Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)
Par deux jugements du 27 juin 2023, le tribunal administratif d’Amiens a jugé que les dépôts temporaires de déblais inertes qui ont vocation à être réutilisés sur un chantier ne constituent pas une « installation de déchets inertes » soumis à enregistrement (TA d’Amiens, 27 juin 2023, n°2103021 et 2012876 signalés sur Fil Droit Public et téléchargeables ci-dessous).
Cette affaire concerne la construction du projet de canal Seine-Nord Europe visant à relier le bassin versant de la Seine au réseau fluvial du Nord de la France, la Belgique et les Pays-Bas.
Ce projet, d’une longueur de 107 kilomètres, traverse les départements de l’Oise, de la Somme, du Pas-de-Calais et du Nord. Par décret du 11 septembre 2008, le tracé du canal Seine-Nord a fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique, modifiée par un décret du 20 avril 2017 et prorogée par un décret du 25 juillet 2018.
Il est porté par la société du Canal Seine-Nord Europe (SCSNE), établissement public à caractère industriel et commercial, institué par l’ordonnance par l’ordonnance du 21 avril 2006 relative à la Société du Canal Seine-Nord Europe en qualité de maître d’ouvrage.
La conception et la réalisation de ce projet ont été scindées en quatre secteurs dont le premier secteur porte sur un linéaire de 18 kilomètres qui emprunte la vallée de l’Oise depuis le barrage de Venette à Compiègne jusqu’à Passel.
Le 19 avril 2019, la SCSNE a déposé une demande d’autorisation environnementale portant sur ce secteur au titre de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques, de la règlementation relative aux espèces protégées et de la règlementation des défrichements.
Alors que la préfète de l’Oise a autorisé la société à construire et à exploiter le secteur 1 du canal Seine-Nord Europe par un arrêté du 8 avril 2021, ce dernier est contesté devant le Tribunal administratif d’Amiens par une commune, une entreprise et un particulier.
Saisi de ce recours, les juges du fonds ont rejeté les requêtes en écartant les différents moyens invoqués :
- L'information tardive du public de la teneur du projet ou de ne pas voir été en mesure de participer effectivement au processus décisionnel dans le cadre de l’enquête publique ;
- L’incompétence du préfet pour délivrer l'autorisation environnementale litigieuse ;
- La méconnaissance de l'accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel garantie de la convention d’Aarhus ;
- Le défaut de motivation des conclusions de la commission d’enquête publique ;
- L'insuffisance des mesures pour préserver les captages et l’irrigation des terres agricoles, prévenir le risque d’inondations, atteintes portées aux richesses géologiques ;
- La méconnaissance du régime juridique relatif à l’exploitation des carrières ;
- La méconnaissance du droit au respect des biens garantie par l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ;
- Le détournement de pouvoir découlant de manœuvres visant à ne pas informer la population des incidences environnementales et de l'intervention tardive de l'enquête publique.
Enfin en écartant le moyen tiré de la méconnaissance du régime sur le régime applicable aux dépôts temporaires des déblais inertes, le Tribunal en a déduit que le régime ICPE leur était inapplicable.
I. les dépôts temporaires des déblais inertes ne constituaient pas une « installation de déchets inertes »
Dans sa requête, la commune soutenait que l’autorisation litigieuse violait l’article 2 de l’arrêté du l’arrêté ministériel du 12 décembre 2014 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations du régime de l’enregistrement relevant de la rubrique n°2760 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (JORF n°0289 du 14 décembre 2014), en ce que :
- Les déchets inertes qui feront l’objet de dépôts temporaires sur le site du projet constituent une installation de déchets inertes au sens de l’article 2 de l’arrêté ministériel du 12 décembre 2014 ;
- Ces déchets seront entreposés sur le site pendant toute la durée de la phase travaux du 1er secteur du projet selon l’article 13 de l’arrêté attaqué cité au point précédent, soit une durée supérieure à trois ans ainsi que cela résulte du projet établi dans le guide de lecture de l’étude d’impact ;
- L’article 138 de l’arrêté, en permettant le mélange des lots de déblais, ne permet pas de s’assurer que les déchets stockés sur le site feront l’objet d’un transport pour traitement dans le délai d’un an ainsi que l’exige l’article 2 de l’arrêté ministériel du 12 décembre 2014 précité.
Cependant, les juges du fonds estiment que la possibilité de mélanger les déchets stockés sur le site est sans incidence sur le régime juridique applicable à ces derniers compte tenu de la durée de leur stockage qui est inférieure à un an (TA d’Amiens, 27 juin 2023, n°2103021, point 18) au motif que :
- L’article 4 de l’arrêté attaqué relatif aux installations concernées par une rubrique de la nomenclature des installations classées soumet à une procédure d’enregistrement les déchets inertes faisant l’objet d’un dépôt définitif sur des sites extérieurs, et a exclu de ce régime juridique les dépôts temporaires de déchets inertes ;
- L’article 13 de la décision attaquée porte sur la durée totale de l’exploitation des dépôts temporaires, et non sur la durée d’entreposage de chaque lot de déchets pris en compte par les dispositions de l’article 2 de l’arrêté ministériel du 12 décembre 2014 et ne permet pas d’établir que des lots de déchets seront effectivement entreposés pendant plus de trois ans ;
- La capacité de stockage des dépôts temporaires des déchets sera inférieure au volume des déblais qui seront produits et impliquera une durée de stockage limitée à cinq mois pour les travaux de terrassement du bief aval et de de quatre mois pour les travaux du bief amont.
Dans ces conditions, le Tribunal juge que la préfète de l’Oise pouvait considérer que les dépôts temporaires des déblais inertes ne constituaient pas une « installation de déchets inertes » relevant de la rubrique n°2760 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement au sens de l’article 2 de l’arrêté ministériel du 12 décembre 2014 précité.
II. Les dépôts temporaires de terres excavées non soumis au régime des installations de transit de produit minéraux
Quant aux deux autres requérants (un particulier et une entreprise), ces derniers soutienaient que les dépôts temporaires de terres excavées autorisés par l’arrêté attaqué devaient être soumis au régime juridique applicable aux rubriques des installations de transit de produit minéraux de la nomenclature en ce que :
- Les terres excavées stockées dans les dépôts temporaires de déblais sont susceptibles d’être vendues par la société du Canal Seine Nord-Europe en application de l’arrêté ministériel du 4 juin 2021 fixant les critères de sortie du statut de déchet pour les terres excavées et sédiments ayant fait l’objet d’une préparation en vue d’une utilisation en génie civil ou en aménagement (JORF n°0148 du 27 juin 2021 ; TA d'Amiens, 27 juin 2023, n° 2102876, point 13) ;
- Ces terres peuvent être vendues conformément aux dispositions de l’arrêté ministériel du 21 décembre 2021 fixant les critères de sortie du statut de déchet pour les aménagements constitués de déblais de terres naturelles excavées et gérées au sein d’un grand projet d’aménagement ou d’infrastructure (JORF n°0003 du 5 janvier 2022).
Néanmoins, les juges du fonds ne se sont pas rangés derrière cette analyse et ont écarté ce moyen (TA d’Amiens, 27 juin 2023, n° 2102876, point 13) sachant que :
- Les dispositions des arrêtés ministériels du 4 juin 2021 et 21 décembre 2021 n’ont pas pour objet de déterminer le régime juridique applicable aux dépôts de terres excavées ;
- Les tiers ne contestent aucun des deux motifs pour lesquels l’arrêté attaqué, qui distingue clairement les dépôts « temporaires » des « dépôts définitifs », a considéré que les « dépôts temporaires » n’entrent pas dans les rubriques des installations de transit des déchets ou des installations de transit de produits minéraux de la nomenclature ICPE.
En particulier, les requérants n’ont pas remis en cause le fait que d’une part les dépôts temporaires sont implantés dans l’emprise du chantier et qu’ils accueillent exclusivement des terres excavées sur l’emprise du chantier d’autre part (TA d’Amiens, 27 juin 2023, n° 2102876, point 13).