Classement en zone inondable du PLU: le contrôle du juge est restreint à l’erreur manifeste d’appréciation (CAA Douai, 13 fév.2014)

Par un arrêt en date du 13 février 2014 (CAA de DOUAI, 13 février 2014, n°12DA00941) la Cour administrative d’appel de DOUAI rappelle le contrôle allégé opéré par le juge sur la qualification en zone “inondable ou humide”. C’est l’occasion de se pencher sur les critères retenus… et de regretter qu’il n’y ait pas davantage d’éclairages jurisprudentiels sur la détermination juridique des “zones humides”. Rappelons qu’il appartient aux auteurs du plan local d’urbanisme de déterminer la partie d’aménagement à retenir pour le territoire concerné par le plan, en tenant compte de la situation existante et des perspectives d’avenir, et de fixer, en conséquence, le zonage et le classement des terrains en secteur inondable ou humide et ainsi d’encadrer les possibilités de construction. En l’espèce, lors d’une révision du plan local d’urbanisme d’une commune, une parcelle appartenant à un M.B avait été classé en « zone UA, secteur inondable ou humide ». Ce dernier avait alors saisi le Tribunal administratif en vue de faire annuler la délibération par laquelle le Conseil municipal avait approuvé le PLU révisé. Le Tribunal administratif de Rouen avait rejeté sa demande. Dans son arrêt en date du 13 février 2014, la Cour administrative d’appel de DOUAI confirme le jugement de première instance et considère : « … que la parcelle D 951 appartenant à M. B…a été classée, lors de la révision du plan local d’urbanisme de la commune de Fontaine-Le-Bourg, en zone UA dans le secteur inondable ou humide où sont interdits les sous-sols et les constructions ou installations à l’exception de celles autorisées en UA2 ; que le caractère inondable du terrain a été mis en évidence par le bureau d’études Ingétec qui a été chargé, dans le cadre de la procédure de révision du plan local d’urbanisme, de recueillir des informations précises sur les hauteurs d’eau maximales atteintes dans les zones urbanisées lors des dernières inondations et de recenser les habitations et tout autre bâtiment concernés par celles-ci ; que ce caractère inondable s’explique, en l’espèce, par la présence du ruisseau ” la Caplette “, à proximité immédiate de la maison de M.B…, qui communique avec la rivière ” Le Cailly ” ayant débordé à plusieurs reprises et notamment en 1981 ; que M. B… ne conteste, d’ailleurs, pas sérieusement que le bâtiment agricole qu’il a transformé en maison d’habitation a été inondé lors des crues de 1981 ; qu’ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que la commune de Fontaine-Le-Bourg aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en classant le terrain de M. B… dans le secteur inondable ou humide de la zone UA, alors même qu’il présenterait une altimétrie supérieure à la cote de 85,50 dont il n’est d’ailleurs pas établi qu’elle aurait constitué, pour les auteurs de la modification du plan, le seuil pris en compte pour établir le classement des terrains en secteur inondable ou humide ; ». Au regard de ces éléments factuels, dont la Commune avait connaissance lors de son approbation du PLU, la Cour en déduit que le classement en zone inondable ou humide n’était pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation (c’est-à-dire d’une erreur manifeste). Contrairement à ce qu’il pourrait laisser penser, cet arrêt ne traite pas du classement par un plan local d’urbanisme en « zone humide » (mais se prononce seulement sur le classement en zone inondable). Mais c’est pourtant un aspect qu’il aurait été intéressant d’aborder, tant le besoin de sécurité juridique quant à cette problématique de délimitation de la zone humide est prégnant. En effet, en l’état actuel du droit, en l’absence de zonage, les pétitionnaires sont placés dans la délicate situation de devoir déterminer d’eux-mêmes si le terrain est constitutif ou non d’une « zone humide ». Or, les critères législatifs de détermination d’une zone humide offrent une marge d’appréciation, ce qui tend à placer les pétitionnaires en situation d’insécurité juridique. La notion de zone humide a été définie par le législateur aux termes de l’article L 211-1-I du Code de l’environnement comme « les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l’année » (C. envir., art. L. 211-1, I). La définition est fondée sur deux critères alternatifs que constituent : les sols hydromorphes (sols gorgés d’eau) et les plantes hygrophiles (plantes adaptées à la vie dans des milieux très humides ou aquatiques). Définition qui s’imposent aux pétitionnaires et à laquelle doivent répondre les différents inventaires et cartes de zones humides, qu’ils soient établis à des fins de connaissance, de localisation pour la planification ou d’action à titre contractuel ou réglementaire (Circ. 18 janv. 2010, NOR : DEVO1000559C, § 4 : BO min. Écologie n°2010/2, 10 févr.). Or, l’appréciation de ces critères est souvent complexe, et peut engendrer des débats scientifiques. Rappelons que compte-tenu de la difficulté à déterminer une zone humide, le juge lui-même a recours à un faisceau d’indices concordants pour mettre en œuvre la qualification de zone humide. A titre d’exemples, notons que ne répondent pas aux exigences de la définition des zones humides, des bois, prairies sèches, d’anciennes cultures et des prés de fauche (TA Orléans, 31 mai 2001, n°002330), de même que des terrains anciennement humides mais qui ne présentent plus ce caractère compte tenu des aménagements tenant à la pose de drains et à la plantation de résineux (TA Besançon, 1re ch., 31 mai 2012, n°1100090). En revanche, des terrains inondables peuvent présenter le caractère de zone humide (TA Strasbourg, 11 avr. 2003, n°99-03578), tout comme une prairie humide située sur une île dans une dépression topographique naturelle et une prairie mésophile (CAA Nantes, 2e ch., 8 oct. 2010, n°09NT01117), ou un marais bordé de fossés et de roselières (TA Caen, 2e ch., 4 févr. 2003, n°011455). Me Aurélien BOUDEWEEL Green Law Avocat

Eoliennes/radar météo: le juge administratif annule des refus de permis, faute d’enjeu pour la sécurité publique (TA Amiens, 18 février 2014)

Le Tribunal administratif d’Amiens vient de rendre sa décision quant à la compatibilité d’éoliennes avec un radar météorologique de bande C en zone de coordination et ceci après expertise. Cette décision attendue par les opérateurs ne déçoit pas : elle annule des refus de permis de construire pour des machines situées à 16km du radar d’Avesnes s/ Helpe (TA Amiens, 18 février 2014, « Ecotera c/ Préfet de Région Picardie », jurisprudence cabinet: jugement BTN 18.02.14). Notre analyse synthétique est publiée par le site spécialisé actu-environnement. De manière plus approfondie, il est nécessaire de mettre en perspective les deux considérants essentiels du jugement en question. A l’aune d’une démocratie des risques très exigeante avec la participation du public et d’une démarche préventive n’hésitant plus à se saisir des situations de précaution, le juge administratif ne peut demeurer béat face aux avis techniques des services et autres établissements publics qui se réclament de la sécurité publique dans le cadre de procédures d’autorisation préalables. Il y a certes un dilemme pour le juge administratif : d’un côté il ne peut ignorer que les avis techniques servent d’appui à la décision administrative et la fondent en scientificité, de l’autre il ne peut renoncer à s’assurer de la matérialité des faits, ce qui est exigible même d’un contrôle juridictionnel restreint sur la décision attaquée. Subrepticement, ces avis techniques sont dès lors acceptés par le juge administratif comme des données faisant foi, jusqu’à preuve du contraire. Or, même si traditionnellement les juridictions administratives s’avèrent naturellement perméables aux argumentaires de l’Etat se réclamant de la sécurité publique, le Tribunal administratif d’Amiens vient de donner raison à un opérateur éolien contestant les thèses de l’établissement public Météo-France quant à la perturbation par les aérogénérateurs des radars météorologiques et aux enjeux de sécurité civile. Avec son jugement Sté Ecotera /Préfet de Région Picardie (n°0903355-4), lu le 18 février 2014, le juge administratif dévoile au grand jour la véritable comédie jouée par Météo-France à l’autorité de police en charge de la délivrance des permis de construire, pour faire systématiquement interdire par les préfets tout développement éolien dans les zones dites « de coordination » autour de ses radars. Cette zone de coordination a jusqu’ici été imposée aux demandes de permis de construire avec pour seule base légale l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme sachant que cette disposition interdit la délivrance du permis portant atteinte à la sécurité publique. Or pour fonder en scientificité le risque de perturbation et l’évaluer, Météo-France fait reposer ses avis défavorables sur le rapport de la commission consultative de la compatibilité électromagnétique de l’Agence nationale des fréquences (ANFR) en date du 19 septembre 2005, dit « rapport CCE5 n°1 » et sur le guide relatif à la problématique de la perturbation du fonctionnement des radars par les éoliennes, élaboré par la même commission consultative de la compatibilité électromagnétique le 3 juillet 2007. Aux termes de ce que le juge administratif avait fini par qualifier de « données acquises de la science », il est ainsi considéré que l’implantation, d’éoliennes dans un rayon de 20 kilomètres autour d’un radar météorologique fonctionnant en fréquence « bande C », est susceptible de perturber le fonctionnement de ce dernier par le blocage de son faisceau, par des échos fixes ou par la création, en raison de la rotation des pales, de zones d’échos parasites au sein desquelles les données recueillies par « mode Doppler » sont inexploitables. En conséquence, il est « recommandé » : –        D’une part, de n’implanter aucune éolienne à moins de 5 kilomètres d’un tel radar et de subordonner leur installation, dans un rayon d’éloignement de 5 à 20 kilomètres, dite distance de coordination, â des conditions relatives à leurs caractéristiques techniques, et notamment leur «surface équivalent radar» (SER), à leur visibilité avec le radar, ainsi qu’à leur nombre et leur disposition ; –        D’autre part, s’agissant des risques de création d’échos parasites affectant les données recueillies par mode Doppler, ces conditions sont destinées à ce que l’exploitant du radar puisse s’assurer que la taille de la zone de perturbation engendrée par les éoliennes ne soit pas supérieure, dans sa plus grande dimension, à 10 kilomètres. Guidé par la volonté de mettre à bonne distance de leurs radars les éoliennes par précaution commerciale, dans une logique de R&D et avec « toujours un temps d’avance », la stratégie de l’établissement public était simple : il rendait des avis défavorables en zone de coordination sur la base d’une perturbation exagérée des radars météorologiques et dont les conséquences pour les missions de sécurité civile étaient tout simplement postulées. Englué dans cette stratégie systématisée par Météo-France, l’Etat a fini par se faire prendre en flagrant délit d’exagération de la perturbation quand le juge a décidé d’en passer par une expertise judiciaire. Ladite expertise ruine les thèses de Météo-France, tant au regard de l’évaluation de la perturbation (1) que sur le terrain de ses impacts sur la sécurité civile (2). La relativité de la perturbation révélée en expertise par les productions de Météo-France Le jugement du Tribunal administratif d’Amiens se réclame d’abord d’une expertise qui semble relativiser en fait l’appréciation par Météo-France de la zone d’impact Doppler : « Considérant d’une part, que le projet de parc présenté par la société Ecotera au préfet de l’Aisne est constitué de six éoliennes, d’une hauteur de 150 mètres chacune et comprenant des pales d’une longueur de 50 mètres, dont la plus proche se situe à 16,3 kilomètres du radar d’Avesnes, soit, dans la zone dite de coordination sus décrite ; qu’il ne se situe à proximité d’aucun autre parc autorisé dans la zone de coordination de 20 kilomètres autour de ce radar, en sorte que sa zone d’impact, même calculée sur le fondement d’une surface équivalent radar de 200 m2 ne se superpose à aucune autre ; que la plus grande dimension de cette zone d’impact, calculée par Météo France sur le fondement de cette surface, est égale à 11,9 km, soit un dépassement limité de la dimension maximale de 10 km recommandée par l’ANFR ; que ce projet respectait par ailleurs les huit autres points d’analyse des projets éoliens,…

Solaire / liquidation des installateurs photovoltaïques : tout n’est pas perdu en cas de conclusion de contrat de crédit affecté !

Dans un arrêt du 24 janvier 2014 (C. d’appel de LIMOGES, 24 janvier 2014, RG n°12/01358), la Cour d’appel de Limoges rend un arrêt extrêmement intéressant pour toute personne ayant conclu un contrat de vente et d’installation de centrale solaire parallèlement à un contrat de crédit affecté. En effet, la Cour d’appel confirme le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Brives ayant prononcée la résolution du contrat signé avec une société installatrice de panneaux photovoltaïques mais également la résolution du contrat de crédit signé par les particuliers pour financer leur installation photovoltaïque. Les faits: En l’espèce, des particuliers avaient contracté auprès de la société D….. la fourniture et la pose d’un système solaire photovoltaïque pour un montant de 27 000 euros. Alors que  le contrat prévoyait « la pose et fourniture et d’un système solaire photovoltaïque d’une puissance de 2,88 kWh en intégration de bâti pour la revente exclusive auprès d’EDF au tarif maxi avec raccordement au client », il était reproché à la société installatrice une inexécution contractuelle tenant à l’absence de mise en service de l’installation. Concrètement, les particuliers avaient payé la centrale, mais l’installateur n’avait jamais mis en service l’installation, qui n’a donc pas pu produire d’électricité. La particularité du litige soumis à la juridiction tenait au fait que les particuliers avaient par ailleurs contracté un contrat de crédit accessoire auprès d’une banque afin de financer ledit projet. Enfin il est utile de préciser que la société D…. , installatrice des panneaux photovoltaïques était tombée entre-temps en liquidation judiciaire. L’interdépendance des contrats peut s’avérer intéressante Pour rappel, il est important de rappeler que le crédit affecté (on parle aussi de crédit lié) est celui qui est consenti par un organisme de crédit à un consommateur lors de la conclusion d’un contrat de vente ou prestation de services afin de financer cette opération commerciale. Dans ce contrat, une double relation contractuelle se noue entre le professionnel, l’établissement de crédit et le consommateur : Un premier contrat, dit contrat principal, est conclu entre le professionnel et le consommateur, Une autre relation contractuelle se noue entre le consommateur et l’établissement de crédit. Ces deux relations contractuelles sont interdépendantes aux termes des articles L. 311-20 à L. 311-28 anciens du code de la consommation. Le lien d’interdépendance est d’ailleurs une règle d’ordre public à laquelle le consommateur ne saurait renoncer d’une manière ou d’une autre (Cass 1ère civ., 17 mars 1993 : Bull. civ. 1993, I, n° 116). L’article L. 311-21 du Code de la consommation prévoit que le contrat de crédit est résolu de plein droit lorsque le contrat, en vue duquel le prêt avait été conclu, est lui-même résolu (Cass. 1re civ., 2 juill. 1991 : JCP G1991, IV, p. 345. – CA Riom, 25 sept. 2002 : JurisData n° 2002-194658). En l’espèce, la Cour d’appel de Limoges fait une exacte application des dispositions précitées puisqu’elle juge dans un premier temps que la mise en service relevait des obligations contractuelles de l’installateur en l’espèce  : « Attendu que selon les termes du bon de commande signé par Mme X… le 12 novembre 2009 l’engagement contractuel de la société D….exerçant sous l’enseigne S…………. avait pour objet « la pose et fourniture et d’un système solaire photovoltaïque d’une puissance de 2, 88 kwh en intégration de bâti pour la revente exclusive auprès d’EDF au tarif maxi avec raccordement au client » ; Que cette société précisait dans ses brochures publicitaires qu’elle réalisait toutes les démarches administratives pour obtenir les autorisations nécessaires, indiquant que pour les panneaux photovoltaïques ces démarches administratives étaient nombreuses pour obtenir les accords de rattachement de l’installation et qu’elle notifiait au client la mise en service de son installation ; Attendu qu’en l’occurrence et malgré les relances écrites émanant des époux Y…la mise en service du système photovoltaïque n’a jamais eu lieu, la société D…….alléguant une complexification des démarches à effectuer en raison notamment de la fourniture d’une attestation de conformité visée par le Consuel (…) ».   Puis dans un second temps, la Cour analyse les conséquences de la résolution du contrat principal sur le contrat de crédit affecté en jugeant : « Attendu que par application des dispositions de l’ancien article L 311-21 du code de la consommation applicable en la cause, la résolution de ce contrat de vente en vue duquel le contrat de crédit avait été consenti par la société BANQUE S…… aux époux Y… a pour conséquence la résolution de plein droit de ce contrat de crédit; Attendu que si cette résolution emporte en principe pour l’emprunteur l’obligation de rembourser au prêteur le capital prêté, et cela même s’il a été versé directement au vendeur par le prêteur, s’agissant comme en l’espèce d’une prestation de service qui n’était pas à exécution successive, les obligations des emprunteurs ne pouvaient prendre effet qu’à compter de la fourniture de la prestation (ancien article L 311-20 du code de la consommation) laquelle doit correspondre à l’exécution complète de l’engagement contractuel souscrit par le vendeur ; Attendu que la société S………… a remis les fonds prêtés d’un montant de 27 000 euros à la société D………….. sur présentation d’un document portant la seule signature de Mme X… apposée le 3 février 2010 et intitulé « Attestation de livraison Demande de financement » suivant lequel Mme X… confirmait avoir reçu et acceptait la livraison des marchandises, constatait que tous les travaux et prestations qui devaient être effectués à ce titre avaient été pleinement réalisés et demandait en conséquence à S………….. de procéder au décaissement du crédit et d’en verser le montant directement entre les mains de la société SUN ……………..; Mais attendu que Mme X… n’évoquait nullement, expressément, la mise en service du système photovoltaïque ni son raccordement au réseau d’électricité, tous éléments inclus dans le contrat principal et en l’absence desquels la prestation de service restait partielle (…) Attendu qu’eu égard à la résolution du contrat principal intervenue alors qu’il n’a jamais été remédié à cette inexécution il y a lieu de considérer que les obligations des emprunteurs n’ont jamais…

Construction irrégulière et travaux d’extension : la régularisation des travaux entrepris irrégulièrement doit concerner l’ensemble de la construction (CE, 13 déc. 2013, n°349081)

Dans un arrêt « Commune de Porspoder » (CE, 13 déc. 2013, n°349081 ; consultable ici), le Conseil d’Etat revient partiellement sur une jurisprudence antérieure selon laquelle un maire ne peut légalement accorder un permis de construire portant extension d’un bâtiment prenant appui sur une partie du même bâtiment construite, elle, sans autorisation (CE, 9 juil. 1986, Mme Thalamy, n°51712). Cette jurisprudence était donc limitée aux seuls cas de figure où les travaux pour lesquels l’autorisation était sollicitée prenaient appui sur les éléments irréguliers de la construction, ou en étaient indissociables. En d’autres termes, la Haute juridiction considérait qu’un permis de construire portant sur une construction existante irrégulièrement érigée ne pouvait être accordé sans que cette dernière soit préalablement régularisée (CE, 25 juin 2003, Daci, n°229023). L’arrêt commenté constitue une remise en cause de la jurisprudence « Thalamy » puisque désormais la régularisation de l’existant édifié sans autorisation est indispensable bien que l’extension du bâti ne prenne pas appui sur la partie construite sans autorisation : « Lorsqu’une construction a fait l’objet de transformations sans les autorisations d’urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de déposer une déclaration ou de présenter une demande de permis portant sur l’ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu’il avait été initialement approuvé ; qu’il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l’édifice réalisée sans autorisation ; » La décision « Commune de Porspoder » rompt avec l’exigence du lien physique entre les travaux pour lesquels une autorisation d’urbanisme est requise et les travaux irrégulièrement construits contenue dans la jurisprudence « Thalamy ». L’abandon du lien physique a déjà pu être identifié dans la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, sect., 3 mai 2011, Ely, n° 320545), l’arrêt commenté confirme donc ce durcissement. En l’espèce, un particulier avait déposé une déclaration de travaux pour procéder à l’extension de sa maison d’habitation qui avait fait l’objet de transformations préalables sans en obtenir l’autorisation nécessaire. La déclaration de travaux avait été attaqué par des requérants sur le fondement de la jurisprudence « Thalamy ». Le tribunal administratif de Rennes avait rejeté leur requête au motif que la déclaration des travaux d’extension ne prenait pas appui sur « la partie du bâtiment dont l’irrégularité était alléguée », la jurisprudence « Thalamy » n’étant donc pas applicable en l’espèce. Ce raisonnement a donc été censuré par le Conseil d’Etat qui considère que la régularisation de l’ensemble des travaux irréguliers est un préalable nécessaire à la réalisation des travaux d’extension. Dans un deuxième temps, l’arrêt commenté précise : « qu’il appartient à l’administration de statuer au vu de l’ensemble des pièces du dossier, en tenant compte, le cas échéant, de l’application des dispositions de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme issues de la loi du 13 juillet 2006 emportant régularisation des travaux réalisés depuis plus de dix ans» L’article L. 111-12 du code de l’urbanisme dispose que : « Lorsque qu’une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou de déclaration de travaux ne peut être fondé sur l’irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l’urbanisme ». Cet article qualifié de « pardon administratif » dans la doctrine juridique signifie que l’administration qui refuserait de délivrer un permis de construire ou s’opposerait à une déclaration de travaux ne peut pas le faire au motif que les travaux entrepris sur le même bâtiment depuis plus de dix ans n’ont pas fait l’objet de la délivrance d’un permis ou d’une non opposition à une déclaration préalable de travaux. Ainsi l’article L. 111-12 rompt avec une irrégularité perpétuelle de l’immeuble sur le plan administratif à défaut de régularisation a posteriori et a par la même occasion introduit une sécurité juridique pour tout pétitionnaire en cas de mutation de l’immeuble ou de travaux sur celui-ci. En outre, rappelons que l’introduction de cette prescription administrative décennale participe à une cohérence de la prescription des actions sur les travaux irréguliers puisque l’action pénale est enfermée dans un délai de trois ans à compter de l’achèvement des travaux et qu’en matière civile, l’action en démolition des constructions irrégulières s’éteint dans le délai de droit commun fixé à dix ans. Dans l’arrêt «Commune de Porspoder », le Conseil d’Etat mentionne donc que l’autorité administrative amenée à se prononcer sur une demande de permis de construire ou sur une déclaration de travaux doit prendre en compte, dans sa décision, la possible application de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme qui, le cas échéant permettra la régularisation des constructions irrégulières achevées il y plus de dix ans. Valentin GUNER GREEN LAW AVOCAT

Le juge civil des référés décomplexé face à l’ICPE causant un trouble anormal à son voisinage (Cass, 14 janv.2014, n°13-10167)

Dans un arrêt en date du 14 janvier 2014 (C.cass, 14 janvier 2014, pourvoi n° 13-10167), la Cour de cassation confirme un arrêt de Cour d’appel, statuant en référé, ordonnant l’arrêt de l’activité d’une centrale à béton, sous astreinte de 700 euros par jour de retard, au titre de l’existence des troubles anormaux de voisinage. La Cour de cassation relève ainsi : « Attendu qu’ayant relevé que les attestations produites faisaient état de graves nuisances, que des constats d’huissier établissaient l’importance des dépôts de ciment et graviers maculant l’environnement immédiat du restaurant et celle des nuages de poussières provoqués par le passage des camions et que la police municipale avait relevé de nombreuses infractions de voirie, la cour d’appel statuant en référé, qui a justement retenu que les sociétés exploitantes de la centrale à béton devaient répondre des conséquences d’une exploitation gravement préjudiciable aux intérêts des tiers, a pu déduire de ses constatations, abstraction faite d’un motif surabondant relatif à l’existence d’un dommage imminent pour la pérennité de la société Pito, que les conditions d’exploitation de la centrale créaient pour cette société des nuisances excédant les inconvénients normaux du voisinage et que le trouble causé justifiait que soit ordonné l’arrêt de l’exploitation ». Cet arrêt souligne tout le potentiel juridique de la théorie des troubles anormaux de voisinage générés par une installation classées, de surcroît lorsque le juge civil statue en référé. D’abord, cet arrêt rappelle que dès lors que le code de l’environnement réserve les droits des tiers, la compétence exclusive du préfet en matière d’installations classées ne fait pas obstacle à la mise en jeu de la responsabilité de l’exploitant ICPE pour troubles de voisinage devant le juge judiciaire (Cass. 2e civ., 22 janv. 1959 : Bull. civ. 1959, II, p. 46. – Cass. 2e civ., 29 mars 1962 : Bull. civ. 1962, II, p. 258. – Cass. 2e civ., 16 juill. 1969 : Bull. civ.1969, II, p. 184 Cass. 1re civ., 13 juill. 2004, n° 02-15.176, FS-P :      JurisData n° 2004-024670 ; Bull. civ. 2004, I, p. 174 ; Environnement 2004, comm. 111, obs. D. Gillig ; AJDA 2005, p. 1235, note M. Moliner-Dubost ; RD imm. 2005, p. 40, obs. F.-G. T. – Rép. min. n° 05959 : JO Sénat Q, 14 mai 2009, p. 1215) et donc, au cas particulier, à la constatation d’un trouble manifestement illicite par le juge des référés (Cass. 1re civ., 15 mai 2001, n° 99-20.339, P, Divanac’h c/ Rannou : JurisData n° 2001-009553 ; Bull. civ. 2001, I, n° 135 ; RD imm. 2001, p.360, obs. M. B. ; RD imm. 2002, p. 370, obs. F.-G. T. ; D. 2001, p. 2242). Dans le cadre de cette théorie jurisprudentielle qui date du 19ème siècle, il n’est pas nécessaire, pour la victime, de démontrer la faute de voisin industriel au regard de son autorisation pour obtenir la cessation du trouble anormal de voisinage. Ce qui importe comme le rappelle la Cour c’est la démonstration d’une « exploitation […] préjudiciable aux intérêts des tiers ». Confronté à une action en trouble anormal, l’auteur du trouble ne pourra pas s’exonérer de sa responsabilité par la preuve de son absence de faute. La responsabilité  est engagée de manière objective dès que le trouble présente un caractère anormal et que le lien de causalité est établi entre le dommage allégué et le fait générateur invoqué. En l’espèce l’exploitation préjudiciable de l’installation se concrétise par des méconnaissances grossières des prescriptions élémentaires de fonctionnement d’une centrale à bitume. Mais rappelons que le seul respect des prescriptions techniques n’est pas exonératoire de responsabilité si la victime parvient à démontrer des conséquences résiduelles de l’exploitation encadrée en termes de dommage (Cass. 2e civ., 17 févr. 1993, n° 91-16.928, P : JurisData n° 1993-000172 ; Bull. civ. 1993, II, n° 68. Pour un cas extrême concernant des éoliennes non classées : TGI Montpellier, 17 septembre 2013, commenté ici). Gageons néanmoins que « la tendance générale en matière d’installations classées est en définitive de ne retenir l’existence d’un trouble anormal de voisinage que lorsque la réglementation n’a pas été respectée » (F. NESI, « Trouble anormal de voisinage et nuisances industrielles », Revue juridique de l’économie publique n° 696, Avril 2012,  étude 3). Ceci doit en particulier être le cas lorsque les seuils de pollution sont définis par des prescriptions ICPE, mais lorsque la règle est formulée sous la forme d’une obligation de moyen et non de résultat, la responsabilité de l’industriel n’en sera que plus exposée. Enfin et surtout  le juge des référés peut aller jusqu’à suspendre l’activité même de l’installation classée. Et c’est justement ce que confirme ici la Cour de cassation. Cette solution pour relativiser la séparation des autorités administratives et judiciaires n’est pas nouvelle : même si en principe il est interdit au juge judiciaire de « contrarie[r] les prescriptions édictées par l’Administration dans l’intérêt de la sûreté et de la salubrité publique» (Tribunal des conflits, 23 mai 1927 : S.1927, 3, p. 94), la Cour de cassation admet – sans doute contra legem – que les juridictions civiles en référé et sur la base de l’article 809 CPC puissent suspendre l’activité industrielle objet même de la police administrative (Cass. 2e civ., 10 nov. 2010, n° 09-17.147). Ainsi les exploitants d’installations classées ne peuvent ignorer l’insécurité juridique dans laquelle peut se trouver leur installation puisque leur respect des prescriptions imposées au fonctionnement de leur installation classée ne fait pas obstacle à ce que leur responsabilité soit mise en cause si leur activité génère des nuisances excédant un seuil normal pour le voisinage. La question sera alors de déterminer l’anormalité du seuil, en fonction d’un faisceau d’indices. David DEHARBE Aurélien BOUDEWEEL Green Law avocat