Les États de l’UE ne peuvent interdire les transferts des déchets destinés à la valorisation

épuration union européenne

Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)

Par un arrêt en date du 29 juin 2023, la Cour administrative d’appel de Paris a précisé que si les États membres peuvent interdire les mouvements de transfert de déchets destinés à être éliminés, en revanche, ils ne peuvent pas instituer des règles qui permettraient aux autorités nationales compétentes de formuler une objection systématique, ayant les effets d’une interdiction générale, aux transferts de déchets destinés à être valorisés (CAA Paris, 1ère ch., 29 juin 2023, n°22PA02680, téléchargeable ci-dessous).

En l’espèce, une société spécialisée dans le recyclage de déchets de tous types dont les sous-produits urbains tels que les boues d’épuration avait sollicité, par cinq dossiers de notification, l’autorisation de transférer des boues d’épuration depuis la Belgique et le Luxembourg vers plusieurs sites de compostage situés sur le territoire français, à Void-Vacon, Fresnois-la-Montagne et Vannecourt.

Par cinq décisions du 10 mars 2020, le chef du Pôle national des transferts transfrontaliers de déchets du ministère chargé de l’Environnement s’est opposé à ces transferts, considérant qu’ils étaient contraires à la loi française.

Alors que la société a saisi le tribunal administratif de Paris aux fins d’annuler ces décisions de refus, les juges du fonds ont rejeté sa requête et refusé de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.

Dans le cadre de l’appel qu’elle a formé contre le jugement rendu par le Tribunal, la société appelante a invoqué un moyen tiré de l’inconventionnalité du dernier alinéa de L. 541-38 du code de l’environnement, issu de l’article 86 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (« AGEC ») (JORF n°0035 du 11 février 2020) et sur le fondement duquel ont été prises les décisions litigieuses.

Ces dispositions de la loi « AGEC » prévoient qu’ « Il est interdit d’importer des boues d’épuration ou toute autre matière obtenue à partir de boues d’épuration seules ou en mélanges, en France, à l’exception des boues provenant d’installations dont le fonctionnement est mutualisé avec un État voisin ou de la principauté de Monaco » (JORF n°0035 du 11 février 2020).

L’appelante a affirmé que ces dispositions méconnaissent l’article 12 du règlement (CE) n°1013/2006 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant les transferts des déchets lequel définit les motifs d’objection aux transferts transfrontaliers de déchets destinés à être valorisés (JO L 190 du 12.7.2006, p. 1–98).

Pour mémoire, les dispositions de l’article 12 du règlement n° 1013/2006 du 14 juin 2006 prévoient que : « En cas de notification concernant un transfert envisagé de déchets destinés à être valorisés, les autorités compétentes de destination et d’expédition peuvent, dans les trente jours suivant la date de transmission de l’accusé de réception par l’autorité compétente de destination conformément à l’article 8, formuler des objections motivées en se fondant sur l’un ou plusieurs des motifs suivants, conformément au traité : / a) le transfert ou la valorisation prévu ne serait pas conforme à la directive 2006/12/CE, et notamment à ses articles 3, 4, 7 et 10 ; ou / b) le transfert ou la valorisation prévu ne serait pas conforme aux dispositions législatives et réglementaires en matière de protection de l’environnement, d’ordre public, de sécurité publique ou de protection de la santé en ce qui concerne des actions qui ont lieu dans le pays à l’origine de l’objection (…) ».

A cette occasion, la Cour souligne que « la juridiction administrative, à qui incombe notamment, en vertu des articles 55 et 88-1 de la Constitution, le contrôle de la compatibilité des lois avec le droit de l’Union européenne ou les engagements internationaux de la France, peut déclarer que des dispositions législatives incompatibles avec le droit de l’Union ou ces engagements sont inapplicables au litige qu’elle a à trancher » (CAA de Paris, 29 juin 2023, req. n° 22PA02680, point 3).

Dans le cadre de son contrôle de conventionnalité , la cour administrative d’appel de Paris a commencé par rappeler qu’il « ressort des dispositions […] du règlement n° 1013/2006 du 14 juin 2006, et plus particulièrement de son article 12, que les États membres ne peuvent instituer des règles qui permettraient aux autorités nationales compétentes de formuler une objection systématique, ayant les effets d’une interdiction générale, aux transferts de déchets destinés à être valorisés » (CAA de Paris, 29 juin 2023, req. n° 22PA02680, point 4).

Dans le cadre du contrôle de conventionnalité qu’elle exerce, la Cour administrative d’appel de Paris a commencé par rappeler que « la juridiction administrative, à qui incombe notamment, en vertu des articles 55 et 88-1 de la Constitution, le contrôle de la compatibilité des lois avec le droit de l’Union européenne ou les engagements internationaux de la France, peut déclarer que des dispositions législatives incompatibles avec le droit de l’Union ou ces engagements sont inapplicables au litige qu’elle a à trancher ».

Puis, la Cour a considéré au point 4 de son arrêt qu’il « ressort des dispositions […] du règlement n° 1013/2006 du 14 juin 2006, et plus particulièrement de son article 12, que les États membres ne peuvent instituer des règles qui permettraient aux autorités nationales compétentes de formuler une objection systématique, ayant les effets d’une interdiction générale, aux transferts de déchets destinés à être valorisés ».

Or la Cour a considéré que « les dispositions […] de l’article L. 541-38 du code de l’environnement, issues de l’article 86 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 ont pour effet d’instaurer une interdiction générale des mouvements transfrontaliers de boues d’épuration, sans en exclure celles qui sont destinées à être valorisées » (Point 5 de l’arrêt).

La Cour a logiquement déduit des considérations précitées que « ce régime, en tant qu’il a pour conséquence de permettre aux autorités nationales de formuler un motif systématique d’objection aux transferts des boues d’épuration destinées à être valorisées, doit être regardé comme incompatible avec l’article 12 du règlement n° 1013/2006 du 14 juin 2006, et les décisions du 10 mars 2020 qui sont prises sur son fondement, sont illégales » (Point 5 de l’arrêt).

La solution de la Cour est justifiée par le principe de primauté du droit de l’Union Européenne (CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, affaire n°106/77, point 7CE, Assemblée, 13 mai 2011, 316734, considérant 16).