Valorisation des énergies de récupération / Obligation d’achat: le Conseil d’Etat se prononce aux termes d’une affaire en deux actes (CE, 20 mai 2015)

Le Conseil d'étatPar Marie-Coline GIORNO

Green law Avocat

Le 20 mai 2015, le Conseil d’Etat a rendu deux décisions très intéressantes, qui seront mentionnées au recueil Lebon, concernant l’application du régime de l’obligation d’achat aux installations de valorisation des énergies de récupération et aux installations utilisant à titre principal l’énergie dégagée par la combustion de matières non fossiles d’origine végétale ou animale.

ACTE I : Le Premier Ministre est enjoint de prendre un décret relatif aux installations de valorisation des énergies de récupération (CE, 20 mai 2015, n°380727, mentionné aux tables du recueil Lebon

Par un courrier du 30 janvier 2014, la société P…SAS avait demandé au Premier ministre de prendre un décret, complétant le décret du 6 décembre 2000 fixant par catégorie d’installations les limites de puissance des installations pouvant bénéficier de l’obligation d’achat d’électricité, afin de mettre en œuvre les dispositions du 6° de l’article L. 314-1 du code de l’énergie (soit les installations qui valorisent des énergies de récupération dans les limites et conditions définies au même article, notamment au 2°).

Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande. La société P…SAS a donc saisi le Conseil d’Etat d’un recours en excès de pouvoir afin de demander l’annulation de cette décision.

 Aux termes de sa décision, le Conseil d’Etat commence par rappeler les conditions d’exercice du pouvoir réglementaire par le Premier ministre tel que défini par l’article 21 de la Constitution.  Ainsi, le Conseil d’Etat constate que «  le Premier ministre  » assure l’exécution des lois  » et  » exerce le pouvoir réglementaire  » sous réserve de la compétence conférée au Président de la République pour les décrets en Conseil des ministres par l’article 13 de la Constitution. »

Il ajoute que « l’exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit mais aussi l’obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi, hors le cas où le respect d’engagements internationaux de la France y ferait obstacle ».

Il cite ensuite l’article L. 314-1 du code de l’énergie relatif aux contrats d’obligation d’achat de l’électricité produite par certaines installations  qui codifie les dispositions de l’article 20 de la loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie :

« Sous réserve de la nécessité de préserver le fonctionnement des réseaux, Electricité de France et, si les installations de production sont raccordées aux réseaux publics de distribution dans leur zone de desserte, les entreprises locales de distribution chargées de la fourniture sont tenues de conclure, lorsque les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l’achat de l’électricité produite sur le territoire national par :/ (…) 6° Les installations qui valorisent des énergies de récupération dans les limites et conditions définies au présent article, notamment au 2° ».

Il considère à cet égard que le 2° de ce même article, qui vise notamment les installations qui utilisent des énergies renouvelables, précise qu’un décret en Conseil d’Etat détermine les limites de puissance installée des installations de production qui peuvent bénéficier de l’obligation d’achat et que ces limites, qui ne peuvent excéder 12 mégawatts, sont fixées pour chaque catégorie d’installations pouvant bénéficier de l’obligation d’achat sur un site de production. En l’espèce, il considère que « l’application de ces dispositions était manifestement impossible en l’absence du décret précisant les différentes catégories d’installations valorisant des énergies de récupération susceptibles de bénéficier de l’obligation d’achat d’électricité et fixant, sans excéder le plafond légal de 12 mégawatts, les limites de puissance installée de ces installations ».

Il en déduit alors « que le gouvernement était ainsi tenu de prendre le décret dont la société requérante demandait l’édiction ».

Certes, un décret du 28 mars 2014, qui modifie le décret du 6 décembre 2000 fixant par catégorie d’installations les limites de puissance des installations pouvant bénéficier de l’obligation d’achat d’électricité est intervenu pour préciser les dispositions de cet article. Toutefois, le Conseil d’Etat écarte cette circonstance au motif que ce décret « concerne les seules installations utilisant l’énergie dégagée par la combustion ou l’explosion du gaz de mine ; qu’en prenant un tel décret, qui ne vise, sans justification particulière, que ces installations, le Premier ministre ne saurait être regardé comme ayant satisfait à l’obligation qui lui incombait ».

Au regard du délai de plus de sept ans entre la publication de la loi et le rejet implicite, sans que ce délai ne soit justifié par aucun motif particulier, le Conseil d’Etat conclut que le rejet implicite de la demande du requérant est intervenue « après l’expiration du délai raisonnable ». Il annule donc la décision litigieuse et enjoint au Premier ministre de prendre le décret requis pour les énergies de récupération dans un délai d’un an.

Cette décision, qui traduit les difficultés pour le Premier ministre à mettre en œuvre le dispositif de l’obligation d’achat pour tous les types d’énergie, souligne également que l’exercice du pouvoir réglementaire est, certes, un droit mais surtout un devoir et que ce devoir doit s’exercer dans un délai raisonnable.

Il sera intéressant d’examiner quelles suites le Premier ministre donnera à cette injonction compte tenu du fait que la décision du Conseil d’Etat intervient dans un contexte où le mécanisme de soutien aux énergies renouvelables fait actuellement l’objet d’une réforme importante.

ACTE II : Le Conseil d’Etat maintient l’arrêté du 27 janvier 2011 fixant les conditions d’achat d’électricité produite par les installations utilisant à titre principal l’énergie dégagée par la combustion de matières non fossiles d’origine végétale ou animale (CE, 20 mai 2015, n380726, mentionné aux tables du recueil Lebon)

La société P…avait également saisi le Conseil d’Etat d’une requête en excès de pouvoir tendant à obtenir,

  • d’une part, l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à l’abrogation partielle du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 fixant, par catégories d’installations, les limites de puissance des installations pouvant bénéficier de l’obligation d’achat d’électricité
  • et, d’autre part, l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre de l’écologie sur sa demande tendant à l’abrogation partielle de l’arrêté du 27 janvier 2011 fixant les conditions d’achat d’électricité produite par les installations utilisant à titre principal l’énergie dégagée par la combustion de matières non fossiles d’origine végétale ou animale, telles que visées au 4° de l’article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000.

Les dispositions du 2° de l’article 10 de la loi du 10 février 2000, aujourd’hui reprises à l’article L. 314-1 du code de l’énergie, prévoient que les producteurs intéressés qui en font la demande bénéficient d’une obligation d’achat de l’électricité produite par les installations qui utilisent des énergies renouvelables dont la puissance installée par site de production n’excède pas 12 mégawatts.

Le 4° de l’article 2 du décret du 6 décembre 2000 est venu fixer les limites de puissance installée pour les installations, d’une puissance installée inférieure ou égale à 12 mégawatts, utilisant, à titre principal, l’énergie dégagée par la combustion ou l’explosion de matières non fossiles d’origine animale ou végétale.

Un arrêté des ministres chargés de l’économie et de l’énergie du 27 janvier 2011 a fixé les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant à titre principal l’énergie dégagée par la combustion de matières non fossiles d’origine végétale ou animale telles que visées au 4° de l’article 2 du décret du 6 décembre 2000. L’annexe B de cet arrêté fixe la liste des ressources admissibles pour bénéficier du tarif de rachat d’électricité produite à partir de ces installations. Ainsi, par exemple, la biomasse d’origine sylvicole est au nombre des ressources admissibles pour autant qu’elle représente une proportion minimale de 50 %.

Après avoir rapidement écarté les moyens de légalité externe, le Conseil d’Etat a examiné les moyens de légalité interne invoqués par le requérant.

  • En premier lieu, la société P…SAS soutenait que le 4° de l’article 2 du décret du 6 décembre 2000, ainsi que l’article 1er et l’annexe B de l’arrêté du 27 janvier 2011 pris pour son application avaient illégalement restreint le bénéfice de l’obligation d’achat prévue à l’article 10 de la loi du 10 février 2000 en imposant aux installations concernées que la part de biomasse dans le combustible soit prédominante.

 Le Conseil d’Etat écarte rapidement ce moyen. Il considère que la loi du 10 février 2000 «  renvoyait à un décret la fixation des limites de puissance installée pour chaque catégorie d’installations de production qui peuvent bénéficier de l’obligation d’achat, dans la limite de 12 mégawatts » et que « pour déterminer ainsi les limites de puissance installée, ce décret pouvait préciser les caractéristiques des installations concernées ». il estime que le décret n’a donc pas excédé le cadre qui lui était imposé par la loi.

 Le Conseil d’Etat va encore plus loin en considérant que ce n’est pas parce que la loi du 10 février 2000 vise à promouvoir les énergie renouvelables que le dispositif d’obligation d’achat doit « s’appliquer automatiquement ni à toute installation utilisant des énergies renouvelables ni à des installations n’utilisant que partiellement ces énergies ; que, par suite, les dispositions critiquées du décret du 6 décembre 2000 et de l’arrêté du 27 janvier 2011 ne sauraient être regardées comme méconnaissant la volonté du législateur en ce qu’elles réservent le bénéfice de l’obligation d’achat à des installations recourant de manière prépondérante à une source d’énergie renouvelable ».

C’est sur ce moyen que l’analyse du Conseil d’Etat est, à notre sens, la plus intéressante car elle nous éclaire sur la volonté du législateur.

  • En deuxième lieu, la société requérante soutenait que les dispositions litigieuses du décret du 6 décembre 2000 et de l’arrêté du 27 janvier 2011 méconnaissaient les objectifs et les dispositions de la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables.

Le Conseil d’Etat écarte ce moyen au motif que « cette directive ne prévoit aucun dispositif d’obligation d’achat au bénéfice des producteurs d’énergie utilisant des énergies renouvelables ». Il ajoute qu’ «  il ne ressort pas des pièces du dossier que l’exigence d’une utilisation à titre principal de l’énergie dégagée par la combustion ou l’explosion de matières non fossiles d’origine animale ou végétale rendrait impossible pour la France le respect de l’objectif d’une proportion de 23 % d’énergies renouvelables dans la consommation totale d’énergie finale d’ici à 2020 » et que « l’objectif de développement des ressources de biomasse existantes et d’exploitation de nouvelles ressources de biomasse pour des utilisations différentes, mentionné au considérant 19 et à l’article 4 de la directive, peut être poursuivi par d’autres mécanismes incitatifs ». Il relève également « que le plan d’action national pour les énergies renouvelables, pris en application de ces dispositions, n’a qu’un caractère indicatif ». Enfin, le Conseil d’Etat considère que « l’article 5 de la directive, dont la méconnaissance est invoquée, n’énonce qu’une règle de calcul de la part de l’énergie produite à partir de sources renouvelables afin de vérifier le respect des objectifs fixés ».

  • En troisième lieu, la société requérante invoquait une méconnaissance de l’article 6 de la Charte de l’environnement, sur la promotion du développement durable. Le Conseil d’Etat a très rapidement écarté ce moyen au motif que les dispositions contestées ont, au contraire, « pour effet de promouvoir les installations dont les émissions de gaz à effet de serre sont les plus limitées et qui sont les plus respectueuses de l’environnement ».

  • Enfin, en quatrième et dernier lieu, la société requérante invoquait une méconnaissance du principe d’égalité entre un producteur d’électricité dont l’installation consomme une part supérieure à 50 % de biomasse et celui dont l’installation brûle des combustibles comportant une part de biomasse inférieure. Le Conseil d’Etat écarte ce moyen au motif que la différence de traitement est justifiée par « une différence de situation en rapport avec l’objet de la loi, tenant aux caractéristiques des combustibles utilisés et à leur impact sur l’environnement » qui n’est pas, en tout état de cause, manifestement disproportionnée.

 

Le Conseil d’Etat rejette donc la requête de la société P…SAS. Cette décision est intéressante en ce qu’elle considère que la promotion des énergies renouvelables en France n’implique pas de proposer une obligation d’achat pour toute installation utilisant les énergies renouvelables. Cette limitation du dispositif de soutien aux énergies renouvelables s’inscrit tout à fait dans la tendance actuelle visant à penser différemment le dispositif de soutien aux EnR.