Pas dérogation « espèces protégées », pas d’autorisation d’environnementale assortie de prescriptions !

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Par Mathieu DEHARBE, juriste (Green Law Avocats)

L’articulation entre la législation « espèces protégées » et celle des installations classées est source de contentieux, notamment lorsque l’administration doit composer avec le régime de l’autorisation environnementale et celui des dérogations « espèces protégées ».

A titre d’illustration, la société Engie Green Couture du Vernois a demandé au préfet de la Côte-d’Or l’autorisation de construire et d’exploiter quatre éoliennes, assortie d’une demande de dérogation « espèces protégées » pour préserver des milans royaux et des milans noirs.

S’étant vue opposer une décision implicite de rejet, la société a tenté de la contester et d’obtenir la communication des motifs.

Finalement, le préfet a accordée l’autorisation par arrêté et opéré le retrait de la décision implicite de rejet.

Pour autant, ce nouvel arrêté a été contesté par la société et d’autres requérants devant la Cour administrative d’appel de Lyon.

Selon la pétitionnaire, les articles 2.3.1.2 et 2.3.1.3 de l’arrêté litigieux prévoient des mesures de bridage manifestement disproportionnées pour les chiroptères et l’avifaune.

A cette occasion, la Cour précise à son tour l’office de l’administration dans l’adoption de prescriptions aux fins d’assurer la préservation « d’espèces protégées » (CAA de Lyon, 25 juillet 2024, req. n°22LY02288, téléchargeable ici).

En effet, le Conseil a récemment indiqué que l’administration doit rechercher s’il y a lieu de pallier l’absence de dérogation « espèces protégées » en prenant un arrêté « biface » imposant au bénéficiaire des prescriptions complémentaires ainsi que de solliciter ladite dérogation (CE, 8 juillet 2024, req. n°471174, point 12 ; pour savoir plus consultez notre commentaire).

Cependant, les juges lyonnais ne s’arrêtent pas à la question des prescriptions mais s’attardent aussi sur le traitement des demandes de dérogation « espèces protégées » par l’administration.

D’une part, la Cour souligne que sauf si l’exploitant renonce à cette dérogation, l’administration doit répondre à sa demande en précisant le cas échant si elle est superfétatoire :

« Il en résulte que, saisie d’une demande de dérogation « espèces protégées », et sauf à ce que l’exploitant y renonce, l’administration ne peut se dispenser d’y répondre compte tenu des dispositions combinées des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement, au besoin en indiquant qu’elle n’apparaît finalement pas nécessaire. » (CAA de Lyon, 25 juillet 2024, req. n°22LY02288, point 14, téléchargeable ici).

D’autre part, les juges d’appel considèrent que si le préfet ne peut délivrer une dérogation « espèces protégées » qui est nécessaire et porte sur l’ensemble du projet, alors l’autorisation environnementale même assortie de prescriptions ne peut être accordée :

« Si elle estime toutefois qu’une telle dérogation s’impose et que les conditions limitativement prévues pour l’accorder ne sont pas réunies, l’administration ne peut, lorsque la demande de dérogation porte sur l’ensemble du projet, délivrer l’autorisation environnementale, même en l’assortissant de prescriptions. » (CAA de Lyon, 25 juillet 2024, req. n° 22LY02288, point 15, téléchargeable ici).

En l’espèce, la Cour constate que le préfet a délivré l’autorisation environnementale assortie de prescriptions alors qu’il n’a pu accorder la dérogation « espèces protégées » pour l’ensemble du projet à laquelle l’exploitante n’a pas renoncé :

« Ainsi, en dépit de l’impossibilité de faire droit, selon lui, à la demande de dérogation « espèces protégées » dont l’avait saisi la société exploitante pour l’ensemble de son projet, et à laquelle cette dernière n’avait pas renoncé, le préfet, après avoir fixé des prescriptions destinées à améliorer ce projet en vue de renforcer les mesures d’évitement, de réduction et de compensation initialement prévues, a en définitive estimé que les conditions pour l’autoriser étaient réunies et a donc délivré l’autorisation sollicitée. » (CAA de Lyon, 25 juillet 2024, req. n°22LY02288, point 15, téléchargeable ici).

En conséquence, la Cour juge que le préfet ne pouvait délivrer l’autorisation environnementale même assortie de prescriptions et s’affranchir des règles strictes concernant la protection des espèces, dès lors que la dérogation exigée ne pouvait être accordée :

« Toutefois, et même en fixant des prescriptions, l’administration ne pouvait, sans méconnaître le champ d’application des dispositions combinées des articles L. 181-3 4° et L. 181-4 2° du code de l’environnement, autoriser un projet qui, comme le rappelait l’arrêté contesté dans ses motifs, ne remplissait pas les conditions limitativement prévues par l’article L 411-2 de ce même code pour l’octroi d’une dérogation « espèces protégées » et, ce faisant, s’affranchir des règles strictes gouvernant la protection de ces espèces. » (CAA de Lyon, 25 juillet 2024, req. n°22LY02288, point 15, téléchargeable ici).

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