Association « fictive » et intérêt à agir en contentieux de l’urbanisme (TA Bordeaux, 13 février 2018, n°1704571)

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Par Maître Sébastien BECUE (Green Law Avocats)

Par une « ordonnance de tri » du 13 février 2018 (téléchargeable ici : TA Bordeaux, 13 février 2018, n°1704571), le Tribunal administratif de Bordeaux a rejeté comme manifestement irrecevable pour défaut d’intérêt à agir le recours en annulation d’un permis de construire introduit par une association locale dont l’objet était pourtant la « préservation du patrimoine architectural, paysager et la promotion d’un urbanisme de qualité » sur le territoire de la commune d’implantation du projet.

L’association semblait pourtant disposer d’un intérêt à agir suffisant au regard des critères jurisprudentiels dès lors que ses statuts prévoyaient :

  • comme objet statutaire la préservation du patrimoine urbanistique de la commune auquel le projet était susceptible de porter atteinte,
  • et un champ d’action géographique suffisamment limité, le territoire de la commune.

L’intérêt à agir de l’association aurait ainsi dû être retenu si le Tribunal s’était cantonné à l’analyse de son seul objet social, superficialité à laquelle les juges sont encouragés (CE, 23 fév. 2004, n°250482).

Mais les conseils du porteur du projet furent suffisamment habiles pour proposer aux juges d’aller plus loin en leur proposant de regarder au-delà des documents produits par l’association requérante et de s’interroger sur l’objet réel de l’association, au-delà des déclarations statutaires, pour soutenir qu’elle était pour ainsi dire une coquille vide.

Or les pièces produites par le porteur de projet démontrent :

  • que  le président et la secrétaire de l’association sont les gérants d’une société hôtelière située à 800 mètres du projet,
  • que cette société a déjà introduit des recours à l’encontre de délibérations du conseil municipal de la commune d’implantation permettant la réalisation du projet,
  • que les gérants ont évoqué dans la presse leur opposition au projet,
  • et que l’association ne démontre exercer aucun autre activité que ce recours.

En conséquence, le Tribunal conclut que l’association « sous couvert » de son objet social, « poursuit en réalité uniquement la défense des intérêts économiques et commerciaux de son président et de sa secrétaire », et ne dispose ainsi « pas d’un intérêt propre à demander l’annulation du permis de construire en litige ».

Cette décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel spécifique dont les manifestations sont finalement assez rares (voir CAA Douai, 30 mars 2006, n°04DA00016 ; CAA Lyon, 22 juin 2006, n°06LY00237 ; TA Lille, 19 janv. 2016, n°1510006) aux termes duquel les juges administratifs acceptent de s’immiscer dans les documents et relations de droit privé pour vérifier la réalité de l’objet de l’association.

A l’analyse de la jurisprudence, il ressort que  l’immixtion des juges administratifs dans ce domaine qui n’est pas le leur, pour être opportune en ce qu’elle évite parfois de trancher au fond des affaires délicates,  résulte généralement du caractère absolument évident de la fictivité de l’association, comme c’était le cas en l’espèce, les requérants n’ayant pris aucune précaution pour la masquer.