Par Valentine SQUILLACI, Avocat au Barreau de Lille, Green Law Avocats
Aux termes de son arrêt du 22 novembre 2018, la Haute juridiction exclut l’application des dispositions de l’article L. 514-20 du Code de l’Environnement dans le cas où le terrain, issu de la division d’un site dont une partie a été le siège d’une installation classée, n’a pas accueilli ladite installation (Cass. Civ. 3ème, 22 novembre 2018, n°17-26.209).
Analyse.
A l’heure où l’obligation d’information du vendeur d’un terrain pollué est en voie d’expansion puisque les arrêtés d’application relatifs à la détermination des secteurs d’information sur les sols (qui devront faire l’objet d’une information par le vendeur en vertu de l’article L125-6 du Code de l’Environnement) sont en cours d’élaboration, la Cour de Cassation vient de rappeler que les contours de cette obligation doivent être appréciés strictement.
L’arrêt rendu le 22 novembre 2018 par la Cour de Cassation (Cass. Civ. 3ème, 22 novembre 2018, n°17-26.209) concerne en effet l’application des dispositions de l’article L. 514-20 du Code de l’Environnement qui mettent à la charge de vendeur d’un terrain sur lequel a été exploité une Installation Classée pour la Protection de l’Environnement (ci-après « ICPE ») l’obligation d’informer l’acquéreur, par écrit, d’une telle exploitation.
Le vendeur est également tenu d’informer son cocontractant des « dangers ou inconvénients importants qui résultent de l’exploitation » et dont il aurait connaissance lors de la vente.
Faute pour le vendeur de se conformer à ces obligations, il s’expose, au choix de l’acquéreur,
- à la résolution de la vente,
- à la restitution d’une partie du prix (qui correspondra en pratique au coût de la dépollution)
- ou à la réhabilitation du site à ses frais « lorsque le coût de cette réhabilitation ne paraît pas disproportionné par rapport au prix de vente ».
Ce dispositif, créé par la loi n°92-646 du 13 juillet 1992 relative à l’élimination des déchets ainsi qu’aux installations classées pour la protection de l’environnement, a été modifié à plusieurs reprises et son évolution illustre le phénomène d’expansion de l’obligation d’information du vendeur.
Ainsi, le législateur a ajouté en 2003 l’obligation, pour le vendeur également exploitant de l’installation, d’indiquer par écrit à l’acheteur si son activité a entraîné la manipulation ou le stockage de substances chimiques ou radioactives.
Par ailleurs, applicable à l’origine uniquement aux installations soumises à autorisation, l’obligation d’information instituée par L. 514-20 du Code de l’Environnement a été étendue aux installations soumises à enregistrement en 2009 (Ordonnance n° 2009-663 du 11 juin 2009 relative à l’enregistrement de certaines installations classées pour la protection de l’environnement, article 15).
Semblant vouloir contenir cette expansion, la Cour de Cassation avait déjà tranché (Civ. 3ème, 9 avril 2008, n°07-10.795) en faveur d’une application littérale du texte en confirmant que cette obligation ne s’étendait pas, d’une part, à la vente d’un terrain sur lequel l’exploitation est en cours (le texte précise en effet que l’obligation s’applique « lorsqu’une installation (…) a été exploitée sur un terrain ») et, d’autre part, aux installations soumises à déclaration (Cass. Civ.3ème, 16 juin 2009, n°07-20-463 ; Cass. Civ. 3ème, 20 juin 2007, n°06-15.663).
Aux termes de son arrêt du 22 novembre 2018, la Haute juridiction confirme cette tendance en excluant l’application des dispositions de l’article L. 514-20 du Code de l’Environnement dans le cas où le terrain, issu de la division d’un site dont une partie a été le siège d’une installation classée, n’a pas accueilli ladite installation (I).
Dans une telle hypothèse, seule l’obligation d’information de droit commun semble dès lors trouver à s’appliquer (II).
L’exclusion de l’application des dispositions de l’article L. 514-20 du Code de l’Environnement faute d’exploitation d’une ICPE sur le terrain vendu
A l’origine de l’arrêt commenté, un site industriel ayant été le siège, depuis la fin du 19ème siècle, d’activités de fabrication de pièces automobiles et sur lequel l’exploitant avait été autorisé à exploiter plusieurs activités soumises à la législation relative aux ICPE.
A compter de la fin des années 1980, l’exploitant, dont les droits avaient été repris par une autre société, a progressivement cessé ses activités et cédé des portions du site à divers acquéreurs.
L’un de ces acquéreurs, ayant acquis trois parcelles du site en 1992 et 1993, a découvert, dans le cadre d’une opération de réaménagement de son terrain, une pollution des sols et des eaux souterraines.
Ce dernier a donc poursuivi le vendeur en soutenant notamment que celui-ci ne l’avait pas informé de l’exploitation d’une ICPE sur le site, ni du risque de pollution associé.
L’acquéreur a été débouté de ses demandes par les juges du fond (TGI de Bobigny, 6ème Chambre, 5ème section, 10 septembre 2015, n°12/08673 puis CA PARIS, Pôle 4, Chambre 1, 23 juin 2017, 15/20790), ces derniers relevant sur ce point que bien que le site dont était issu le terrain acquis avait effectivement été le siège d’une ICPE, le demandeur n’apportait pas la preuve qu’une ICPE avait été exploitée sur son terrain.
L’acquéreur s’est pourvu en cassation en soutenant que l’obligation d’information instituée par l’article L.514-20 du Code de l’Environnement « porte non seulement sur la vente des parties du site sièges des activités relevant du régime de l’autorisation mais également sur la vente de tout terrain issu de la division de ce site ».
Ce moyen n’était pas dénué de tout bon sens dès lors qu’il existe en effet un risque important de contamination de la pollution potentiellement liée à l’exploitation d’une installation classée aux parcelles environnantes.
Mais la Cour de Cassation refuse d’interpréter ainsi les dispositions de l’article L.514-20 du Code de l’Environnement et rejette ce moyen en affirmant que le texte « nécessite, pour son application, qu’une installation classée ait été implantée, en tout ou partie, sur le terrain vendu ».
On notera que la Cour assimile l’exploitation d’une installation classée aux installations ou équipements « de nature, par leur proximité ou leur connexité avec une installation soumise à autorisation, à modifier les dangers ou inconvénients de cette installation » au sens de l’ancien article R. 512-32 du Code de l’Environnement.
Dans la mesure où l’article R512-32 a été abrogé par le Décret 26 janvier 2017 relatif à l’autorisation environnementale, doivent logiquement également y être assimilés les installations « que leur connexité rend nécessaires » aux installations et activités soumises à autorisation environnementale, lesquelles sont désormais inclues par l’article L181-1 dans le périmètre ce cette autorisation.
La Haute juridiction a donc choisi une application littérale du texte, favorable au vendeur, et qui semble être la solution raisonnable.
En effet, imposer au vendeur de s’informer sur l’éventuelle exploitation d’une ICPE sur les terrains environnant à ceux vendus aurait constitué une charge extrêmement importante pour ce dernier et dont il aurait au demeurant été difficile de dessiner les limites.
Cette charge aurait été d’autant plus importante que, dans le cadre des dispositions de l’article L.514-20 du Code de l’Environnement, le vendeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité en invoquant le fait qu’il n’avait pas connaissance de l’exploitation antérieure d’une Installation classée.
En effet, si en application de ce texte l’obligation d’information relative aux « dangers et inconvénients importants qui résultent de l’exploitation » est subordonnée à la connaissance du vendeur (à tout le moins du vendeur non-professionnel), tel n’est pas le cas de l’information sur l’existence même d’une ancienne installation soumise à autorisation.
Celle-ci doit en effet être communiquée par le vendeur même s’il n’en avait pas connaissance, mettant ainsi à la charge de ce dernier une véritable obligation de renseignement qui n’est pas une simple obligation de moyen, mais de résultat.
Cette analyse a d’ailleurs été confirmée en jurisprudence (Civ. 3ème, 11 mars 2014, n°12-29.556 ; CA Amiens, 18 octobre 2018, n°11/02401 : JurisData n°2012-024930 ; CA Nîmes, 4 mars 2008, n°06/00516 : JurisData n°2008-006633 AJDI 2009, p. 563, obs. F.-G. Trébulle ; CA Paris, 13 février 2003 : JCP 2003. Ii. 10075 ? OS ; Tr2bulle ; BDEI oct. 2003, p. 27, obs. Chétrit).
Par ailleurs, si elle protège le vendeur, la position de la Cour n’exclut pas tout recours au profit de l’acquéreur puisque dans le cas où, comme en l’espèce, le vendeur connaissait l’existence d’une ICPE à proximité du terrain vendu, l’obligation d’information de droit commun devrait pouvoir s’appliquer.
La potentielle application de l’obligation d’information de droit commun aux cas non visés par L. 514-20 du Code de l’Environnement
Il convient de relever que l’arrêt commenté ne porte que sur « l’obligation spécifique d’information » issue de l’article L. 514-20 du Code de l’Environnement, la décision précisant que celle-ci n’est pas applicable à l’espèce en l’absence d’exploitation d’ICPE sur les parcelles vendues.
Mais l’on peut s’interroger sur le fait de savoir si la responsabilité du vendeur n’aurait pu, et ne pourrait pas désormais, dans de pareilles circonstances, être recherchée sur le fondement du nouvel article 1112-1 du Code Civil qui a codifié l’obligation d’information due par chacun des cocontractants.
L’exploitation d’une ICPE sur une parcelle voisine peut en effet constituer une « une information dont l’importance est déterminante pour le consentement » de l’acquéreur dès lors que ce dernier aurait pu, s’il en avait bénéficié, réaliser des analyses complémentaires pour connaître les éventuelles conséquences, sur sa parcelle, de l’exploitation de cette ICPE.
En d’autres termes, il serait en effet possible de soutenir que la rétention de cette affirmation par le vendeur a privé l’acquéreur d’une chance d’identifier la pollution pouvant éventuellement résulter de l’exploitation d’une ICPE sur la parcelle voisine.
En l’espèce, l’acquéreur avait bien invoqué devant les juridictions du fond l’obligation d’information de droit commun du vendeur.
Devant le Tribunal, il avait uniquement invoqué la dissimulation de l’existence de pollution lors de la vente.
Logiquement, en l’absence de preuve formelle de ladite pollution, l’acquéreur avait été débouté de sa demande.
Devant la Cour d’Appel, il a ensuite reproché au vendeur de « ne pas avoir informé l’acquéreur sur l’exploitation d’installations soumises à la législation des installations classées sur le site et, partant, de ne pas avoir attiré son attention sur l’existence éventuelle d’une pollution de ceux –ci ».
L’expression « sur le site » est imprécise et ne permet pas de savoir si l’acquéreur avait soutenu que, même en l’absence d’ICPE sur les parcelles acquises, le vendeur aurait dû l’informer de l’exploitation d’une ICPE à proximité sur le fondement du droit commun.
Le pourvoi n’a pas porté sur ce point, son auteur ayant uniquement invoqué la violation de l’article L. 514-20 du Code de l’Environnement.
Or, il est à notre sens possible d’invoquer l’obligation d’information de droit commun du vendeur là où, comme l’indique la Cour de Cassation dans cet arrêt, l’obligation spécifique d’information instituée par les dispositions de l’article de l’article L. 514-20 du Code de l’Environnement ne s’applique pas.
Il convient néanmoins de rappeler que le régime ne sera alors pas le même : comme rappelé ci-dessus, dans le cadre de l’article 1112-1 du Code Civil, il appartient à celui qui se prétend créancier de l’obligation d’information de démontrer que son cocontractant avait connaissance de l’information litigieuse.
Tel était bien le cas en l’espèce dès lors que le vendeur était l’exploitant de l’ICPE exploitée sur le site.
Néanmoins, la caractérisation d’un manquement du vendeur à son obligation d’information de droit commun n’aurait en tout état de cause pas permis à la réclamation de l’acquéreur d’aboutir dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté.
En effet, les juridictions du fonds, dont les appréciations ont été adoptées par la Cour de Cassation, ont relevé que ce dernier ne démontrait pas que la pollution constatée sur sa parcelle était liée à l’exploitation de l’ICPE litigieuse.
C’est d’ailleurs pour cette raison que le troisième moyen du pourvoi, relatif au manquement du vendeur à son obligation légale de remise en état, a également été rejeté.
On relèvera à ce sujet, que les trois juridictions intervenues dans cette affaire ont insisté aux termes de leur décision sur l’absence d’expertise judiciaire relevant que seule une telle mesure aurait été de nature à établir l’origine de la pollution invoquée.
Il semble que, dans ce type de dossiers, une telle mesure soit effectivement préférable, voire nécessaire, d’autant que, dans le cadre des dispositions de l’article L. 514-20 du Code de l’Environnement les sanctions imposées au vendeur ayant manqué à son obligation spécifique d’information ne s’appliquent, depuis la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, que « si une pollution constatée rend le terrain impropre à la destination précisée dans le contrat ».
Par ailleurs, une demande d’expertise judiciaire permettra d’interrompre le délai de prescription qui est de deux ans à compter de la découverte de la pollution, comme en matière de vices cachés.