Préjudice écologique : l’exigence d’une faute durable pour sa réparation

Préjudice écologique : l’exigence d’une faute durable pour sa réparation

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Par Maître David DEHARBE, Avocat Gérant et Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats) 

Dans sa décision n° 10-82.938 du 25 septembre 2012, la chambre criminelle de la Cour de cassation a reconnu le préjudice écologique pur. Quant au juge administratif, il a longtemps refusé de réparer le dommage écologique, avant que cette position évolue, à l’instar du contexte juridique, marqué par la constitutionnalisation de la protection de l’environnement en 2005 et par la prise de position du juge judiciaire suprême. Différents arguments en faveur d’une indemnisation ont ainsi été mis en exergue, sans pour autant toujours aboutir à une condamnation de l’État.

Le 6 juin 2017, le syndicat départemental des collectivités irrigantes de Lot-et-Garonne a déposé une demande d’autorisation environnementale incluant une demande d’autorisation « loi sur l’eau » au titre des dispositions de l’article L. 214-1 du Code de l’environnement, une demande de dérogation à l’interdiction d’atteinte aux espèces et habitats protégés au titre de l’article L. 411-2 de ce même Code et une demande d’autorisation de défrichement au sens des dispositions des articles L. 214-12 et L. 341-3 du Code forestier.

Le 29 juin 2018, la Préfète de Lot-et-Garonne a pris un arrêté autorisant le syndicat à créer et à exploiter une retenue d’eau collective à usage d’irrigation et de soutien d’étiage sur le lac de Caussade, à Pinel-Hauterive.

Le 15 octobre 2018, la Préfète a pris un autre arrêté retirant cette autorisation.

Le syndicat a donc déposé un recours pour excès de pouvoir contre cet arrêté de retrait devant le Tribunal administratif de Bordeaux.

Le 28 mars 2019, le Tribunal a rejeté ce recours. Le syndicat a interjeté appel.

Le 23 février 2021, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé le jugement du Tribunal administratif pour irrégularité et a rejeté la demande de première instance du syndicat contre l’arrêté du 15 octobre 2018. Mais le syndicat a poursuivi les travaux, malgré l’absence d’autorisation préfectorale.

De plus, il a exploité la retenue illégalement mise en eau. L’Association France Nature Environnement et deux autres associations de protection de la nature et de l’environnement ont donc demandé l’indemnisation des préjudices qu’elles estimaient avoir subi à raison de fautes imputées à l’État.

N’ayant pas obtenu satisfaction, le 3 février 2023, elles ont demandé au Tribunal administratif de Bordeaux de condamner l’État à les indemniser de ces préjudices – à hauteur de 230 000 euros – et de réparer en nature le préjudice écologique résultant de sa carence fautive dans l’exercice de son pouvoir de police de l’eau.

La responsabilité de l’État pouvait-elle être engagée en raison du caractère irrégulier de la construction d’une retenue d’eau réalisée par le syndicat départemental des collectivités irrigantes de Lot-et-Garonne ?

Le Tribunal administratif de Bordeaux a répondu à cette question par l’affirmative, sans pour autant condamner l’État distinguant l’illégalité de l’autorisation de l’édiction de sanctions administratives et enfin leur mise en œuvre matérielle par l’administration (décision commentée : TA Bordeaux, 6 février 2025, n° 2300568).

L’article L. 171-7 du Code de l’environnement dispose notamment que :

« Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l’objet de l’autorisation, de l’enregistrement, de l’agrément, de l’homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application du présent code, ou sans avoir tenu compte d’une opposition à déclaration, l’autorité administrative compétente met l’intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu’elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d’un an. Elle peut, en outre, ordonner le paiement d’une amende au plus égale à 45 000 € par le même acte que celui de mise en demeure ou par un acte distinct.  »

D’une part, le Tribunal a rejeté la faute simple dans l’édiction des mesures des sanctions administratives :

« Pour soutenir que serait caractérisée une carence du préfet à exercer les pouvoirs qu’il tient des dispositions mentionnées ci-dessus, les associations requérantes produisent des articles de presse relatant la poursuite des travaux après le retrait de l’autorisation sur le site de la retenue d’eau. Il résulte cependant de l’instruction que la première mise en demeure de régulariser leur situation administrative a été adressée aux représentants de la chambre d’agriculture de Lot-et-Garonne par le préfet le 14 décembre 2018, à la suite d’une ordonnance du juge des référés du tribunal n° 1804728 du 30 novembre 2018, soit moins d’un mois après la parution du premier article de presse relatif à la reprise de la construction. Dans ces conditions, ce délai n’est pas constitutif d’une carence fautive de l’État dans la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 171-7 du code de l’environnement » (décision commentée : TA Bordeaux, 6 février 2025, n° 2300568, point 7).

D’autre part, le Tribunal a écarté toute faute lourde dans la mise en œuvre matérielle des mesures de police édictées pour préserver les risques encourus par l’exploitation de l’ouvrage :

« Ainsi, compte tenu des mesures prises par le préfet pour assurer l’exécution matérielle des mesures de police précédemment édictées et des moyens dont il disposait, l’absence de remise en état du site n’a pas eu, en l’espèce, le caractère d’une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l’État à l’égard des associations requérantes. » (décision commentée : TA Bordeaux, 6 février 2025, n° 2300568, point 11).

Enfin, le Tribunal a retenu une faute imputable à l’État, à cause de l’illégalité de l’autorisation d’exploiter cette retenue d’eau délivrée le 29 juin 2018 par la Préfète de Lot-et-Garonne :

« Il résulte de ce qui précède que parmi les fautes de l’État invoquées dans le cadre de la présente instance, seule est établie celle résultant de l’illégalité fautive de l’autorisation délivrée le 29 juin 2018 » (TA Bordeaux, 6 février 2025, n° 2300568, point 13).

De principe, il est vrai que toute illégalité de l’administration engage sa responsabilité.

Cela étant, le Tribunal a rejeté la demande des associations requérantes de réparer le préjudice :

« (…) si les associations requérantes se prévalent d’un préjudice écologique, cette autorisation a été retirée, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, le 15 octobre 2018. À la date de ce retrait, seuls les travaux de défrichement avaient débuté le 4 septembre 2018. À cet égard, les forces de gendarmerie ont constaté le 24 octobre 2018 qu’aucuns travaux de terrassement ou de comblement de la mare n’avaient été entrepris. En outre, le déplacement des espèces protégées a été opéré le 19 octobre 2018, soit postérieurement au retrait de l’autorisation. Dans ces conditions, le préjudice écologique subi par les associations requérantes du fait de la poursuite des travaux de construction de la retenue d’eau ne saurait être regardé comme la conséquence de l’illégalité de l’autorisation délivrée le 29 juin 2018 » (TA Bordeaux, 6 février 2025, n° 2300568, point 14).

Dans la mesure où l’autorisation environnementale illégalement délivrée a été rapidement retirée, et dès lors que le préjudice écologique allégué n’a pas trouvé sa cause dans le laps de temps durant lequel cette autorisation a produit ses effets, la demande des associations n’était pas justifiée.

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