Dérogation «espèces protégées» : arrêté complémentaire «biface» en matière éolienne

pièce éolienne

Par Mathieu DEHARBE, Juriste (Green Law Avocats)

En cet été 2024, le Conseil d’État a eu l’occasion de délimiter les prérogatives de l’administration et l’office du juge en cas de défaut de dérogation «espèces protégées» au titre d’une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) autorisée et déjà en service (CE, 8 juillet 2024, n°471174, téléchargeable ici).

Dans ce contentieux, La Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) a contesté un arrêté de prescriptions complémentaires concernant un parc éolien édifié sur le fondement d’un permis de construire valant autorisation environnementale (article 15, ordonnance n°2017-80, 26 janvier 2017).

L’arrêté litigieux a levé l’interdiction de fonctionnement des éoliennes en dehors des périodes nocturnes moyennant plusieurs mesures destinées à prévenir le risque de collision, notamment avec la mise en place d’un dispositif de détection automatisé.

Alors que la Cour administrative d’appel de Toulouse a rejeté la requête en statuant en premier et dernier ressort (article R. 311-5, 20°, code de justice administrative), la LPO se pourvoit en cassation et soulève notamment les moyens suivants :


À cette occasion, la Haute juridiction a considéré que :

I. Des prescriptions complémentaires de nature à protéger les espèces « cibles»


La Haute juridiction énonce que l’administration doit prendre les mesures nécessaires en matière de préservation des espèces animales non domestiques protégées et de leurs habitats, afin prévenir les dangers ou inconvénients pour la protection de la nature et de l’environnement :

«Il résulte de ces dispositions qu’il appartient à l’autorité administrative de prendre, à tout moment, à l’égard de l’exploitant, les mesures qui se révèleraient nécessaires à la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts énumérés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, notamment la protection de la nature et de l’environnement. Il lui appartient, à cette fin, de prendre les mesures de nature à préserver les espèces animales non domestiques protégées ainsi que leurs habitats.» (CE, 8 juillet 2024, n° 471174, point 4).

I. Des prescriptions complémentaires de nature à protéger les espèces «cibles»


La Haute juridiction énonce que l’administration doit prendre les mesures nécessaires en matière de préservation des espèces animales non domestiques protégées et de leurs habitats, afin prévenir les dangers ou inconvénients pour la protection de la nature et de l’environnement :

«Il résulte de ces dispositions qu’il appartient à l’autorité administrative de prendre, à tout moment, à l’égard de l’exploitant, les mesures qui se révèleraient nécessaires à la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts énumérés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, notamment la protection de la nature et de l’environnement. Il lui appartient, à cette fin, de prendre les mesures de nature à préserver les espèces animales non domestiques protégées ainsi que leurs habitats.» (CE, 8 juillet 2024, n°471174, point 4).

En l’espèce, la Haute juridiction constate que le projet impacte le milieu d’une espèce protégée, le vautour moine (aegypius monachus ; annexe I, Directive 2009/147/CE ; arrêté, 9 juillet 1999, NOR : ATEN9980224A ; liste rouge des oiseaux nicheurs menacés de France métropolitaine) en ce que :


En l’occurrence, la juridiction d’appel a estimé que les prescriptions complémentaires étaient de nature à protéger les espèces protégées «cibles» :


Pour autant, le Conseil d’Etat considère que la Cour a commis une erreur de droit en jugeant que ces mesures étaient de nature à protéger le vautour moine sachant que :

II. L’adoption d’un arrêté «biface» face à l’absence de dérogation «espèces protégées»


La Haute juridiction rappelle que l’administration peut accorder des dérogations «espèces protégées» dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives :


Sa jurisprudence énonce que le système de protection des espèces protégées impose d’examiner si cette dérogation est nécessaire au vu de la présence de spécimens dans la zone du projet nonobstant leur nombre, leur état de conservation (CE, avis, 9 décembre 2022, n°463563, point 4 ; CE, 8 juillet 2024, n°471174, point 7).

Une telle dérogation est nécessaire si le projet comporte un risque caractérisé sauf lorsque les mesures d’évitement et de réduction des atteintes diminuent suffisamment ce risque (CE, avis, 9 décembre 2022, n°463563, point 5 ; CE, 8 juillet 2024, n°471174, point 7).

De jurisprudence constante, le moyen tiré du défaut de dérogation «espèces protégées» est opérant dans un recours contre permis de construire d’un projet d’éoliennes terrestres valant autorisation environnementale (CE, 22 juillet 2020, n°429610, point 7 ; CE, 22 septembre 2022, n°443458, point 5 ; CE, 8 juillet 2024, n°471174, point 9).

Cependant qu’en est-il si l’acte attaqué est un arrêté de prescriptions complémentaires pour conserver les espèces protégées ?

Premièrement, la Haute juridiction note qu’une dérogation «espèces protégées» demeure nécessaire même si l’autorisation n’est pas définitive ou que le risque caractérisé pour les espèces ne résulte pas d’une modification de cette autorisation :

«Les dispositions des articles L. 181-2, L. 181-3, L. 181-22, L. 411-2 et R. 411-6 du code de l’environnement imposent, à tout moment, la délivrance d’une dérogation à la destruction ou à la perturbation d’espèces protégées dès lors que l’activité, l’installation, l’ouvrage ou les travaux faisant l’objet d’une autorisation environnementale ou d’une autorisation en tenant lieu comportent un risque suffisamment caractérisé pour ces espèces, peu important la circonstance que l’autorisation présente un caractère définitif ou que le risque en cause ne résulte pas d’une modification de cette autorisation.» (CE, 8 juillet 2024, n°471174, point 12).

Deuxièmement, il n’est pas nécessaire d’obtenir cette dérogation lorsque l’autorisation est modifiée substantiellement par des prescriptions complémentaires dont l’objet est d’assurer ou de renforcer la conservation d’espèces protégées :

«Lorsque la modification de l’autorisation conduit l’autorité administrative à imposer des prescriptions complémentaires dont l’objet est d’assurer ou de renforcer la conservation d’espèces protégées, les dispositions des articles L. 181-14, R. 181-45, R. 411-10-1 et R. 411-10-2 n’ont ni pour objet ni pour effet de faire dépendre la nécessité de l’obtention d’une dérogation  » espèces protégées  » de la circonstance que cette modification présenterait un caractère substantiel.» (CE, 8 juillet 2024, n°471174, point 12).

Troisièmement, l’administration doit tout même vérifier si ces prescriptions complémentaires sont suffisantes et le cas échéant s’assurer de la nécessité d’enjoindre au bénéficiaire la sollicitation d’une dérogation «espèces protégées» :

«Il appartient à l’autorité administrative de s’assurer que les prescriptions complémentaires qu’elle impose présentent un caractère suffisant et, dans ce cadre, de rechercher si elles justifient, lorsqu’il demeure un risque caractérisé pour les espèces, d’imposer au bénéficiaire de solliciter une telle dérogation sur le fondement de l’article L. 171-1 du code de l’environnement.» (CE, 8 juillet 2024, n°471174, point 12).

La nécessité de contraindre le préfet à vérifier la nécessité d’adopter un arrêté «biface» pour la protection des espèces a été explicitée par le rapporteur public dans ses conclusions :

«Une solution alternative consisterait à privilégier une approche plus pragmatique et propre aux circonstances de l’espèce en considérant que, dans la mesure où les prescriptions complémentaires en litige avaient précisément pour objet d’assurer une meilleure protection des espèces protégées, l’administration était tenue de s’interroger, à cette occasion, sur la nécessité d’une dérogation espèces protégées et, le cas échéant, la mise en œuvre des pouvoirs d’injonction qu’elle tient de l’article L.171-7 en adoptant alors un arrêté «biface». La carence éventuelle de l’administration pourrait donc être sanctionnée sur ce plan» (conclusions de Nicolas AGNOUX, page 9).

Cependant, cette solution n’allait pas de soi, car une autre solution avait été proposé, à savoir l’inopérance du moyen tiré de l’absence de dérogation «espèces protégées» dans le contentieux de l’arrêté de prescriptions complémentaires :

«L’absence de dérogation peut-elle néanmoins être utilement invoquée à l’appui d’un recours dirigé non pas contre l’autorisation environnementale ou contre un refus du préfet de mettre en œuvre ses pouvoirs d’injonction, mais contre un arrêté portant prescriptions complémentaires, notamment lorsque ce dernier édicte des mesures susceptibles de diminuer les atteintes portées aux espèces protégées ?

3.1. Nous ne le croyons pas et vous proposons donc, moyennant une substitution de motifs, de confirmer l’inopérance du moyen qui était soulevé devant la cour. » (conclusions de Nicolas AGNOUX, page 7).

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