, nonobstant l’étendue de la forêt en Guyane et la protection dont une grande partie fait par ailleurs l’objet ». Si le principe de non régression a pu décevoir les requérants, ce principe n’étant souvent pas retenu (TA Strasbourg, 19 novembre 2014, n° 1205002, CE, 14 juin 2018, n° 409227, CE, 17 juin 2019, n°421871, CE, 24 juillet 2019, n° 425973), au final cet arrêt rappelle que le requérant doit systématiquement prouver et justifier la baisse du niveau de protection (CE, 8 décembre 2017, n° 404391 ; TA Dijon, 25 juin 2018, n°1701051).

La production d’électricité éolienne : une raison impérative d’intérêt public majeur ?

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) Lorsque la dérogation de destruction d’espèce naturelle protégée est sollicitée pour un projet entrant dans le cadre du champ d’application de l’autorisation environnementale, cette dernière tient lieu de la dérogation faune-flore. La demande est alors instruite et délivrée dans les conditions prévues pour l’autorisation environnementale et les dispositions procédurales relatives à la dérogation faune-flore ne sont alors pas applicables (Cf. les art. L. 181-1, L. 181-2, I, 5° et R. 411-6 du code de l’environnement). S’agissant des parcs éoliens, la Cour administrative d’appel de Nantes (CAA de NANTES, 5ème chambre, 05/03/2019, 17NT02791- 17NT02794, Inédit au recueil Lebon) apporte d’importantes précisions sur le contrôle du juge administratif quant aux conditions auxquelles un parc éolien peut bénéficier d’une telle dérogation (ici sur la base d’un arrêté intervenu avant l’entrée en vigueur de l’autorisation environnementale). Par arrêté du 4 février 2015, le préfet du Morbihan a accordé à la SAS Les Moulins du Lohan, en application de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, l’autorisation de déroger aux interdictions mentionnées à l’article L. 411-1 du même code de capture, d’enlèvement, de transport, de perturbation intentionnelle, de destruction de spécimens d’espèces protégées et de destruction d’habitats d’espèces protégées, en vue de l’exploitation d’un parc éolien sur le territoire de la commune des Forges. Saisi par la Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de France (SPPEF) et plusieurs riverains du projet éolien, ainsi que par l’association ” Bretagne vivante – SEPNB “, le tribunal administratif de Rennes a, par jugement du 7 juillet 2017 annulé cet arrêté. En appel le Ministre et l’opérateur éolien obtiennent l’annulation du jugement et le rétablissement en vigueur de l’arrêté de dérogation. Des dérogations au régime de protection stricte de certaines espèces peuvent être apportées sous certaines conditions : il n’existe pas d’autre solution satisfaisante pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire ; précisons que la possibilité de recourir à une tierce expertise a été introduite par l’article 68 de loi Biodiversité (L. n° 2016-1087 du 8 août 2016) ; la dérogation ne doit pas nuire pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ; Par ailleurs la dérogation doit poursuivre l’un des buts suivants énoncés aux paragraphes a) à e) de l’article L.411-2, 4° du code de l’environnement : dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ; dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publique ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ; à des fins de recherche et d’éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ; Or dans son arrêt du 3 mars dernier, la CAA de Nantes rappelle « qu’un projet d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet dans lequel il s’inscrit, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ». Ce sont effectivement pour le Conseil d’Etat trois conditions « cumulatives » qui sont ainsi requises (Conseil d’État, 9 oct. 2013, n°366803,  Inédit au recueil Lebon ;  CE, 6ème et 5ème chambres réunies, 24 juillet 2019, n°414353). Or s’agissant des aménagements projet travaux ou activités à finalité purement économique, leur demande de dérogation doit en pratique être justifiée par « une raison impérative d’intérêt public majeur » pour laquelle la jurisprudence est extrêmement exigeante quant à cette dernière (le projet de  centre commercial et de loisirs dit ” Val Tolosa ” en Haute-Garonne et la création de plus de 1 500 emplois potentiels viennent d’en faire les frais : CE, 6ème et 5ème chambres réunies, 24 juillet 2019, n°414353) Sachant que selon le juge administratif l’intérêt public qui s’attache à un projet « ne suffit pas » à remplir cette condition du droit communautaire (cf. G. Audrain-Demey, Aménagement et dérogation au statut des espèces protégées : la « raison impérative d’intérêt public majeur » au cœur du contentieux, Dr. env. n° 274, janv. 2019, p. 15) et que rares sont les espèces à retenir la qualification de la « raison impérative » (Pour une extension d’ISDN participant de la continuité du service public  CAA Marseille, 7ème ch., 12 juill. 2016, n° 16MA00072 : – Pour le projet d’aéroport de notre Dame des Landes : CAA Nantes, 14 nov. 2016, n° 15NT02386). Ainsi une retenue d’eau, une carrière, un contournement routier, un center parc ne peuvent en tant que tel prétendre à la qualification en l’état de la jurisprudence des juges du fonds. Au demeurant dans son arrêt du 24 juillet dernier (n°414353), le Conseil d’Etat a pris le soin de préciser que la nature des atteintes et leur compensation ne devait pas peser dans la qualification de la raison impérative d’intérêt public majeur : « En raison du caractère cumulatif des conditions posées à la légalité des dérogations permises par l’article L. 411-2 du code de l’environnement, les motifs par lesquels la cour administrative d’appel a ainsi jugé que l’autorisation attaquée ne répondait pas à une raison impérative d’intérêt public majeur justifient nécessairement, à eux seuls, le…