ICPE / Liquidateurs judiciaires : les mesures de cessation d’activité d’une ICPE vous incombent en cas d’inertie de l’exploitant (CE 28 septembre 2016)

Par Graziella DODE- GREEN LAW AVOCATS Dans un arrêt du 28 septembre 2016, le Conseil d’Etat rappelle les obligations des liquidateurs judiciaires en matière d’installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE). En l’espèce, la société mise en liquidation judiciaire avait exploité des installations classées d’élevage et de fabrication d’engrais (rubriques 2111-1 et 2170-1). Le liquidateur désigné par un jugement du tribunal de commerce n’avait pas rempli ses obligations au titre de l’article R. 512-39-1 du code de l’environnement. Pour rappel, cet article dispose que : « I.-Lorsqu’une installation classée soumise à autorisation est mise à l’arrêt définitif, l’exploitant notifie au préfet la date de cet arrêt trois mois au moins avant celui-ci. Ce délai est porté à six mois dans le cas des installations visées à l’article R. 512-35. Il est donné récépissé sans frais de cette notification. II.-La notification prévue au I indique les mesures prises ou prévues pour assurer, dès l’arrêt de l’exploitation, la mise en sécurité du site. Ces mesures comportent, notamment : 1° L’évacuation des produits dangereux, et, pour les installations autres que les installations de stockage de déchets, gestion des déchets présents sur le site ; 2° Des interdictions ou limitations d’accès au site ; 3° La suppression des risques d’incendie et d’explosion ; 4° La surveillance des effets de l’installation sur son environnement. III.-En outre, l’exploitant doit placer le site de l’installation dans un état tel qu’il ne puisse porter atteinte aux intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 et qu’il permette un usage futur du site déterminé selon les dispositions des articles R. 512-39-2 et R. 512-39-3. » En cas de procédure collective, il revient au liquidateur désigné de remplir ces obligations si l’exploitant ne les a pas accomplies. En effet, « le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu’il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n’est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur » (Com. art. L. 641-9, I). En conséquence, selon le Conseil d’Etat, « lorsque les biens du débiteur comprennent une installation classée pour la protection de l’environnement dont celui-ci est l’exploitant, il appartient au liquidateur judiciaire qui en assure l’administration, de veiller au respect des obligations découlant de la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement ». Le liquidateur doit notifier la cessation d’activité au préfet et prévoir les mesures permettant d’assurer la mise en sécurité du site. Il doit également apporter les éléments de preuve permettant de s’assurer que le site est dans un état qui ne peut porter atteinte aux intérêts protégés par l’article L. 511-1 et faire des propositions d’usage futur du site. En l’espèce, le liquidateur s’était borné à fournir des courriers de l’exploitant à la préfecture dans lequel l’exploitant refusait de déclarer le site en cessation d’activité et affirmait, sans apporter de preuve, que la mise en sécurité du site était effective. Le liquidateur a ensuite fait obstacle à la visite du site par l’inspection des installations classées. Il a ainsi fait l’objet d’un arrêté préfectoral de mise en demeure en date du 20 octobre 2010 lui demandant d’adresser dans un délai d’un mois la déclaration de cessation d’activité relative au site exploité par l’entreprise, en précisant les mesures prises ou prévues pour assurer la mise en sécurité du site, et de transmettre ses propositions, dans un délai de deux mois, au maire et au propriétaire du terrain sur le type d’usage futur envisagé dans le cadre de la remise en état du site. Dans sa décision du 28 septembre 2016, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoir formé par le liquidateur, estimant que la Cour administrative d’appel n’avait commis aucune erreur de droit (CAA Versailles, 5 juin 2014, n° 12VE01136) en confirmant le rejet de sa demande d’annulation de l’arrêté de mise en demeure dont il avait fait l’objet (TA Montreuil, 26 janvier 2012, n° 1013329). Le liquidateur s’était défendu sur le fondement de l’article L. 622-17 du code de commerce, alinéa IV, selon lequel « les créances impayées perdent leur privilège si elles n’ont pas été portées à la connaissance de l’administrateur et, à défaut, du mandataire judiciaire ou, lorsque ces organes ont cessé leurs fonctions, du commissaire à l’exécution du plan ou du liquidateur, dans le délai d’un an à compter de la fin de la période d’observation ». En l’espèce, le liquidateur estimait que la mise en demeure de prendre des mesures de dépollution n’avait pas été portée à sa connaissance dans le délai imparti. Pour autant, dans cette décision, le Conseil d’Etat démontre que l’administration garde son pouvoir de police administrative, et plus précisément de police des installations classées. L’arrêté préfectoral de mise en demeure de prendre des mesures de dépollution est légal même lorsqu’il est pris au-delà du délai d’un an précité.

Mise à distance de l’épandage des phytosanitaires : un nouveau projet d’arrêté

Par Fanny ANGEVIN – GREEN LAW AVOCATS   L’arrêté du 12 septembre 2006 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits visés à l’article L. 253-1 du code de rural et de la pêche maritime a fait l’objet  d’une décision du Conseil d’Etat en date du 6 juillet 2016 n°391684, qui enjoint à l’Etat d’abroger ce dernier. Cet arrêté prévoit les conditions d’utilisation des produits phytosanitaires. Il comporte notamment des dispositions relatives à la limitation des pollutions ponctuelles (article 5 à 10 de l’arrêté), des dispositions relatives aux zones non traitées au voisinage des points d’eau (article 11 à 14 de l’arrêté) ainsi que des dispositions relatives aux distances minimales devant être respectées afin d’utiliser les produits phytosanitaires (annexes 1, 2 et 3 de l’arrêté). Il est donc une réelle feuille de route pour nombre d’acteurs dans le domaine des produits phytosanitaires. Dans sa décision du 6 juillet 2016, le Conseil d’Etat a considéré que cet arrêté devait être abrogé. En effet, selon ce dernier l’article 8 de la directive 98/34/CE du 22 juin 1998 modifiée prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques, tout Etat membre souhaitant adopter une nouvelle règle technique au sens de la directive doit en informer la Commission européenne. Or, le Conseil d’Etat souligne dans sa décision qu’il n’y a pas eu en l’espèce de notification du projet d’arrêté à la Commission européenne et que partant, ce dernier a été pris à l’issue d’une procédure irrégulière. Par conséquent, le Conseil d’Etat enjoint à l’Etat d’abroger l’arrêté du 12 septembre 2006 dans un délai de six mois à compter de la décision. Afin de mettre en œuvre cette obligation, un projet d’arrêté a été diffusé par le ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt (téléchargeable via ce lien). Le ministère précise dans sa note accompagnant le projet d’arrêté que ce dernier vise « à renforcer la protection des personnes, et à encourager le renforcement de la lutte contre la dérive en améliorant le dispositif permettant d’évaluer les moyens efficaces et en élargissant le périmètre des moyens concernés ». Le projet d’arrêté est composé des titres suivants : Dispositions générales relatives à l’utilisation des produits ; Dispositions particulières relatives à la limitation des pollutions ponctuelles ; Dispositions relatives au risque de transfert par dérive de pulvérisation en bordure des points d’eau et des zones non cultivées adjacentes ; Dispositions relatives au risque de transfert par ruissellement en bordure des points d’eau ; Dispositions relatives aux lieux accueillant des groupes de personnes vulnérables, aux lieux fréquentés par le public et à la proximité des lieux d’habitation ; Ainsi que d’autres dispositions diverses. Ce projet d’arrêté comporte tout particulièrement des dispositions plus précises en ce qui concerne la protection des travailleurs et les modalités d’utilisation des produits phytosanitaires en fonction du vent. Il introduit, par ailleurs, la possibilité de réduire les zones non traitées à proximité de certaines zones non cultivées et du principe de zones non traitée à proximité des lieux d’habitation. Enfin, il convient de noter que le calendrier concernant ce projet d’arrêté sera contraignant, l’Etat ayant jusqu’à début 2017 afin d’adopter une nouvelle version de l’arrêté.

Les informations environnementales contenues dans les avis du Conseil d’Etat sont communicables lorsque le secret des délibérations ne s’y oppose pas (Conseil d’État, 30 mars 2016, n°383546)

Par Marie-Coline Giorno (Green Law Avocats)   Le Conseil d’Etat s’est récemment prononcé sur le caractère communicable des informations environnementales contenues dans ses avis, lorsqu’il exerce sa fonction consultative (Conseil d’État, 10ème / 9ème SSR, 30 mars 2016, n°383546).   Les faits qui lui étaient soumis étaient les suivants. Une association a demandé au Premier ministre de lui communiquer l’avis rendu par le Conseil d’Etat sur le projet de décret n° 2012-616 du 2 mai 2012 relatif à l’évaluation de certains plans ayant une incidence sur l’environnement. A la suite du refus du Premier Ministre de communiquer cet avis, l’association a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) d’une demande de communication de ce document. La CADA a implicitement rejeté cette demande. Le tribunal administratif de Paris a alors été saisi d’une demande d’annulation de la décision implicite de la CADA. Par un jugement n° 1217221/6-3 du 6 juin 2014, le tribunal administratif de Paris a ordonné, avant-dire-droit, tous droits et moyens des parties réservés, la production par le Premier ministre, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement, selon les conditions et motifs qu’il a précisés, de l’avis émis par le Conseil d’Etat préalablement à l’édiction de ce décret et de toutes les pièces qui l’ont éventuellement assorti. Saisi d’un pourvoi en cassation contre cette décision, le Conseil d’Etat a apporté des précisions très intéressantes concernant le caractère communicable des informations environnementales contenues dans ses avis. Le Conseil d’Etat a considéré « qu’il résulte des dispositions combinées des articles L. 124-1 et L. 124-4 du code de l’environnement, ainsi que des dispositions de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978 aujourd’hui codifiées, en premier lieu, que si les avis du Conseil d’Etat ne sont pas communicables, les informations relatives à l’environnement qu’ils pourraient le cas échéant contenir sont quant à elles communicables et, en second lieu, qu’il appartient au Premier ministre d’apprécier au cas par cas si la préservation du secret des délibérations du Gouvernement est de nature à faire obstacle à leur communication ; qu’en effet, les avis du Conseil d’Etat mentionnés par les dispositions précitées, au vu desquels le Gouvernement adopte ses textes, sont couverts par le secret de ses délibérations ». Il censure donc le tribunal administratif de Paris qui a jugé que le secret des délibérations du Gouvernement ne pouvait faire obstacle à la communication des informations relatives à l’environnement qui seraient contenues dans des avis du Conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat apporte donc deux précisions majeures : Bien que les avis du Conseil d’Etat ne soient en principe pas communicables, les informations environnementales qu’ils peuvent le cas échéant contenir sont communicables (i) ; Cependant, les informations environnementales contenues dans les avis du Conseil d’Etat sont couvertes par le secret des délibérations du Gouvernement puisque le Gouvernement adopte ses textes au vu de ces avis. En conséquence, le Premier Ministre doit apprécier au cas par cas si la préservation du secret des délibérations du Gouvernement est de nature à faire obstacle à leur communication. (ii)  Cette position du Conseil d’Etat n’était pas évidente. i) En principe, les avis qu’il rend ne sont pas communicables (cf. article 6 de la loi du 17 juillet 1978 alors en vigueur l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978, aujourd’hui codifié aux articles L. 311-5 à L. 311-8 du code des relations entre le public et l’administration). Cependant, aux termes de l’article 7 de la Charte de l’environnement : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques […] ». Le droit à l’information environnementale, tel qu’il est garanti par la Charte de l’environnement, porte ainsi sur des « informations » et non sur des « documents ». Il s’agit d’un droit d’accès à l’information plus large que le simple droit d’accès aux documents administratifs (voir, en ce sens, CADA, avis, 24 novembre 2005, n°2005461) même s’il s’exerce dans les conditions définies par les dispositions du titre Ier de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 (article L. 124-41 du code de l’environnement alors en vigueur). C’est pourquoi même si les avis du Conseil d’Etat ne sont, en principe, pas communicables, les informations environnementales qu’ils peuvent comporter peuvent, quant à elles, être communiquées. ii) Cependant, la communication des informations environnementales contenues dans les avis du Conseil d’Etat se heurte à un secret protégé par la loi : le secret des délibérations (article 6 de la loi du 17 juillet 1978, aujourd’hui codifié aux articles L. 311-5 à L. 311-8 du code des relations entre le public et l’administration). Rappelons à cet égard que sont couverts par le secret des délibérations « les documents destinés à nourrir les réflexions des autorités gouvernementales avant que celles-ci n’arrêtent leur décision » (extrait de la fiche CADA sur « Le secret des délibérations du Gouvernement et des autorités de l’exécutif »). A titre d’exemple, sont couverts par le secret des délibérations les dossiers sur la base desquels le Conseil des ministres a délibéré (CADA, avis, 26 mai 2005, n°20051549) ou encore le rapport de présentation d’un décret (CADA, conseil, 2 février 2006, n° 20060649). Il est donc assez cohérent que des avis rendus par le Conseil d’Etat « sur les projets de décrets et sur tout autre projet de texte pour lesquels son intervention est prévue par les dispositions constitutionnelles, législatives ou réglementaires ou qui lui sont soumis par le Gouvernement » (article L. 112-1 du code de justice administrative) soient couverts par le secret des délibérations. Néanmoins, ce secret des délibérations n’est pas absolu ainsi que le Conseil d’Etat le rappelle en précisant qu’il appartient au Premier ministre d’apprécier au cas par cas si la préservation du secret des délibérations du Gouvernement est de nature à faire obstacle à la communication des informations environnementales contenues dans les avis du Conseil d’Etat. En effet, en vertu de l’article L. 124-4 du code de l’environnement alors en vigueur, après avoir apprécié l’intérêt d’une communication, l’administration peut décider, si elle le juge opportun,…

LGV : le Conseil d’Etat a tiré le signal d’alarme (CE, 15 avril 2016, n°387475 et a.)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) La ligne à grande vitesse (LGV) « Poitiers-Limoges » s’est arrêtée net avant de prendre trop de vitesse. Par un décret n° 2015-18 du 10 janvier 2015 (consultable ici), les travaux nécessaires à la réalisation de la LGV « Poitiers-Limoges » entre Iteuil (Vienne) et Le Palais-sur-Vienne (Haute-Vienne) avaient été déclarés urgents et d’utilité publique. La déclaration d’utilité publique est l’acte permettant, à terme, de procéder aux expropriations nécessaires à la réalisation du projet. Il s’agit donc d’un acte fondamental lors de l’élaboration d’un projet. Ce même décret emportait mise en compatibilité des documents d’urbanisme des communes d’Aslonnes, Civaux, Dienné, Fleuré, Gizay, Iteuil, Lhommaizé, Lussac-les-Châteaux, Mazerolles, Roches-Prémarie-Andillé, Vernon, La Villedieu-du-Clain et Vivonne dans le département de la Vienne et des communes de Bellac, Chamborêt, Chaptelat, Limoges, Nieul, Le Palais-sur-Vienne, Peyrilhac et Saint-Jouvent dans le département de la Haute-Vienne. De nombreux requérants ont demandé l’annulation de ce décret au Conseil d’Etat. Dans une décision du 15 avril 2016 (CE, 6e et 1ère SSR, 15 avril 2016, n°387475, 388441, 388591, 388628, 388629, 388656, 390519, 391332), le Conseil d’Etat a annulé ce décret. Après s’être prononcé sur plusieurs fins de non-recevoir et sur la régularité des interventions, le Conseil d’Etat a retenu deux motifs d’illégalité : un motif de légalité externe (I) et un motif de légalité interne (II). Sur la légalité externe Les grands projets d’infrastructures de transport doivent contenir une évaluation économique et sociale destinée, notamment, à informer le public. Ainsi, aux termes de l’article L. 1511-1 du code des transports : « Les choix relatifs aux infrastructures, aux équipements et aux matériels de transport dont la réalisation repose, en totalité ou en partie, sur un financement public sont fondés sur l’efficacité économique et sociale de l’opération. […] ». L’article L. 1511-2 du même code prévoit que « Les grands projets d’infrastructures et les grands choix technologiques sont évalués sur la base de critères homogènes intégrant les impacts des effets externes des transports sur, notamment, l’environnement, la sécurité et la santé et permettant des comparaisons à l’intérieur d’un même mode de transport ainsi qu’entre les modes ou les combinaisons de modes de transport. ». Cette évaluation économique et sociale est jointe au dossier soumis à enquête publique, en vertu de l’article L. 1511-4 du même code. L’article 4 du décret du 17 juillet 1984 relatif à l’application de l’article 14 de la loi du 30 décembre 1982 relative aux grands projets d’infrastructures, aux grands choix technologiques et aux schémas directeurs d’infrastructures en matière de transports intérieurs, alors en vigueur, définissait son contenu : « L’évaluation des grands projets d’infrastructures comporte : (…) / 2° Une analyse des conditions de financement et, chaque fois que cela est possible, une estimation du taux de rentabilité financière ; (…) / L’évaluation des grands projets d’infrastructures comporte également une analyse des différentes données de nature à permettre de dégager un bilan prévisionnel, tant des avantages et inconvénients entraînés, directement ou non, par la mise en service de ces infrastructures dans les zones intéressées que des avantages et inconvénients résultant de leur utilisation par les usagers. Ce bilan comporte l’estimation d’un taux de rentabilité pour la collectivité calculée selon les usages des travaux de planification. Il tient compte des prévisions à court et à long terme qui sont faites, au niveau national ou international, dans les domaines qui touchent aux transports, ainsi que des éléments qui ne sont pas inclus dans le coût du transport, tels que la sécurité des personnes, l’utilisation rationnelle de l’énergie, le développement économique et l’aménagement des espaces urbain et rural. Il est établi sur la base de grandeurs physiques et monétaires ; ces grandeurs peuvent ou non faire l’objet de comptes séparés (…) »   En l’espèce, le Conseil d’Etat a estimé que le « dossier d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique du projet de ligne à grande vitesse Poitiers-Limoges se borne, dans son analyse des conditions de financement du projet, à présenter les différentes modalités de financement habituellement mises en œuvre pour ce type d’infrastructures et les différents types d’acteurs susceptibles d’y participer ; qu’il ne contient ainsi aucune information précise relative au mode de financement et à la répartition envisagés pour ce projet ». Il estime, par conséquent, que cette évaluation économique et sociale est insuffisante. Toutefois, il existe un principe selon lequel « si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie ; que l’application de ce principe n’est pas exclue en cas d’omission d’une procédure obligatoire, à condition qu’une telle omission n’ait pas pour effet d’affecter la compétence de l’auteur de l’acte » (Conseil d’Etat, Assemblée, 23 décembre 2011, Danthony et autres, n° 335033, publié au recueil Lebon). Ainsi, une décision affectée d’un vice de procédure n’est illégale que s’il ressort des pièces du dossier que ce vice a été susceptible d’exercer, dans les circonstances de l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie. A défaut d’avoir examiné concrètement les effets du vice de procédure, le juge commet une erreur de droit (Conseil d’Etat, 30 janvier 2013, n°347347). Il doit donc expressément rechercher si le vice de procédure allégué a effectivement été, en l’espèce, de nature à nuire à l’information complète de la population ou avait une influence sur la décision prise (Conseil d’Etat, 10 juin 2015, n°371566). En matière d’études socioéconomiques établies pour des infrastructures de transport, il a déjà été jugé que certaines insuffisances pouvaient être régularisées (CAA Bordeaux, 21 juillet 2015, n°14BX03468 et n°14BX03454, deux arrêts). En l’espèce, telle n’est toutefois pas l’analyse du Conseil d’Etat. Au contraire, il considère « qu’eu égard notamment au coût de construction, évalué à 1,6 milliards d’euros en valeur actualisée 2011, l’insuffisance dont se trouve ainsi entachée…

L’absence de recours direct contre les dispenses d’évaluation environnementale (CE, 6 avril 2016, n°395916)

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) Le Conseil d’Etat vient de dire pour droit que si la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale est un acte faisant grief susceptible d’être déféré au juge après exercice d’un recours administratif préalable, tel n’est pas le cas de l’acte par lequel l’autorité environnementale décide de dispenser d’évaluation environnementale un plan, schéma, programme ou autre document de planification mentionné à l’article L. 122-4 du code de l’environnement (Conseil d’État, 6ème / 1ère SSR, 06 avril 2016, n°395916, Mentionné dans les tables du recueil Lebon) Un tel acte a le caractère d’une mesure préparatoire à l’élaboration de ce plan, schéma, programme ou document, insusceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir. La décision de dispense d’évaluation environnementale pourra, en revanche, être contestée à l’occasion de l’exercice d’un recours contre la décision approuvant le plan, schéma, programme ou document.  Rappel du contexte L’article L. 113-1 du code de justice administrative autorise les juridictions du fond à sursoir à statuer en attendant l’avis du Conseil d’Etat sur « une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges ». Le tribunal administratif de Melun a, par un jugement n° 1307386 du 17 décembre 2015, utilisé cette procédure car il rencontrait une difficulté sérieuse en matière de dispense d’évaluation environnementale à la suite d’un examen au cas par cas. Les faits de l’espèce étaient les suivants : par une décision du 22 mai 2013, le préfet de Seine-et-Marne a dispensé d’évaluation environnementale l’élaboration du plan de prévention des risques technologiques autour de plusieurs établissements. Un individu a demandé, par la voie du recours en excès de pouvoir, l’annulation de cette décision. Avant de se prononcer sur le fond du litige, le tribunal administratif devait, au préalable, déterminer si ce recours était recevable au regard de la nature de l’acte contesté. Il s’est toutefois retrouvé confronté à une difficulté juridique. Rappelons qu’aux termes du I de l’article L. 122-4 du code de l’environnement, font l’objet d’une évaluation environnementale « les plans, schémas, programmes et autres documents de planification susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation de travaux ou prescrire des projets d’aménagement, sont applicables à la réalisation de tels travaux ou projet ». Le IV du même article prévoit qu’un décret en Conseil d’Etat définit les plans, schémas, programmes et documents qui font l’objet d’une évaluation environnementale « après un examen au cas par cas effectué par l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement ». Ca décret a bien été édicté. Désormais, le 2° du tableau du II de l’article R. 122-17 du même code prévoit qu’est susceptible de  « faire l’objet d’une évaluation environnementale après un examen au cas par cas » un « Plan de prévention des risques technologiques prévu par l’article L. 515-15 du code de l’environnement ». Il est donc indéniable qu’un plan de prévention des risques technologiques est susceptible de faire l’objet d’une évaluation environnementale s’il en est décidé ainsi après un examen au cas par cas. En ce qui concerne les voies de recours contre les décisions imposant la réalisation d’une évaluation environnementale, il convient de constater que cette décision est susceptible de recours contentieux lorsque celui-ci est précédé d’un recours administratif préalable devant l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement qui a pris la décision (article R. 122-18, IV du code de l’environnement), c’est-à-dire, en principe, devant le Préfet de département (article R. 122-17 II, 2° du code de l’environnement). Le code de l’environnement reste, en revanche, muet concernant les éventuels recours contre les décisions de dispense d’évaluation environnementale. C’est la raison pour laquelle le tribunal administratif de Melun a transmis Conseil d’Etat la question suivante : « La décision par laquelle l’autorité administrative compétente en matière d’environnement décide, à l’issue de la procédure d’examen au cas par cas prévue par les dispositions de l’article R. 122-18 du code de l’environnement, de dispenser la personne publique responsable de l’élaboration du plan, schéma ou programme de réaliser une évaluation environnementale présente-t-elle un caractère décisoire permettant aux tiers de former à son encontre un recours contentieux direct. » Cette question implique, en réalité, de répondre à deux sous-questions : Quelle est la nature juridique d’une dispense d’évaluation environnementale ? La dispense environnementale peut-elle être contestée directement par les tiers par la voie du recours en excès de pouvoir ? Au regard de ces différents textes et du silence du code de l’environnement concernant les dispenses d’évaluation environnementale après un examen au cas par cas, le Conseil d’Etat a considéré que : «  Si la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale est, en vertu du IV de l’article R. 122-18 du code de l’environnement précité, un acte faisant grief susceptible d’être déféré au juge de l’excès de pouvoir après exercice d’un recours administratif préalable, tel n’est pas le cas de l’acte par lequel l’autorité de l’Etat compétente en matière d’environnement décide de dispenser d’évaluation environnementale un plan, schéma, programme ou autre document de planification mentionné à l’article L. 122-4 du code de l’environnement. Un tel acte a le caractère d’une mesure préparatoire à l’élaboration de ce plan, schéma, programme ou document, insusceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir, eu égard tant à son objet qu’aux règles particulières prévues au IV de l’article R. 122-18 du code de l’environnement pour contester la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale. La décision de dispense d’évaluation environnementale pourra, en revanche, être contestée à l’occasion de l’exercice d’un recours contre la décision approuvant le plan, schéma, programme ou document. » Le Conseil d’Etat raisonne donc en plusieurs temps. En premier lieu, il rappelle que la décision imposant la réalisation d’une évaluation environnementale peut faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir si elle est précédée d’un recours administratif préalable. En deuxième lieu, le Conseil d’Etat constate qu’il n’en est rien concernant les dispenses d’évaluation environnementale, celles-ci n’étant pas visées à l’article R. 122-18 du code de l’environnement. En troisième lieu, il se prononce sur la nature juridique de la dispense d’évaluation environnementale. La dispense d’évaluation environnementale constitue, pour le…