Urbanisme: précisions sur l’autorité compétente pour refuser le raccordement aux réseaux au titre de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme (Cass, 15 juin 2017)

Par Jérémy TAUPIN- Green Law Avocat Par un arrêt en date du 15 juin 2017 (C.Cass., Civ. 3, 15 juin 2017, n°16-16838) la Cour de cassation est venue apporter une précision importante relative à la mise en œuvre de la disposition prévoyant que les constructions soumises à autorisations ne peuvent être raccordées définitivement aux réseaux que si elles ont été édifiées de façon régulière. La question se posait dans l’affaire commentée de savoir si un concessionnaire de distribution d’électricité pouvait de lui-même opposer un refus de raccordement, pour une construction ayant fait l’objet d’arrêtés interruptifs de travaux. Après avoir rappelé le principe posé par cet article, nous nous intéressons plus précisément à l’apport de l’arrêt de la Cour de cassation. Le principe : l’interdiction de raccordement aux réseaux d’une construction irrégulière L’actuel article L. 111-12 du Code de l’urbanisme (dont la rédaction est issue de l’ancien article L.111-6, accompagnée d’un toilettage marginal) prévoit que les constructions soumises à autorisations ne peuvent être raccordées définitivement aux réseaux que si elles ont été édifiées de façon régulière : « Les bâtiments, locaux ou installations soumis aux dispositions des articles L. 421-1 à L. 421-4 ou L. 510-1, ne peuvent, nonobstant toutes clauses contractuelles contraires, être raccordés définitivement aux réseaux d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone si leur construction ou leur transformation n’a pas été, selon le cas, autorisée ou agréée en vertu de ces dispositions. ». Cette disposition institue ainsi une police spéciale de l’urbanisme, parfois encore méconnue, destinée à assurer le respect des règles d’utilisation des sols. Elle permet d’opposer un refus de raccordement aux réseaux d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone (à l’exclusion des réseaux d’assainissement, cf. Rép. min. n° 12735, JO Sénat 5 août 2010, p. 2034) d’une construction soumise à autorisation (permis de construire, d’aménager, de démolir ou encore déclaration préalable), qui ne serait pas en possession de ladite autorisation ou ne respecterait pas celle-ci. Le refus de raccordement peut être prononcé alors même que l’infraction pénale constituée par la construction sans autorisation est prescrite (CE, 7 oct. 1998, L’Hermite, n° 140759; CE 23 mars 2016, M. Liegeois, n° 392638), ou encore cette infraction n’est pas constituée (CAA Bordeaux, 4 mars 2010, n°09BX00990). Sa mise en œuvre : la nécessité d’une décision de refus de raccordement émanant du maire au titre de ses pouvoirs de police spéciale De manière classique, il est admis que le titulaire du pouvoir de police spéciale établi par l’article L.111-12 du code de l’urbanisme est le maire (bien que le conseil municipal ai aussi pu être jugé compétent, cf. CE, 23 juill. 1993, n° 125331). La décision prise par le maire de s’opposer au raccordement définitif d’un bâtiment en application de ses pouvoirs peut être notifiée tant à l’intéressé lui-même qu’au gestionnaire du réseau à l’occasion de l’avis que celui-ci sollicite dans le cadre de la procédure d’extension du réseau d’électricité. Le refus de la commune opposé dans ce dernier cas ne constitue alors pas un simple avis mais une décision susceptible d’un recours pour excès de pouvoir (CE, 24 mars 2014, n° 359554). Dans l’affaire commentée, la question se posait de savoir si un concessionnaire de distribution d’électricité pouvait de lui-même opposer un refus de raccordement, pour une construction ayant fait l’objet d’arrêtés interruptifs de travaux. Sur cette question, la Cour de Cassation estime que : « pour rejeter la demande de raccordement de la SCI P…, l’arrêt retient que l’immeuble a fait l’objet de deux arrêtés municipaux ordonnant l’arrêt des travaux qui n’étaient pas conformes au permis de construire, que l’adjudication de la maison au profit de la SCI P…ne lui rendait pas inopposables ces arrêtés et qu’aucune demande de régularisation n’a été faite ; Qu’en statuant ainsi, sans constater l’existence d’une décision de refus de raccordement prise par l’autorité administrative compétente, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » Ainsi, si aucune décision de refus de raccordement n’a été prise par le maire, et quand bien même il est établi que la construction serait irrégulière, il n’est pas possible pour un concessionnaire de distribution d’électricité d’opposer, de lui-même, un refus de raccordement. A l’inverse, une décision de refus de raccordement prise par le maire s’impose au concessionnaire, qui ne peut alors procéder au raccordement de la construction.

Zones prioritaires pour la biodiversité : le décret est paru au JO

Par Fanny ANGEVIN- Green law avocats Le décret n°2017-176 du 13 février 2017 relatif aux zones prioritaires pour la biodiversité est paru au JO du 15 février dernier. Rappelons-nous que le projet de décret était en consultation jusqu’au 18 novembre 2016 (voir l’article sur ce blog). Le texte définitif est pris en application du II de l’article L. 411-2 du code de l’environnement qui a été introduit par l’article 74 de loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et qui prévoit : « Un décret en Conseil d’Etat détermine également les conditions dans lesquelles, lorsque l’évolution des habitats d’une espèce protégée au titre de l’article L. 411-1 est de nature à compromettre le maintien dans un état de conservation favorable d’une population de cette espèce, l’autorité administrative peut : 1° Délimiter des zones où il est nécessaire de maintenir ou de restaurer ces habitats ; 2° Etablir, selon la procédure prévue à l’article L. 114-1 du code rural et de la pêche maritime, un programme d’actions visant à restaurer, à préserver, à gérer et à mettre en valeur de façon durable les zones définies au 1° du présent II ; 3° Décider, à l’expiration d’un délai qui peut être réduit compte tenu des résultats de la mise en œuvre du programme mentionné au 2° au regard des objectifs fixés, de rendre obligatoires certaines pratiques agricoles favorables à l’espèce considérée ou à ses habitats. Ces pratiques peuvent bénéficier d’aides lorsqu’elles induisent des surcoûts ou des pertes de revenus lors de leur mise en œuvre. » Le décret vient dont déterminer les conditions dans lesquelles le Préfet a la possibilité de mettre en place des « zones prioritaire pour la biodiversité » (ZPB), lorsque l’évolution des habitats d’une espèce protégée est de nature à compromettre le maintien dans un état de conservation favorable d’une population de cette espèce. Il convient de noter que le décret n°2017-176 a majoritairement repris les dispositions présentes dans le projet de décret, à l’exception de la définition des zones prioritaires pour la biodiversité, ce qui paraît logique étant donné que cette définition reprenait pour l’essentiel les termes de l’article L. 411-1 du code de l’environnement. En premier lieu, le décret prévoit les modalités de délimitation des zones. En effet, le décret fait valoir que les zones prioritaires pour la biodiversité sont délimitées par arrêté du préfet, qui doit être pris après avis : la commission départementale de la nature, des paysages et des sites ; du conseil scientifique régional du patrimoine naturel ; de la chambre départementale d’agriculture ; du commandant de la zone terre compétent lorsque ces zones comportent des emprises relevant du ministère de la défense. Le décret précise que les avis sont réputés rendus s’ils n’interviennent pas dans un délai de deux mois à compter de la transmission du projet. Surtout, ce ne sont que des avis simples, qui ne lient pas le Préfet. Ce sont cependant des indices qui pourront, dans un sens ou dans un autre, conduire à modifier le périmètre de la zone. En deuxième lieu, le décret prévoit également un programme d’actions pour chaque zone prioritaire pour la biodiversité. A ce titre, le décret précise que le projet de programme d’actions est élaboré par le préfet en concertation avec les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi qu’avec les représentants des propriétaires et exploitants des terrains concernés. Il est ensuite arrêté par le préfet après la mise en œuvre d’une procédure de consultation. Là encore, le caractère consultatif de la procédure ne liera pas le Préfet. La concertation avec les propriétaires et/ou exploitants restera cependant une étape importante pour faire valoir certains arguments. Le programme arrêté définit en effet les actions que les propriétaires et exploitants sont incités à mettre en œuvre au titre des pratiques agricoles, en rapport avec l’espèce pour laquelle la zone est délimitée. Les actions précitées sont les suivantes : Maintien d’une couverture végétale du sol, permanente ou temporaire ; Travail du sol, gestion des résidus de culture, apports de matière organique ; Gestion des intrants, notamment des fertilisants, des produits phytosanitaires et de l’eau d’irrigation ; Diversification des cultures par assolement et rotations culturales ; Maintien ou création de haies ou d’autres éléments du paysage, de fossés d’infiltration et aménagements ralentissant ou déviant l’écoulement des eaux ; Restauration ou entretien d’un couvert végétal spécifique ; Restauration ou entretien de mares, plans d’eau ou zones humides. Le programme détermine également les objectifs à atteindre pour chaque action. A ce titre le décret précise que les objectifs doivent si possible être quantifiés et assortis de délais. Par ailleurs, le programme présente les moyens prévus afin d’atteindre ces objectifs. Il expose les effets escomptés sur le milieu et précise les indicateurs quantitatifs qui permettront de les évaluer. En outre, le programme rappelle les autres mesures qui sont prises au titre du code de l’environnement visant la protection de l’espèce pour laquelle la zone est délimitée. Il est également indiqué que le contenu du programme peut être précisé par arrêté. En troisième et dernier lieu, le décret prévoit des obligations nouvelles pour les agriculteurs. En effet, en fonction des résultats de la mise en œuvre du programme d’actions, le préfet pourra rendre obligatoires certaines actions en matière de pratiques agricoles, à l’expiration d’un certain délai. La décision du préfet doit être cependant prise seulement après la mise en œuvre d’une procédure de consultation. Elle doit également avoir été affichée et notifiée aux propriétaires et exploitants concernés. Enfin, il est important de noter que le décret prévoit qu’en cas de non-respect par le propriétaire ou l’exploitant d’un terrain, de l’une des actions du programme d’action rendues obligatoires, une amende de cinquième classe peut être infligée. Si le caractère dissuasif de cette peine peut poser question, c’est surtout les effets concrets que de telles zones de protection de biodiversité vont avoir sur les activités actuelles et venir de certaines parcelles qui devront être scrutées.

L’autorisation environnementale devient réalité (Ord.26 janv. 2017 et Décrets 2017-81 et 2017-82)

Par Jérémy TAUPIN – GREEN LAW AVOCATS L’importante (et attendue) réforme relative à l’autorisation environnementale vient d’être publiée au Journal Officiel du 27 janvier 2017. Cette réforme est principalement matérialisée par l’ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale, accompagnée du rapport au Président de la République sur ladite ordonnance. L’ordonnance est d’ores et déjà accompagnée de deux décrets d’application : le décret n° 2017-81 ; le décret n° 2017-82. Voici une revue générale de la réforme, sachant que le cabinet effectuera sur ce blog ces prochains jours une analyse poussée de la procédure applicable à l’autorisation environnementale, en toutes ses dispositions. Un programme de formations sera proposé sur le sujet sur Lille, Lyon et Paris au premier trimestre 2017. I – La création d’une « autorisation environnementale » unique L’ordonnance relative à l’autorisation environnementale a été prise en application de l’article 103 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Pour rappel, en application de la loi du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises, diverses expérimentations de procédures intégrant plusieurs autorisations ont été menées depuis mars 2014 dans certaines régions concernant les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) et les installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) soumis à la législation sur l’eau. Une généralisation de ces expérimentations à la France entière avait par la suite été opérée par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, depuis le 1er novembre 2015. C’est dans ce contexte, et suite aux retours positifs sur ces expérimentations que le Gouvernement a décidé de pérenniser le dispositif : l’article 103 de la loi du 6 août 2015 susmentionné a habilité le Gouvernement à inscrire de manière définitive dans le code de l’environnement un dispositif d’autorisation environnementale unique, en améliorant et en pérennisant les expérimentations. L’ordonnance, ainsi que ses décrets d’application, créent, au sein du livre Ier du code de l’environnement, un nouveau titre VIII intitulé «Procédures administratives » et comportant un chapitre unique intitulé « Autorisation environnementale », composé des articles L. 181-1 à L. 181-31 et R. 181-1 à R. 181-56. L’article L. 181-1 précise le champ d’application de l’autorisation environnementale : sont ainsi soumis à la nouvelle procédure les installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) soumis à la législation sur l’eau et les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), lorsqu’ils relèvent du régime d’autorisation. Sont également concernés les projets soumis à évaluation environnementale et qui ne sont pas soumis à une autorisation administrative susceptible de porter les mesures d’évitement, de réduction ou de compensation. Les procédures d’autorisation ICPE et IOTA disparaissent donc en tant que telles. Les procédures de déclaration et d’enregistrement restent inchangées. Le décret n°2017-81 fixe notamment le contenu du dossier de demande d’autorisation environnementale ainsi que les conditions de délivrance et de mise en œuvre de l’autorisation par le préfet. Le décret n°2017-82 précise plus amplement le contenu du dossier de demande d’autorisation environnementale prévu par le nouveau chapitre unique du titre VIII du livre Ier du code de l’environnement, en indiquant les pièces et autres documents complémentaires à apporter à ce dossier au titre des articles L. 181-8 et R. 181-15 de ce même code. Il présente les pièces, documents et informations en fonction des intérêts à protéger ainsi que celles au titre des autorisations, enregistrements, déclarations, absences d’opposition, approbations et agréments dont l’autorisation tient lieu. Ce texte précise également les modalités d’instruction par les services de l’Etat et les délais qui s’imposent à eux pour instruire un dossier d’autorisation environnementale. Il prévoit par ailleurs la publication future d’un arrêté fixant le modèle de formulaire de demande d’autorisation (nouvel article D. 181-15-10). II – Modalités d’application dans le temps de la réforme L’ordonnance prévoit une entrée en vigueur le 1er mars 2017 : à compter de cette date, les porteurs de projet pourront déposer des demandes d’autorisation environnementales. Toutefois, cette entrée en vigueur est assortie de plusieurs réserves prévues à l’article 15 de l’ordonnance : Les autorisations IOTA ou ICPE, ou autorisations uniques délivrées antérieurement à l’ordonnance, sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du nouveau chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code, et ce avec les autorisations, enregistrements, déclarations, absences d’opposition, approbations et agréments énumérés par le I de l’article L. 181-2 du même code que les projets ainsi autorisés ont le cas échéant nécessités. Cette disposition pourrait représenter un intérêt pratique non négligeable dans certains contentieux en cours contre des AU ou des AP ICPE. 2. Ainsi, ces autorisations, en tant qu’autorisations environnementales sont désormais soumises aux dispositions applicables aux autorisations environnementales, notamment lorsque ces autorisations sont contrôlées, modifiées, abrogées, retirées, renouvelées, transférées, contestées ou lorsque le projet autorisé est définitivement arrêté et nécessite une remise en état ; 3. Les projets pour lesquels une demande d’autorisation a été déposée avant le 1er mars 2017, continuent à être instruits suivant les anciennes procédures ; après leur délivrance, le régime prévu au 1) leur est également applicable ; 4. Les autorisations, enregistrements, déclarations, absences d’opposition, approbations et agréments énumérés par le I de l’article L. 181-2 du code de l’environnement auxquels un projet d’activités, installations, ouvrages et travaux prévus par l’article L. 181-1 du même code est soumis ou qu’il nécessite qui ont été régulièrement sollicités ou effectués avant le 1er mars 2017 sont instruits et délivrés ou acquis selon les dispositions législatives et réglementaires procédurales qui leur sont propres, et le titulaire en conserve le bénéfice en cas de demande d’autorisation environnementale ultérieure ; toutefois, dans ce dernier cas, lorsqu’une autorisation de défrichement n’a pas été exécutée, elle est suspendue jusqu’à la délivrance de l’autorisation environnementale ; le régime prévu au 1) leur est ensuite applicable ; 5. Les dispositions procédurales applicables aux demandes d’autorisation de projets auxquels le certificat de projet institué par l’ordonnance n° 2014-356 du 20 mars 2014 a été délivré avant le 31 mars 2017 sont celles identifiées par ledit certificat…

Urbanisme / loi montagne : Un intérêt communal suffisant doit exister pour autoriser à titre dérogatoire une centrale photovoltaïque au sol à s’implanter en discontinuité de l’urbanisation existante (CAA Lyon, 13 décembre 2016)

Par Jérémy TAUPIN- GREEN LAW AVOCATS Une décision de la Cour administrative d’appel de Lyon apporte un clairage intéressant sur l’admissibilité des centrales solaires au sol dans une commune concernée par la loi Montagne. La Cour confirme un jugement de première instance ayant annulé un permis de construire une centrale photovoltaïque au sol dans une telle commune (CAA Lyon, 13 décembre 2016, n°15LY00920). En l’espèce, une société avait obtenu un arrêté de permis de construire en vue de réaliser une centrale solaire au sol sur le territoire de la commune des Vastres (Haute-Loire), en discontinuité avec l’urbanisation existante, et ce suite à la délibération favorable du conseil municipal de la commune, par une délibération motivée en date du 15 décembre 2012. Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand avait annulé le permis de construire, après avoir relevé que ce projet ne pouvait être regardé comme réalisé en continuité avec des constructions existantes et n’était pas « au nombre des équipements incompatibles avec le voisinage des zones habitées », en jugeant que l’intérêt communal invoqué par la délibération du conseil municipal du 15 décembre 2012 prise sur le fondement du 4° de l’article L. 111-1-2 du code de l’urbanisme (désormais l’article L.111-4 du même code) « ne pouvait fonder une dérogation à la règle d’urbanisation en continuité en zone de montagne ». Cet arrêt mérite plusieurs commentaires. 1 – Sur la confirmation du fait qu’une centrale photovoltaïque au sol n’est pas au nombre des équipements incompatibles avec le voisinage des zones habités Normalement, le principe d’extension de l’urbanisation en continuité de l’urbanisation existante en montagne (article L. 122-5 du code de l’urbanisme) peut être écarté en vue de la réalisation d’installations ou équipements publics incompatibles avec le voisinage de zones habitées. L’incompatibilité peut provenir des nuisances ou des risques que ces équipements sont susceptibles de générer, ce qui justifie qu’ils soient implantés dans une zone éloignée de l’urbanisation. Or, on le voit, une centrale photovoltaïque au sol n’est pas toujours susceptible d’être qualifiée comme étant incompatible avec le voisinage de zones habitées. Il n’existe donc pas toujours une dérogation au principe légal d’urbanisation en continuité. La Cour a en effet considéré en l’espèce que le type de projet en cause n’était « pas au nombre des équipements incompatibles avec le voisinage des zones habitées », en application de l’article L 145-3 du code de l’urbanisme (désormais L.122-7 du même code). La Cour administrative d’appel de Lyon confirme en réalité la jurisprudence déjà existante en la matière par la Cour administrative d’appel de Marseille (en date du 25 mars 2014, que nous avions déjà commentée sur le blog ici). La Cour administrative d’appel de Marseille avait alors refusé de faire déroger une centrale photovoltaïque à la règle d’urbanisation en continuité dans les zones couvertes par la Loi Montagne en considérant : d’abord que la qualification d’installations incompatibles avec le voisinage des zones habitées était une appréciation in concreto, au cas par cas. ensuite qu’en l’espèce, l’incompatibilité n’était pas caractérisée car le risque pour la sécurité avancé par la société bénéficiaire n’était pas établi et que la gêne visuelle devait être relativisée « en raison de la nature des installations en cause ».   2 – Sur la nécessité pour une commune de justifier d’un intérêt communal suffisant pour autoriser une centrale photovoltaïque en discontinuité de l’urbanisme existant. La Cour a en l’espèce précisé que « l’intérêt communal » invoqué par la délibération du conseil municipal prise sur le fondement du 4° de l’article L. 111-1-2 du code de l’urbanisme ne pouvait fonder une dérogation à la règle d’urbanisation en continuité en zone de montagne. En effet, si les dispositions de l’article L. 122-7 du code de l’urbanisme permettent, dans les communes qui ne se sont pas dotées d’un plan local d’urbanisme ou d’une carte communale, d’autoriser la réalisation d’un projet compatible avec le voisinage des zones habitées sur un terrain qui n’est pas situé en continuité d’une forme d’urbanisation existante, cette possibilité n’est ouverte qu’à titre dérogatoire et à condition notamment que l’intérêt communal le justifie, et ce au sens du 4° de l’article L. 111-4 (nouveau). Les centrales photovoltaïques étant bien compatibles avec le voisinage des zones habités, ainsi que rappelé ci-dessus, une commune de montagne doit donc établir avec suffisamment de précision l’intérêt communal à autoriser la réalisation d’une telle centrale en discontinuité de l’urbanisation existante. Or, en l’espèce, la Cour considère « qu’au soutien de son recours, la ministre se borne à reprendre, sans autre précision, les termes de la délibération du 15 décembre 2012 selon laquelle le projet critiqué permettra ” d’améliorer le fonctionnement de la zone humide ” et présente l’intérêt de concourir à la production d’électricité avec des énergies renouvelables et d’assurer à la commune des revenus pérennes par la perception d’un loyer ou de l’imposition forfaitaire des entreprises de réseaux ; que la ministre fait également valoir que les écritures de l’Etat en première instance avaient permis de confirmer ces aspects du projet au regard des conclusions de l’étude d’impact dont il avait fait l’objet, le projet ayant été choisi afin d’assurer au mieux la protection des espaces naturels et des terres agricoles ; qu’eu égard à l’objet poursuivi par les dispositions précitées du III de l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme, les justifications dont la ministre se prévaut ainsi en termes généraux sans faire état d’éléments suffisamment circonstanciés tenant à la situation particulière de la commune des Vastres, ne suffisent pas à établir l’existence, au sens du 4° de l’article L. 111-1-2 auquel ces dispositions renvoient, d’un intérêt de nature à justifier la délivrance d’un permis de construire pour une centrale photovoltaïque au bénéfice du dispositif dérogatoire qu’elles prévoient ; » Ainsi, l’intérêt communal n’était pas suffisamment établi en l’espèce. Cet arrêt incite donc à s’entourer de précautions lors des études de faisabilité de projets de centrales au sol dans une commune de montagne: il s’agit d’abord de vérifier si le terrain d’implantation peut être considéré ou non comme en continuité avec l’urbanisation existante, ce qui demeure à favoriser; dans la négative, une véritable démonstration du caractère incompatible avec le voisinage de…

DE L’INTÉRÊT A AGIR CONTRE UN PROJET INDUSTRIEL EN CONTENTIEUX DE L’URBANISME

Par Sébastien BECUE et David DEHARBE Green Law Avocats Si l’avènement annoncé d’un permis environnemental unique valant à la fois – et entre autres – permis de construire et autorisation d’exploiter au titre de la législation ICPE[1] devrait un jour permettre de mettre un terme à cette absurdité, les porteurs de projets industriels restent pour l’heure soumis au risque de subir deux procédures d’annulation, l’une devant le juge de l’urbanisme et portant sur les caractéristiques de construction, et l’autre devant le juge des ICPE et portant sur les effets du projet sur les intérêts environnementaux. Or l’habitué du contentieux environnemental sait que l’intérêt à agir du tiers requérant a longtemps été plus aisément accueilli par le juge de l’urbanisme que par son collègue environnementaliste[2]. Cette différence s’est amenuisée depuis l’adoption du nouvel article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme en 2013[3], disposition issue des réflexions du groupe de travail dirigé par Daniel LABETOULLE[4], et qui vise à encadrer plus strictement la définition de l’intérêt à agir contre les autorisations d’urbanisme[5]. Ainsi un tiers requérant[6] « n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu'[il] détient ou occupe régulièrement ou pour lequel [il] bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation [contrat de réservation dans le cadre d’une VEFA] ».Cet encadrement légal de l’appréciation par le juge de l’intérêt à agir est pour ainsi dire inédit dans le contentieux de l’excès de pouvoir. Désormais, le juge est tenu de vérifier que le requérant est directement et réellement affecté par le projet qu’il attaque. Selon ses inspirateurs, sans que cette subjectivisation de la preuve de l’intérêt à agir soit destinée à s’écarter « de la jurisprudence qui s’est développée en l’absence de texte », elle a pour objet de donner aux juges administratifs « comme un signal les invitant à retenir une approche un peu plus restrictive de l’intérêt pour agir ».Aux termes d’une désormais fameuse[7] décision Brodelle (CE, 20 juin 2015, n°386121, publiée au recueil Lebon), le Conseil d’Etat décide d’étendre la portée de la disposition, en définissant précisément les éléments de preuve que doivent apporter chacune des parties au procès de l’autorisation d’urbanisme, lorsqu’est posée au juge administratif la question de l’intérêt à agir du requérant. Premier appelé à s’exprimer, le requérant est tenu de préciser l’atteinte invoquée, « en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ». Le défendeur peut alors opposer à son tour « tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ». A partir de ces soumissions, le juge doit « former sa conviction », « en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ». Le Conseil d’Etat franchit ainsi une première étape. Il ne suffit désormais plus que le requérant soit affecté, il faut désormais qu’il le démontre. Il ressort en effet de ce considérant que le juge n’est libre d’apprécier l’atteinte que subit le requérant que si ce dernier l’invoque et la démontre. Une seconde étape est franchie début 2016 lorsque le Conseil d’Etat décide de confirmer la décision d’un président de tribunal administratif qui rejette, par ordonnance[8] – une requête pour défaut manifeste d’intérêt à agir (CE, 10 fév. 2016, n°387507, Peyret, mentionné aux Tables). Même si ce n’était pas la première fois que l’utilisation des ordonnances de tri pour défaut d’intérêt à agir est autorisée[9], le Conseil d’Etat ne l’avait jamais fait de manière aussi claire. La conjonction de ces deux évolutions a laissé craindre un durcissement excessif des conditions d’accès au juge de l’urbanisme. Il s’est depuis avéré que ces requérants semblent avoir payé un tâtonnement jurisprudentiel. En effet, seulement deux mois après cette décision, sur proposition du rapporteur public Rémi DECOUT-PAOLINI, le Conseil d’Etat infléchit grandement sa position, en instaurant, en ajout au considérant Brodelle, une facilité probatoire pour le voisin immédiat du projet (CE, 13 avril 2016, n°389798, Bartolomei, Publié au recueil Lebon). Ces décisions et cette évolution de l’intérêt à agir ont été commentées par la doctrine sous un angle jurisprudentiel[10] ou théorique[11] ; nous nous proposons d’en étudier les conséquences pratiques, notamment en termes de stratégie contentieuse, pour les parties au procès et en prenant ouvertement le point de vue des « usages professionnels » du prétoire.   Le voisin immédiat requérant légitime   En matière d’intérêt à agir contre le permis de construire, le doute profite encore et toujours au voisin immédiat : c’est là l’enseignement essentiel de l’arrêt Bartoloméi. Le Conseil d’Etat y fait valoir : « eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction » (CE, 13 avr. 2016, n°389798, précité). Le voisin immédiat est donc exonéré de l’artifice procédural selon l’expression de la rapporteur public Aurélie BRETONNEAU, consistant à imposer au requérant d’invoquer une atteinte émanant du projet autorisé et de préciser en quoi cette atteinte affecte son bien. Pour pouvoir bénéficier de cette exonération, le voisin immédiat doit tout de même établir qu’il dispose de la « situation particulière » requise, à savoir une proximité géographique immédiate avec la construction projetée. Une fois sa qualité de voisin immédiat établie, il ne reste plus au requérant qu’à confirmer en produisant des pièces relatives à la nature, à l’importance ou à la localisation de la construction projetée, ce qui devrait se révéler relativement aisé, ces caractéristiques étant généralement présentées dans le dossier de demande de permis de construire, dont il…