Conclusions indemnitaires pour recours abusif : deux ans de pratique …

Par Me Marie-Coline Giorno (Green Law Avocat) L’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 a contribué à réformer le contentieux de l’urbanisme. Elle a notamment créé un article L. 600-7 dans le code de l’urbanisme aux termes duquel : « Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel. Lorsqu’une association régulièrement déclarée et ayant pour objet principal la protection de l’environnement au sens de l’article L. 141-1 du code de l’environnement est l’auteur du recours, elle est présumée agir dans les limites de la défense de ses intérêts légitimes. » En vertu de cet article, il est donc possible pour le bénéficiaire d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, faisant l’objet d’un recours pour excès de pouvoir de présenter des conclusions indemnitaires par un mémoire distinct en cas de recours abusif. L’article précise que cette demande peut être présentée pour la première fois en appel. Deux ans après la création de cet article, il est intéressant d’examiner comment ces dispositions ont été accueillies par les juridictions en examinant la jurisprudence rendue sur son fondement. Une question prioritaire de constitutionnalité sur la conformité à la Constitution de cet article a été déposée mais elle a été rapidement écartée (CAA Marseille, 20 mars 2014, n°13MA02236). Cet article a donc institué une nouvelle règle de procédure concernant les pouvoirs du juge administratif en matière de contentieux de l’urbanisme. Aux termes d’un avis rendu le 18 juin 2014, le Conseil d’Etat a, en l’absence de disposition expresse contraire, considéré que cet article était d’application immédiate aux instances en cours, quelle que soit la date à laquelle est intervenue la décision administrative contestée. Conformément à la lettre de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme, il a ajouté que ces dispositions pouvaient être invoquées pour la première fois en appel (Conseil d’État, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 18 juin 2014, n°376113, Publié au recueil Lebon ; en ce sens également voir CAA Nantes, 14 novembre 2014, n°13NT00180 ; CAA Versailles, 5 mars 2015, n°13VE03236 ; CAA Versailles, 11 mai 2015, n°13VE02888). Notons que les dispositions de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme ont des conditions d’application très strictes. En premier lieu, cet article ne concerne que les recours pour excès de pouvoir visant des permis de construire, de démolir ou d’aménager. Ainsi, les recours fondées sur une mauvaise exécution ou une inexécution d’un permis de construire ne sont pas au nombre de ceux visés par ces dispositions qui doivent s’entendre restrictivement compte tenu de leur portée (CAA Marseille, 25 juillet 2014, n°12MA03175). De même, les conclusions pour « résistance abusive » sont irrecevables (CAA Marseille, 2 juillet 2015, n°14MA01665). En deuxième lieu, le juge administratif vérifie que les conclusions indemnitaires sont bien présentées dans un mémoire distinct, à peine d’irrecevabilité (CAA Marseille, 20 mars 2014, n°12MA00380 ou encore CAA Marseille, 6 juin 2014, n°12MA03608). En troisième lieu, le juge administratif s’assure que le droit au recours soit exercé dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant. Cette condition est celle qui est la plus strictement appréciée par le juge (CAA Marseille, 24 mars 2014, n°12MA01160 ; CAA Nancy, 6 novembre 2014 n°14NC00611 ; CAA Nantes, 14 novembre 2014, n°13NT00180 ; CAA Nantes, 30 décembre 2014, n°13NT01278 ; CAA Marseille, 9 février 2015, n°13MA00160 ; CAA Versailles, 5 mars 2015, n°13VE03236 ; CAA Bordeaux, 5 mars 2015, n°13BX01443 ; CAA Nantes, 17 avril 2015, n°14NT00537, CAA Nancy, 30 avril 2015, n°14NC01651 ; CAA Versailles, 11 mai 2015, n°13VE02888 ; CAA Marseille, 21 mai 2015, n°13MA02240 ; CAA Marseille, 27 juillet 2015, n°13MA00683). Ainsi, « la seule circonstance que l’association, regroupant près d’une cinquantaine de personnes physiques, ait déposé ses statuts en préfecture postérieurement à l’affichage en mairie de la demande du permis de construire ne peut suffire à faire regarder son action comme excédant la défense de ses intérêts légitimes » (CAA Marseille, 20 mars 2014, n°13MA03143) De même, l’exercice du droit d’appel ne peut justifier l’allocation de dommages-intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme (CAA Bordeaux, 16 décembre 2014, n°13BX02549). En quatrième lieu, les juridictions exigent qu’il soit démontré que la personne qui dépose une requête indemnitaire justifie « du caractère excessif de ce préjudice au regard de celui qu’aurait pu causer un recours exercé dans des conditions n’excédant pas la défense des intérêts légitimes d’un quelconque requérant » (CAA Marseille, 20 mars 2014, n°13MA02161 ; Voir également sur la nécessité de démontrer un préjudice excessif : CAA Marseille 24 mars 2014, n°12MA01160 ; CAA Nancy, 6 novembre 2014, n°14NC00611 ; CAA Bordeaux 5 mars 2015, n°13BX01443 ; CAA Nancy, 30 avril 2015, n°14NC01651 ou encore CAA Marseille, 23 juillet 2015, n°13MA00683). Il est intéressant de remarquer qu’hormis dans son avis sur l’application dans le temps de cet article, le Conseil d’Etat ne s’était pas encore prononcé sur ses conditions d’application. C’est désormais chose faite dans une décision du 3 juillet 2015 où le Conseil d’Etat a estimé qu’il « résulte des termes mêmes de cet article que des conclusions formées par une partie tendant à ce que le juge de l’excès de pouvoir condamne une autre partie à lui verser des dommages et intérêts, lorsque les conditions exigées par ces dispositions législatives sont réunies, peuvent être présentées au juge administratif saisi du recours contre un permis de construire, y compris pour la première fois en appel, mais non devant le juge de cassation » (Conseil d’État, 5ème et 4ème sous-sections réunies, 3 juillet 2015, n°371433, Mentionné dans les tables du recueil Lebon). Cette lecture de…

Urbanisme: la notification d’un pourvoi en cassation à l’adresse de l’avocat à la Cour est vue comme respectant l’article R600-1 CU (CE, 15 oct.2014)

Aux termes d’une décision du 15 octobre 2014, le Conseil d’Etat est venu apporter une précision sur la régularité d’une notification de recours réalisée en vertu de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme (Conseil d’État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 15 octobre 2014, n°366065, mentionné dans les tables du Recueil Lebon) Les faits sont les suivants. Le préfet de la région Auvergne a délivré à une société un permis de construire en vue de la réalisation d’un parc éolien. Par un jugement du 27 mars 2012, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé ce permis à la demande plusieurs requérants. Le pétitionnaire a alors fait appel de ce jugement et a obtenu gain de cause en appel. Un pourvoi en cassation a alors été formé à l’encontre de l’arrêt de la Cour administrative d’appel. Devant le Conseil d’Etat, le pétitionnaire du permis de construire opposait une fin de non-recevoir tirée de ce que les requérants ne lui auraient pas régulièrement notifié leur pourvoi. On comprend à la lecture de l’arrêt que les requérants avaient notifié leur pourvoi à l’adresse de leur avocat à la Cour, les ayant représenté en instance d’appel. Il invoquait, à cet effet, les dispositions de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme. Aux termes de cet article, ” En cas (…) de recours contentieux à l’encontre (…) d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir, (…) l’auteur du recours est tenu, à peine d’irrecevabilité, de notifier son recours à l’auteur de la décision et au titulaire de l’autorisation. Cette notification doit également être effectuée dans les mêmes conditions en cas de demande tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision juridictionnelle concernant (…) un permis de construire, d’aménager ou de démolir. (…) / La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt (…) du recours. / La notification du recours à l’auteur de la décision et, s’il y a lieu, au titulaire de l’autorisation est réputée accomplie à la date d’envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception. Cette date est établie par le certificat de dépôt de la lettre recommandée auprès des services postaux “. Le Conseil d’Etat a alors rappelé que cette obligation de notification s’appliquait au recours initial mais également à tout recours ultérieur contre une décision juridictionnelle : « ces dispositions font obligation à l’auteur d’un recours contentieux de notifier une copie du texte intégral de son recours à l’auteur et au bénéficiaire du permis attaqué, de même que, ultérieurement, de son recours contre une décision juridictionnelle rejetant tout ou partie des conclusions tendant à l’annulation de cette décision ». Il a ensuite considéré que, qu’il ressortait des pièces de la procédure que les requérants avaient, dans le délai imparti, expédié à la société pétitionnaire, par lettre recommandée avec accusé de réception, une copie de leur pourvoi contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon à une adresse qui correspondait «  en réalité non à celle de son siège social mais à celle de son avocat devant la cour ». Bien que la société n’ait pas reçu cette notification en raison du caractère erroné de l’adresse, le Conseil d’Etat a jugé la notification régulière dès lors qu’elle avait été faite à l’adresse figurant dans les visas de l’arrêt attaqué. Cette décision est à rapprocher d’une décision rendue par le Conseil d’Etat le 24 septembre 2014 (Conseil d’État, 10ème / 9ème SSR, 24/09/2014, 351689, mentionné dans les tables du Recueil Lebon). Aux termes de cette seconde décision, le Conseil d’Etat a rappelé que « le but [de l’article R.600-1 du code de l’urbanisme] est d’alerter tant l’auteur d’une décision d’urbanisme que son bénéficiaire de l’existence d’un recours contentieux formé contre cette décision, dès son introduction ». En l’espèce, il a annulé le jugement d’une cour administrative d’appel qui avait considéré que le requérant n’avait pas rempli son obligation de notifier la requête d’appel au détendeur en expédiant celle-ci non pas à l’adresse du pétitionnaire mais à l’adresse de l’architecte à qui le pétitionnaire avait donné mandat jusqu’à la notification de la décision définitive de l’administration. Le Conseil d’Etat a considéré dans cette seconde décision que la Cour avait commis une erreur de droit en considérant que la notification n’avait pas été régulière alors qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que l’adresse qui avait été écrite sur la notification était mentionnée sur le permis litigieux comme étant celle à laquelle la bénéficiaire du permis de construire était domiciliée. En conséquence, il résulte de ces deux décisions que si la notification a été faite par erreur à une mauvaise adresse, la notification est regardée comme régulière sur le fondement de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme si l’erreur était légitime et figurait sur les documents officiels (tels que le permis litigieux ou l’arrêt qui est attaqué). L’erreur est considérée comme légitime si elle résulte elle-même d’une erreur commise par la personne dont l’acte est attaqué (administration ou juridiction qui a inscrit une adresse erronée dans la décision attaquée). Si cette position du Conseil d’Etat se comprend au regard de la nature de l’erreur commise par l’auteur de la notification, elle nous semble néanmoins ne pas tout à fait correspondre à l’esprit de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme qui vise, rappelons-le, à « alerter tant l’auteur d’une décision d’urbanisme que son bénéficiaire de l’existence d’un recours contentieux formé contre cette décision, dès son introduction ».