Aménagement du territoire : intérêt du maire à un projet d’urbanisme

Aménagement du territoire : intérêt du maire à un projet d’urbanisme

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Par Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats)

En principe dans les communes dotées d’un plan local d’urbanisme, d’un document en tenant lieu ou d’une carte communale, le maire prend les décisions d’urbanisme au nom de la commune.

Cette compétence peut être transférée au Président d’un établissement public de coopération intercommunale, étant précisé que la délégation doit être confirmée à chaque renouvellement des conseils locaux : en cas d’absence de confirmation dans les six mois suivant le renouvellement, le maire redevient l’Autorité compétente.

Le 28 avril 2018, le maire de Balanzac, en Charente maritime, a accordé à la SCI Bernard Immo un permis de construire valant autorisation de démolir en vue de la création de deux logements, la réhabilitation d’un logement et la démolition d’un hangar métallique sur un terrain situé 14 rue de l’Église.

La SCI Le Château de Balanzac a demandé au Tribunal administratif de Poitiers d’annuler pour excès de pouvoir ce permis de construire.

Le 19 septembre 2019, par un premier jugement, ce Tribunal a décidé de surseoir à statuer sur cette requête et d’accorder à la SCI Bernard Immo un délai de trois mois pour obtenir un permis modificatif régularisant le vice d’incompétence et la méconnaissance de l’article R. 451-4 du Code de l’urbanisme.

Le 20 janvier 2020, le maire de Balanzac a signé le permis modificatif.

Après régularisation, le 19 mars 2020, par un second jugement, le Tribunal administratif a rejeté la demande.

Les 3 et 6 mai 2021, des permis de construire modificatifs ont été délivrés à la SCI Bernard Immo.

Le 2 août 2021, le Président du Tribunal administratif de Poitiers a transmis à la Cour administrative d’appel de Bordeaux la demande de la SCI Le Château de Balanzac, tendant à l’annulation de l’arrêté de permis de construire modificatif, délivré le 6 mai 2021 par le maire de Balanzac à la SCI Bernard Immo pour la création d’un logement et d’une dépendance sur un terrain situé au château de Balanzac.

D’après la société requérante, le projet méconnaissait l’article L. 161-4 du Code de l’urbanisme et le maire était intéressé au projet : d’abord, il avait un lien de parenté avec un cogérant de la SCI Bernard Immo, ensuite, l’autre cogérante de cette société avait été élue sur sa liste aux élections municipales de 2014, enfin, il était le gérant d’une société propriétaire d’un bâtiment voisin et d’une partie du chemin d’accès aux deux propriétés.

Le 9 novembre 2022 – la SCI Le Château de Balanzac ayant donc interjeté appel contre les deux jugements du Tribunal administratif – la Cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté sa demande, ainsi que ses conclusions tendant à l’annulation des permis de construire modificatifs : elle a jugé que les travaux respectaient les règles d’urbanisme, notamment concernant le changement de destination des bâtiments dans une zone protégée.

Aussi et surtout, elle a validé les décisions du maire, estimant qu’il n’y avait ni conflit d’intérêts ni détournement de pouvoir.

Selon la Cour administrative d’appel :

« Il ressort des pièces du dossier qu’à supposer même que l’attestation produite par les requérants et délivrée par le gérant d’une entreprise agricole soit de nature à démontrer que M. G… D…, maire de la commune et signataire de ce permis modificatif est l’oncle de M. B… D…, co-gérant avec son épouse, Madame A…, élue sur la liste du maire en 2014,de la SCI D… Immo, bénéficiaire du permis, cette circonstance n’est pas de nature à révéler, que le maire de la commune était intéressé au projet devant faire l’objet de l’autorisation. Il en va de même des circonstances que le maire est le gérant de la SCI Le Pré Muret, propriétaire du bâtiment voisin de celui en litige et d’une partie du chemin d’accès aux deux propriétés dès lors que le projet en litige est distinct de celui réalisé par la SCI le Pré Muret. Si les requérants se prévalent de l’attestation du syndicat des eaux de la Charente-Maritime selon laquelle le maire a rencontré son représentant lors de la visite de contrôle et du fait que lors du conseil municipal, auquel ont participé conjointement le maire et Mme A…, une nouvelle numérotation ait été attribuée à la parcelle en litige suite à son démembrement, de telles circonstances ne sont pas davantage de nature à démontrer que le maire était intéressé au projet. Pour les mêmes motifs, la décision attaquée n’est pas entachée d’un détournement de pouvoir. Par suite, c’est à juste titre que le tribunal a considéré que le permis de construire modificatif en date du 20 juin 2020 avait régularisé le vice d’incompétence du permis initial ».

Cela étant, la SCI Le Château de Balanzac a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour devant le Conseil d’État.

Le maire s’est-il rendu coupable de conflit d’intérêt et/ou de détournement de pouvoir ?

Le Conseil d’État a répondu à cette question par la négative : il a donc confirmé partiellement la légalité des actes, tout en ordonnant une révision pour un des permis, délivré le 3 mai 2021, dans la mesure où la Cour a omis d’examiner si ce permis devait porter sur l’ensemble de la construction (décision commentée : CE, 13 décembre 2024, req. n° 456108, point 3).

L’article L. 422-1 du Code de l’urbanisme prévoit que :

« L’autorité compétente pour délivrer le permis de construire, d’aménager ou de démolir et pour se prononcer sur un projet faisant l’objet d’une déclaration préalable est :

a) Le maire, au nom de la commune, dans les communes qui se sont dotées d’un plan local d’urbanisme ou d’un document d’urbanisme en tenant lieu, ainsi que dans les communes qui se sont dotées d’une carte communale après la date de publication de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové. Dans les communes qui se sont dotées d’une carte communale avant cette date, le maire est compétent, au nom de la commune, après délibération du conseil municipal. En l’absence de décision du conseil municipal, le maire est compétent, au nom de la commune, à compter du 1er janvier 2017. Lorsque le transfert de compétence à la commune est intervenu, il est définitif ;

b) Le préfet ou le maire au nom de l’État dans les autres communes.

Les demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir ainsi que les déclarations préalables sur lesquelles il n’a pas été statué à la date du transfert de compétence restent soumises aux règles d’instruction et de compétence applicables à la date de leur dépôt. ».

Le Conseil d’État a donc tiré les conséquences de cet article :

« Il résulte des dispositions précitées de l’article L. 422-1 du code de l’urbanisme que le maire est l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme, au nom de la commune, dans les communes dotées d’un plan local d’urbanisme ou d’un document d’urbanisme en tenant lieu. Il appartient ainsi en principe au maire, sans préjudice de la mise en œuvre des délégations qu’il peut accorder dans les conditions prévues par le code général des collectivités territoriales ou de l’application des règles de suppléance, de prendre les décisions correspondantes, sauf à ce qu’il soit intéressé, à titre personnel ou comme mandataire, au projet faisant l’objet de la demande d’autorisation ou qu’il estime pouvoir être légitimement regardé comme étant intéressé à ce projet, ces circonstances conduisant alors le conseil municipal, conformément à l’article L. 422-7 du code de l’urbanisme, à désigner un autre de ses membres pour prendre la décision » (décision commentée : CE, 13 décembre 2024, req. n° 470383, point 8).

L’on sait en effet que le maire peut être considéré intéressé en son nom personnel le maire dont un proche parent est concerné (ascendant, descendant, conjoint). Il en va encore de même lorsque le maire intervient professionnellement dans le projet, en tant que mandataire au sens du code civil mais aussi en tant notamment qu’architecte d’un projet, entrepreneur, géomètre, notaire, promoteur ou lotisseur.

Dans notre cas le lien de parenté du maire avec le co-gérant de la SCI pétitionnaire soupçonné n’est pas jugé suffisant. De même la démonstration de la simple qualité de voisin du maire ne relève pas plus du conflit d’intérêt.

Malgré des soupçons, de la part de la société requérante, de conflit d’intérêts et de détournement de pouvoir, le Conseil d’État a estimé que, au vu de l’ensemble des circonstances qu’elle a souverainement appréciées, la Cour n’avait pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

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