Défrichement et PC tacite: précisions sur le déféré préfectoral et contrôle du juge sur les autorisations (CE, 6 mai 2015)

Path in a sunny summer forestPar

Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat)

Aux termes d’un arrêt du 6 mai dernier, le Conseil d’Etat a précisé les conditions du déféré préfectoral en présence d’un permis de construire tacite. Il a également éclairci le degré de contrôle du juge concernant la qualification de terrains pouvant faire l’objet d’une autorisation de défrichement. Enfin, il a rappelé à plusieurs reprises que les juges de fond étaient souverains dans leur appréciation des faits et que son propre rôle se limitait à vérifier qu’ils ne les avaient pas dénaturés. (CE, 9e et 10e sous-sect., 6 mai 2015, n°366004, mentionné dans les tables du recueil Lebon)

Les faits étaient les suivants. La propriétaire de plusieurs parcelles a déposé une demande de permis de construire en vue de l’édification d’une villa. En l’absence de réponse de la mairie, la pétitionnaire a demandé au maire de lui délivrer un certificat attestant qu’elle était bénéficiaire d’un permis de construire tacite.

Ce certificat, prévu à l’article R. 424-13 du code de l’urbanisme, lui a été délivré le 22 décembre 2009 et a été transmis au préfet des Alpes-Maritimes le 6 janvier 2010.

Par un courrier du 23 février 2010, ce dernier a demandé au maire de « prendre une décision refusant ce permis de construire  » au motif que la demande de la pétitionnaire aurait dû être précédée d’une demande d’autorisation de défrichement en application de l’article R. 431-19 du code de l’urbanisme. Le maire a rejeté cette demande par une décision du 22 mars 2010.

Le préfet a alors déféré la décision de permis de construire tacite au tribunal administratif. Le tribunal a annulé le permis de construire litigieux et ce jugement a été confirmé en appel.

La pétitionnaire a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a examiné la régularité du jugement attaqué. En l’espèce, la requérante critiquait l’absence de réouverture de l’instruction après la clôture malgré la production d’un mémoire du Préfet. Après avoir rappelé les conditions dans lesquelles des mémoires produits après la clôture de l’instruction rouvrent ou non l’instruction, le Conseil d’Etat a estimé qu’en l’espèce le mémoire produit par le préfet après la clôture de l’instruction ne contenait aucun élément susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire. Il en déduit que la cour n’a pas entaché la procédure d’irrégularité en ne rouvrant pas l’instruction. Le Conseil d’Etat rappelle ici sa position classique concernant la réouverture de l’instruction et sa position ne comporte aucune nouveauté.

Dans un second temps, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur le bien-fondé du jugement. Sa décision est alors particulièrement intéressante.

En premier lieu, le Conseil d’Etat se prononce sur la portée du recours gracieux du préfet. Il estime que ce courrier valait demande de retrait et que, par suite, les conclusions présentées par le Préfet devant le tribunal administratif tendant à l’annulation de ce permis de construire tacite n’étaient pas irrecevables dans la mesure où elles étaient en rapport avec l’objet du recours gracieux. Le Conseil d’Etat vérifie ici que la Cour n’a pas dénaturé les faits qui lui étaient soumis. Il se livre donc à un contrôle de la dénaturation, laissant aux juges du fond le pouvoir d’apprécier souverainement les faits qui leur ont été soumis. Il s’agit d’un contrôle du juge de cassation habituel.

En deuxième lieu, le Conseil d’Etat estime que bien qu’il résulte de l’article L. 424-8 du code de l’urbanisme qu’un permis de construire tacite est exécutoire dès qu’il est acquis, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le Préfet défère un permis de construire tacite au tribunal dans les deux mois de sa transmission par la commune. En matière de permis de construire tacite, l’obligation de transmission est satisfaite lorsque la commune a transmis au préfet l’entier dossier de demande, en application de l’article R. 423-7 du code de l’urbanisme. Par suite, le délai du déféré préfectoral court alors à compter de la date à laquelle le permis est acquis ou, dans l’hypothèse où la commune ne satisfait à l’obligation de transmission que postérieurement à cette date, à compter de la date de cette transmission.

En l’espèce, le Conseil d’Etat relève qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que la commune aurait transmis la demande de permis au Préfet. Par suite, le délai ouvert au Préfet contre le permis de construire tacite en litige a débuté à compter de la date à laquelle le certificat prévu à l’article R. 424-13 du code de l’urbanisme lui avait été transmis.

En troisième lieu, le Conseil d’Etat considère que c’est à bon droit que la Cour a jugé que les dispositions de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme, qui limitent le délai pendant lequel une autorisation de construire peut être retirée, spontanément ou à la demande d’un tiers, par l’autorité qui l’a délivrée, n’ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que le représentant de l’Etat forme un recours gracieux jusqu’à l’expiration du délai dont il dispose pour déférer un tel acte au tribunal administratif, ni à ce que ce dernier délai soit interrompu par le recours gracieux.

Il en résulte qu’un recours gracieux du Préfet peut être recevable alors même que le permis de construire tacite ne peut plus être retiré.

Le Conseil d’Etat réitère une solution qu’il avait déjà adoptée en 2011 sur la recevabilité du recours gracieux du préfet (CE, 9e et 10e  sous-sections réunies, 5 mai 2011, n°336893, Publié au recueil Lebon).

En quatrième lieu, la requérante faisait état de l’inconstitutionnalité de dispositions législatives alors que le Conseil d’Etat statuant au contentieux n’avait pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité posée à cet effet par la requérante. Le moyen a donc été écarté.

En cinquième lieu, le Conseil d’Etat précise que les juges du font se livrent à une appréciation souveraine des faits pour déterminer si les parcelles dont la requérante est propriétaire doivent être regardées comme étant en état boisé ou à destination forestière au sens des dispositions de l’article L. 311-1 du code forestier. En l’espèce, il considère que la Cour n’a pas dénaturé les faits qui lui étaient soumis et que, par voie de conséquence, elle que n’a pas commis d’erreur de droit en en déduisant que la constructibilité de ces parcelles était soumise à autorisation de défrichement.

A présent, l’article L. 311-1 du code forestier a été abrogé. Il est désormais repris à l’article L. 341-1 du nouveau code forestier. La position du Conseil d’Etat sur l’appréciation souveraine des juges du fond nous paraît pouvoir être transposée à ce nouvel article.

En sixième lieu, la requérante soutenait que ses parcelles entraient dans le champ des dispositions du 1° de l’article L. 311-2 du code forestier, qui, dans leur rédaction applicable à la date des faits litigieux, prévoyaient que les dispositions de l’article L. 311-1 de ce même code ne sont pas applicables aux parcelles incluses dans  » des bois de superficie inférieure à un seuil compris entre 0,5 et 4 hectares, fixé par département ou partie de département par le représentant de l’Etat dans le département « . Toutefois, le Conseil d’Etat considère qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que ces parcelles sont incluses dans un vaste espace naturel de plusieurs milliers d’hectares. Une fois encore, il estime que la Cour administrative d’appel n’a pas dénaturé les faits qui lui étaient soumis.

En conclusion, la décision du Conseil d’Etat est empreinte de classicisme. Le Conseil d’Etat réitère un certain nombre de positions de principe qu’il s’agisse de la question de la réouverture d’instruction après clôture, de l’articulation des dispositions de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme avec le recours gracieux du Préfet, sur le contrôle de la dénaturation des faits qu’il porte sur l’appréciation établie souverainement par les juges du fond…

 

Cette décision rappelle clairement que le Préfet doit pouvoir réaliser son contrôle de légalité, sans que les textes du code de l’urbanisme n’y fassent obstacle. Il peut ainsi exercer un recours gracieux contre un acte même lorsque celui-ci est devenu exécutoire ou qu’il ne peut plus être retiré.

Elle contribue également à insister sur l’importance pour un maire de transmettre le dossier de demande de permis de construire au Préfet en cas de décision d’acceptation tacite. En effet, le délai pour que le Préfet puisse exercer son recours ne commence qu’à compter de cette transmission.

Enfin, elle est intéressante en ce qu’elle déclare que les juges du fond se livrent à une appréciation souveraine des faits pour déterminer si des parcelles sont en état boisé ou à destination forestière. Bien que le code forestier ait subi une réforme, cette interprétation devrait pouvoir s’appliquer également aux nouvelles dispositions