Compatibilité entre un POS et une déclaration d’utilité publique (DUP) : quelles sont les conditions à respecter ? (CE, 27 juill.2015)

Par Marie-Coline Giorno Green Law Avocat Il est fréquent qu’un projet faisant l’objet d’une déclaration d’utilité publique nécessite une mise en compatibilité du document d’urbanisme. Toutefois, comment déterminer si un projet est ou non compatible avec un document d’urbanisme ? C’est tout l’objet de la décision du Conseil d’Etat du 27 juillet 2015 (Conseil d’État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 27 juillet 2015, n° 370454, Mentionné au Recueil Lebon). Les faits de l’espèce étaient les suivants. Le 9 juillet 2008, un sous-préfet a pris un arrêté portant déclaration d’utilité publique d’un projet de déviation de route départementale. Une association de riverains a demandé au Tribunal administratif de Nîmes d’annuler pour excès de pouvoir cet arrêté. Par un jugement n° 0802903 du 1er juin 2011, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande. L’association a alors interjeté appel de ce jugement. Par un arrêt n° 11MA02911 du 23 mai 2013, la Cour administrative d’appel de Marseille, a annulé l’arrêté du sous-préfet du 9 juillet 2008 et réformé le jugement du Tribunal administratif de Nîmes en ce qu’il avait de contraire à son arrêt. Un pourvoi fut alors formé devant le Conseil d’Etat par le département du Gard. Les questions de droit que la Haute Juridiction devait trancher étaient de savoir si la Cour administrative d’appel de Marseille avait ou non commis une erreur de droit et une erreur dans la qualification juridique en estimant que le projet ne pouvait être regardé comme compatible avec le plan d’occupation des sols (POS) de la commune. Aux termes de son analyse, le Conseil d’Etat a rappelé les dispositions de l’article L. 123-16 du code de l’urbanisme dans leur version alors en vigueur. Cet article énonçait la procédure à suivre en présence d’une incompatibilité entre une déclaration d’utilité publique (DUP) et un plan local d’urbanisme (PLU). Certes, en l’espèce, le document d’urbanisme n’était pas un PLU mais un POS. L’application de l’article L. 123-16 du code de l’urbanisme dans sa version alors en vigueur pourrait donc surprendre. Néanmoins, il convient de rappeler que l’article L. 123-16 du code de l’urbanisme s’imposait également lorsqu’un POS n’était pas compatible avec le projet faisant l’objet de la DUP en vertu des dispositions de l’article L. 123-19 du code de l’urbanisme alors en vigueur. Après avoir rappelé les termes de l’article L. 123-16 du code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat a posé le principe selon lequel « l’opération qui fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique ne peut être regardée comme compatible avec un plan d’occupation des sols qu’à la double condition qu’elle ne soit pas de nature à compromettre le parti d’aménagement retenu par la commune dans ce plan et qu’elle ne méconnaisse pas les dispositions du règlement de la zone du plan dans laquelle sa réalisation est prévue ». Deux conditions cumulatives sont donc requises pour qu’une opération faisant l’objet d’une DUP soit regardée comme compatible avec un POS : L’opération ne doit pas être de nature à compromettre le parti d’aménagement retenu par la commune dans le POS ; L’opération ne doit pas méconnaître les dispositions du règlement de la zone du plan dans laquelle sa réalisation est prévue. En l’espèce, la Cour administrative d’appel avait considéré que le tracé routier envisagé pour la déviation des routes passait par des parcelles classées en zone NC sur une commune alors que le règlement du plan d’occupation des sols de cette commune précisait que la zone NC est une « zone naturelle à protéger en raison de la valeur économique des sols et réservée à l’exploitation agricole ». La Cour avait également souligné que le projet de déviation était sans rapport avec les besoins de la desserte des constructions autorisées par le règlement en zone NC et qu’il ne s’inscrivait pas dans l’un des cas d’utilisation du sol autorisés le plan d’occupation des sols. Selon le Conseil d’Etat, « en déduisant de ces constatations que le projet en cause ne pouvait être regardé comme ” compatible ” avec le plan d’occupation des sols de la commune […] et que celui-ci aurait dû faire l’objet d’une mise en compatibilité, alors même que les parcelles classées en zone NC de la commune représentent près de 2 000 hectares et que le projet de déviation ne concernerait qu’une superficie d’environ 4 hectares située sur un versant de montagne boisé ne faisant l’objet d’aucune exploitation agricole, la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit et a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; ». Le Conseil d’Etat a donc rejeté le pourvoi. Cette décision est intéressante en ce qu’elle nous paraît clarifier le régime de la mise en compatibilité des documents d’urbanisme en présence d’une DUP. Désormais, les critères afin d’apprécier si le document d’urbanisme est compatible avec le projet faisant l’objet d’une DUP sont fixés : il convient de déterminer, d’une part, si l’opération est de nature à compromettre le parti d’aménagement retenu par la commune dans le document d’urbanisme de la commune et, d’autre part, si l’opération méconnaît les dispositions du règlement de la zone du plan dans laquelle sa réalisation est prévue. Bien que les dispositions du code de l’urbanisme aient depuis été modifiées, la double condition posée par le Conseil d’Etat dans sa décision nous paraît transposable au régime actuellement en vigueur dans la mesure où les articles L. 123-14 et L. 123-14-2 ne précisent nullement ce qu’il faut entendre par « compatibilité » entre le document d’urbanisme et le projet faisant l’objet de la DUP. En outre, le principe posé par le Conseil d’Etat nous paraît pouvoir être valablement mis en œuvre tant en ce qui concerne les POS que les PLU en vertu des dispositions de l’article L. 123-19 du code de l’urbanisme. En conséquence, sous couvert d’un considérant de principe fondé sur les anciennes dispositions du code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat paraît donc faire une mise au point sur la notion de « compatibilité » parfaitement transposable à la législation actuellement en vigueur.

Le droit de l’environnement « bon public » face à la jurisprudence Danthony

Par Me Marie-Coline Giorno et David Deharbe (Green Law Avocat) Dans quarante-huit heures, la jurisprudence dite Danthony sera sous les feux de la rampe en Nord-Pas-de-Calais : les rencontres Interrégionales du droit public organisées à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de LILLE seront consacrées à cette question prégnante « LE JUGE ADMINISTRATIF ET LE VICE DE PROCEDURE : ORTHODOXIE ET /OU PRAGMATISME ? ». Faute de pouvoir assister à cette manifestation, il nous paraît néanmoins opportun d’alimenter le débat que ne manquera pas de susciter l’atelier « Droit des sols Urbanisme et environnement ». Le Conseil d’Etat, aux termes de sa décision dite Danthony, a dégagé un « principe » désormais bien connu : « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; que l’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte » (Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, publié au recueil Lebon). Ainsi, une décision affectée d’un vice de procédure n’est illégale que s’il ressort des pièces du dossier que ce vice a été susceptible d’exercer, dans les circonstances de l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie. Cette décision avait pour objectif de permettre « au juge d’exercer pleinement son office, c’est-à-dire de mesurer la portée exacte du moyen de légalité invoqué, en recherchant si, dans les circonstances de l’espèce, la formalité, même substantielle, a été affectée d’une façon telle qu’elle n’a pu atteindre correctement son objet […] » (Gaelle Dumortier, conclusions sur Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, publié au recueil Lebon). En pratique, elle a impulsé un tournant quant à l’appréciation par le juge des vices de procédure en droit de l’environnement, même si une partie de la doctrine considère encore que « le changement provoqué par l’arrêt Danthony est […] purement cosmétique » (Julien Bétaille, « Insuffisance de l’étude d’impact : Danthony ne change rien, ou presque », Droit de l’Environnement, n°231, Février 2015, p.65). En effet, elle conduit à régulariser de nombreux vices de procédure (I) sous réserve d’une limite essentielle : qu’il ne soit pas porté atteinte au droit à l’information du public (II). I. La régularisation de multiples vices de procédure en application du principe révélé par la décision Danthony La sanction des vices de procédure ne peut désormais être prononcée que si le juge a vérifié au préalable que ces vices entachaient d’illégalité la décision prise au regard du principe révélé par la décision Danthony (A). A cet égard, il conviendra de souligner que la jurisprudence Danthony, en droit de l’environnement, a pour vocation à s’étendre à l’ensemble des vices de procédure habituellement invoqués devant le juge administratif (B). A. Le refus de sanctionner des vices de procédures en méconnaissance de la décision Danthony Depuis l’intervention de la décision Danthony, un vice de procédure ne peut être sanctionné que si les conditions posées par cette décision sont remplies : le juge doit constater que ce vice a privé les intéressés d’une garantie ou qu’il a eu une influence sur le sens de la décision administrative. A défaut d’avoir procédé à une telle recherche sur les effets du vice de procédure, le juge commet une erreur de droit (CE, 30 janvier 2013, n°347347). Il doit donc expressément préciser dans sa décision en quoi le vice de procédure allégué a constitué, en l’espèce, une insuffisance de nature à avoir nui à l’information complète de la population ou à avoir exercé une influence sur la décision de l’autorité administrative (CE, 7 novembre 2012, n°351411). Dans une décision très récente, le Conseil d’Etat a souligné « que les inexactitudes, omissions ou insuffisances du dossier d’enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ; que, pour juger illégal l’arrêté attaqué, […] la cour s’est fondée sur l’insuffisance de l’estimation sommaire des dépenses, qui ne tenait pas compte des sommes nécessaires à l’indemnisation de M. A…à raison des restrictions apportées à son activité agricole par les servitudes instituées dans le périmètre de protection ; qu’elle a relevé, pour retenir cette insuffisance, qu’il n’était pas démontré et ni même allégué que les sommes nécessaires à cette indemnisation seraient ” tellement minimes ” que leur omission serait sans incidence sur l’information du public et le choix opéré par l’autorité compétente ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher si l’omission alléguée avait effectivement été, en l’espèce, […] de nature à nuire à l’information complète de la population ou avait exercé une influence sur la décision prise, la cour a méconnu, au prix d’une erreur de droit, les principes rappelés ci-dessus » (CE, 10 juin 2015, n°371566, décision rendue non pas sur le fondement du code de l’environnement mais sur le fondement du code de l’expropriation). L’application du principe dégagé par Danthony ne consiste donc pas à examiner si une insuffisance est substantielle ou non. Il ne s’agit pas de vérifier si l’insuffisance concerne un détail minime du projet qui ne peut qu’être sans incidence sur l’information du public et sur le choix opéré par l’autorité administrative. Il convient de véritablement regarder si, l’omission alléguée, avait effectivement été, en l’espèce, de nature à nuire à l’information complète du public ou avait exercé une influence sur la décision prise….

Installations hydroélectriques et droits fondés en titre : refus de transmission d’une QPC sur la conformité de l’article L. 214-6 II du code de l’environnement (CE, 8 juillet 2015)

Par Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Les droits fondés en titre sont des droits d’usage de l’eau attachés à certaines installations hydrauliques (moulins par exemple). Un droit fondé en titre est attaché à une installation hydraulique lorsque celle-ci a été créée avant ne soit instauré le principe d’une autorisation de ces ouvrages sur les cours d’eau. Les ouvrages bénéficiant d’un droit fondé en titre peuvent donc être exploités sans qu’il soit besoin de mettre en œuvre au préalable une procédure d’autorisation ou de renouvellement, sous réserve toutefois du respect de certaines réglementations, notamment de circulation d’espèces migratrices. A titre d’exemple, sur les cours d’eaux non domaniaux, sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale les prises d’eau qui, soit ont fait l’objet d’une aliénation comme bien national, soit sont établies en vertu d’un acte antérieur à l’abolition des droits féodaux (voir, en ce sens : Conseil d’Etat, 5 juillet 2004, Société L. Energie, n° 246929, publié au recueil Lebon). Les droits fondés en titre bénéficient d’une existence légale. Ainsi, le deuxième alinéa de l’article L. 210-1 du code de l’environnement dispose que : « Dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis, l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous. » Plus encore, l’article L. 214-6 II du code de l’environnement précise que : « II.- Les installations, ouvrages et activités déclarés ou autorisés en application d’une législation ou réglementation relative à l’eau antérieure au 4 janvier 1992 sont réputés déclarés ou autorisés en application des dispositions de la présente section. Il en est de même des installations et ouvrages fondés en titre. » [Souligné par nos soins] A l’occasion d’un recours en excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat tendant à obtenir l’annulation des articles 7 et 17 du décret n° 2014-750 du 1er juillet 2014 harmonisant la procédure d’autorisation des installations hydroélectriques avec celle des installations, ouvrages, travaux et activités prévue à l’article L. 214-3 du code de l’environnement, des requérants ont déposé, par un mémoire distinct, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur les dispositions du II de l’article L. 214-6 du code de l’environnement (dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2005-805 du 18 juillet 2005 portant simplification, harmonisation et adaptation des polices de l’eau et des milieux aquatiques, de la pêche et de l’immersion des déchets). Rappelons qu’une QPC soulevée devant le Conseil d’Etat doit être transmise au Conseil constitutionnel lorsque trois conditions sont remplies : la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ; la disposition contestée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux. Le Conseil d’Etat vient de se prononcer sur la question de la conformité à la constitution des dispositions de l’article L. 214-6 II du code de l’environnement par une décision du 8 juillet 2015 (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 08 juillet 2015, n°384204, Inédit au recueil Lebon, consultable ici). Il s’agit de la décision présentement commentée. En premier lieu, les requérants soutenaient que les dispositions contestées portaient atteinte au droit de propriété protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et aux situations légalement acquises protégées par l’article 16 de cette même Déclaration. Le Conseil d’Etat a estimé que : « contrairement à ce qui est soutenu, ces dispositions n’ont pas, par elles-mêmes, pour effet de soumettre les installations et ouvrages fondés en titre aux dispositions de la section 1 du chapitre IV du titre Ier du livre II du code de l’environnement, mais ont pour seul objet de permettre à leurs propriétaires de conserver leurs droits d’antériorité ». Il en a alors déduit que, « par suite, eu égard à leur portée, le moyen tiré de ce qu’elles portent une atteinte non justifiée, d’une part, au droit de propriété protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, d’autre part, aux situations légalement acquises protégées par l’article 16 de cette même Déclaration ne présente pas un caractère sérieux ». En effet, les dispositions qui ont pour effet de soumettre les installations et ouvrages fondés en titre aux dispositions de la section 1 du chapitre IV du titre Ier du livre II du code de l’environnement (ce sont, pour mémoire, les « Régimes d’autorisation ou de déclaration » des IOTA) ne sont pas celles du II de l’article L. 214-6 du code de l’environnement. Il s’agit de celles du VI de l’article L. 214-6 du code de l’environnement aux termes desquelles : « VI.-Les installations, ouvrages et activités visés par les II, III et IV sont soumis aux dispositions de la présente section. ». Le VI de l’article L. 214-6 du code de l’environnement figure d’ailleurs parmi les visas de la décision, ce qui témoigne bien du fondement de la position du Conseil d’Etat. En deuxième lieu, les requérants ont prétendu que les dispositions contestées créaient une différence de traitement injustifiée et une atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques, non conformes à la Constitution. Ils soutenaient en effet que les dispositions de l’article L. 214-6 du code de l’environnement impliquaient que les installations et ouvrages fondés en titre relèvent tous d’un régime d’autorisation. Selon leurs dires, en ne pouvant bénéficier du régime de la déclaration, ils subissaient une différence de traitement injustifiée et une atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques. Le Conseil d’Etat a rappelé les dispositions de l’article L. 214-2 du code de l’environnement aux termes desquelles « Les installations, ouvrages, travaux et activités visés à l’article L. 214-1 sont définis dans une nomenclature, établie par décret en Conseil d’Etat après avis du Comité national de l’eau, et soumis à autorisation ou à déclaration suivant les dangers qu’ils présentent et la gravité de leurs effets sur la ressource en eau et les écosystèmes aquatiques compte tenu notamment de l’existence des zones et périmètres institués pour la protection de l’eau…

Valorisation des énergies de récupération / Obligation d’achat: le Conseil d’Etat se prononce aux termes d’une affaire en deux actes (CE, 20 mai 2015)

Par Marie-Coline GIORNO Green law Avocat Le 20 mai 2015, le Conseil d’Etat a rendu deux décisions très intéressantes, qui seront mentionnées au recueil Lebon, concernant l’application du régime de l’obligation d’achat aux installations de valorisation des énergies de récupération et aux installations utilisant à titre principal l’énergie dégagée par la combustion de matières non fossiles d’origine végétale ou animale. ACTE I : Le Premier Ministre est enjoint de prendre un décret relatif aux installations de valorisation des énergies de récupération (CE, 20 mai 2015, n°380727, mentionné aux tables du recueil Lebon Par un courrier du 30 janvier 2014, la société P…SAS avait demandé au Premier ministre de prendre un décret, complétant le décret du 6 décembre 2000 fixant par catégorie d’installations les limites de puissance des installations pouvant bénéficier de l’obligation d’achat d’électricité, afin de mettre en œuvre les dispositions du 6° de l’article L. 314-1 du code de l’énergie (soit les installations qui valorisent des énergies de récupération dans les limites et conditions définies au même article, notamment au 2°). Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande. La société P…SAS a donc saisi le Conseil d’Etat d’un recours en excès de pouvoir afin de demander l’annulation de cette décision.  Aux termes de sa décision, le Conseil d’Etat commence par rappeler les conditions d’exercice du pouvoir réglementaire par le Premier ministre tel que défini par l’article 21 de la Constitution.  Ainsi, le Conseil d’Etat constate que «  le Premier ministre ” assure l’exécution des lois ” et ” exerce le pouvoir réglementaire ” sous réserve de la compétence conférée au Président de la République pour les décrets en Conseil des ministres par l’article 13 de la Constitution. » Il ajoute que « l’exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit mais aussi l’obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi, hors le cas où le respect d’engagements internationaux de la France y ferait obstacle ». Il cite ensuite l’article L. 314-1 du code de l’énergie relatif aux contrats d’obligation d’achat de l’électricité produite par certaines installations  qui codifie les dispositions de l’article 20 de la loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie : « Sous réserve de la nécessité de préserver le fonctionnement des réseaux, Electricité de France et, si les installations de production sont raccordées aux réseaux publics de distribution dans leur zone de desserte, les entreprises locales de distribution chargées de la fourniture sont tenues de conclure, lorsque les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l’achat de l’électricité produite sur le territoire national par :/ (…) 6° Les installations qui valorisent des énergies de récupération dans les limites et conditions définies au présent article, notamment au 2° ». Il considère à cet égard que le 2° de ce même article, qui vise notamment les installations qui utilisent des énergies renouvelables, précise qu’un décret en Conseil d’Etat détermine les limites de puissance installée des installations de production qui peuvent bénéficier de l’obligation d’achat et que ces limites, qui ne peuvent excéder 12 mégawatts, sont fixées pour chaque catégorie d’installations pouvant bénéficier de l’obligation d’achat sur un site de production. En l’espèce, il considère que « l’application de ces dispositions était manifestement impossible en l’absence du décret précisant les différentes catégories d’installations valorisant des énergies de récupération susceptibles de bénéficier de l’obligation d’achat d’électricité et fixant, sans excéder le plafond légal de 12 mégawatts, les limites de puissance installée de ces installations ». Il en déduit alors « que le gouvernement était ainsi tenu de prendre le décret dont la société requérante demandait l’édiction ». Certes, un décret du 28 mars 2014, qui modifie le décret du 6 décembre 2000 fixant par catégorie d’installations les limites de puissance des installations pouvant bénéficier de l’obligation d’achat d’électricité est intervenu pour préciser les dispositions de cet article. Toutefois, le Conseil d’Etat écarte cette circonstance au motif que ce décret « concerne les seules installations utilisant l’énergie dégagée par la combustion ou l’explosion du gaz de mine ; qu’en prenant un tel décret, qui ne vise, sans justification particulière, que ces installations, le Premier ministre ne saurait être regardé comme ayant satisfait à l’obligation qui lui incombait ». Au regard du délai de plus de sept ans entre la publication de la loi et le rejet implicite, sans que ce délai ne soit justifié par aucun motif particulier, le Conseil d’Etat conclut que le rejet implicite de la demande du requérant est intervenue « après l’expiration du délai raisonnable ». Il annule donc la décision litigieuse et enjoint au Premier ministre de prendre le décret requis pour les énergies de récupération dans un délai d’un an. Cette décision, qui traduit les difficultés pour le Premier ministre à mettre en œuvre le dispositif de l’obligation d’achat pour tous les types d’énergie, souligne également que l’exercice du pouvoir réglementaire est, certes, un droit mais surtout un devoir et que ce devoir doit s’exercer dans un délai raisonnable. Il sera intéressant d’examiner quelles suites le Premier ministre donnera à cette injonction compte tenu du fait que la décision du Conseil d’Etat intervient dans un contexte où le mécanisme de soutien aux énergies renouvelables fait actuellement l’objet d’une réforme importante. ACTE II : Le Conseil d’Etat maintient l’arrêté du 27 janvier 2011 fixant les conditions d’achat d’électricité produite par les installations utilisant à titre principal l’énergie dégagée par la combustion de matières non fossiles d’origine végétale ou animale (CE, 20 mai 2015, n380726, mentionné aux tables du recueil Lebon) La société P…avait également saisi le Conseil d’Etat d’une requête en excès de pouvoir tendant à obtenir, d’une part, l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à l’abrogation partielle du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 fixant, par catégories d’installations, les limites de puissance des installations pouvant bénéficier de l’obligation d’achat d’électricité et, d’autre part, l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre de l’écologie sur sa demande tendant à…

Défrichement et PC tacite: précisions sur le déféré préfectoral et contrôle du juge sur les autorisations (CE, 6 mai 2015)

Par Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Aux termes d’un arrêt du 6 mai dernier, le Conseil d’Etat a précisé les conditions du déféré préfectoral en présence d’un permis de construire tacite. Il a également éclairci le degré de contrôle du juge concernant la qualification de terrains pouvant faire l’objet d’une autorisation de défrichement. Enfin, il a rappelé à plusieurs reprises que les juges de fond étaient souverains dans leur appréciation des faits et que son propre rôle se limitait à vérifier qu’ils ne les avaient pas dénaturés. (CE, 9e et 10e sous-sect., 6 mai 2015, n°366004, mentionné dans les tables du recueil Lebon) Les faits étaient les suivants. La propriétaire de plusieurs parcelles a déposé une demande de permis de construire en vue de l’édification d’une villa. En l’absence de réponse de la mairie, la pétitionnaire a demandé au maire de lui délivrer un certificat attestant qu’elle était bénéficiaire d’un permis de construire tacite. Ce certificat, prévu à l’article R. 424-13 du code de l’urbanisme, lui a été délivré le 22 décembre 2009 et a été transmis au préfet des Alpes-Maritimes le 6 janvier 2010. Par un courrier du 23 février 2010, ce dernier a demandé au maire de “prendre une décision refusant ce permis de construire ” au motif que la demande de la pétitionnaire aurait dû être précédée d’une demande d’autorisation de défrichement en application de l’article R. 431-19 du code de l’urbanisme. Le maire a rejeté cette demande par une décision du 22 mars 2010. Le préfet a alors déféré la décision de permis de construire tacite au tribunal administratif. Le tribunal a annulé le permis de construire litigieux et ce jugement a été confirmé en appel. La pétitionnaire a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat. Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a examiné la régularité du jugement attaqué. En l’espèce, la requérante critiquait l’absence de réouverture de l’instruction après la clôture malgré la production d’un mémoire du Préfet. Après avoir rappelé les conditions dans lesquelles des mémoires produits après la clôture de l’instruction rouvrent ou non l’instruction, le Conseil d’Etat a estimé qu’en l’espèce le mémoire produit par le préfet après la clôture de l’instruction ne contenait aucun élément susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire. Il en déduit que la cour n’a pas entaché la procédure d’irrégularité en ne rouvrant pas l’instruction. Le Conseil d’Etat rappelle ici sa position classique concernant la réouverture de l’instruction et sa position ne comporte aucune nouveauté. Dans un second temps, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur le bien-fondé du jugement. Sa décision est alors particulièrement intéressante. En premier lieu, le Conseil d’Etat se prononce sur la portée du recours gracieux du préfet. Il estime que ce courrier valait demande de retrait et que, par suite, les conclusions présentées par le Préfet devant le tribunal administratif tendant à l’annulation de ce permis de construire tacite n’étaient pas irrecevables dans la mesure où elles étaient en rapport avec l’objet du recours gracieux. Le Conseil d’Etat vérifie ici que la Cour n’a pas dénaturé les faits qui lui étaient soumis. Il se livre donc à un contrôle de la dénaturation, laissant aux juges du fond le pouvoir d’apprécier souverainement les faits qui leur ont été soumis. Il s’agit d’un contrôle du juge de cassation habituel. En deuxième lieu, le Conseil d’Etat estime que bien qu’il résulte de l’article L. 424-8 du code de l’urbanisme qu’un permis de construire tacite est exécutoire dès qu’il est acquis, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le Préfet défère un permis de construire tacite au tribunal dans les deux mois de sa transmission par la commune. En matière de permis de construire tacite, l’obligation de transmission est satisfaite lorsque la commune a transmis au préfet l’entier dossier de demande, en application de l’article R. 423-7 du code de l’urbanisme. Par suite, le délai du déféré préfectoral court alors à compter de la date à laquelle le permis est acquis ou, dans l’hypothèse où la commune ne satisfait à l’obligation de transmission que postérieurement à cette date, à compter de la date de cette transmission. En l’espèce, le Conseil d’Etat relève qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que la commune aurait transmis la demande de permis au Préfet. Par suite, le délai ouvert au Préfet contre le permis de construire tacite en litige a débuté à compter de la date à laquelle le certificat prévu à l’article R. 424-13 du code de l’urbanisme lui avait été transmis. En troisième lieu, le Conseil d’Etat considère que c’est à bon droit que la Cour a jugé que les dispositions de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme, qui limitent le délai pendant lequel une autorisation de construire peut être retirée, spontanément ou à la demande d’un tiers, par l’autorité qui l’a délivrée, n’ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que le représentant de l’Etat forme un recours gracieux jusqu’à l’expiration du délai dont il dispose pour déférer un tel acte au tribunal administratif, ni à ce que ce dernier délai soit interrompu par le recours gracieux. Il en résulte qu’un recours gracieux du Préfet peut être recevable alors même que le permis de construire tacite ne peut plus être retiré. Le Conseil d’Etat réitère une solution qu’il avait déjà adoptée en 2011 sur la recevabilité du recours gracieux du préfet (CE, 9e et 10e  sous-sections réunies, 5 mai 2011, n°336893, Publié au recueil Lebon). En quatrième lieu, la requérante faisait état de l’inconstitutionnalité de dispositions législatives alors que le Conseil d’Etat statuant au contentieux n’avait pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité posée à cet effet par la requérante. Le moyen a donc été écarté. En cinquième lieu, le Conseil d’Etat précise que les juges du font se livrent à une appréciation souveraine des faits pour déterminer si les parcelles dont la requérante est propriétaire doivent être regardées comme étant en état boisé ou à destination forestière au sens…