La « Danthonysation » des vices affectant l’ouverture d’une enquête publique

Par Maître Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Le Conseil d’Etat, aux termes de sa décision Danthony, a dégagé un « principe » désormais bien connu : « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; que l’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte » (Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, publié au recueil Lebon). Ainsi, une décision affectée d’un vice de procédure n’est illégale que s’il ressort des pièces du dossier que ce vice a été susceptible d’exercer, dans les circonstances de l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie. En pratique, cette décision a impulsé un tournant quant à l’appréciation par le juge des vices de procédure, même si une partie de la doctrine considère encore que « le changement provoqué par l’arrêt Danthony est […] purement cosmétique » (Julien Bétaille, « Insuffisance de l’étude d’impact : Danthony ne change rien, ou presque », Droit de l’Environnement, n°231, Février 2015, p.65). Le praticien qui vit les applications par les juges du fond de la jurisprudence Danthony est sans doute moins enclin à cultiver ce paradoxe… la Danthonisation lui semble injuste pour le requérant, suscitant une frustration tout aussi comparable à celle des pétitionnaires victimes hier d’annulations reposant sur des motifs trop formalistes. Ainsi les positions de principe du Conseil d’Etat masquent les excès du juge du fond. Ainsi l’arrêt Danthony a incontestablement été compris par ces derniers comme un excellent moyen de neutraliser les illégalités formelles. Quoiqu’il en soit, le principe dégagé par la décision Danthony fut notamment appliqué en matière d’ouverture d’enquête publique lorsque cette enquête était prévue par le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique : « 2. Considérant que s’il appartient à l’autorité administrative de procéder à la publicité de l’ouverture de l’enquête publique dans les conditions fixées par les dispositions précitées, la méconnaissance de ces dispositions n’est de nature à vicier la procédure et donc à entraîner l’illégalité de la décision prise à l’issue de l’enquête publique que si elle a pu avoir pour effet de nuire à l’information de l’ensemble des personnes intéressées par l’opération ou si elle a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l’enquête et, par suite, sur la décision de l’autorité administrative ; 3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’enquête publique relative à la création, sur le territoire de la commune de Noisy-le-Grand, d’une liaison piétonne et automobile entre la zone d’aménagement concerté dénommée ” du Clos Saint Vincent ” et la rue Pierre Brossolette a commencé le 7 juin 2005 ; que l’avis d’enquête publique a été publié le 21 mai 2005 dans l’un des deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans tout le département intéressé et que cette publication a été renouvelée dans l’édition du 10 juin 2005 du même journal ; que cet avis d’enquête publique a également fait l’objet d’une information résumée accompagnée de renseignements pratiques dans le magazine municipal gratuit ” Noisy-Mag ” le 4 juin 2005 ; que la cour administrative d’appel de Versailles a annulé l’arrêté du 21 octobre 2005 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a déclaré d’utilité publique l’acquisition des parcelles nécessaires à la création de la liaison piétonne et automobile projetée au motif de l’absence d’une publication dans un second journal régional ou local répondant aux exigences de l’article R. 11-4 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique sans rechercher, alors qu’une publication résumée de cet avis était intervenue dans un magazine municipal distribué dans l’ensemble de la commune, si ce manquement était, dans les circonstances de l’espèce, de nature à entacher d’irrégularité l’ensemble de la procédure d’enquête publique pour défaut d’information et de consultation du public ; qu’elle a ainsi commis une erreur de droit ; […] » (Conseil d’État, première et sixième sous-sections réunies, 3 juin 2013, n°345174, mentionné dans les tables du recueil Lebon) Or désormais, le Conseil d’Etat l’applique également en ce qui concerne l’ouverture des enquêtes publiques régies par les dispositions du code de l’environnement. Il s’agit de la décision présentement commentée (Conseil d’Etat, deuxième et septième sous-sections réunies, 27 février 2015, n° 382502, mentionné dans les tables du recueil Lebon).   En l’espèce, trois projets relevant de la maîtrise d’ouvrage de la communauté urbaine de Lyon ont été retenus pour permettre la desserte du projet du Grand Stade de Lyon, Ces trois projets ont été chacun soumis à une enquête publique distincte mais réalisée concomitamment. Par trois arrêtés du 23 janvier 2012, le préfet du Rhône a déclaré d’utilité publique ces trois projets puis par deux arrêtés du 30 mars et par un arrêté du 24 juillet 2012, a déclaré cessibles les parcelles de terrain nécessaires à la réalisation d’un des projets. Ces arrêtés firent l’objet de recours en excès de pouvoir. En première instance, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ces recours pour excès de pouvoir par trois jugements du 10 avril 2013. En appel, après avoir relevé que les arrêtés du préfet du Rhône prescrivant l’ouverture des enquêtes publiques et les avis au public relatifs à ces enquêtes avaient omis de mentionner que les projets avaient fait l’objet d’une étude d’impact et que ce document faisait partie du dossier soumis à l’enquête, la cour administrative d’appel de Lyon a estimé que cette méconnaissance des dispositions des articles R. 123-13 et R. 123-14 du code de l’environnement avait été de nature…

Limites de rejets de tritium en INB : pas de manque de précaution selon le Conseil d’Etat

Par David DEHARBE Le Comité de réflexion d’information et de lutte anti-nucléaire (CRILAN) avait demandé au Tribunal administratif de Caen l’annulation de l’arrêté du 15 septembre 2010 du ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer et du ministre de l’économie, de l’industrie et l’emploi, portant homologation de la décision n° 2010-DC-0188 de l’autorité de sûreté nucléaire (ASN) du 7 juillet 2010 fixant les limites de rejets dans l’environnement des effluents liquides et gazeux pour l’exploitation des réacteurs “Flamanville 1” (INB n°108), “Flamanville 2” (INB n°109) et “Flamanville 3” (INB n°167). En vertu de l’article R. 351-2 du code de justice administrative la juridiction a transmis l’affaire au Conseil d’Etat qui s’est prononcé par un arrêt du 17 octobre 2014 (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 17/10/2014, 361315). Cette espèce retiendra l’attention des spécialiste du droit nucléaire en ce que le Conseil d’Etat se reconnaît compétent sur la base de la nouvelle rédaction de l’article R. 311-1 4° du Code de justice administrative pour connaître en premier et dernier ressort des recours, de plein contentieux, contre les arrêtés ministériels homologuant les décisions prises par l’Autorité de sûreté nucléaire. Cela n’allait pas de soi, l’article R. 311-1 du Code de justice administrative visant les décisions de l’ASN mais par leur homologation par arrêté Ministériel. Pour sa part, l’environnementaliste relève cet arrêt à deux autres titres. D’abord sur le terrain de la suffisance d’impact, le Conseil confirme qu’il n’est pas impossible de compléter dans des circonstances bien particulières une étude d’impact après enquête publique : « l’association requérante soutient que l’étude d’impact serait insuffisante, faute d’analyser les conséquences du rejet dans l’environnement de substances chimiques nocives, susceptibles notamment de provoquer de graves lésions oculaires, provenant de l’utilisation de six tonnes par an de produits dits désincrustants nécessaires au fonctionnement de l’unité de dessalement d’eau de mer de l’EPR, qui doit traiter environ 430 000 m3 d’eau par an ; que l’insuffisance de l’étude d’impact est démontrée, selon elle, par la production d’une étude d’impact complémentaire détaillée traitant ce point, réalisée deux ans après l’enquête publique ; que, toutefois, la circonstance qu’a été réalisée ultérieurement une étude complémentaire afin de préciser certaines modalités d’exécution du projet ne révèle pas par elle-même une insuffisance du dossier de demande d’autorisation ou de l’étude d’impact ; que figurait dans le dossier soumis à enquête publique une annexe B-6c relative à l’unité de dessalement mentionnant l’utilisation de produits désincrustants et comportant une appréciation de la consommation, de la fréquence et des rejets de ces produits ; que, par suite, aucune insuffisance du dossier de demande ou de l’étude d’impact initiale ne peut être regardée en l’espèce comme établie ». On le voit une fois de plus : c’est la vocation intrinsèquement et suffisamment informative (sur cette notion cf. notre commentaire sur le blog de Green Law sous Conseil d’Etat, 15 mai 2013, n°353010), le Conseil d’Etat a été amené, en tant que juge des) de l’étude initiale qui permet au juge d’écarter tout débat sur l’incomplétude prétendument déduite d’une production après enquête publique . L’environnementaliste retiendra encore ce nouveau refus du Conseil d’Etat de censurer un dispositif réglementaire sur la base du principe de précaution. Certes aux visas des articles 1er et 5 dé la Charte de l’environnement, l’arrêt décline en matière d’INB, le considérant initié dans l’espèce Association coordination interrégionale stop tht et autres (CE, 12 avril 2013, , n° 342409 – « La méthodologie du principe de précaution fixée par le Conseil d’Etat », Droit de l’environnement, n°216, octobre 2013) et appliqué en matière d’amiante (Conseil d’État, 1ère / 6ème SSR, 26/02/2014, 351514, note Deharbe AJDA 2014, p. 1566) : « qu’il incombe à l’autorité administrative compétente en matière d’installations nucléaires de base de rechercher s’il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse de risques de dommages graves et irréversibles pour l’environnement ou d’atteintes à l’environnement susceptibles de nuire de manière grave à la santé, qui justifieraient, en dépit des incertitudes subsistant quant à leur réalité et à leur portée en l’état des connaissances scientifiques, l’application du principe de précaution ». Mais s’agissant de contrôler, l’augmentation des limites des rejets de tritium sous forme gazeuse ou liquide (” eau tritiée “) homologuée par le Ministre, le Conseil d’Etat rejette au fond le moyen en concluant que « l’administration n’a pas commis d’erreur d’appréciation dans l’évaluation des risques de l’installation » dès lors que « ces limites maximales demeurent très inférieures à celles qui sont prévues par la réglementation sanitaire en vigueur; que l’augmentation des limites de rejet du tritium s’accompagne d’une diminution des rejets d’autres substances radioactives ; qu’en outre, les études ou documents les plus récents versés au dossier, notamment le livre blanc du tritium publié le 8 juillet 2010, qui été rédigé sur la base des réflexions des groupes de travail mis en place en 2008 par l’ASN, et les travaux de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), s’ils soulignent la nécessité de poursuivre les recherches, confirment, en l’état des connaissances scientifiques et compte tenu des mesures prises, l’absence de risques graves pour l’environnement ou la santé publique ». On remarquera encore avec le plus grand intérêt,  que le Conseil d’Etat a pris lui-même le soin d’actualiser son appréciation sur le prétendu manque de précaution, dès lors que que l’arrêt précise : « qu’il ne résulte pas de l’instruction que des circonstances nouvelles seraient de nature à remettre en cause l’appréciation portée sur ceux-ci ».

Urbanisme: le bénéficiaire d’un permis attaqué ne peut se prévaloir d’une date antérieure à celle mentionnée dans la déclaration d’achèvement pour opposer une irrecevabilité (CAA Lyon, 13 nov. 2014)

Par un arrêt en date du 13 novembre 2014 (CAA Lyon, 1re ch., 13 nov. 2014, n° 13LY01881), la Cour administrative d’appel de LYON considère que le bénéficiaire d’un permis de construire ne peut se prévaloir d’une date d’achèvement antérieure à celle mentionnée dans sa déclaration d’achèvement de travaux pour opposer une irrecevabilité à un requérant. C’est là une application équilibrée du texte. Rappelons que pour les décisions d’urbanisme, le délai de recours est fixé par les dispositions combinées des articles R600-2 et R600-3 du Code de l’urbanisme : Deux mois à compter de l’affichage continu de la décision sur le terrain, Un an à compter de l’achèvement de la construction faute de preuve de l’affichage. L’article R600-3 du code de l’urbanisme prévoit en effet qu’aucune action en vue de l’annulation d’une autorisation d’urbanisme n’est recevable à l’expiration d’un délai d’un an à compter de l’achèvement de la construction ou de l’aménagement. Cette disposition, applicable aux recours introduits à compter du 1er octobre 2007, précise que la date de cet achèvement est celle de la réception en mairie de la déclaration d’achèvement mentionnée à l’article R462-1 du code de l’urbanisme, sauf preuve contraire. En l’espèce, le ministre de l’égalité des territoires et du logement ainsi que la société, bénéficiaire du permis de construire attaqué soutenaient qu’il devait être opposé un délai de forclusion au demandeur à l’instance. A l’appui de ses prétentions, la société indiquait que si la déclaration d’achèvement et de conformité des travaux mentionnait la date du 10 novembre 2009 et reçue en mairie le 24 novembre 2009, il n’en demeurait pas moins que les travaux avaient été terminés bien avant cette date. Saisie du litige, la Cour administrative d’appel de LYON censure cette argumentation et rappelle:  « Considérant toutefois que le ministre de l’égalité des territoires et du logement et la société X soutiennent que doit être opposé à ces conclusions le délai de forclusion d’un an prévu par l’article R. 600-3 du code de l’urbanisme ; qu’aux termes de cet article : ” Aucune action en vue de l’annulation d’un permis de construire ou d’aménager ou d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable n’est recevable à l’expiration d’un délai d’un an à compter de l’achèvement de la construction ou de l’aménagement. / Sauf preuve contraire, la date de cet achèvement est celle de la réception de la déclaration d’achèvement mentionnée à l’article R. 462-1. ” ; qu’aux termes de ce dernier article : ” La déclaration attestant l’achèvement et la conformité des travaux est signée par le bénéficiaire du permis de construire (…) ou par l’architecte ou l’agréé en architecture, dans le cas où ils ont dirigé les travaux. / Elle est adressée par pli recommandé avec demande d’avis de réception postal au maire de la commune ou déposée contre décharge à la mairie. (…). / Le maire transmet cette déclaration au préfet lorsque (…) le permis a été pris au nom de l’Etat (…). ” ; Considérant qu’il résulte de la combinaison de ces dispositions que, lorsqu’une autorisation de construire relative à des travaux achevés à compter du 1er octobre 2007 est contestée par une action introduite à compter de la même date, celle-ci n’est recevable que si elle a été formée dans un délai d’un an à compter de la réception par le maire de la commune de la déclaration attestant l’achèvement et la conformité des travaux ; qu’une telle tardiveté ne peut être opposée à une demande d’annulation que si le bénéficiaire de l’autorisation produit devant le juge l’avis de réception de la déclaration prévue par les dispositions précitées de l’article R. 462-1 du code de l’urbanisme ; que, pour combattre la présomption qui résulte de la production par le bénéficiaire de cet avis de réception, le demandeur peut, par tous moyens, apporter devant le juge la preuve que les travaux ont été achevés à une date postérieure à celle de la réception de la déclaration ; Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la déclaration attestant l’achèvement et la conformité des travaux, qui indique comme date d’achèvement des travaux le 10 novembre 2009, a été reçue en mairie le 24 novembre 2009 ; que, si la société X soutient que les travaux ont en réalité été terminés avant la date ainsi indiquée, le bénéficiaire de l’autorisation ne peut toutefois se prévaloir d’une date antérieure à celle mentionnée dans sa propre déclaration ; que, par suite, la demande devant le tribunal administratif de Grenoble ayant été enregistrée le 8 novembre 2010, soit moins d’un an après ladite date du 24 novembre 2009, la forclusion prévue par l’article R. 600-3 précité du code de l’urbanisme ne peut être opposée à M.D… ;». Cet arrêt est intéressant puisqu’il rappelle que la date figurant sur la déclaration d’achèvement et de conformité des travaux et son accusé de réception en mairie constitue le point de départ du délai prévu par l’article R600-3 du code de l’urbanisme. Surtout, on retiendra que la cour censure le bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme qui soutenait que la date d’achèvement des travaux est antérieure à celle indiquée dans sa déclaration. Notant toutefois que pour combattre la présomption qui résulte de la production par le bénéficiaire de cet avis de réception, le demandeur à l’action peut pour sa part et par tous moyens, apporter devant le juge la preuve que les travaux ont été achevés à une date postérieure à celle de la réception de la déclaration (CE, 6 déc. 2013, n° 358843). C’est dire que la présomption simple de la date d’achèvement de l’installation, qui peut être renversée par toute preuve contraire aux termes de l’article R 600-3 du code de l’urbanisme, ne bénéficie en réalité qu’au requérant, et non à celui qui a obtenu le permis. Ce déséquilibre qui peut paraitre injuste à première vue, s’explique selon nous par le fait que la déclaration d’achèvement de travaux est présumée porter sur des faits exacts (c’est à dire que la construction n’est pas censée avoir été achevée avant ou après la date indiquée). Admettre  que la présomption de…

Le juge, les sites pollués et leur propriétaire : la technique des petits pas

La technique des petits pas « est au fond à la jurisprudence ce que l’expérimentation est à la loi » (Guy Canivet, « La politique jurisprudentielle », Mélanges en l’honneur de Jacques Boré, La création du droit jurisprudentiel, Dalloz, 2007, p. 79 à 97). Prétorien et fruit de l’interprétation des polices administratives, le droit de l’environnement connaît bien cette technique : « Trois pas en avant, trois pas en arrière…» comme dirait la comptine pour enfants sur la fermière qui allait au marché. Le Conseil d’Etat, grand amateur des petits pas, a utilisé ce moyen pour faire évoluer la responsabilité en matière de gestion des déchets comme nous le confirme cette espèce récente : CE du 24 octobre 2014, n°361231. En effet, la réglementation en matière de gestion des déchets désigne le producteur des déchets ou leur détenteur mais non le propriétaire des terrains sur lesquels des déchets sont entreposés. A titre d’exemple, l’article L. 541-2 du code de l’environnement relatif à la responsabilité en matière de gestion des déchets dispose :  « Tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d’en assurer ou d’en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre. Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. Tout producteur ou détenteur de déchets s’assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge. » Il ne ressort nullement de cet article que le propriétaire du terrain sur lequel sont entreposés les déchets pourrait voir sa responsabilité recherchée sur son fondement. Pourtant, la jurisprudence a étendu les dispositions de cet article au propriétaire d’un terrain sur lequel sont entreposés des déchets. Le propriétaire a alors été assimilé au détenteur des déchets. Cela a permis d’allonger la liste des responsables potentiels lors d’une défaillance dans la gestion des déchets et de s’assurer ainsi de la prise en charge financière de leur élimination. A cet égard, le Conseil d’Etat a posé le principe selon lequel  « le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l’absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain ; » (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 26 juillet 2011, n° 328651, mentionné dans les tables du recueil Lebon) Neil Armstrong aurait sans doute affirmé que « C’était un petit pas pour l’Homme mais un grand pas pour la gestion des déchets ». L’utilisation de l’adverbe « notamment » sous-entendait clairement que la négligence à l’égard d’abandons sur son terrain était une des hypothèses permettant de regarder le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets comme leur détenteur mais que d’autres hypothèses pourraient ultérieurement être identifiées. Le Conseil d’Etat a mis plusieurs années avant d’identifier de telles hypothèses et, après ce premier pas de géant, a préféré y aller à pas de fourmi. Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a attendu que la Cour de cassation se prononce. Celle-ci a adopté une solution de principe presque identique à la sienne mais a fait un petit pas supplémentaire en identifiant une nouvelle hypothèse de responsabilité du propriétaire du terrain sur lequel sont entreposés des déchets : la complaisance. (Peut-être que ce petit pas devrait plutôt s’analyser en un refus de la Cour de cassation de s’aligner mot pour mot sur la jurisprudence du Conseil d’Etat… Je vous laisse le soin de faire votre propre analyse sur cette question. Pour ma part, je préfère considérer qu’il s’agit d’un petit pas). La Cour de cassation a ainsi estimé : « qu’en l’absence de tout autre responsable, le propriétaire d’un terrain où des déchets ont été entreposés en est, à ce seul titre, le détenteur au sens des articles L. 541-1 et suivants du code de l’environnement dans leur rédaction applicable, tels qu’éclairés par les dispositions de la directive CEE n° 75-442 du 15 juillet 1975, applicable, à moins qu’il ne démontre être étranger au fait de leur abandon et ne l’avoir pas permis ou facilité par négligence ou complaisance » (Cour de cassation, Chambre civile 3, 11 juillet 2012, n° 11-10.478, Publié au bulletin) Dans un deuxième temps, après ce petit pas en avant de la Cour de cassation, le Conseil d’Etat a fait un petit pas en arrière pour restreindre la responsabilité du propriétaire ayant fait preuve de négligence à l’égard d’abandons de déchets sur son terrain. Aux termes de deux décisions du 1er mars 2013, il a affirmé que cette responsabilité du propriétaire du terrain était subsidiaire par rapport à la responsabilité encourue par le producteur ou les autres détenteurs des déchets. Aussi, la responsabilité du propriétaire du déchet ne pouvait être recherchée que s’il apparaissait que tout autre détenteur des déchets était inconnu ou avait disparu. Il a ainsi considéré que : « si, en l’absence de tout producteur ou tout autre détenteur connu de déchets, le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés ces déchets peut être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain, et être de ce fait assujetti à l’obligation d’éliminer ces déchets, la responsabilité du propriétaire du terrain au titre de la police des déchets ne revêt qu’un caractère subsidiaire par rapport à celle encourue par le producteur ou les autres détenteurs de ces déchets et peut être recherchée s’il apparaît que tout autre détenteur de ces déchets est inconnu ou a disparu » (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 1er mars 2013, n° 354188, mentionné dans les tables du recueil Lebon ; voir également en ce sens : Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 1er mars 2013, n° 348912). Cette solution a été confirmée quelques mois plus tard par une autre décision du Conseil d’Etat (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 25 septembre 2013, n° 358923). Dans un troisième temps, le Conseil d’Etat a fait un…

Urbanisme: la notification d’un pourvoi en cassation à l’adresse de l’avocat à la Cour est vue comme respectant l’article R600-1 CU (CE, 15 oct.2014)

Aux termes d’une décision du 15 octobre 2014, le Conseil d’Etat est venu apporter une précision sur la régularité d’une notification de recours réalisée en vertu de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme (Conseil d’État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 15 octobre 2014, n°366065, mentionné dans les tables du Recueil Lebon) Les faits sont les suivants. Le préfet de la région Auvergne a délivré à une société un permis de construire en vue de la réalisation d’un parc éolien. Par un jugement du 27 mars 2012, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé ce permis à la demande plusieurs requérants. Le pétitionnaire a alors fait appel de ce jugement et a obtenu gain de cause en appel. Un pourvoi en cassation a alors été formé à l’encontre de l’arrêt de la Cour administrative d’appel. Devant le Conseil d’Etat, le pétitionnaire du permis de construire opposait une fin de non-recevoir tirée de ce que les requérants ne lui auraient pas régulièrement notifié leur pourvoi. On comprend à la lecture de l’arrêt que les requérants avaient notifié leur pourvoi à l’adresse de leur avocat à la Cour, les ayant représenté en instance d’appel. Il invoquait, à cet effet, les dispositions de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme. Aux termes de cet article, ” En cas (…) de recours contentieux à l’encontre (…) d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir, (…) l’auteur du recours est tenu, à peine d’irrecevabilité, de notifier son recours à l’auteur de la décision et au titulaire de l’autorisation. Cette notification doit également être effectuée dans les mêmes conditions en cas de demande tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision juridictionnelle concernant (…) un permis de construire, d’aménager ou de démolir. (…) / La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt (…) du recours. / La notification du recours à l’auteur de la décision et, s’il y a lieu, au titulaire de l’autorisation est réputée accomplie à la date d’envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception. Cette date est établie par le certificat de dépôt de la lettre recommandée auprès des services postaux “. Le Conseil d’Etat a alors rappelé que cette obligation de notification s’appliquait au recours initial mais également à tout recours ultérieur contre une décision juridictionnelle : « ces dispositions font obligation à l’auteur d’un recours contentieux de notifier une copie du texte intégral de son recours à l’auteur et au bénéficiaire du permis attaqué, de même que, ultérieurement, de son recours contre une décision juridictionnelle rejetant tout ou partie des conclusions tendant à l’annulation de cette décision ». Il a ensuite considéré que, qu’il ressortait des pièces de la procédure que les requérants avaient, dans le délai imparti, expédié à la société pétitionnaire, par lettre recommandée avec accusé de réception, une copie de leur pourvoi contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon à une adresse qui correspondait «  en réalité non à celle de son siège social mais à celle de son avocat devant la cour ». Bien que la société n’ait pas reçu cette notification en raison du caractère erroné de l’adresse, le Conseil d’Etat a jugé la notification régulière dès lors qu’elle avait été faite à l’adresse figurant dans les visas de l’arrêt attaqué. Cette décision est à rapprocher d’une décision rendue par le Conseil d’Etat le 24 septembre 2014 (Conseil d’État, 10ème / 9ème SSR, 24/09/2014, 351689, mentionné dans les tables du Recueil Lebon). Aux termes de cette seconde décision, le Conseil d’Etat a rappelé que « le but [de l’article R.600-1 du code de l’urbanisme] est d’alerter tant l’auteur d’une décision d’urbanisme que son bénéficiaire de l’existence d’un recours contentieux formé contre cette décision, dès son introduction ». En l’espèce, il a annulé le jugement d’une cour administrative d’appel qui avait considéré que le requérant n’avait pas rempli son obligation de notifier la requête d’appel au détendeur en expédiant celle-ci non pas à l’adresse du pétitionnaire mais à l’adresse de l’architecte à qui le pétitionnaire avait donné mandat jusqu’à la notification de la décision définitive de l’administration. Le Conseil d’Etat a considéré dans cette seconde décision que la Cour avait commis une erreur de droit en considérant que la notification n’avait pas été régulière alors qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que l’adresse qui avait été écrite sur la notification était mentionnée sur le permis litigieux comme étant celle à laquelle la bénéficiaire du permis de construire était domiciliée. En conséquence, il résulte de ces deux décisions que si la notification a été faite par erreur à une mauvaise adresse, la notification est regardée comme régulière sur le fondement de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme si l’erreur était légitime et figurait sur les documents officiels (tels que le permis litigieux ou l’arrêt qui est attaqué). L’erreur est considérée comme légitime si elle résulte elle-même d’une erreur commise par la personne dont l’acte est attaqué (administration ou juridiction qui a inscrit une adresse erronée dans la décision attaquée). Si cette position du Conseil d’Etat se comprend au regard de la nature de l’erreur commise par l’auteur de la notification, elle nous semble néanmoins ne pas tout à fait correspondre à l’esprit de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme qui vise, rappelons-le, à « alerter tant l’auteur d’une décision d’urbanisme que son bénéficiaire de l’existence d’un recours contentieux formé contre cette décision, dès son introduction ».