Préjudice écologique : l’exigence d’une faute durable pour sa réparation

Préjudice écologique : l’exigence d’une faute durable pour sa réparation

Par Maître David DEHARBE, Avocat Gérant et Frank ZERDOUMI, juriste (Green Law Avocats) 

Le 29 juin 2018, la Préfète de Lot-et-Garonne a pris un arrêté autorisant le syndicat à créer et à exploiter une retenue d’eau collective à usage d’irrigation et de soutien d’étiage sur le lac de Caussade, à Pinel-Hauterive.

Le 15 octobre 2018, la Préfète a pris un autre arrêté retirant cette autorisation.

Mais le syndicat a poursuivi les travaux, malgré l’absence d’autorisation préfectorale.

De plus, il a exploité la retenue illégalement mise en eau. L’Association France Nature Environnement et deux autres associations de protection de la nature et de l’environnement ont donc demandé l’indemnisation des préjudices qu’elles estimaient avoir subi à raison de fautes imputées à l’État.

La responsabilité de l’État pouvait-elle être engagée en raison du caractère irrégulier de la construction d’une retenue d’eau réalisée par le syndicat départemental des collectivités irrigantes de Lot-et-Garonne ?

Le Tribunal administratif de Bordeaux a répondu à cette question par l’affirmative, sans pour autant condamner l’État distinguant l’illégalité de l’autorisation de l’édiction de sanctions administratives et enfin leur mise en œuvre matérielle par l’administration (décision commentée : TA Bordeaux, 6 février 2025, n° 2300568).

Affaire Metaleurop : Inertie fautive de l’Etat et le retour du saturnisme infantile !

Affaire Metaleurop : Inertie fautive de l’Etat et le retour du saturnisme infantile !

Par Maître David DEHARBE, Avocat gérant (Green Law Avocats)

Dans le cadre de l’affaire Metaleurop, le Cabinet Green Law Avocats a publié un communiqué de presse de l’association P.I.G.E. et de parents d’enfants atteints aujourd’hui de saturnisme sur les communes d’EVIN-MALMAISON et DE COURCELLES-LES-LENS

Inaction climatique : le Conseil d’Etat fixe son calendrier prévisionnel après les condamnations de l’Etat

Par Maître David Deharbe (GREEN LAW AVOCATS) Par un communiqué de presse du 22 février 2021, le Conseil d’Etat est venu dérouler les étapes du calendrier des suites qu’il réserve à ses décisions de juillet et novembre 2020 relatives à la pollution de l’air et à la réduction des gaz à effet de serre. Pour mémoire, dans la première affaire, le Conseil d’Etat, saisi par des associations et collectivités territoriales, avait ordonné, le 12 juillet 2017, au gouvernement d’élaborer des plans conformes à la directive du 21 mai 2008 sur la qualité de l’air afin de réduire les concentrations de dioxyde d’azote (NO2) et de particules fines (PM10) dans 13 zones en France. Le 10 juillet 2020, constatant que cette injonction n’avait pas été respectée dans 8 zones, la Haute juridiction a ordonné à l’Etat d’agir dans un délai de 6 mois, sous peine d’une astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard. Le 25 janvier 2021, le ministère de la transition écologique a adressé un mémoire au Conseil d’Etat précisant les mesures prises en faveur de la qualité de l’air depuis le mois de juillet. Le calendrier prévisionnel des suites à donner à cette décision est le suivant : Début mars 2021 : analyse du mémoire transmis par le ministère de la transition écologique par la section du rapport et des études du Conseil d’Etat et transmission d’un avis à la section du contentieux répondant à la question suivante : « est-ce que le gouvernement a pris ou non les mesures nécessaires dans les 8 zones pour réduire les concentrations de dioxyde d’azote (NO2) et de particules fines (PM10) ? » ; Mi-mars 2021 : ouverture de la phase d’instruction contradictoire ; Eté 2021 : Tenue d’une nouvelle audience publique au Conseil d’Etat en présence des parties ; Après l’été 2021 : Si le Conseil d’Etat juge que le gouvernement n’a pas pris les mesures de lutte contre la pollution de l’air ordonnées et qu’il prend une décision sur le paiement de l’astreinte pour le premier semestre de retard (janvier-juillet 2021), le processus sera renouvelé tous les semestres jusqu’à ce qu’il juge que sa décision a été pleinement exécutée. Dans la seconde affaire, le Conseil d’Etat avait admis, par un arrêt du 19 novembre 2020, le recours de la commune de Grande-Synthe contre l’inaction de l’Etat à respecter sa trajectoire de réduction des gaz à effet de serre (- 40% par rapport à 1990 d’ici 2030). Il a alors laissé au gouvernement un délai de 3 mois pour justifier que cette trajectoire de réduction des gaz à effet de serre pourra être respectée sans qu’il soit besoin de prendre des mesures supplémentaires. Le 22 février dernier, le gouvernement a adressé au Conseil d’Etat un mémoire dans lequel il affirme que les mesures prises sont suffisantes pour atteindre la trajectoire d’ici 2030. Le calendrier prévisionnel des suites à donner à cette décision est le suivant: Avril 2021 : ouverture de la phase d’instruction contradictoire ; Eté 2021 : Tenue d’une nouvelle audience publique au Conseil d’Etat en présence des parties ; Après l’été 2021 : Si le Conseil d’Etat ordonne des mesures supplémentaires, il réalisera un suivi de leur exécution selon le même processus (instruction contradictoire, nouvelle audience publique, possibilité d’une astreinte). Remarquons par ailleurs que pour sa part et c’est une première, la Cour administrative d’appel de Paris vient d’ordonner une expertise dans un contentieux en réparation de la pollution de l’air pour carence fautive de l’Etat (CAA Paris, 11 mars 2021, n°19PA02868 ; BRIMO Sara, « Responsabilité – Changer d’air ? », AJDA, n°19, 31 mai 2019, p.1104). Si les juges du fond ont conclu à la faute de l’Etat en la matière, ils n’ont jamais admis le lien de causalité entre les pathologies des requérants et les carences étatiques (https://www.green-law-avocat.fr/air-toujours-des-declarations-de-carences-sans-condamnation-a-reparer/).

Lubrizol : refus du TA de Rouen d’ordonner la communication de l’étude de dangers !

Par David Deharbe (Green Law Avocats) Mais comment diable les auteurs de l’étude de dangers du site de Lubrizol ont-t-il pu conclure à la fréquence de risque d’un seul incendie tous les 10.000 ans alors que l’usine, située en plein cœur de Rouen, en a connu deux en 6 ans avec les conséquences que l’on connaît ? Cette étude, manifestement « insuffisante » fonde pourtant toujours la politique de maîtrise des risques du site. Or, à ce jour, on ignore toujours qui a réalisé cette étude de dangers ou si ce document a été tiers-expertisé, comme le permet pourtant la réglementation. Aucune information, non plus, sur la manière dont l’Inspection des Installations classées l’a appréhendée … Force est aujourd’hui de constater que cette étude de dangers demeure inaccessible au public et que les grands discours de transparence du gouvernement dès les premières heures de l’incendie d’octobre 2019 n’ont jamais conduit l’Etat à mettre cette étude dans le domaine public ! De surcroît, après deux incendies ayant eu des impacts incontestables en dehors du site, cette installation Seveso seuil haut, qui semble fonctionner en vertu de droits acquis, aurait rendu nécessaire  que l’on vérifie la conformité de sa situation au regard de l’étude d’impact. Un couple de riverains résidant dans les 500 mètres de l’usine Lubrizol a donc fort légitimement sollicité du Tribunal administratif de Rouen, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, qu’il enjoigne au préfet de la Seine-Maritime de leur communiquer : – sous 48 heures à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir, la dernière version de l’étude de danger de l’installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) exploitée par la société Lubrizol sur le territoire de la commune de Rouen, « l’éventuelle tierce-expertise » réalisée à propos de cette étude et les rapports relatifs à cette étude et à « son éventuelle tierce-expertise » ; – sous 15 jours à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir, « les éventuelles versions antérieures » de l’étude de dangers de cette même ICPE, « l’éventuelle étude d’impact relative à l’ICPE », les rapports administratifs relatifs à ces études, l’entier dossier relatif aux installations classées pour la protection de l’environnement exploitées par les sociétés Lubrizol et NL Logistique sur le territoire de la commune de Rouen ; – d’assortir cette injonction d’une astreinte de 1 000 euros par jour de retard en application de l’article L. 911-3 du code de justice administrative, à compter de l’expiration des délais impartis ; Cette demande est intervenue certes près d’un an après la catastrophe de Lubrizol mais surtout après que le Sénat, l’Assemblée nationale et le CGEDD ont plusieurs mois et tour à tour stigmatisé l’insuffisance de l’étude de dangers, à laquelle leurs rapporteurs semblent avoir eu accès. Et l’instruction pénale ouverte dans ce dossier contre l’exploitant mis en examen pour non-respect des prescriptions techniques n’a pas plus vocation à faire le jour sur les carences de fautives que sur le contrôle d’une étude de danger insuffisante.   C’est pourtant en ces termes que le même magistrat, qui a d’ailleurs jusqu’à présent invariablement rejeté toutes les demandes des victimes dans le dossier Lubrizol, fait à nouveau échec à ce référé mesures utiles : « Pour établir l’urgence à communiquer, parmi les nombreux documents demandés relatifs à l’activité de l’usine Lubrizol de Rouen, l’étude de dangers établie dans le cadre de la procédure de délivrance d’une autorisation de type « installation classée » pour l’exploitation du site de Rouen, M. Coconnier et Mme Dubuc se bornent à annoncer un recours indemnitaire contre l’Etat, des suites d’un évènement survenu il y a plus d’un an à la date de la présente ordonnance. Au soutien de leur demande, ils produisent deux certificats médicaux datés du 22 octobre 2019 prescrivant à l’un de leurs deux enfants mineurs ainsi qu’à Mme Dubuc des médicaments courants. Ils produisent également copie d’un dépôt de plainte auprès du Procureur de la République du 26 octobre 2019 pour « mise en danger d’autrui, risque immédiat de mort ou d’infirmité par violation manifestement délibérée d’une obligation réglementaire de sécurité et de prudence », sans autres précisions sur l’état d’avancement de la procédure. Ils opposent le risque pour la sécurité publique que fait peser l’étude de dangers qu’ils estiment comporter de graves lacunes et sur laquelle sont fondés de nombreux instruments juridiques et techniques permettant d’autoriser le fonctionnement de l’usine Lubrizol, comme en attesterait le rapport des ministères de l’industrie et de l’écologie de février 2020 qu’ils produisent ainsi que les déclarations de Mme Lepage devant la commission du sénat le 4 décembre 2029. Toutefois, M. Coconnier et Mme Dubuc se prévalent au soutien de leur action en responsabilité contre l’Etat d’un fondement juridique imprécis et de préjudices non définis, fondés sur des prescriptions médicales anciennes de plus de 11 mois, qui ne font état au demeurant d’aucune pathologie. Par ailleurs, s’ils mettent en cause « la carence fautive de l’Etat », ils ne donnent aucune autre information que des articles de presse ou rapports sans lien direct avec leur supposé préjudice, le rapport des ministères déjà évoqué concluant quant à lui que « les difficultés ou fragilités que la mission a pu constater ne lui paraissent pas spécifique à la région concernée ou aux sites impliqués. Elles nécessitent en revanche une action nationale forte pour améliorer la prévention de ce type d’évènement et en limiter les conséquences, sur l’ensemble de notre territoire ». Si les requérants mettent en cause le redémarrage total des activités de l’usine Lubizol au 1er octobre 2020 pour justifier encore de l’urgence, ils n’établissent ni même n’allèguent avoir contesté les autorisations qui ont précédé cette remise en activité de l’usine. Enfin, ils ne font pas davantage valoir qu’ils auraient, en vain, tenté d’obtenir les documents dont ils incriminent l’insuffisance auprès des services de l’Etat compétents, ni même, par des « captures d’écrans » du site de la préfecture de la Seine-Maritime, qu’ils auraient fait quelque recherche que ce soit pour consulter les documents,…

Air : toujours des déclarations de carences sans condamnation à réparer

Par Maître David DEHARBE (Green Law Avocats) Le recours  engagé par l’ex vice-présidente écologiste du Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais devant le Tribunal administratif de Lille pour exiger la condamnation de l’Etat à réparer les conséquences sanitaires de carence fautives dans la gestion de la pollution de l’air aura finalement lui aussi fait flop. Le Tribunal administratif de Lille dans un jugement lu en ce début d’année (TA Lille, 9 janvier 2020, n° 1709919), s’il admet à la marge une carence fautive de l’Etat, rejette également (cf. TA Paris, 4 juillet 2019, n° 17093334 ; TA Montreuil_25 juin 2019 n°1802202) les prétentions indemnitaires de la victime requérante pour défaut de causalité avec la pathologie qu’elle invoquait. Ce jugement reconnaît que Mme Sandrine Rousseau est seulement fondée à rechercher la responsabilité de l’Etat pour « carence fautive » dans son obligation de réduire le dépassement de valeurs limites de particules fines – PM10 – et de dioxyde d’azote, dans l’agglomération lilloise. Le Tribunal constate l’insuffisante amélioration de la qualité de l’air, alors pourtant qu’il incombait à l’Etat d’instituer un plan de protection de l’atmosphère pour y remédier en vertu des dispositions du code de l’environnement, qui transposent les articles 13 et 23 de la directive européenne du 21 mai 2008. Mais selon le Tribunal il ne résulte pas de l’instruction que la pathologie de la requérante trouverait directement sa cause dans l’insuffisance des mesures prises par l’Etat au cours de la période 2012-2016 pour limiter au maximum les périodes de dépassement de seuils de concentration en gaz polluants, ou que ces pathologies auraient été aggravées par la carence fautive. Le Tribunal dans le cas lillois rejette encore une violation du droit à un environnement sain au sens de la CEDH, les atteintes à ce droit n’étant pas suffisamment importantes (Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme). De la même façon, le Tribunal rejette la violation des obligations de l’Etat quant aux mesures préfectorales mises en œuvre lors de l’épisode de pollution dans l’agglomération lilloise à la fin de l’année 2016 et en début d’année 2017. Cette solution ne saurait surprendre et confirmes les solutions retenues par plusieurs juridictions administratives (les Tribunaux administratifs de Montreuil, Paris , Grenoble , Lyon …) qui ont été saisies par des victimes de la pollution de l’air ambiant d’actions en responsabilité contre l’Etat et ses services déconcentrés : cf. https://www.green-law-avocat.fr/le-juge-administratif-la-pollution-de-lair-et-le-risque-sanitaire/ Une fois de plus, pour accorder une indemnisation aux victimes du scandale sanitaire de la pollution de l’air, le juge administratif attend une démonstration très étayée des conséquences préjudiciables pour les victimes de la pollution atmosphérique. Le juge est-il trop exigeant ? En fait seule une expertise judiciaire permettra sans doute de forcer le juge administratif à ouvrir la boîte de pandore d’une réparation effective.  Mais sans doute ni le juge (qui ne veut pas prendre l’initiative d’une exposition des deniers publics) ni les requérants (qui veulent un résultat rapide et spectaculaire) ne sont prêts à subir le coût d’une telle expertise qui constitue un procès dans le procès… Pourtant pendant ce temps les victimes silencieuses de la pollution de l’air continuent de souffrir des pics de pollution…

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