Les sites internet dédiés viennent au secours des modalités classiques d’enquête publique (Schéma directeur IDF: Conseil d’État, 23 oct. 2015, n°375814)

Par Me Marie-Coline Giorno

(Green Law Avocat)

Par un décret n°2013-1241 du 27 décembre 2013, le Premier ministre a approuvé le schéma directeur de la région d’Ile-de-France. Plusieurs requêtes ont été introduites afin de demander l’annulation de ce schéma. Jointes, elles ont donné lieu, le 23 octobre 2015, à une décision de rejet du Conseil d’Etat. Il s’agit de la décision présentement commentée (consultable ici).

Deux motifs sur les trente-quatre que comporte cette décision nous intéressent particulièrement. Il s’agit des motifs n°6 et n°8, relatifs à l’utilisation des sites internet dédiés lors des enquêtes publiques. Le Conseil d’Etat s’est en effet prononcé sur l’utilité des sites internet dédiés lors des enquêtes publiques.

  • En premier lieu, il était soutenu que le nombre et les horaires d’ouverture des lieux de l’enquête publique étaient insuffisants. 

Rappelons, à cet égard, qu’aux termes de l’article L. 123-1 du code de l’environnement, « L’enquête publique a pour objet d’assurer l’information et la participation du public ainsi que la prise en compte des intérêts des tiers […] ».

Cette participation du public peut notamment s’effectuer par voie électronique. Ainsi, le premier alinéa de l’article L. 123-13 du code de l’environnement dispose que « I. ― Le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête conduit l’enquête de manière à permettre au public de disposer d’une information complète sur le projet, plan ou programme, et de participer effectivement au processus de décision en lui permettant de présenter ses observations et propositions. Dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, la participation du public peut s’effectuer par voie électronique » [souligné par nos soins]

Le public est averti de la possibilité de participer par voie électronique grâce à l’arrêté informant des modalités d’enquêtes publiques. L’article R.123-9 du code de l’environnement précise, en effet, que:

« L’autorité compétente pour ouvrir et organiser l’enquête précise par arrêté, quinze jours au moins avant l’ouverture de l’enquête et après concertation avec le commissaire enquêteur ou le président de […] 12° Le cas échéant, l’adresse du site internet sur lequel des informations relatives à l’enquête pourront être consultées, ou les moyens offerts au public de communiquer ses observations par voie électronique. […] »

Aux termes de l’article R. 123-13 du code de l’environnement, « […] Les observations, propositions et contre-propositions peuvent également être adressées par correspondance au commissaire enquêteur ou au président de la commission d’enquête au siège de l’enquête, et le cas échéant, selon les moyens de communication électronique indiqués dans l’arrêté d’ouverture de l’enquête. Elles sont tenues à la disposition du public au siège de l’enquête dans les meilleurs délais.  […] »

En l’espèce, le dossier soumis à l’enquête publique ne pouvait être consulté que dans vingt-cinq mairies de communes, à l’hôtel de région, ainsi que dans trois mairies d’arrondissements de Paris, aux jours et heures habituels d’ouverture de ces établissements.

Néanmoins, il était également prévu que le dossier soumis à enquête publique soit mis en ligne sur un site internet dédié et qu’il soit possible pour le public d’y présenter ses observations. Une publicité importante avait été faite sur le fait que le dossier soumis à enquête publique serait consultable et téléchargeable sur le site internet dédié.

La question posée au Conseil d’Etat était donc de déterminer si la publication sur un site internet du dossier d’enquête publique et la possibilité pour le public de présenter ses observations sur ce même site étaient suffisants pour assurer la participation du public.

Après avoir rappelé les modalités d’organisation de l’enquête publique et avoir constaté que les conditions de la participation avaient été « globalement satisfaisantes » (2303 observations, notamment de manière dématérialisée), le Conseil d’Etat a conclu que « dès lors, en dépit du nombre limité de lieux d’enquête au regard de l’objet du schéma soumis à l’enquête publique, il ne ressort pas des pièces des dossiers que les modalités d’organisation de cette enquête n’auraient pas permis à l’ensemble des personnes et des groupements intéressés de prendre connaissance du projet, d’en mesurer les impacts et d’émettre leurs observations ; que, contrairement à ce que soutient Mme D…, aucune disposition n’imposait la mise à disposition du dossier soumis à l’enquête publique dans les mairies de chacune des communes de la région ; que, par suite, le moyen tiré du caractère insuffisant du nombre et des horaires d’ouverture des lieux de l’enquête publique doit être écarté ; ».

En conséquence, la création d’un site internet dédié paraît pouvoir pallier le caractère limité du nombre de lieux d’enquête.

Le Conseil d’Etat revient ainsi, semble-t-il, sur une position qu’avait adoptée la Cour administrative d’appel de Lyon dans une autre affaire où plusieurs communes n’avaient pas affiché les avis d’ouverture de l’enquête. Ainsi, en dépit du fait de la mise en ligne du dossier d’enquête publique, l’enquête publique avait été jugée irrégulière. Dans cette affaire, il convient néanmoins de relever, qu’à la différence de celle jugée par le Conseil d’Etat, c’est la publicité de l’ouverture de l’enquête publique qui était insuffisante et, qu’en outre, une très faible participation du public avait été constatée (CAA Lyon, 25 avril 2013, n°12LY00718 ou, également en ce sens, CAA Nantes, 28 mars 2007, n° 06NT00557).

 

  • En second lieu, les requérants soutenaient que la note de présentation non technique était initialement absente du dossier d’enquête publique mis à la disposition du public dans chacun des lieux d’enquêtes, ce qui était de nature, selon eu, à vicier la procédure.

Après avoir constaté que ce document avait été mis à la disposition du public sur le site internet dès le début de l’enquête publique, le Conseil d’Etat a considéré que :

« s’il appartient à l’autorité administrative de mettre à la disposition du public, pendant toute la durée de l’enquête, un dossier d’enquête publique comportant l’ensemble des documents mentionnés notamment par l’article L. 123-12 du code de l’environnement, la méconnaissance de ces dispositions n’est toutefois de nature à vicier la procédure et donc à entraîner l’illégalité de la décision prise à l’issue de l’enquête publique que si elle a pu avoir pour effet de nuire à l’information de l’ensemble des personnes intéressées ou si elle a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l’enquête et, par suite, sur la décision de l’autorité administrative ».

Il fait ainsi application du principe bien connu qu’il a dégagé dans sa décision Danthony du 23 décembre 2011 : « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; que l’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte » (conseil d’etat, assemblée, 23 décembre 2011, danthony et autres, n° 335033, publié au recueil lebon).

Ce n’est pas la première fois que ce principe est décliné en matière de vices ou insuffisances de l’enquête publique. Notamment, il a été récemment rappelé par le Conseil d’Etat « que les inexactitudes, omissions ou insuffisances du dossier d’enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative (ce, 10 juin 2015, n°371566, décision rendue non pas sur le fondement du code de l’environnement mais sur le fondement du code de l’expropriation).

Notons que l’application du principe dégagé par Danthony exige d’apprécier si, l’omission alléguée, a effectivement été, en l’espèce, de nature à nuire à l’information complète du public ou avait exercé une influence sur la décision prise. Cela implique d’être pragmatique et de porter une attention toute particulière aux circonstances de l’espèce. Le défaut d’information ne se postule mais se démontre in concreto.

C’est bien ce que fait le Conseil d’Etat dans l’affaire présentement commentée en considérant «  que la note de présentation non technique a été disponible sur le site internet dédié dès le début de l’enquête et que la durée de celle-ci a été prorogée jusqu’au 14 mai 2013, la circonstance qu’elle n’ait pas été jointe au dossier de l’enquête publique dans les lieux d’enquête durant les tout premiers jours de celle-ci ne peut être regardée comme ayant fait obstacle à une bonne information de l’ensemble des personnes intéressées ou comme ayant été de nature à exercer une influence sur les résultats de l’enquête ».

Il écarte donc le moyen tiré de l’irrégularité du dossier d’enquête publique.

En conséquence, le Conseil d’Etat adopte, dans cet arrêt, une vision très pragmatique de la situation. La publicité sur l’existence d’un site internet dédié à l’enquête publique, la mise en ligne régulière du dossier, la possibilité de participer sur Internet et l’importante mobilisation du public sur Internet permettent ici de pallier les nombreuses insuffisances de l’enquête publique, que ce soit au regard du nombre limité du nombre et des heures d’ouverture des lieux où le dossier pouvait être consulté ou bien au regard du caractère incomplet du dossier d’enquête soumis à consultation en version papier. Il ressort de cette décision que l’utilisation d’Internet permet ainsi de faciliter l’information et la participation du public et, dès lors, autorise la régularisation d’un certain nombre de vices de l’enquête.

Bien que le Conseil d’Etat montre qu’il s’adapte aux mœurs actuelles, il part néanmoins du postulat que l’ensemble du public a accès à Internet et à sa maîtrise effective, ce qui est encore loin d’être le cas. Pourtant, l’usage d’internet dans les enquêtes publiques permet un gain de temps important et évite d’avoir à se déplacer. Cela peut faciliter la participation du public.

Une question demeure : à quand les enquêtes publiques entièrement dématérialisées ? Dans un contexte de COP21, il pourrait être utile d’y songer sérieusement…