Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats)
C’est sans doute dans l’air du temps : le droit de l’environnement moderne semble donner plus de moyens à l’administré, porteur de projet p pour obtenir du corps préfectoral et des DREALs qu’ils instruisent avec plus de célérité les dossiers ICPE d’enregistrement ou d’autorisation.
On en prendra deux exemples récents en jurisprudence qui démontrent que même face au silence de l’administration, le juge peut être utilement mobilisé.
I/ Les faits de la première espèce (CAA Douai, 15 juin 2021, n° 20DA00218 ; téléchargeable sur doctrine) concernent une procédure d’autorisation unique expérimentale d’un parc éolien.
Sur le fondement de l’ordonnance du 20 mars 2014 relative à l’expérimentation d’une autorisation unique en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, la société Ferme Eolienne de la région de Guise a présenté au préfet de l’Aisne, le 28 décembre 2016, une demande d’autorisation unique de construire et d’exploiter, sur le territoire des communes de Noyales et d’Aisonville-et-Bernoville, un parc éolien, composé de neuf aérogénérateurs et d’un poste de livraison. La société Ferme éolienne de la région de Guise a complété cette demande le 15 février 2018 et, alors que l’autorité environnementale, saisie le 23 avril 2018 du dossier de la demande, n’a émis aucune observation dans le délai du deux mois imparti par l’article R. 122-7 du code de l’environnement, une enquête publique, ouverte par arrêté préfectoral du 10 décembre 2018, s’est déroulée du 7 janvier au 7 février 2019 et s’est conclue par un avis favorable du commissaire-enquêteur émis dans un rapport établi le 5 mars 2019.
Par un arrêté du 15 mai 2019, le préfet de l’Aisne, après avoir recueilli l’accord de la société pétitionnaire et afin de soumettre pour avis la demande à la formation sites et paysages de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites, a prorogé le délai d’instruction de la demande de six mois, jusqu’au 5 décembre 2019.
En vertu de l’article 20 du décret du 2 mai 2014 relatif à l’expérimentation d’une autorisation unique en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, le silence gardé sur la demande par le représentant de l’Etat jusqu’à l’issue de la prorogation du délai d’instruction a fait naître, le 6 décembre 2019, un rejet implicite de la demande d’autorisation unique présentée par la société Ferme éolienne de la région de Guise, dont cette société a demandé les motifs par un courrier parvenu à la préfecture de l’Aisne le 5 février 2020.
Si le préfet de l’Aisne a répondu à la société requérante dans le mois suivant sa demande de communication des motifs, par un courrier du 18 février 2020, cette lettre s’est bornée à indiquer que le dossier était toujours en cours d’instruction et qu’une décision serait rendue au plus tard le 5 mai 2020.
Selon la Cour administrative d’appel de Douai, « Si le préfet de l’Aisne a répondu à la société requérante dans le mois suivant sa demande de communication des motifs, par un courrier du 18 février 2020, cette lettre s’est bornée à indiquer que le dossier était toujours en cours d’instruction et qu’une décision serait rendue au plus tard le 5 mai 2020. Par suite, et alors qu’il ne résulte d’aucune pièce versée au dossier que le délai d’instruction de la demande d’autorisation ait été prorogé au-delà du 5 décembre 2019, la société pétitionnaire est fondée à soutenir que la décision rejetant sa demande d’autorisation unique, intervenue le 6 décembre 2019, est entachée d’un défaut de motivation. Il y a lieu dès lors de l’annuler pour ce motif ».
En effet aux termes de l’article L. 232-4 du code des relations entre le public et l’administration : « Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ».
Finalement au visa des articles L. 911-2 et L911-3 du code de justice administrative et égard au motif d’annulation retenu, la Cour enjoint au préfet de l’Aisne, ceci dans le délai de deux mois et sous astreinte de 200 euros par jour de retard, qu’il prenne une nouvelle décision sur la demande présentée par la société Ferme éolienne de la région de Guise.
Cette solution vaut assurément sous l’empire du nouveau régime de l’autorisation environnementale. En effet le silence gardé par le préfet à l’issue des délais prévus par l’article R. 181-41 pour statuer sur la demande d’autorisation environnementale (en principe dans les deux mois à compter du jour de l’envoi par le préfet du rapport et des conclusions du commissaire enquêteur au pétitionnaire) vaut décision implicite de rejet (cf. art. R. 181-42 C. envir.).
Ainsi tout comme son régime expérimental avant elle, la réforme de l’autorisation environnementale entrée en vigueur le 1er mars 2017 met un terme à la jurisprudence Tchijakoff : le Conseil d’État jugeait que l’absence de prorogation du délai d’instruction à l’issue des 3 mois suivant la transmission du rapport du commissaire enquêteur (ancien délai imparti au préfet pour statuer) ne faisait pas naître de décision implicite de rejet et ne dessaisissait plus le préfet (CE, 9 juin 1995, Tchijakoff : JurisData n° 1995-046179 ; Rev. jur. env. 1996, p. 164 ; LPA 28 nov. 1997).
Et totalement décomplexés, à l’instar de la CAA de Douai, les juges du fond se trouvent ainsi en mesure de contraindre l’administration à statuer au moyen injonction assortie d’une astreinte.
II/ La deuxième espèce (TA Amiens, référé, ord. 29 avril 2021, n°2101013 et 2101200 ; décision obtenue par le cabinet) est elle-aussi riche d’enseignements sur l’efficacité du recours cette fois au juge des référés.
Il est question dans ce cas d’une installation de méthanisation soumise à la procédure d’enregistrement et victime d’un basculement.
Une SAS souhaite construire et exploiter une unité de méthanisation de matières organiques dans le département de l’Oise. Elle a déposé pour ce faire un dossier de demande d’enregistrement au titre de la rubrique de la nomenclature des installations classées n°2781.1b, parallèlement à une demande de permis de construire et des demandes de permis d’aménagement qui ne sont pas ici en litige. Par courrier du 24 août 2020, la préfète de l’Oise a admis la recevabilité du dossier de demande, en le déclarant complet. Par un arrêté du 15 septembre 2020, la préfète a dispensé le projet d’étude d’impact après instruction d’une procédure au cas par cas. Par arrêté du 6 novembre 2020, l’administration a ouvert la consultation du public sur la demande de la société pour la période du 30 novembre au 28 décembre 2020. Mais par courrier du 9 décembre 2020, l’administration a demandé de compléter le dossier de demande sur un certain nombre de points, à la suite de recours gracieux exercés contre l’arrêté du 15 septembre 2020. La consultation du public a été annulée le 25 novembre 2020. Le 24 janvier 2021, il est né du silence gardé par la préfète pendant les cinq mois suivant la décision du 24 août 2020, une décision implicite de rejet de la demande d’enregistrement de la SAS dont celle-ci demande l’annulation par requête au fond enregistrée le 18 mars 2021 et la suspension de son exécution par une requête devant le Tribunal administratif d’Amiens. Ultérieurement, la préfète de l’Oise a repris l’instruction de la demande d’enregistrement et par arrêté du 31 mars 2021, a décidé de l’instruire selon les règles de procédure prévues par le chapitre unique du titre VIII du livre Ier du code de l’environnement pour les autorisations environnementales et a abrogé la décision de non-soumission à étude d’impact en date du 15 septembre 2020. La requérante a exercé devant la préfète de l’Oise le recours préalable obligatoire prévu par les dispositions du VI de l’article R. 122-3 du code de l’environnement, par courrier du 2 avril 2021. Elle demande l’annulation de cet arrêté par requête au fond enregistrée le 4 avril 2021 et la suspension de son exécution par la requête susvisée n°2101200.
C’est en ces termes que le juge des référés lui donne satisfaction après avoir admis l’urgence :
« Il résulte de l’instruction que l’équilibre financier de l’opération de construction et d’exploitation de l’unité de méthanisation repose sur un engagement de la société Engie d’acheter le biométhane produit à un tarif déterminé sur une durée de quinze ans à compter du 16 octobre 2022, durée qui sera réduite de tout retard dans le démarrage de l’exploitation, générant ainsi une perte de chiffre d’affaires évaluée à 225 000 euros mensuels. L’arrêté de « basculement » implique au minimum la réalisation d’une étude d’impact d’une durée d’au moins un an, du fait des données biologiques à relever et l’organisation d’une enquête publique. Il est donc raisonnable de considérer, compte tenu du. délai de réalisation des travaux de construction ‘de l’installation prévu sur quatorze mois, que le projet connaîtra un retard d’au moins une année mettant en péril l’équilibre financier de l’opération, ce qui constitue une atteinte grave et immédiate aux intérêts de la société requérante. Pour ce motif, il y a lieu de considérer que la condition d’urgence est satisfaite. » (TA Amiens, référé, ord. 29 avril 2021, n°2101013 et 2101200)..
Il est vrai que près d’un mois plus tard à propos de l’appréciation de l’urgence à suspendre le PC d’une unité de méthanisation, le Conseil d’Etat juge « que le projet contesté répond à un motif d’intérêt général en permettant la production d’énergie renouvelable par la valorisation de biodéchets, et que sa viabilité économique dépend largement de la possibilité de commencer son activité dès 2022 » (CE 26 mai 2021 436902).
Mais l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif d’Amiens accepte surtout la suspension du basculement ou doutant de sa légalité sur le fond :
« L’arrêté attaqué justifie la nécessité de réaliser une étude d’impact par trois motifs tirés de ce que le dossier de demande n’aurait pas étudié suffisamment l’impact du projet sur une espèce de rapace nichant en plaine, le busard Saint-Martin, de ce que le dimensionnement du plan d’épandage des digestats produits par l’unité de méthanisation n’est pas suffisant compte tenu de son impact sur la ressource en eau tandis que les modalités d’enfouissement en cas d’épandage sur sol nu n’ont pas été précisées et de ce que les trois lagunes constituant des sites déportés de la fosse de digestat liquide ne sont pas couverts.
Toutefois, il résulte en premier lieu de l’instruction et notamment des données recueillies dans le site Natura 2000 jouxtant le projet, que la présence du busard Saint-Martin est non-significative et a été observée à au moins 18 kilomètres du projet. Les autres espèces d’oiseaux recensées dans la ZNIEFF du massif forestier de Compiègne que jouxte le projet sont inféodées aux boisements et la préfète n’indique pas dans son arrêté qu’elles seraient impactées. Compte tenu de la localisation du projet, la sensibilité environnementale du milieu ne justifie donc pas une étude complémentaire sur ce point.
Il résulte en deuxième lieu de l’instruction que le plan d’épandage proposé dans le dossier de demande est strictement lié, nécessaire et connexe au projet d’unité de méthanisation, n’est pas soumis à autorisation environnementale et est donc connexe à la procédure d’enregistrement « ICPE ». Toutes les parcelles concernées sont éloignées des périmètres de protection des captages. Le 18 décembre 2020, le pétitionnaire a répondu de façon exhaustive et précise aux questions posées par la DREAL dans son courrier du 9 décembre 2020, notamment en ce qui concerne l’incidence du projet sur la qualité de l’eau au niveau de la nappe phréatique et l’incidence sur les eaux de ruissellement en cas de fortes pluies, et particulièrement sur l’épandage du digestat liquide, la question alors posée portant d’ailleurs uniquement sur les modalités de gestion des quantités de digestat liquide et les nuisances olfactives et non sur la suffisance des surfaces d’épandage. Le pétitionnaire s’engage à respecter les prescriptions réglementaires de l’annexe I de l’arrêté du 12 août 2010 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées de méthanisation relevant du régime de l’enregistrement au titre de la rubrique n°2781 de la nomenclature ICPE, ainsi que le plan d’actions national et le plan d’actions régional Hauts-de-France pour la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d’origine agricole. L’adéquation finale entre la surface totale épandable et la production de digestats est assurée selon le bilan agronomique des exploitations, qui reste déficitaire après l’apport de digestats par rapport aux objectifs de la directive Nitrate, selon le besoin des cultures, puisque les apports de digestat permettront de couvrir 84% des besoins en azote et 70% des besoins en phosphore, et selon le volume d’épandage. Le dossier de demande présente les conventions par lesquelles les exploitations agricoles concernées s’engagent à recevoir les digestats sur toute la durée d’exploitation. Le plan d’épandage rappelle que l’épandage est interdit sur sol nu. Tous ces éléments ont été présentés de façon exhaustive dans la demande. La préfète ne justifie pas en quoi une étude environnementale complémentaire est nécessaire alors que le périmètre ne paraît pas sous-dimensionné et que la nature des intrants apportés par les digestats tend plutôt à améliorer la situation existante du point de vue de la pollution des sols et de la ressource en eau dans cette zone vulnérable aux nitrates. En tout état de cause, les améliorations à apporter à ce plan d’épandage peuvent faire l’objet de prescriptions complémentaires par l’administration.
En troisième lieu, l’exigence de couverture des lagunes relèverait au mieux d’une prescription à ajouter à l’autorisation administrative ne nécessitant aucune étude d’impact.
Il résulte. de ce qui précède que le moyen tiré de l’erreur d’appréciation commise par la préfète quant aux motifs justifiant la décision de basculement est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. Par suite, il y a lieu d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté du 31 mars 2021, jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours préalable obligatoire formé le 2 avril 2021 par la requérante auprès de la préfète de l’Oise en application du VI de l’article R. 122-3 du code de l’environnement » (TA Amiens, référé, ord. 29 avril 2021, n°2101013 et 2101200).
Et finalement la préfète de l’Oise va faire droit au recours gracieux et retirer le basculement pour relancer la procédure d’enregistrement.