APPLICATION DE LA JURISPRUDENCE « TARN-ET-GARONNE » A UNE CONVENTION DE PROJET URBAIN PARTENARIAL (P.U.P)

Par maître Thomas RICHET (Green Law Avocats) Un arrêt récent de la Cour administrative d’appel de Marseille relatif à un contentieux d’un  Projet Urbain Partenarial (P.U.P.) mérite de retenir l’attention (téléchargeable ici : CAA Nantes, 23 juillet 2018, n° 17NT00930). Instituée par la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 et codifiée aux articles L. 332-11-3 et L. 332-11-4 du code de l’urbanisme, la convention de Projet Urbain Partenarial (P.U.P) est une forme de participation d’urbanisme destinée au financement d’équipements publics autres que les équipements propres. Cette convention est conclue entre, d’une part, le ou les propriétaires, aménageurs et / ou constructeurs et d’autre part, la personne publique compétente en matière d’urbanisme (i.e. commune ou établissement public de coopération intercommunale) ou bien le Préfet, dans le cadre des opérations d’intérêt national. Sa conclusion n’est autorisée que dans les communes dotées d’un plan local d’urbanisme ou d’un document en tenant lieu et plus précisément, dans les zones urbaines (U) et les zones à urbaniser (AU). Par ailleurs, il convient de rappeler que la conclusion d’une convention de P.U.P a pour effet de faire échapper les constructions réalisées dans le périmètre qu’elle délimite du champ d’application de la taxe d’aménagement pendant un délai fixé par la convention, qui ne peut excéder dix ans (cf. C. urbanisme, L. 332-11-4). Pour les opérateurs privés, l’intérêt de signer une convention de P.U.P réside dans la possibilité d’obtenir plus rapidement la réalisation d’équipements publics difficiles à financer a posteriori par la seule taxe d’aménagement (TA) et si cette convention peut faire avancer plus rapidement son projet (cf. circulaire du 18 juin 2013 relative à la réforme de la fiscalité de l’aménagement, annexe 2). Il a été jugé par la Cour administrative d’appel de Marseille que si une convention de P.U.P peut être conclue en vue du financement de tout ou partie des équipements publics nécessaires à la réalisation d’un projet de construction, sa conclusion ne peut légalement intervenir postérieurement à la délivrance de la ou des autorisations d’urbanisme autorisant la réalisation de ce projet. A défaut, la convention est entachée d’un vice d’une particulière gravité (cf. CAA Marseille 27 mai 2016, Mme C. A, req. n° 15MA01414, considérant n° 14). Par ailleurs, cette même Cour a jugé que la convention de P.U.P, qui peut être passée avec le bénéficiaire d’un permis, n’est pas, par sa nature même, soumises aux règles de mise en concurrence et de publicité (cf. CAA Marseille, 17 octobre 2013, n° 12MA02696). Il convient néanmoins de rappeler que le juge n’est pas lié par la qualification du contrat donnée par les parties, de sorte qu’une convention faussement intitulée de P.U.P encourt un risque de requalification en marché public si elle remplit les critères de cette qualification (cf. par exemple CE, 5 juin 2009, Société Avenance-enseignement et santé, n° 298641). Dans notre affaire, le conseil de la communauté urbaine Le Mans Métropole avait, par une délibération à objet composite, d’une part, approuvé le projet de convention P.U.P conclu avec la société Benermans pour l’aménagement d’un parc d’activités commerciales situé sur son territoire et autorisé son président à signer la convention et d’autre part, approuvé le programme des équipements publics. La convention de P.U.P a été signée le 27 novembre 2014. La SCI Val de Sarthe, tiers à l’opération, a sollicité de la part du Tribunal administratif l’annulation de la délibération du 20 novembre 2014 et de la convention de P.U.P conclue entre l’EPCI et la société Benermans le 27 novembre 2014. Elle a saisi la Cour d’une requête d’appel à l’encontre du jugement ayant rejeté sa demande Concernant la légalité de la délibération du 20 novembre 2014, la Cour a estimé  que les parties s’étaient engagées, pour la commune, à réaliser d’importants travaux de voirie d’un montant de 1 554 724 euros dans un délai de 18 mois à compter de la prise d’effet des obligations des parties, et pour la société Benermans, à participer à l’opération via un apport de terrains non-bâtis et au versement d’une contribution financière de 1 436 668 euros. Le juge a constaté que  cette même société avait été exonérée du paiement de la taxe d’aménagement dans le périmètre de la convention pour une durée de 10 ans. Or selon la Cour « eu égard à son objet et au caractère exorbitant de l’exonération de taxe d’aménagement figurant à son article 6, cette convention doit être regardée comme revêtant le caractère d’un contrat administratif » (cf. considérant 7 de l’arrêt). Le juge d’appel a donc considéré que la convention de P.U.P, qui n’est pas un contrat administratif par détermination de la loi, était  un contrat administratif au regard des critères dégagés par la jurisprudence, et plus précisément, au regard du critère de la clause exorbitante du droit commun (cf. Conseil d’Etat, 31 juillet 1912, Société des granits porphyroïdes des Vosges, rec. Lebon, n° 30701). Dès lors, et par application de la désormais célèbre jurisprudence « Département de Tarn-et-Garonne » (cf. Conseil d’Etat, 4 avril 2014, n° 358994, Publié au recueil Lebon), la SCI Val de Sarthe était seulement recevable à contester, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, la délibération litigieuse en tant qu’elle approuvait le programme des équipements publics. En effet, dans l’arrêt précité, le Conseil d’Etat a fixé le principe selon lequel : « indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles (…); que les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d’une demande tendant, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l’exécution du contrat ; que ce…

Eolien : l’autorité de la chose jugée ne doit pas être ignorée

Par Maître Lucas DERMENGHEM (Green Law Avocats)   Par un arrêt rendu le 12 octobre dernier mentionné aux Tables du Recueil Lebon (CE, 12 octobre 2018, n°412104), le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur la portée de l’autorité de la chose jugée et sur les circonstances dans lesquelles celle-ci est susceptible d’être remise en cause. Cette décision doit également être remarquée en ce qu’elle contribue à la sécurisation des projets éoliens, lesquels font souvent l’objet de recours contentieux « à rallonge ». A cet égard, elle constitue un complément à l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme qui prévoit que dans l’hypothèse où un refus de permis de construire est annulé, sous réserve que la demande soit confirmée dans les six mois suivant l’annulation définitive, le service instructeur devra ré-instruire la demande, et ne pourra la refuser qu’au regard de l’état du droit au jour de la demande initiale. Les faits sont relativement simples : le 8 juin 2007, une société avait déposé une demande de permis de construire un parc éolien sur le territoire de la commune de Vesly (Eure). Estimant que le projet portait une atteinte au paysage environnant au sens l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme dans sa version alors en vigueur, le préfet de département avait refusé de délivrer le permis. Son refus avait cependant été annulé par le Tribunal administratif de Rouen par jugement du 4 novembre 2010, qui a estimé que le projet n’était pas de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants. Ce jugement est devenu définitif. A la suite de ce jugement, le préfet de l’Eure était donc contraint de ré-instruire la demande de permis de construire et a cette fois-ci décidé de le délivrer à la société pétitionnaire. Mais l’autorisation d’urbanisme a alors fait l’objet d’un recours par la commune de Vesly, devant accueillir le projet. Le Tribunal administratif de Rouen a cette fois prononcé l’annulation du permis de construire au motif qu’il avait été pris à l’issue d’une procédure irrégulière. En appel, la Cour administrative d’appel de Douai a infirmé ce motif unique d’annulation retenu par les premiers juges. La Cour a décidé néanmoins de rejeter l’appel en considérant que le projet portait atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants au sens de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme, sur la base de nouveaux documents qui n’avaient pas été produits lors de l’instance antérieure (en l’occurrence de nouveaux photomontages). Saisi du pourvoi en cassation de la société pétitionnaire, le Conseil d’Etat va considérer que l’autorité de la chose jugée, qui s’attache tant au dispositif du jugement d’annulation du Tribunal administratif de Rouen qu’à ses motifs, faisait obstacle à ce que, en l’absence de modification de la situation de droit ou de fait, le permis de construire sollicité soit à nouveau refusé par l’autorité administrative ou qu’il soit annulé par le juge administratif pour un motif identique à celui qui avait été censuré par le Tribunal administratif de Rouen le 4 novembre 2010, en l’occurrence l’atteinte paysagère. « Considérant que l’autorité de chose jugée s’attachant au dispositif de ce jugement d’annulation devenu définitif ainsi qu’aux motifs qui en sont le support nécessaire faisait obstacle à ce que, en l’absence de modification de la situation de droit ou de fait, le permis de construire sollicité soit à nouveau refusé par l’autorité administrative ou que le permis accordé soit annulé par le juge administratif, pour un motif identique à celui qui avait été censuré par le tribunal administratif » Puisque le Tribunal avait jugé que le projet n’était pas de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, seul un changement du projet ou des caractéristiques des lieux avoisinants aurait permis à l’administration ou au juge de porter une appréciation s’écartant de l’autorité de chose jugée. Or, le Conseil d’Etat constate qu’il n’en est rien. La seule circonstance que de nouveaux photomontages produits faisaient notamment apparaître une forte covisibilité entre les éoliennes et un monument historique ne constitue pas une modification de la situation de fait susceptible de remettre en cause l’autorité de chose jugée. Comme l’indique M. le Rapporteur public Guillaume Odinet dans ses conclusions rendues sous cette affaire, « s’il suffisait de produire des pièces complémentaires pour faire obstacle à l’autorité de chose jugée, il ne servirait plus à rien de juger ».

Autorisation environnementale : la simplification se poursuit surtout pour les IOTA, ICPE et les éoliennes (décret n°2018-797 du 18 septembre 2018)

Par Lucas DERMENGHEM- Green Law Avocats Le décret n°2018-797 du 18 septembre 2018, publié au Journal officiel du 20 septembre, vient modifier le contenu des pièces complémentaires à fournir en cas de demande d’autorisation environnementale concernant une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) ou des installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) relevant de la loi sur l’eau. Il importe d’emblée de préciser que ce texte ne modifie pas le contenu commun à tous les dossiers de demande d’autorisation environnementale, mais porte uniquement sur les pièces à fournir dans le cas où la demande concerne l’exploitation d’une ICPE ou la réalisation d’installations, ouvrages, travaux et activités soumis à la loi sur l’eau. Ce décret – l’un des premiers signés de la main du nouveau ministre de la transition écologique et solidaire François de Rugy – a pour objectif la simplification et la clarification du contenu du dossier de demande dans le cas où le projet relèverait des deux législations précitées. Ainsi, s’agissant d’abord du contenu du dossier relatif aux IOTA, l’article D. 181-15-1 du code de l’environnement fait l’objet de modifications concernant essentiellement les barrages et ouvrages assimilés (rubrique 3.2.5.0 de la nomenclature IOTA), les ouvrages utilisant l’énergie hydraulique (rubrique 3.2.6.0 de la nomenclature IOTA), ou encore ceux destinés à prévenir les inondations. A titre d’exemple, une simplification est opérée pour les dossiers de demande relatifs aux barrages, pour lesquels il n’est plus exigé que le pétitionnaire fournisse un document justifiant qu’il aura, avant la mise à l’enquête publique, la libre disposition des terrains ne dépendant pas du domaine public sur lesquels les travaux devront être effectués. Le décret du 18 septembre 2018 apporte aussi de substantielles modifications quant au contenu des dossiers de demande d’autorisation environnementale relatives à l’exploitation d’une ICPE. Tout d’abord, des changements affectent la description des capacités techniques et financières. Ainsi, le décret conserve la possibilité pour le pétitionnaire, lorsqu’il n’est pas en mesure de constituer les capacités techniques et financières dont il dispose au moment du dépôt de la demande d’autorisation, de décrire les modalités prévues pour les établir au plus tard à la mise en service de l’installation. En revanche, depuis l’entrée en vigueur du décret, il n’est désormais plus tenu d’adresser au préfet les éléments justifiant de la constitution effective de ses capacités au plus tard à la mise en service (article D. 181-15-2 du code de l’environnement, I 3°). De plus, le pétitionnaire n’est aujourd’hui plus contraint de préciser la nature et les délais de constitution des garanties financières : désormais, leur seul montant suffit (article D. 181-15-2 du code de l’environnement, I 8°). En outre, le décret apporte des modifications notables s’agissant des éoliennes. Ainsi, le texte exige qu’à l’appui de la demande soit produit un document justifiant que le projet éolien est conforme, selon le cas, au règlement national d’urbanisme, au plan local d’urbanisme ou au document tenant lieu ou à la carte communale en vigueur lors de l’instruction (article D. 181-15-2 du code de l’environnement, I 12° a). De plus, à contre-courant de l’esprit général de simplification qui anime le décret, le dossier de demande d’autorisation relatif à des installations éoliennes doit désormais contenir une étude relative aux impacts cumulés sur les risques de perturbations des radars météorologiques par les éoliennes lorsque celles-ci sont situées à l’intérieur de la surface définie par la distance minimale d’éloignement (article D. 181-15-2 du code de l’environnement, I 12° d). Enfin, une autre modification issue du décret du 18 septembre 2018 mérite d’être signalée : la suppression de la nécessité de fournir un plan d’opération interne (POI) dans les dossiers de demande d’autorisation concernant l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés (OGM) (article D. 181-15-6 du code de l’environnement).

Principe de précaution et fixation des valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques (CE, 7 mars 2018, n°399727)

Par Me Lucas DERMENGHEM- Green Law Avocats L’association Robin des Toits avait sollicité du Premier ministre qu’il procède à l’abaissement des valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements de téléphonie mobile, prévues par le décret n°2002-775 du 3 mai 2002. Saisi du recours de cette association tendant à l’annulation du refus du Premier ministre de procéder à cet abaissement, le Conseil d’Etat a rejeté néanmoins cette demande par un arrêt du 7 mars 2018 (CE, 7 mars 2018, n°399727). Cette décision suscite l’intérêt notamment en ce qu’elle décline la méthodologie d’application du principe de précaution – invoqué par l’association – à la fixation des valeurs limites d’exposition en matière de champs électromagnétiques. Ce sujet délicat est en effet l’un des domaines dans lesquels l’application du principe de précaution est régulièrement sollicitée, en raison de l’évolution des connaissances scientifiques et de la mouvance du cadre de protection de la santé humaine en la matière. La Haute Assemblée détaille ainsi la méthode que doit suivre l’autorité compétente de l’Etat pour la fixation des valeurs limites précitées : « Considérant que, s’agissant de la fixation des valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements de téléphonie mobile, l’autorité compétente de l’Etat doit rechercher s’il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse d’un risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement ou d’atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, qui justifierait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l’état des connaissances scientifiques, la réévaluation de ces valeurs par application du principe de précaution ; que, pour remplir cette obligation, il lui incombe de veiller à ce que des procédures d’évaluation du risque identifié soient mises en œuvre par les autorités publiques ou sous leur contrôle et de vérifier que, eu égard, d’une part, à la plausibilité et à la gravité du risque, d’autre part, à l’intérêt de l’opération, les mesures de précaution dont l’opération est assortie afin d’éviter la réalisation du dommage ne sont ni insuffisantes, ni excessives ; qu’il appartient au juge, au vu de l’argumentation dont il est saisi, de vérifier que l’application du principe de précaution est justifiée, puis de s’assurer de la réalité des procédures d’évaluation du risque mises en œuvre et de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation dans le choix des mesures de précaution »[1] Cette rédaction n’est pas sans rappeler une décision précédemment rendue par le Conseil d’Etat, déjà sur le thème de l’application du principe de précaution en matière d’ondes électromagnétiques, à propos de la construction de la ligne Très-Haute-Tension (THT) « Cotentin-Maine » (CE, 12 avril 2003, Association Coordination interrégionale STOP THT et autres, req. n° 342409). Si les considérants de principe de ces deux décisions sont presque identiques, on s’étonnera toutefois des termes employés par la Haute Assemblée dans l’arrêt le plus récent. En effet, dans son arrêt de 2013, le Conseil d’Etat estimait que des procédures d’évaluation du risque devaient être mises en œuvre par les autorités publiques dans le cas où existaient des éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse d’un risque pour l’environnement ou pour la santé (Cf. considérant n°37 de l’arrêt). Dans l’arrêt de 2018, la rédaction employée suggère que c’est précisément la mise en place de procédures d’évaluation qui doit permettre d’identifier un tel risque. Selon le Conseil d’Etat, l’évaluation du risque doit désormais être l’un des outils permettant d’identifier le risque et ne doit pas intervenir a posteriori, une fois le risque identifié. Dans la décision commentée, la Haute Assemblée constate d’abord que des procédures d’évaluation des risques ont été mises en œuvre, par la mission de veille et de vigilance en matière de radiofréquences exercée par l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) et par le contrôle du respect des valeurs limites d’exposition effectué par l’Agence nationale des fréquences (Cf. considérant n°4 de l’arrêt ). Ensuite, le Conseil d’Etat constate que les mesures de précaution entourant la fixation des valeurs limites d’exposition au public des champs électromagnétiques sont suffisantes, à la lumière de l’état des connaissances scientifiques engagées à ce jour, lesquelles ne plaident pas en faveur de l’abaissement des valeurs limites d’exposition (Cf. considérant n°5 de l’arrêt). Ainsi : les conclusions des nombreuses recherches scientifiques consacrées aux effets non thermiques des ondes radioélectriques, dont plusieurs études internationales, n’ont pas mis en évidence d’effet athermique de ces ondes sur l’homme entraînant des conséquences sanitaires délétères, en l’absence de mise en évidence de tels effets, le Conseil de l’Union européenne n’a pas révisé sa recommandation du 12 juillet 1999 relative à l’exposition du public aux champs électromagnétiques (Cf. Recommandation du Conseil n° 1999/519/CE du 12/07/99 relative à la limitation de l’exposition du public aux champs électromagnétiques (de 0 Hz à 300 GHz), J.O.C.E n° L 199 du 30 juillet 1999) préconisant les valeurs limites qui ont été reprises par le Premier ministre dans le décret du 3 mai 2002 ; les rapports d’expertise collective publiés par l’ANSES en 2009 et 2013 n’ont pas préconisé la révision de ces valeurs limites ; la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants a certes engagé une révision de ses propres conclusions concernant les hautes fréquences mais, comme l’a indiqué la Commission européenne, il convient d’attendre les conclusions de ces travaux pour examiner à nouveau la pertinence des valeurs limites d’exposition. Le Conseil d’Etat en conclut qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques, et dans l’attente des résultats des travaux engagés, il ne peut être considéré que le Premier ministre a commis une erreur d’appréciation en s’abstenant de modifier à la baisse les valeurs limites d’exposition (Cf. considérant n°6 de l’arrêt.). On remarquera toutefois que le Conseil d’Etat prend le soin de souligner que des travaux ont été engagés et que leurs résultats sont attendus. Cela pourrait-il suggérer qu’en fonction de leur contenu, ces conclusions seront susceptibles d’entraîner la modification des seuils d’exposition actuellement fixés et que le refus de procéder en ce sens pourra, cette fois, constituer une…

LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE N’EST PAS UN LONG FLEUVE TRANQUILLE

Par David DEHARBE (Green Law Avocats) Nicolas HULOT n’échappe pas au traitement infligé à tout Ministre d’Etat démissionnaire : son bilan et l’explication de son action au Gouvernement alimentent depuis 48 heures les commentaires politiques. Au-delà d’une décision « peu protocolaire » en la forme, cette démission n’étonne pas l’environnementaliste, du moins si l’on accepte de s’arrêter sur ce qui n’a été guère commenté, à savoir l’intitulé du département dont il est question : le « Ministère de la transition écologique et solidaire ». Ce nouvel intitulé dans la jeune histoire du Ministère de l’environnement (créé en 1971) explique que le plus emblématique des défenseurs de l’environnement ait lui-même préféré jeter l’éponge. Certes l’avènement (initialement imaginé comme « impossible ») d’un grand Ministère transversal de l’environnement est désormais acté et il n’est plus question de le rattacher à la culture, de le confier à un simple secrétaire d’Etat pour le subordonner au 1er Ministre ou de corseter ses compétences au point de confier les arbitrages en la matière aux Ministres de l’économie, de l’intérieur, de l’agriculture ou des transports… Reste que devenu transversal dans ses missions, ce  « Ministère carrefour » ne se trouve plus seulement confronté aux arbitrages perpétuels mais programmés par la « transition écologique », à porter un changement de société. Si en 2010 avec le Grenelle, l’objectif d’intégration de l’environnement dans les autres politiques publiques a été annoncé afin de concrétiser le « développement durable » inscrit dans la loi Barnier dès 1995, depuis cinq ans la méthode pour y parvenir semble se radicaliser même si elle demeure toujours un peu grossière : la France devrait en passer par la « transition écologique », concept créé par l’enseignant anglais en permaculture, Rob Hopkins, et inscrit sur l’agenda politique avec la publication en novembre 2013 d’un « Livre blanc sur le financement de la transition écologique ». Mais cette « transition écologique » incarnée par son Ministre depuis 2017 revendique un changement de modèle économique et social, qui prétend transformer en profondeur nos façons de consommer, de produire, de travailler et de vivre ensemble. Dans le syndrome du « Titanic », Nicolas HULOT prônait courageusement et sans aucun détour, une « mutation radicale ». On perçoit immédiatement la radicalité de la transition dont il est question quand on énumère les bouleversements qu’elle appelle dans de nombreux domaines : – La transition agro-alimentaire qui substitue une agriculture biologique paysanne, localisée à l’agriculture industrielle, chimique, consommatrice de pétrole et réduit les risques sanitaires. – La transition énergétique et le scénario NégaWatt (efficacité énergétique, sobriété énergétique, énergies renouvelables). – La transition industrielle avec la production de biens durables (à l’opposé de l’obsolescence programmée), dans une « société circulaire » facilement réparables et recyclables et avec un bilan carbone, des services proposant un partage et une meilleure utilisation des biens, le partage du travail, la relocalisation des activités, etc., – La préservation de la biodiversité qui tend à modifier la valeur économique du foncier (par la logique de la compensation, l’intégration des coûts écologiques et la réparation du préjudice écologique), – Un urbanisme durable : densification urbaine, économies d’énergie, espaces verts, lutte contre l’artificialisation des sols qui là encore modifie la valeur du foncier, – Des transports réorientés vers l’éco-mobilité : auto partage, covoiturage, ferroutage, télétravail, – Une fiscalité réorganisée pour inciter à économiser l’eau, l’énergie, les matières premières et à réduire les déchets ou pollutions. Or bien évidemment cette transition ne se fait pas à droit constant : par un phénomène de vase communiquant, les libertés individuelles et les droits classiques (droit de propriété, liberté du commerce et de l’industrie, liberté de circulation) voient leur exercice conditionné et même contraint par les besoins d’un ordre public écologique dont chacun serait le garant à l’égard de tous. Ainsi, pour le juriste, il est tentant d’agiter les dangers d’une limitation des libertés individuelles par cette transition écologique. Si la rationalité héritée du 18ème siècle recommande à tout un chacun d’accepter certaines limites à ses libertés individuelles pour garantir le droit à un environnement sain, la façon d’y parvenir conduit à des frustrations très concrètes : renoncer au gasoil, aux pesticides, au béton, au plastique, à la chasse, à la climatisation, à notre consommation d’eau, aux installations énergivores, à sa livraison expédiée du bout du monde, aux sports motorisés en pleine nature… voilà autant de contraintes, plus ou moins consciemment, mal vécues. Finalement, cette transition écologique, c’est un peu comme la rencontre entre les familles Groseille et les Le Quesnoy : une belle occasion de déconstruire parfois dans la douleur et l’incompréhension une représentation de l’autre monde, qualifié ici d’ancien par ceux qui en revendiquent un nouveau. Mais ces frustrations pétries d’individualisme se combinent encore avec l’expression des résistances collectives plus organisées (organisations professionnelles et syndicales, reliées par les lobbyistes et portées par des logiques des grands corps de l’Etat), rétives au changement politique et social radical qu’annonce cette transition écologique ; certains secteurs d’activités étant de plus en plus stigmatisés et sommés – parfois avec excès – d’adapter leurs pratiques professionnelles (chimie fine, industrie automobile, production énergétique, immobilier, industrie extractive, agriculture, tourisme…). Ces résistances, qui se sont cristallisées pour faire échec à un moratoire sur l’artificialisation des terres agricoles dès 2020 ou sur le contenu de la future PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie pour les périodes 2018-2023 et 2024-2028) avec des manœuvres grossières pour imposer la construction de plusieurs EPR en France, ont assurément conduit à la spectaculaire démission du premier Ministre d’Etat à avoir osé initié la mutation radicale qu’il annonçait.  Gageons que ce ne sera là qu’une étape, tant il semble que la transition écologique engagée ne peut pas être « un long fleuve tranquille »…