Business man near wind farmFaut il pour les opérateurs désespérer d’avoir tenté d’implanter des éoliennes en milieu rural?

Nous ne le pensons pas, même à la lecture du jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Montpellier le 17 septembre 2013, qui a fait grand bruit au-delà même de la seule filière éolienne, qui se devait d’être scrupuleusement analysé avant d’en tirer d’hâtives conclusions.

Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’une décision de justice isolée et rarissime.

Il s’agit, à l’analyse du jugement motivé qui a été rendu, d’une appréciation conservatrice et finalement peu cohérente avec la réglementation de l’éolien en France.

Rappelons tout d’abord les faits : les requérants sont une société et un couple d’habitants d’un Château, classé au titre de la législation sur les monuments historiques et situé sur une commune voisine d’un parc de 10 éoliennes. La construction, autorisée par arrêté de permis de construire, a eu lieu entre 2005 et 2006.

Les requérants n’ont semble t-il pas jugé opportun de contester les autorisations d’urbanisme.

Ils ont assigné la société exploitante du parc éolien, ainsi que les propriétaires fonciers ayant donné leurs parcelles à bail. Précisons d’emblée que les propriétaires ont été condamnés solidairement au paiement des diverses sommes d’argent par le Tribunal, mais que dans ces rapports solidaires, les sommes resteraient à l’entière charge de l’exploitant éolien.

Les requérants ont assigné l’exploitant et les propriétaires devant le TGI de Montpellier, selon la règle classique de la compétence territoriale dépendant du siège du défendeur. Leurs demandes étaient fondées sur l’article 544 relatif au droit de propriété et sur l’article 1382 du code civil (fondement légal de la responsabilité pour faute), double fondement qui rejoint la théorie des troubles anormaux de voisinage.

Rappelons le principe dégagé par la Cour de cassation selon lequel « nul ne doit causer à autrui aucun trouble anormal de voisinage » (Cass, 2ème civ., 19 décembre 1986 ; Civ. 2e, 23 oct. 2003, Elissondo et autres c/ SA Intercoop, no 02-16.303, RDI 2004. 276, obs. Bergel).

Sur ce fondement, ils demandaient :

  • le démontage des 10 éoliennes sous astreinte de 1500€ par jour de retard et par éoliennes ;
  • le versement à chacun d’entre eux d’une somme de 30 000€ pour le « préjudice de jouissance déjà subi » ;
  • le versement à chacun d’entre eux d’une somme de 20 000€ pour le « préjudice moral déjà subi » ;
  • le versement à chacun d’entre eux d’une somme de 15000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile (c’est-à-dire les frais de procédure et d’avocat).

Par jugement du 17 septembre 2013, le TGI de Montpellier a fait partiellement droit à leurs demandes :

  • en condamnant l’exploitant éolien à démonter les 10 éoliennes dans un délai de 4 mois à compter de la signification du jugement et en prévoyant une astreinte de 500€ par jour de retard et par éolienne non démontée ;
  • en condamnant l’exploitant éolien et les propriétaires à payer solidairement aux trois demandeurs une somme totale de 37 500€ à titre de dommages et intérêts, une somme de 5000€ au titre des frais de procédure, ainsi qu’aux dépens.

Ce faisant, le Tribunal s’est fondé en réalité sur des éléments factuels apparaissant pour le moins ténus (tels que ressortant du jugement du moins) et en tout état de cause partiels pour qui a déjà ouvert des études d’impact éoliennes :

–        deux constats d’huissier de 2009 et de 2012 constatant que les éoliennes étaient visibles depuis la propriété des requérants ;

–        un constat d’huissier désigné par requête (de façon non contradictoire donc) ayant interrogé pendant 8 semaines « divers habitants du village » où est situé le château, et « plus éloigné des éoliennes », ce qui fait dire au Tribunal que « les habitants subissent donc un préjudice moindre que les occupants du château » ; On apprend ainsi que 26 personnes ont été interrogées et que 18 d’entre elles ont fait état de nuisances.

Il ressort de ces seuls éléments qu’un préjudice de divers ordre est constitué :

« En premier lieu un préjudice esthétique de dégradation de l’environnement résultant d’une dénaturation totale d’un paysage bucolique et champêtre, ce qui est d’une gravité bien plus importante et non comparable avec la modification d’un paysage urbain  environnant par la construction d’un immeuble ou d’un mur dans un espace encore non construit ;

En deuxième lieu un préjudice auditif dû au ronronnement et sifflement des éoliennes et existant en raison de son caractère permanent même en dessous des limites réglementaires d’intensité du bruit, obligeant à des mesures de protection élémentaires contre le bruit et créant un trouble sanitaire reconnu par l’académie nationale de médecine dans un rapport du 14 mars 2004, visé dans le jugement rendu le 4 février 2010 entre les consorts A. et la Sté Y. et versé aux débats (page 10); »

En troisième lieu et surtout un préjudice d’atteinte à la vue dû au clignotement de flashs blancs ou rouges toutes les deux secondes de jour et de nuit, fatiguant les yeux et créant une tension nerveuse auquel s’ajoutent en cas de soleil rasant des phénomènes stroboscopiques et de variation d’ombre, étant précisé que le parc éolien Z., même en admettant comme soutenu en défense qu’il soit situé à 3,3 km du château, cause à ce titre un préjudice supérieur à celui de X. du fait de sa localisation en face du château et non sur son aile ; »

Une fois les préjudices constitués selon le Tribunal, il procède à une appréciation, par nature souveraine, de l’ « anormalité » des troubles :

« Attendu que cet ensemble de nuisances, de caractère tout à fait inhabituel, permanent et rapidement insupportable crée un préjudice dépassant les inconvénients normaux de voisinage, constituant une violation du droit de propriété des époux W. contraire à l’article 544 du code civil auquel il convient de mettre fin pour l’avenir par démontage des éoliennes, et qui justifie une indemnisation en dommages-intérêts pour ce qui est du préjudice déjà réalisé ; »

En l’espèce, on pourra s’étonner à plusieurs égards :

1)      il ne ressort pas qu’une étude acoustique ait été diligentée par les requérants, de sorte qu’à la seule lecture du jugement, il n’est pas établi précisément le niveau sonore des éoliennes, et encore moins que les normes acoustiques étaient méconnues par l’exploitant éolien.

2)      le poids que revêt le témoignage de 18 personnes (qui ne sont pas parties à l’instance) par rapport à l’appréciation d’un trouble anormal de voisinage.

3)      le reproche, de principe, des « nuisances visuelles » constituées par les flashs lumineux alors qu’ils sont imposés sans possibilité de s’en départir, par la réglementation de l’aviation civile.

  • S’agissant des nuisances sonores :

Il est constant que le non-respect des normes réglementaires pourra constituer une faute au sens de l’article 1382 du code civil. Pour autant, le respect de ces normes n’est pas, à l’inverse, de nature à exclure toute action fondée sur le caractère anormal des troubles subis.

On sait à cet égard qu’un juge ne peut pas exclure un trouble anormal en se fondant seulement sur le respect des normes, sous peine de censure en cassation (Cass 3ème civ. 23 février 2005, n°03-20.380, RDI 2005, p.196)

Et en matière de nuisances sonores, il faut se ranger selon nous à l’appréciation pertinente de M. le professeur Trébulle selon qui en la matière, « les seuils légaux doivent être pris en compte avec une mesure d’autant plus grande qu’il s’agit parfois de seuils de danger et non de gêne (V. Cass. 3e civ., 8 mars 1978, D. 1978, p. 641, note Larroumet ; M.-P. Grevèche, La notion de seuil en droit de l’environnement, thèse Paris I, 2002, dactylographiée) » (RDI 2005, p.196).

Dès lors, on peut admettre que le respect des normes acoustiques n’exonère pas, par principe, l’exploitant d’une responsabilité sur le fondement des troubles anormaux de voisinage.

En revanche, on ne saurait admettre que le juge du fond, pour retenir l’anormalité du trouble n’ait pas cherché davantage à se convaincre :

1) de la réalité du trouble : à cet égard, il serait agi du niveau sonore des éoliennes, qui aurait été établi par une simple étude acoustique ;

2) de l’anormalité du trouble, qui aurait notamment pu découler du non respect éventuel des normes acoustiques auxquelles les éoliennes sont assujetties ;

Il y a là une légèreté dans la recherche de la preuve qui ne peut que laisser dubitatif : il suffirait alors que quelques personnes, de façon évidemment subjective et non établie par une expertise, fassent état du bruit émanant d’une installation pour que ce bruit constitue un trouble anormal à l’égard de demandeurs ?

Ce glissement est d’autant plus dangereux qu’il s’agit ici d’installations qui cristallisent par nature les a priori et les craintes des riverains selon le syndrome bien connu du NIMBY.

Un tel contexte devrait, légitimement, conduire les juges du fond à être rigoureux dans l’appréciation de la réalité du trouble (i), puis de son caractère anormal (ii).

  • S’agissant du témoignage de personnes tierces à l’instance.

Il ressort de la lecture du jugement deux raccourcis qui semblent pour le moins étonnants :

–        d’une part, il a été tenu compte du témoignage de 18 personnes habitant le village d’implantation du château des requérants rapportant des « bruits permanents consistant en ronronnements et sifflements, audibles même à l’intérieur de leur maison, et obligeant à hausser le son de la télévision voire à construire une véranda ou à fermer les volets, la fermeture des volets constituant également une protection contre les crépitements des flashs toutes les deux secondes et qui sont permanents de jour comme de nuit ». Ainsi, parce que quelques autres personnes estiment subir des troubles, ceux invoqués par les demandeurs seraient avérés. Or, le trouble anormal de voisinage s’apprécie à l’égard du demandeur et non à l’égard de tiers éloignés du domicile des requérants.

–        d’autre part, le Tribunal considère que le « préjudice » de ces 18 personnes est « nécessairement moindre que celui des demandeurs » du fait de l’éloignement.

Mais cette appréciation élude des considérations techniques que tout professionnel de l’éolien connait : la distance d’éloignement n’est pas le seul critère de l’impact acoustique. Il faut évidemment tenir compte du bruit existant, de la proximité d’autres installations, de la météorologie, des obstacles se dressant entre le parc et les riverains, de la topographie etc… autant d’éléments qui ont peut être été discutés (nous l’ignorons à la lecture du jugement) mais qui n’ont pas été repris dans la décision et ne l’ont donc pas fondé.

  • Enfin, s’agissant des flashs lumineux, on ne peut que redouter et déplorer que ce type d’appréciation, sans autre justification contingente (distance, axe etc..), conduise en l’état à sanctionner tous les parcs éoliens mais aussi tous les autres ouvrages dotés du même dispositif en zone rurale !

En effet, comme nous en faisons état encore récemment sur ce blog, le Ministre de l’Energie a rappelé que le balisage lumineux des éoliennes répond à des considérations de sécurité aérienne et s’avère réglementairement – telle fut la réponse du Ministre à une question en date du 30 avril 2013 de la députée Bérengère Poletti qui attirait son attention sur les nuisances visuelles que constituent selon elle les lumières flashs des éoliennes pour les riverains, et demandait si le Gouvernement entendait prendre des mesures pour remédier à ce problème.

Organisé par le code des transports (articles L. 6351-6 et L. 6352-1) et le code de l’aviation civile (articles R. 243-1 et R. 244-1), ce balisage relève de la compétence de la direction générale de l’aviation civile (DGAC), qui veille à assurer « un niveau de sécurité acceptable pour les usagers de l’espace aérien » en réglementant la visibilité des constructions susceptibles de constituer des obstacles à la navigation aérienne.

Deux arrêtés définissent les exigences techniques relatives à la couleur et aux flashs lumineux des éoliennes (Arr. 13 nov. 2009, NOR : DEVA0917931A ; Arr. 7 déc. 2010, NOR : DEVA1022990A).

En ce qui concerne la fréquence d’éclat, que la question évoquait spécifiquement, la Ministre précise que celle définie par ces textes (40 éclats par minute) s’inspire des recommandations de l’organisation de l’aviation civile internationale (OACI), et qu’elle est similaire à celle retenue par les États-Unis.

Quant au changement de couleur des flashs lumineux (blancs le jour et rouges la nuit), il vise à améliorer la visibilité pour les pilotes la nuit.

Enfin, la Ministre précise que le dispositif réglementaire français va plus loin que les recommandations de l’OACI en ce qu’il impose de baliser les éoliennes délimitant le contour d’un parc, afin de garantir la sécurité des vols militaires à basse altitude.

Pour rappel, en 2011, ces mesures avaient déjà été jugées proportionnées à l’objectif de sécurité qu’elles poursuivent par le Conseil d’Etat,  qui avait jugé qu’elles sont « nécessaires pour assurer la sécurité en matière de circulation aérienne et ne sont pas susceptibles d’entraîner des inconvénients excessifs pour la tranquillité des riverains, le maintien de la biodiversité, la qualité des paysages ou le développement de l’énergie éolienne » (CE, 23 nov. 2011, n°336816).

En définitive, on peut se demander quel est réellement le seuil d’anormalité qui doit être atteint puisque toutes les éoliennes sont soumises à cette obligation de balisage lumineux, et que par le jeu de l’éloignement de 500mètres de toute habitations, les parcs ne peuvent s’implanter que dans des espaces agricoles ou naturels ?

Il y a là une distorsion entre l’appréciation du juge civil d’un trouble anormal de voisinage (dont la preuve, on l’a vue, ne ressort pas clairement du jugement rendu) et la réglementation fixant de véritables prescriptions de moyen à laquelle les opérateurs éoliens sont assujettis sans aucune marge de manœuvre.

Se pose ici une question lourde d’enjeux car touchant l’ensemble du droit de l’environnement industriel : lorsqu’une réglementation constitue la cause d’un trouble du voisinage, peut-on encore y déceler une anormalité et ne flirte-ton pas ainsi avec les limites assignées par le principe d’indépendance des autorités administratives et judiciaires et avec les limites de la compétence du juge civil ?

Dans un prochain numéro d’Environnement nous approfondirons cette question théorique.

Quelle est la portée de la décision du TGI ? On serait tenté de parier sur le fait qu’elle restera une décision d’un TGI mais qui n’en sera pas moins citée comme un cas d’école. En tout état de cause un tel jugement ne saurait passer l’appel sans embuche…

Au final, ce type de décision est relativement rare, et on l’aura compris elle risque de donner de faux espoirs à ceux qui entendent faire démonter des éoliennes industrielles.

Ce n’est pas dire que le juge judiciaire ne peut pas intervenir en la matière, mais à notre sens il doit le faire avec une approche bien plus technique de l’équilibre à établir entre la préservation des intérêts privés (notamment la tranquillité des riverains) et le développement des ENR qui sont soumis à des règles strictes. La présente affaire est d’ailleurs intervenue sans aucune mesure d’expertise et on ne peut imaginer que l’opérateur n’ait pas en vain brandi, s’agissant du bruit, son étude acoustique … manifestement il n’a alors pas été entendu !

Au demeurant, le poids considérable des législations et réglementations, certaines justifiées (étude d’impact, enquête publique) d’autres moins (installations classées, étude de dangers), sur les projets éoliens constitue à notre sens la garantie première de la prise en compte des riverains.

Stéphanie Gandet- David Deharbe

Green Law Avocat