METALEUROP : CONDAMNATION HISTORIQUE DE L’ÉTAT

Par David DEHARBE, avocat gérant (Green Law Avocats)

Les 51 arrêts de la Cour Administrative d’Appel de Douai (dont l’un est téléchargeable ici) dans le volet immobilier de l’affaire Métaleurop ont été rendus et les délibérés sont historiques dans tous les sens du terme : 1.200.000€ de condamnation de l’Etat en réparation de la perte de valeur immobilière et de la perte de jouissance des biens de propriétaires riverains de l’ancienne usine, pour carence dans la réglementation des rejets atmosphériques de la fonderie de Noyelles-Godault (exploitée d’abord par Peñarroya puis Metaleurop Nord) de la fin des années 1960 à 2003 (date de cessation d’activité du site).

«Si l’Etat n’en a pas moins démérité dans le contrôle de la fonderie» selon le mot du Rapporteur public, suivant les conclusions très documentées de M. Aurélien Gloux-Saliou, la Cour  juge qu’à compter de la fin des années 1960 l’administration a disposé d’informations suffisantes quant à l’existence de pollutions excessives résultant de l’activité de l’usine Métaleurop Nord et sur le fait que son activité générait des risques particuliers dans un contexte de forte pollution historique des terrains, constituée de son fait dans le voisinage depuis le début du siècle précédent.

Et les pièces du dossier retenues par la Cour sont en effet accablantes pour l’État :

«Il n’en reste pas moins qu’une étude de l’INRA met en évidence dès 1979 une pollution au plomb, au cadmium et au mercure des terrains proches de l’usine. Une étude de l’université de Lille de 1986 souligne également qu’il existe une pollution, déjà historique, en plomb, cadmium et autres particules remontant à une époque où la protection de l’environnement n’était « pas au centre des préoccupations », que le taux d’épuration des fumées est « désormais important » et que « toute amélioration supplémentaire nécessitera des capitaux extrêmement importants ». Elle fait apparaître que les sources ponctuelles de pollution atmosphérique sont nombreuses en divers points du site comme cela ressort d’une lettre du préfet du Nord-Pas-de- Calais de 1985. Un comité de pilotage auquel participaient les services de l’Etat en 1999 relève que Métaleurop Nord a fourni « de nombreux efforts en matière de réduction et de contrôle de la pollution atmosphérique » qui « ont permis de diminuer de manière significative les flux rejetés dans l’atmosphère alors que dans le même temps, l’activité a continué à croître » mais qu’une pollution atmosphérique perdure principalement à raison d’émissions diffuses « pour lesquelles peu de données sont disponibles ». En 1999, un rapport au conseil départemental d’hygiène note que l’usine compte 129 points de rejets « canalisés », donc hors la pollution diffuse, et dont seuls 19 sont équipés d’installations de traitement. Un point d’information réalisé par les services de l’Etat le 16 décembre 2002 relève que les rejets atmosphériques ont considérablement diminué depuis 1970, mais qu’en 2001 l’usine rejetait encore dans l’atmosphère 18,3 tonnes de plomb canalisé, auxquels s’ajoutent 10 à 15 tonnes de rejets diffus, 0.8 tonnes de cadmium, 26 tonnes de zinc et 6800 tonnes de dioxyde de souffre. Un rapport de la direction régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environnement du 31 août 1999, adressé au conseil départemental d’hygiène, indique que « malgré les multiples efforts et investissements consentis sous la contrainte réglementaire, Métaleurop Nord apparaît toujours dans les recensements nationaux aux toutes premières places des pollueurs français (plomb, cadmium, zinc)».

Pour la Cour si conformément à l’article 29 de la loi du 19 décembre 1917, l’État pouvait laisser se poursuivre l’exploitation pour le motif d’intérêt général tiré des graves conséquences d’ordre économique ou social qui auraient résulté d’une interruption dans le fonctionnement de l’installation, cette dérogation ne pouvait être que limitée à la période nécessaire à la régularisation de la situation. Or il est constant que les rejets atmosphériques polluants canalisés ou diffus présentant un danger pour le voisinage se sont poursuivis jusqu’à la cessation d’activité en 2003.

La Cour énonce en creux que l’usine était irrémédiablement polluante et aurait donc due être fermée … C’est une condamnation de l’État pour une faute durable et historique en matière de pollution, ce qui est à notre connaissance une première en matière de droit de l’environnement industriel.

Et la Cour rejette encore la prescription quadriennale invoquée par l’État.

Certes le fameux PIG Métaleurop (Projet d’Intérêt Général) mis en place dès 1999 a informé les riverains de l’existence de la pollution au plomb et au cadmium de près de 650 ha autour de l’usine.

Mais «d’une part, […] les recommandations de comportement formulées par l’agence régionale de santé (ARS) concomitamment au PIG n’ont pas fait l’objet des mêmes mesures de publicité que le PIG. D’autre part, si la publication de l’arrêté du 20 janvier 1999 portant PIG a été de nature à porter à la connaissance des résidents de la zone concernée les restrictions urbanistiques grevant leurs biens, elle n’a pas par elle-même été suffisante pour porter à leur connaissance l’ensemble des risques sanitaires encourus et des restrictions d’usage concourant à la perte de valeur vénale du fait de la perte de qualité des sols, alors que des études ultérieures continuent de révéler l’ampleur des risques sanitaires présentés par les métaux lourds».

Or comme le rappelle la Cour la prescription quadriennale ne commence à courir quà la date à laquelle la réalité et l’étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés.

«Par suite, les préjudices ne pouvaient pas être exactement mesurés dans toute leur étendue en 1999. Aussi, la prescription quadriennale n’était pas acquise quand les appelants ont formé leur réclamation préalable reçue le 3 mai 2018 par les services de la préfecture du Pas-de-Calais. L’État n’est donc pas fondé à opposer la prescription des créances de perte de valeur vénale et de perte de qualité des sols».

L’arrêt rappelle encore qu’en cas de défaillance du dernier exploitant d’une ICPE soumise à autorisation, dans le cas où il apparaît que la pollution d’un sol présente un risque grave pour la santé, la sécurité et la salubrité publiques ou pour l’environnement, il incombe à l’Etat de faire usage de ses pouvoirs de police en menant notamment des opérations de dépollution du sol, pour assurer la mise en sécurité du site, compte tenu de son usage actuel, et remédier au risque grave ayant été identifié (cf. sur ce point CE, 13 novembre 2019, n°416860, Commune de Marrennes).

Et contrairement à ce qu’avait jugé le Tribunal administratif de Lille en première instance, la Cour juge que la pollution des sols visée peut concerner tant le site même de l’installation classée que tout site dont la pollution résulterait directement de l’activité de cette installation classée. Ce point était essentiel dans l’affaire Métaleurop car les riverains demandait la dépollutions de leur terrain pollué et en dehors du site de l’usine sur le fondement de la jurisprudence Commune de Marennes.

Mais la Cour n’accède pas à cette demande car les résultats des dépistages organisés ne révèlent pas de lien de causalité entre la pollution observée et l’état de santé des habitants ; les arrêts de préciser que «la pollution ne présente de risque pour la santé publique qu’en cas d’ingestion ou de consommation des végétaux et ce risque peut être jugulé par des mesures de précaution dont les appelants n’indiquent pas qu’ils ne seraient pas en mesure de les respecter». Il faut rappeler que dans les 51 dossiers jugés aucun n’intéressait des enfants en bas âge ni d’ailleurs les huit cas de saturnisme et 74 cas de pré-saturnisme finalement dépistés en 2022 sur les communes du PIG. D’autres affaires sont d’ailleurs pendantes sur ces sujets devant le Tribunal administratif de Lille.

La Cour rejette pour la même raison la demande indemnitaire d’un préjudice d’angoisse, la démonstration n’étant pas non plus accueillie par le juge s’agissant du risque d’exposition au cadmium, la juridiction se rangeant ici à la qualification des faits opérée par l’ARS.

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L’auteur de ces lignes ne peut être objectif dès lors qu’il a porté ce dossier pendant 8 années déjà et le lecteur lui pardonnera sans doute, au moins à ce titre, d’avoir qualifié cette série d’arrêts comme étant historique.

Mais une chose est sûre pour avoir plaidé à deux reprises ce dossier avec des résultats strictement inverses en première instance puis en appel, au moment d’un résultat positif il faut remercier ceux qui ont fait de la spéléologie dans les archives de Métaleurop pour nourrir quelques  66.000 pages de procédure : je remercie Thomas RICHET, Clémence AUQUE, Mathieu DEHARBE et Christelle DESBESSEL pour leur acharnement dans ce volet immobilier du dossier.

Le formidable travail de l’expert Jean-Jacques  MARTEL et de son équipe (salué à l’audience par le rapporteur) a encore permis d’établir les préjudices immobiliers et au nom des «51», je les en remercie vivement.

Un tel dossier appelle encore le soutien du territoire quand la pression risque de vous faire perdre pied : Christophe PILCH président de la Communauté d’Agglomération Hénin-Carvin (CAHC) a su nous soutenir dans les pires moments et ce fut déterminant.

Dans ces moments également et particulièrement quand le premier juge a fait défaut, seul un journaliste d’investigation peut assurer l’indispensable médiatisation de l’injustice. Martin BOUDOT et son équipe de «Verte de Rage» ont, avec leur film de 52 minutes «les enfants du plombs», rappelé que les bambins des communes du PIG étaient les premières victimes de la pollution de Métaleurop. Et la presse écrite a aussi au Rendez vous : le suivi de Youenn MARTIN journaliste de la Voix du Nord a été exemplaire.

Mais ce dossier a d’abord été porté par un véritable porteur d’alerte, associatif au sens noble du terme, qui depuis 10 ans lutte sans relâche pour informer et expliquer les dangers à laisser les enfants sur des pelouses contaminées au plomb et les parents à consommer sans précaution leurs potagers sur les communes du PIG : Bruno ADOLPHI, Président de l’association PIGE tu ne comptes jamais ton temps et ton flair entre dans la légende… ces 51 arrêts de la Cour administrative d’appel de Douai sont d’abord les tiens.

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 L’occasion m’étant donnée, je vous annonce enfin que Green Law Avocats a une nouvelle équipe, qui plus que jamais, va se dédier aux contentieux administratifs civils et pénal et de l’environnement !