Nouvelle censure constitutionnelle de la non-conformité du processus d’élaboration des prescriptions techniques applicables aux ICPE sur la base de l’article 7 de la Charte de l’environnement (décision n° 2012-262 QPC du 13 juillet 2012 « Association France Nature Environnement »)
Saisi le 17 avril 2012 par le Conseil d’Etat de la question prioritaire de constitutionnalité (« QPC »- art. 61-1 de la Constitution) soulevée par France nature environnement (FNE) relative à la conformité avec l’article 7 de la Charte de l’environnement des dispositions de l’article L. 512-5 du code de l’environnement – tel que modifié par l’article 97 de la loi Warsmann de simplification et d’amélioration de la qualité du droit en date du 17 mai 2011-, 2, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de l’article L. 512-5 du code de l’environnement qui prévoient que « les projets de règles et prescriptions techniques font l’objet d’une publication, éventuellement par voie électronique, avant leur transmission au Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques » en raison de l’absence de participation du public à l’élaboration des décisions publiques (décision n° 2012-262 QPC en date du 13 juillet 2012).
Cependant, comme les y autorise l’article 62 de la Constitution, les juges de la rue de Montpensier ont reporté la date d’abrogation de ces dispositions au 1er janvier 2013. Ce faisant, le législateur devrait disposer du temps nécessaire pour adapter les dispositions juridiques afférentes aux installations classées à l’obligation de participation du public posée dans l’article 7 de la charte de l’environnement (dont les dispositions ont valeur constitutionnelle – cf. décision n°2008-564 DC du 19 juin 2008 « Loi relative aux organismes génétiquement modifiés »).
Cette décision s’inscrit dans le sillage de la décision n°2011-183/184 du 14 octobre 2011 « association France Nature Environnement » par laquelle il a invalidé – également à compter du 1er janvier 2013 – les dispositions de l’article L. 511-2 du code de l’environnement ne prévoyant pas la publication du projet de décret de nomenclature pour les installations autorisées ou déclarées ainsi que les dispositions de l’ordonnance du 11 juin 2009 codifiées à l’article 512-7 III suivant lesquelles « les projets de prescriptions générales font l’objet d’une publication, éventuellement par voie électronique, avant transmission pour avis au Conseil supérieur des installations classées. Après avis du Conseil supérieur des installations classées et consultation des ministres intéressés, ces prescriptions générales sont fixées par arrêté du ministre chargé des installations classées » : le Conseil constitutionnel affirme qu’aucune disposition législative n’assure la mise en œuvre du principe de participation du public à l’élaboration des règles générales et prescriptions techniques applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).
Effectivement, les dispositions de l’article L. 120-1 du code de l’environnement qui prévoient que « les décisions ayant une incidence directe et significative sur l’environnement font l’objet soit d’une publication préalable du projet de décision par la voie électronique dans des conditions permettant au public de formuler des observations, soit d’une publication du projet de décision avant la saisine d’un organisme comportant des représentants des catégories de personnes concernées par la décision en cause et dont la consultation est obligatoire » s’appliquent sauf disposition particulière relative à la participation du public (décision n° 2012-262 QPC).
Ces dispositions ne pouvaient être qu’écartées par le Conseil constitutionnel dès lors que le législateur, avec les dispositions de l’article 97 de la loi du 17 mai 2011 (codifiées à l’article L. 512-5, al.1er, dernière phrase), a introduit dans le code de l’environnement une disposition particulière applicable aux installations classées soumises à autorisation. Or, avec la rédaction de l’article L. 512-5 du code de l’environnement le législateur n’a pas permis d’assurer la mise en œuvre effective du principe de participation.
Néanmoins, considérant que l’abrogation immédiate des dispositions litigieuses de l’article L. 512-5 du code de l’environnement « aurait pour seul effet de faire disparaître les dispositions permettant l’information du public sans satisfaire aux exigences de participation de ce dernier », le Conseil constitutionnel aligne la date d’abrogation des dispositions en cause sur celle choisie dans la décision n° 2011-183/184 QPC ( soit le 1er janvier 2013), ce qui devrait permettre au législateur de préciser dans un seul et même texte les conditions et les limites dans lesquelles doit être opérée la participation du public à l’élaboration des décisions du public conformément aux dispositions de l’article 7 de la charte de l’environnement aux termes desquelles « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».
On pourrait se féliciter de ces deux abrogations constitutionnelles de la loi pour méconnaissance du principe de participation, si elles ne réduisaient pas la constitutionnalisation de l’environnement à pas grand-chose au final.
Deux critiques nous semblent ici essentielles.
- D’abord on aura compris que le juge constitutionnel n’assume pas les conséquences des abrogations qu’il prononce et désavantage de façon inadmissible certains justiciables. Ainsi ce n’est pas une vue de l’esprit pour les opérateurs éoliens qui ont saisi le Conseil d’Etat de la légalité du décret de classement éolien en invoquant le principe de participation constitutionnalisé : ce dernier leur a opposé, le même jour, l’abrogation reportée par le Conseil constitutionnel du décret au 1er janvier 2013 (CE, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 13 juillet 2012, n° 353565 et 353577).
Le praticien sourit sur ce qui justifie la modulation dans le temps de l’abrogation retenue par le Conseil constitutionnel… sachant qu’aucune autorisation ICPE n’a encore été délivrée à ce jour pour les éoliennes et que les procédures de PC imposent a minima une étude d’impact. Mais au final le décret est sauvé et c’est un véritable déni d’inconstitutionnalité dont aura été victime sinon la filière, au moins les opérateurs qui auront eu l’audace de saisir le juge.
Heureusement nos confrères ne manquent pas d’imagination ; certains, comme notre confrère Carl Enckell, disent déjà avoir trouvé la parade dans un astucieux recours gracieux contre le décret dès qu’entre en vigueur l’abrogation constitutionnelle.
….Effectivement au regard de la jurisprudence il y a bien une obligation d’abroger, même pour vice de procédure, l’acte réglementaire inconstitutionnel dont l’écran législatif aura disparu du fait de la décision n° 2012-262 QPC du 13 juillet 2012. On ajoutera que ce sont encore les arrêtés de prescriptions techniques des régimes d’autorisation et déclaratif en date du 26 août 2011 qui vont perdre leur base légale à compter du 1er janvier 2013 (JO 27 août 2011, textes 13 et 14, p. 136) et dont il faudra solliciter l’abrogation eu égard à la décision n° 2012-262 QPC du 13 juillet 2012. C’est effectivement ce qui permettrait de faire jouer pleinement le principe de participation en remettant sur l’agenda politique la question sinon du classement du moins du niveau de classement des éoliennes … mais sur le fond c’est tout de même une victoire à la Pyrrhus car le Conseil d’Etat s’est évertué à éviter un contrôle de constitutionnalité de la loi de classement (CE, 16.04.12 rejet QPC éolienne ICPE, n°353577, 353565) pour ensuite nous défendre contra legem la légalité du décret (nous en avons parlé ici).
On voit combien il est dangereux de sacrifier les règles de forme sur l’autel de la modulation…
- Ensuite, on peut se demander si le principe de participation n’est pas un véritable attrape bobo dont il n’est guère couteux d’imposer la sanction pour des juges bien peu familiers d’une véritable démarche écologique intégrée et qui cherche encore en vain à obtenir la sanction des règles de fond (manque de précaution, principe d’intégration …) . N’est-ce pas d’une certaine façon faire consentir, par une simple information préalable et la possibilité électronique pour tout un chacun de faire valoir son point de vue, ceux qui seraient fondés à contester l’avènement d’une nouvelle norme comme défavorable à l’environnement ? N’est-ce pas également prendre le risque de noyer les remarques techniques, averties et informées de ceux qui mesurent en millimètres avec les « opinions » de ceux qui mesurent en kilomètres pour paraphraser le sociologue Pierre Bourdieu.
Nous verrons bien et prenons le pari : la nouvelle majorité aura-t-elle le courage de détricoter un classement éolien qui contredit une approche intégrée de l’éolien ?